La plateforme SoundCloud bénéficie du régime favorable des hébergeurs au sens de l’article 6 I. 2° de la LCEN.
La plateforme SoundCloud est un service numérique de partage et d’écoute de contenus musicaux, accessibles en ligne via l’URL https://soundcloud.com/ ou par l’intermédiaire d’applications tablette et mobile, qui propose aux créateurs de publier les contenus qu’ils souhaitent afin de les partager avec les utilisateurs et d’interagir avec eux. Elle met ainsi à la disposition des créateurs et des utilisateurs des outils, pour permettre aux premiers de télécharger des contenus de toute nature, d’organiser leurs pages et contenus, et d’animer leurs pages, et de connaître leur fréquentions, et aux seconds, de consulter les comptes créateurs, d’écouter les fichiers audios via divers canaux, et de suivre les actualités des artistes. Les différents abonnements qu’elle propose aux créateurs n’ont pas pour effet de lui donner un rôle actif; il s’agit, notamment pour l’abonnement SoundCloud pro en cause, de leur permettre de personnaliser leur profil et leur URL, de promouvoir leurs titres sur les pages de découverte de SoundCloud et de profiter d’offres exclusives de la part des partenaires de production audio de SoundCloud. Il ne permet pas à SoundCloud de venir interférer ou modifier le contenu de ces comptes. SoundCloud doit donc être qualifiée d’hébergeur au sens de l’article 6 I. 2° de la LCEN. SoundCloud n’a donc pas l’obligation de surveiller tous les contenus publiés par les utilisateurs, et notamment ceux avec lesquels elle dispose de liens capitalistiques ou avec lesquels elle a conclu des accords de partenariats, et lui imposer une telle obligation de surveillance générale est expressément prohibé par la loi. Il ressort en outre des conditions générales d’utilisation de la plateforme que SoundCloud met à disposition un formulaire de contact spécialement dédié aux notifications de contenus illicites, et prévoit la suppression et le blocage des contenus violant le droit d’auteur, se réservant le droit de suspendre certains comptes d’utilisateurs contrevenant au droit d’auteur. Pour mémoire, l’article 6 I. 2° de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004, pour la Confiance dans l’Économie Numérique, transposant la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, dans la rédaction applicable à la date des faits, prévoit que sont hébergeurs « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services. ». Cet article précise que ces personnes physiques ou morales « ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible. L’alinéa précédent ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle de la personne visée audit alinéa. ». L’article 6 I.5 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique définit la notion de connaissance du caractère illicite des informations stockées comme suit : « La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants : – la date de la notification ; L’article 6 I. 7° rappellent que les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu’ils stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. Dans sa décision Google Adwords du 23 mars 2010, la CJUE indique : « il convient d’examiner si le rôle exercé par ledit prestataire est neutre, en ce que son comportement est purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des données qu’il stocke », et que « la seule circonstance que le service de référencement soit payant,que Google fixe les modalités de rémunération, ou encore qu’elle donne des renseignements d’ordre général à ses clients, ne saurait avoir pour effet de priver Google des dérogations en matière de responsabilité prévues par la directive 2000/31 ». Dans sa décision du 22 juin 2021 concernant les plateformes Youtube et Uploaded, elle précise que : « l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, sur laquelle des utilisateurs peuvent mettre illégalement à la disposition du public des contenus protégés, n’effectue pas une «communication au public » de ceux-ci […] à moins qu’il ne contribue, au-delà de la simple mise à disposition de la plateforme, à donner au public accès à de tels contenus en violation du droit d’auteur. Tel est notamment le cas lorsque cet exploitant a concrètement connaissance de la mise à disposition illicite d’un contenu protégé sur sa plateforme et s’abstient de l’effacer ou d’en bloquer l’accès promptement, ou lorsque ledit exploitant, alors même qu’il sait ou devrait savoir que, d’une manière générale, des contenus protégés sont illégalement mis à la disposition du public par l’intermédiaire de sa plateforme par des utilisateurs de celle-ci, s’abstient de mettre en œuvre les mesures techniques appropriées qu’il est permis d’attendre d’un opérateur normalement diligent dans sa situation pour contrer de manière crédible et efficace des violations du droit d’auteur sur cette plateforme, ou encore lorsqu’il participe à la sélection de contenus protégés communiqués illégalement au public, fournit sur sa plateforme des outils destinés spécifiquement au partage illicite de tels contenus ou promeut sciemment de tels partages, ce dont est susceptible de témoigner la circonstance que l’exploitant a adopté un modèle économique incitant les utilisateurs de sa plateforme à procéder illégalement à la communication au public de contenus protégés sur celle-ci ». En application de l’arrêt YouTube, la CJUE considère qu’un exploitant d’une plateforme n’effectue pas par principe de communication au public, à moins que l’exploitant ait concrètement connaissance de la mise à disposition illicite d’un contenu protégé, qu’il s’abstienne de mettre en œuvre les mesures techniques appropriées qu’il est permis d’attendre d’un opérateur normalement diligent afin de contrer de manière crédible et efficace les violations du droit d’auteur sur sa plateforme et qu’il participe à la sélection de contenus protégés communiqués illégalement au public, fournit des outils destinés spécifiquement au partage illicite ou promeut sciemment de tels partages. La Cour précise également que la notion de communication au public doit être appréciée en tenant compte du caractère délibéré de l’intervention d’un exploitant de plateforme, dans la mise en ligne d’un contenu illicite, c’est-à-dire notamment « en pleine connaissance des conséquences de son comportement dans le but de donner au public accès à des œuvres protégées », de l’interdiction de téléverser des contenus protégés sur la plateforme figurant dans les conditions générales, de l’absence d’outils destinés spécifiquement au partage de contenus illicites sur la plateforme ainsi que la mise en place de procédés de signalement spécifiques et de programmes de reconnaissance de tels contenus qui constituent des mesures techniques qui contrent de manière crédible et efficace la violation de droits d’auteur sur une plateforme. |
Résumé de l’affaire : [N] [F], un auteur d’œuvres graphiques sous le pseudonyme « [M] », a accusé la société SoundCloud Limited d’avoir exploité son œuvre « Death Moon » sans autorisation sur sa plateforme. Après avoir contacté SoundCloud le 12 juin 2020, il a été informé que la reproduction provenait d’Universal Music Group et que le contenu avait été retiré. En réponse, [N] [F] a assigné SoundCloud en contrefaçon de droits d’auteur le 18 décembre 2020. SoundCloud a contesté l’assignation, arguant d’un défaut de motivation et de l’absence d’originalité de l’œuvre. Le juge a déclaré irrecevable la demande de nullité de l’assignation, laissant la question de l’originalité à trancher au fond.
Dans ses conclusions, [N] [F] a demandé au tribunal de reconnaître son droit d’auteur sur « Death Moon », de condamner SoundCloud pour contrefaçon et de lui verser des indemnités pour préjudice économique et moral. Il a également reproché à SoundCloud d’avoir modifié son œuvre et de ne pas l’avoir crédité en tant qu’auteur. En défense, SoundCloud a soutenu qu’elle agissait en tant qu’hébergeur et n’était pas responsable des contenus publiés, affirmant avoir réagi rapidement à la notification de [N] [F]. Elle a également contesté l’originalité de l’œuvre et a demandé le débouté de toutes les demandes de [N] [F], tout en réclamant des dommages-intérêts pour procédure abusive. Le tribunal a finalement débouté [N] [F] de toutes ses demandes, condamnant ce dernier aux dépens et à verser 10.000 euros à SoundCloud au titre des frais de justice, tout en rejetant la demande de dommages-intérêts de SoundCloud. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la nature de la responsabilité de SoundCloud Limited en tant qu’hébergeur selon la LCEN ?La responsabilité de SoundCloud Limited en tant qu’hébergeur est régie par l’article 6 I. 2° de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN). Cet article stipule que les hébergeurs, qu’ils soient physiques ou moraux, ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée pour les activités ou informations stockées à la demande d’un utilisateur, à moins qu’ils n’aient effectivement connaissance du caractère illicite de ces contenus. En d’autres termes, un hébergeur n’est responsable que s’il a connaissance de la nature illicite des contenus qu’il héberge et qu’il n’agit pas promptement pour retirer ces contenus ou en rendre l’accès impossible. Il est également précisé que la connaissance du caractère illicite est présumée acquise lorsque l’hébergeur reçoit une notification conforme, comprenant des éléments tels que la description des faits litigieux et les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré. Ainsi, SoundCloud Limited, en tant qu’hébergeur, doit démontrer qu’elle n’avait pas connaissance de la mise à disposition illicite de l’œuvre « Death Moon » et qu’elle a agi rapidement pour retirer le contenu dès qu’elle en a eu connaissance. Quelles sont les conditions pour qu’un hébergeur soit exonéré de responsabilité ?Pour qu’un hébergeur soit exonéré de responsabilité, plusieurs conditions doivent être remplies, conformément à l’article 6 I. 2° de la LCEN. Ces conditions incluent : 1. **Absence de connaissance** : L’hébergeur ne doit pas avoir connaissance du caractère illicite des informations stockées. Cela signifie qu’il ne doit pas être au courant que le contenu qu’il héberge enfreint des droits d’auteur ou d’autres droits. 2. **Action rapide** : Dès qu’il a connaissance du caractère illicite du contenu, l’hébergeur doit agir promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible. 3. **Notification conforme** : La connaissance du caractère illicite est présumée acquise lorsque l’hébergeur reçoit une notification conforme, qui doit inclure des informations précises sur le contenu litigieux, les motifs de la demande de retrait, et les coordonnées du notifiant. 4. **Rôle passif** : L’hébergeur doit avoir un rôle strictement passif, c’est-à-dire qu’il ne doit pas participer activement à la mise à disposition du contenu illicite. Ces conditions visent à protéger les hébergeurs qui agissent de bonne foi et qui ne sont pas impliqués dans la création ou la diffusion de contenus illicites. Comment la notion d’originalité est-elle définie dans le cadre du droit d’auteur ?La notion d’originalité est essentielle dans le cadre du droit d’auteur, notamment en France, où elle est définie par l’article L112-1 du Code de la propriété intellectuelle. Cet article stipule que « l’œuvre de l’esprit est protégée par le droit d’auteur dès lors qu’elle est originale ». L’originalité implique que l’œuvre doit porter l’empreinte de la personnalité de son auteur. Cela signifie que l’œuvre doit être le résultat d’un choix créatif personnel, et non simplement une reproduction ou une copie d’une œuvre existante. En pratique, pour qu’une œuvre soit considérée comme originale, elle doit : 1. **Être le fruit d’une création personnelle** : L’auteur doit avoir apporté une contribution créative qui reflète sa personnalité. 2. **Ne pas être une simple idée ou un concept** : L’originalité ne s’applique pas aux idées, mais à leur expression. Par exemple, une œuvre graphique doit avoir une forme ou un style qui lui est propre. 3. **Être identifiable** : L’œuvre doit être suffisamment distincte pour être reconnue comme une création originale. Dans le cas de l’œuvre « Death Moon », la question de son originalité est cruciale pour déterminer si [N] [F] a des droits d’auteur sur celle-ci et si la contrefaçon est avérée. Quelles sont les conséquences d’une contrefaçon de droits d’auteur ?Les conséquences d’une contrefaçon de droits d’auteur sont régies par le Code de la propriété intellectuelle, notamment par les articles L335-2 et suivants. Lorsqu’une contrefaçon est établie, plusieurs sanctions peuvent être appliquées : 1. **Dommages-intérêts** : L’auteur de l’œuvre contrefaite peut demander des dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi. Cela peut inclure des pertes économiques, des pertes de chance, et des atteintes à son droit moral. 2. **Interdiction de poursuivre l’exploitation** : Le tribunal peut ordonner la cessation de l’exploitation illicite de l’œuvre, ce qui signifie que l’infracteur doit arrêter toute utilisation non autorisée de l’œuvre. 3. **Publication de la décision** : Le tribunal peut également ordonner la publication de la décision de justice dans des conditions déterminées, afin d’informer le public de la contrefaçon. 4. **Astreinte** : En cas de non-respect des décisions du tribunal, une astreinte peut être imposée, c’est-à-dire une somme d’argent à payer par jour de retard dans l’exécution de la décision. 5. **Responsabilité pénale** : Dans certains cas, la contrefaçon peut également entraîner des sanctions pénales, notamment des amendes et des peines d’emprisonnement. Ces conséquences visent à protéger les droits des auteurs et à dissuader les actes de contrefaçon. Dans le cas de [N] [F], il a demandé des réparations financières significatives en raison de la contrefaçon alléguée de son œuvre « Death Moon ». |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Tribunal judiciaire de Marseille
RG n°
21/02241
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N°24/ DU 26 Septembre 2024
Enrôlement : N° RG 21/02241 – N° Portalis DBW3-W-B7F-YQIN
AFFAIRE : M. [N] [F] ( Me Jennifer BONGIORNO)
C/ Entreprise SOUNDCLOUD LIMITED (Me Marine DA CUNHA)
DÉBATS : A l’audience Publique du 27 Juin 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, en application des articles 804 et 805 du code de procédure civile, avec l’accord des parties, les avocats avisés ne s’y étant pas opposés, et JOUBERT Stéfanie, en qualité de Juge Rapporteur, a présenté son rapport à l’audience avant les plaidoiries et en a rendu compte au Tribunal dans son délibéré,
Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte
Vu le rapport fait à l’audience
À l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 26 Septembre 2024
Après délibéré entre :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BERARD Béatrice, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDEUR
Monsieur [N] [F]
né le 02 Août 1978 à [Localité 3]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représenté par Maître Jennifer BONGIORNO, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Mehdi GASMI, avocat plaidant au barreau de PARIS
C O N T R E
DEFENDERESSE
SOUNDCLOUD LIMITED, Société constituée selon le droit de l’Angleterre et du Pays de Galles dont le siège social est [Adresse 6] (Royaum-Uni) et représentée par son représentant légal y domicilié
représentée par Maître Marine DA CUNHA, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Marie-Dominique LUCCIONI FAIOLA, membre de L’AARPI SRDB LAW FIRM, avocat plaidant au barreau de PARIS
[N] [F] est un auteur d’œuvres graphiques qu’il exploite sous le pseudonyme « [M] » et dont il commercialise des tirages par le biais d’une boutique en ligne dont il est propriétaire, accessible à l’adresse www.[02].com.
Le 12 juin 2020, [N] [F] a contacté la société Soundcloud Limited, lui reprochant une exploitation non autorisée de son œuvre « Death Moon » à travers des publications sur la plateforme de musique en ligne exploitée par l’entreprise Soundcloud Limited.
SoundCloud lui a répondu le même jour que la reproduction avait été « fournie via la chaîne d’approvisionnement commercial par Universal Music Group » et que toute demande devrait être adressée à Universal Music Group, et que le contenu visé n’était plus accessible et qu’elle ne l’hébergeait donc plus, ce qui ne pouvait donner lieu à indemnisation de sa part. [N] [F] constatait effectivement la suppression de son œuvre « Death Moon » des pages exploitées par Soundcloud Limited sur sa plateforme en ligne.
Par acte en date du 18 décembre 2020, [N] [F] a fait assigner la société SoundCloud Limited devant le Tribunal judiciaire de Marseille en contrefaçon de droits d’auteur.
Par conclusions notifiées le 21 juin 2021, la société SoundCloud Limited a saisi le juge de la mise en état d’une demande de nullité de l’assignation à titre principal pour défaut de motivation en droit et en fait l’empêchant de préparer utilement sa défense et à titre subsidiaire, d’une fin de non-recevoir tirée du défaut de droit d’agir, [N] [F] ne justifiant pas que l’affiche intitulée « Death Moon » arguée de contrefaçon était originale, et n’étant donc pas investi des droits attribués à l’auteur d’une œuvre de l’esprit par le Livre 1er du Code de la propriété intellectuelle.
Par ordonnance en date du 23 novembre 2021, le juge de la mise en état a relevé que Monsieur [F] avait notifié de nouvelles conclusions au fond le 20 septembre 2021 et que la société SoundCloud Limited ne maintenait pas sa demande de nullité de l’assignation, et déclaré irrecevable la demande formée devant le juge de la mise en état portant sur l’originalité de l’oeuvre arguée de contrefaçon, cette question relevant du Tribunal statuant au fond.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 février 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, [N] [F] demande au Tribunal de :
– se déclarer compétent pour connaître matériellement et territorialement de l’ensemble des demandes qui lui ont été soumises,
– juger la loi française applicable à l’ensemble des demandes qui lui ont été soumises,
– le juger recevable en toutes ses demandes,
– juger que l’œuvre « Death Moon » est une œuvre originale, protégée par le droit d’auteur,
– juger qu’il est titulaire d’un droit d’auteur à titre originaire sur l’œuvre « Death Moon»,
– juger que l’entreprise Soundcloud Limited a commis une contrefaçon en exploitant, sans y avoir été autorisée, l’œuvre « Death Moon » sur la période du 31 janvier 2020 au 12 juin 2020,
En conséquence,
Au fond :
– condamner Soundcloud Limited à lui verser la somme de 3.145.116 euros en réparation de son préjudice économique,
– condamner Soundcloud Limited à réparer le préjudice persistant qu’il a subi, consistant pour lui en la perte d’une chance de fidéliser la clientèle qu’il aurait pu acquérir si son œuvre « Death Moon » avait été utilisée en mentionnant son nom d’auteur ; à ce titre, condamner Soundcloud Limited à lui verser la somme de 1.207.095 euros; dire, enfin, que ce préjudice devra être actualisé jusqu’à la date d’exécution de la mesure de publicité visée ci-dessous,
– condamner Soundcloud Limited à exécuter à son profit une mesure de publicité informant ses audiences de l’existence d’une contrefaçon de l’œuvre « Death Moon » commise entre le 31 janvier 2020 et le 12 juin 2020, dans des conditions de nature à le rétablir dans sa paternité de l’œuvre ; à ce titre, condamner Soundcloud Limited à exécuter cette réparation comme suit : Publication sur la plateforme Soundcloud d’une reproduction numérique, qui sera autorisée par Monsieur [N] [F], de l’œuvre « Death Moon » dans sa forme originale annexée en Pièce n°1, dans des dimensions et un taux de compression respectant l’intégrité de l’œuvre et n’étant, en tout état de cause, pas inférieurs aux dimensions (largeur x hauteur) 796 x 1.126 pixels ; assortie d’un commentaire indiquant l’intitulé de l’œuvre (« Death Moon») et le nom d’auteur de Monsieur [N] [F] (« [M] ») ; cette publication devra être réalisée par Soundcloud Limited sur la page d’accueil de sa plateforme «Soundcloud» (www.soundcloud.com) et la page ayant comporté les publications contrefaisantes (www.[04]), qui doivent être accessibles dans les conditions habituelles depuis tous les États et territoires à partir desquels ces pages sont normalement consultables,
* cette publication devra comporter un commentaire rédigé en langue anglaise, faisant référence au jugement à rendre par la présente juridiction, indiquant en des termes dépourvus d’équivoque la condamnation de Soundcloud Limited pour l’utilisation contrefaisante de l’œuvre « Death Moon » réalisée durant la période du 31 janvier 2020 au 12 juin 2020 ; indiquant que cette œuvre a été exploitée sans mentionner «[M]» comme étant son auteur ; concluant que Soundcloud Limited déclare reconnaître «[M] » comme étant l’auteur de l’œuvre « Death Moon »,
* cette publication devra être maintenue continuellement durant un délai d’au moins trente jours francs,
* cette condamnation est sollicitée à peine d’astreinte de 1.000 euros par jour de retard pour y procéder à compter de la date à laquelle cette condamnation est signifiée à Soundcloud Limited,
– condamner Soundcloud Limited à lui remettre au moins deux procès-verbaux, respectivement au commencement et à l’expiration du délai durant lequel la juridiction l’obligera à maintenir les publications, consignant les constatations d’un huissier instrumentaire en France, régulièrement requis par Soundcloud Limited aux fins de constater la parution de la publication dans les conditions ci-dessus et son maintien durant l’intégralité du délai requis par le jugement,
– condamner Soundcloud Limited à lui verser une réparation au titre de l’atteinte à ses droits patrimoniaux, liquidée comme suit :
À titre principal : 399.076 euros,
À titre subsidiaire [1/2] : Réparation égale à 6,66% du total des recettes directes et indirectes retirées par Soundcloud Limited de l’ensemble des publications ayant comporté les publications contrefaisantes en litige,
À titre subsidiaire [2/2] : Dans l’attente de la liquidation de la réparation susvisée, versement par Soundcloud Limited d’une provision sur sa créance indemnitaire égale à 399.076 euros,
– condamner Soundcloud Limited à lui verser à la somme de 1.565.000 euros en réparation du préjudice moral qu’il retire des atteintes à son droit moral d’auteur,
– débouter Soundcloud Limited de l’ensemble de ses demandes et moyens, notamment, rejeter sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,
– condamner la société Soundcloud Limited à prendre en charge l’ensemble des dépens de procédure et d’instance,
– condamner la société Soundcloud Limited à lui verser la somme de 12.000 € au titre des frais non compris dans les dépens (article 700 du Code de procédure civile).
Il reproche à la défenderesse d’avoir reproduit l’œuvre « Death Moon » sans son autorisation, d’avoir réalisé cette reproduction sans le citer en tant qu’auteur et d’avoir dénaturé l’œuvre « Death Moon » en ayant modifié substantiellement son contenu et en l’association à l’œuvre musicale« Desires ».
Il indique, que la société Soundcloud Limited n’est pas, contrairement à qu’elle prétend, éligible aux dispositions de l’article 6, I., 2° de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) et ne peut bénéficier de l’exonération de responsabilité réservée aux personnes revêtant la qualité « d’hébergeurs en ligne »; qu’en effet, Soundcloud Limited et Universal Music Group sont liées par un contrat de partenariat commercial ayant précisément pour objet la réalisation de publications sur la plateforme « Soundcloud»; qu’Universal Music Group n’est donc pas un simple tiers tenu uniquement aux conditions générales d’utilisation de la plateforme Soundcloud; que la LCEN exclut de son champ d’application les hébergeurs liés à leur utilisateur par une relation de contrôle or jusqu’au 28 septembre 2017, Universal Music Group, via des sociétés holdings interposées, a détenu 191.174 titres au capital de Soundcloud Limited; que le 28 septembre 2017, Universal Music Group a participé à une réorganisation concertée avec l’ensemble des actionnaires de Soundcloud Limited, en transférant l’ensemble de ses titres à Soundcloud Holdings II, domiciliée aux îles Caïmans, elle-même détenue par Soundcloud Holdings, également domiciliée aux îles Caïmans; qu’en raison des législations en vigueur aux Îles Caïmans, il n’est pas en mesure de clarifier si Universal Music Group a, au titre des périodes contrefaisantes, détenu une participation au capital de Soundcloud Holdings ou Soundcloud Holdings II, ou a directement ou indirectement été liée par une relation de contrôle à Soundcloud Limited; que les activités de Soundcloud Limited ne se limitent pas à l’hébergement passif de contenus postés par des tiers mais comprennent également la commercialisation d’abonnements donnant accès aux contenus de cette plateforme et incluant plusieurs services, intitulés « Soundcloud Go » et « Soundcloud Go+ », générant la majeure partie de son chiffre d’affaires et dont elle fait activement la promotion au moyen de l’ensemble des contenus de sa plateforme, dont les publications contrefaisantes elles-mêmes; que les activités de Soundcloud Limited comprennent également la commercialisation de services d’assistance personnalisés intitulés « Soundcloud Pro », incluant le fait d’être «sponsorisé par [leur] équipe de relations dédiée aux artistes », de « [bénéficier] d’avis d’expert » et de recevoir « une assistance prioritaire »; que le compte « [04]» par lequel les publications contrefaisantes ont été diffusées est un compte souscripteur de l’abonnement « Soundcloud Pro »; que Soundcloud Limited refuse de produire le contrat de partenariat la liant à Universal Music Group et ayant pour objet la réalisation de publications sur sa plateforme « Soundcloud » et dès lors, il n’est pas possible d’apprécier la nature de la relation liant ces deux entreprises afin de vérifier si Soundcloud Limited ne serait, comme elle le soutient, qu’un simple prestataire informatique dont le rôle serait limité à l’hébergement passif des contenus postés par Universal Music Group; que le régime exonératoire de la LCEN est inapplicable aux exploitants n’ayant pas un rôle strictement passif et limité à l’hébergement des contenus litigieux ; qu’un exploitant a un rôle actif lorsqu’il offre notamment à ses utilisateurs une assistance, consistant notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause et à promouvoir celles-ci, ce qui reposait sur sa connaissance ou son contrôle des données stockées, ce qui est manifestement le cas ici; que le fait que le compte « [04] » auquel Soundcloud Limited impute les publications contrefaisantes soit souscripteur de l’offre « Soundcloud Pro » et reçoive une assistance personnalisée de Soundcloud Limited la prive de la possibilité de faire valoir n’avoir qu’un rôle strictement informatique et passif; qu’enfin, les activités commerciales « Soundcloud Go » et « Soundcloud Go+ » privent en tout état de cause Soundcloud Limited de l’éligibilité au régime exonératoire de la LCEN puisqu’en se livrant à ces activités, dont elle fait la promotion via les contenus de sa plateforme, Soundcloud Limited supporte les risques associés à ces activités sans pouvoir se dérober et faire valoir n’être qu’un hébergeur passif dont le rôle serait uniquement informatique et technique ; que Soundcloud Limited cite ici une décision CJUE ayant concerné la plateforme « Youtube » et mentionne que l’entreprise Youtube a été admise au régime exonératoire alors qu’elle exploite aujourd’hui une offre « Youtube Premium », que le défendeur allègue similaire aux offres qu’il commercialise mais l’offre « Youtube Premium » n’existait pas à la date des faits jugés par la CJUE et n’est pour cette raison pas mentionnée une seule fois, ni par la Cour ni par son Avocat général dans ses conclusions.
Il décrit son préjudice en tenant compte de l’ampleur des diffusions contrefaisantes de l’œuvre « Death Moon » ; qu’il ignore le nombre exact des consultations dont les publications contrefaisantes ont fait l’objet, entre le 31 janvier 2020 et le 12 juin 2020, date à laquelle il a constaté la suppression de la reproduction contrefaisante, mais démontre que le compteur de consultations exploité par Soundcloud Limited indiquait 15,5 millions de consultations au 20 avril 2020 et 15,9 millions de consultations au 15 mai 2020; que doivent être ajoutées les consultations non recensées par ce compteur : celles n’ayant pas donné lieu à une lecture du titre « Desires » et celles intervenues par le biais des relais effectués par la presse internationale des publications contrefaisantes de Soundcloud Limited, et pour évaluer ce dernier groupe des consultations, il préconise de porter une appréciation fondée sur la méthode du faisceau d’indices. Il détaille ses préjudices : préjudice économique : perte de chance d’accroître les ventes de la boutique en ligne, préjudice financier : rémunération pour les reproductions de l’œuvre « Death Moon» et préjudice moral : réparation des atteintes à l’intégrité de l’œuvre « Death Moon» ( modifications matérielles, troncages, refus de paternité, association artistique à l’œuvre « Desires » qui ne correspond pas avec les genres “Rock Art” et “Metal” voulus pour son oeuvre « Death Moon »).
En défense, dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 25 mars 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société SoundCloud Limited demande au Tribunal de :
– débouter Monsieur [N] [F] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, À titre principal
– dire et juger qu’elle exploite ses activités en lien avec la plateforme éponyme de partage et d’écoute de contenus musicaux en qualité d’hébergeur au sens de l’article 6 I. 2° de la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la Confiance dans l’Économie Numérique,
– dire et juger qu’elle n’a commis aucune faute et a promptement réagi à réception de la notification du 12 juin 2020 adressée par Monsieur [N] [F],
En conséquence,
– débouter Monsieur [N] [F] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
À titre subsidiaire
– dire et juger que l’œuvre revendiquée « Death Moon » par Monsieur [N] [F] est dépourvue de toute originalité,
– dire et juger que le procès-verbal de constat du 20 avril 2020 est dénué de toute force probante,
– dire et juger que Monsieur [N] [F] ne parvient pas à prouver les faits argués de contrefaçon qu’il invoque,
En conséquence,
– dire et juger qu’aucune atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur de Monsieur [N] [F] n’est caractérisée,
– dire et juger qu’aucune atteinte aux droits moraux d’auteur de Monsieur [N] [F] n’est caractérisée,
– débouter Monsieur [N] [F] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
À titre très subsidiaire
– dire et juger que lorsqu’une juridiction française est saisie d’un litige de contrefaçon de droit d’auteur portant sur des agissements commis par une société de droit étranger, son pouvoir juridictionnel est limité à la réparation du seul préjudice subi sur le territoire français,
– dire et juger que Monsieur [N] [F] ne justifie pas de la réalité de préjudices directs, actuels et certains subis en France,
En conséquence :
– débouter Monsieur [N] [F] de l’ensemble de ses demandes indemnitaires formées au titre de la contrefaçon de ses droits d’auteur,
À tout le moins :
– réduire substantiellement le quantum des demandes indemnitaires formées au titre de la contrefaçon de ses droits d’auteur,
À titre reconventionnel
– dire et juger que Monsieur [N] [F] a engagé sa responsabilité extracontractuelle en engageant la présente action à l’encontre de la société SoundCloud Limited,
– dire et juger que Monsieur [N] [F] a engagé sa responsabilité extracontractuelle en conduisant la présente action à l’encontre de la société SoundCloud Limited avec une extrême légèreté,
En conséquence :
– condamner Monsieur [N] [F] à lui payer la somme de 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire,
En tout état de cause
– condamner Monsieur [N] [F] à lui payer la somme de 30.000 euros en application des articles 700 et 790 du Code de procédure civile,
– condamner Monsieur [N] [F] aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître Marine DA CUNHA.
Elle fait valoir qu’elle exploite une plateforme d’écoute et de partage de musique en ligne sur un modèle similaire à YouTube ou Spotify; qu’elle n’a qu’un rôle passif d’intermédiaire technique et n’a pas connaissance des plus de 200 millions de titres et contenus qui sont publiés sur sa plateforme et qu’elle répond ainsi à la qualification d’hébergeur et au régime dérogatoire de responsabilité prévu par l’article 6, I, 2° de la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (« LCEN »); que la publication en cause concernait à une affiche téléchargée par Universal Music sur le compte www.[04] de l’artiste de musique [B], hébergé par SoundCloud.
Elle indique que le fait qu’elle propose des abonnements payants « SoundCloud Pro » (devenu « Next pro »), ou « SoundCloud Go » et « SoundCloud GO+» n’influe pas sur sa qualité d’hébergeur; qu’en effet, le caractère lucratif de l’activité est indifférent selon l’article 6-I-2 de la LCEN et la jurisprudence, aucune plateforme ne proposant d’ailleurs à ce jour une offre entièrement gratuite, sans quoi son existence ne pourrait être garantie ;qu’ au demeurant, Monsieur [F] s’appuie sur des chiffres trompeurs voire fantaisistes en ce qui concerne les gains réalisés par le biais de ces abonnements; que « SoundCloud Pro » permet essentiellement aux créateurs de recourir, sur leur propre initiative, à un volume de stockage plus important ou à des outils leur permettant d’administrer leurs pages, qui n’impliquent aucune intervention sur mesure de SoundCloud, qui se borne à fournir les moyens techniques nécessaires aux artistes, et qui ne prodigue aucune « assistance personnelle » ou «encadrement » comme le prétend Monsieur [F] ; que les offres payantes SoundCloud Go et SoundCloud GO+ visent à promouvoir le catalogue de SoundCloud dans son ensemble et permettent uniquement d’écouter des titres sans publicité ou hors connexion, d’accéder au catalogue complet de SoundCloud, de bénéficier d’un audio de haute qualité, ou encore de mixer les titres; qu’aucun de ces avantages accordés indifféremment à tous les abonnés n’implique une connaissance ou un contrôle des contenus hébergés par SoundCloud, qui est dépourvue de rôle actif; que par ailleurs, ce sont les créateurs et non SoundCloud qui choisissent s’ils désirent inclure l’un de leurs titres dans un tel abonnement; qu’en tout état de cause, le titre musical « Desires » du chanteur [B], auquel l’image litigieuse aurait été associée, se trouvait et se trouve encore en libre accès, et n’a donc rien avoir avec les offres d’abonnement de SoundCloud.
Elle ajoute que l’article 6, I, 2° de la LCEN qui est fréquemment appliqué aux plateformes musicales prévoit qu’un hébergeur n’est responsable que s’il avait effectivement connaissance du caractère illicite du contenu , ou s’il en a eu connaissance, et qu’il n’a pas « agi promptement » pour le retirer ou en rendre l’accès impossible, or elle a répondu le jour même de la réception de la notification à Monsieur [F] que le contenu n’était déjà plus disponible, et alors même que la notification adressée par le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de forme et de fond imposées par la LCEN; que la conclusion d’un contrat de partenariat conclu entre SoundCloud et Universal Music Group n’a aucune incidence sur la qualification d’hébergeur, ou l’applicabilité du régime dérogatoire de l’article 6.I.2° de la LCEN; qu’en effet, cet accord, de même que ceux que SoundCloud a pu conclure avec Warner, Sony ou encore tous les autres labels de musique existants, visent seulement à obtenir l’accès à l’ensemble du catalogue de ces labels de musique, et ainsi à permettre la publication de contenus licites sur sa plateforme; qu’une partie qui se prévaut de ses droits d’auteurs ne saurait obliger son adversaire à produire des documents sous le sceau de la confidentialité, si ces derniers ne permettent pas utilement de vérifier l’application du régime dérogatoire des hébergeurs; que par ailleurs, la conclusion d’un contrat de partenariat entre Universal Music et SoundCloud ne modifie en rien la qualité d’utilisateur d’Universal, qui reste soumis aux conditions générales d’utilisation et donc aux mêmes règles que tous les autres utilisateurs; que la détention capitalistique de SoundCloud par Universal Music ne rend pas SoundCloud inéligible au régime dérogatoire des hébergeurs.
A titre subsidiaire, elle soutient que l’illustration litigieuse est dépourvue de toute originalité, et que Monsieur [F] ne justifie en tout état de cause d’aucune atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux, atteinte qui serait, en tout état de cause, imputable à Universal Music, et non à SoundCloud.
À titre très subsidiaire, elle conclut au débouté des demandes présentées ou à leur réduction substantielle, puisque le demandeur s’absout des principes les plus élémentaires du droit de la responsabilité civile et probatoires, multiplie les chefs de préjudice, et réclame l’indemnisation d’un préjudice mondial, au mépris des règles de compétence; que contrairement à ce que suggère Monsieur [F], elle ne peut appeler en garantie Universal Music Group pour être indemnisée en cas de condamnation.
Elle réclame également l’allocation de dommages et intérêts, compte tenu du caractère manifestement abusif de l’action et du caractère vexatoire des demandes de Monsieur [F].
La procédure a été clôturée à la date du 14 mai 2024.
A titre liminaire, il y a lieu de relever que la compétence de la présente juridiction n’est pas contestée, étant rappelé qu’en tout état de cause il s’agit d’une exception relevant de la seule compétence du juge de la mise en état.
Sur la responsabilité de la société Soundcloud Limited
L’article 6 I. 2° de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004, pour la Confiance dans l’Économie Numérique, transposant la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, dans la rédaction applicable à la date des faits, prévoit que sont hébergeurs « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services. ».
Cet article précise que ces personnes physiques ou morales « ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.
L’alinéa précédent ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle de la personne visée audit alinéa. ».
L’article 6 I.5 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique définit la notion de connaissance du caractère illicite des informations stockées comme suit :
« La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants :
– la date de la notification ;
– si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;
– si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;
-les nom et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social ;
-la description des faits litigieux et leur localisation précise ;
-les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;
-la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté ».
L’article 6 I. 7° rappellent que les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu’ils stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.
Dans sa décision Google Adwords du 23 mars 2010, la CJUE indique : « il convient d’examiner si le rôle exercé par ledit prestataire est neutre, en ce que son comportement est purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des données qu’il stocke », et que « la seule circonstance que le service de référencement soit payant,que Google fixe les modalités de rémunération, ou encore qu’elle donne des renseignements d’ordre général à ses clients, ne saurait avoir pour effet de priver Google des dérogations en matière de responsabilité prévues par la directive 2000/31 ».
Dans sa décision du 22 juin 2021 concernant les plateformes Youtube et Uploaded, elle précise que : « l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, sur laquelle des utilisateurs peuvent mettre illégalement à la disposition du public des contenus protégés, n’effectue pas une «communication au public » de ceux-ci […] à moins qu’il ne contribue, au-delà de la simple mise à disposition de la plateforme, à donner au public accès à de tels contenus en violation du droit d’auteur. Tel est notamment le cas lorsque cet exploitant a concrètement connaissance de la mise à disposition illicite d’un contenu protégé sur sa plateforme et s’abstient de l’effacer ou d’en bloquer l’accès promptement, ou lorsque ledit exploitant, alors même qu’il sait ou devrait savoir que, d’une manière générale, des contenus protégés sont illégalement mis à la disposition du public par l’intermédiaire de sa plateforme par des utilisateurs de celle-ci, s’abstient de mettre en œuvre les mesures techniques appropriées qu’il est permis d’attendre d’un opérateur normalement diligent dans sa situation pour contrer de manière crédible et efficace des violations du droit d’auteur sur cette plateforme, ou encore lorsqu’il participe à la sélection de contenus protégés communiqués illégalement au public, fournit sur sa plateforme des outils destinés spécifiquement au partage illicite de tels contenus ou promeut sciemment de tels partages, ce dont est susceptible de témoigner la circonstance que l’exploitant a adopté un modèle économique incitant les utilisateurs de sa plateforme à procéder illégalement à la communication au public de contenus protégés sur celle-ci ».
En l’espèce, la plateforme SoundCloud est un service numérique de partage et d’écoute de contenus musicaux, accessibles en ligne via l’URL https://soundcloud.com/ ou par l’intermédiaire d’applications tablette et mobile, qui propose aux créateurs de publier les contenus qu’ils souhaitent afin de les partager avec les utilisateurs et d’interagir avec eux. Elle met ainsi à la disposition des créateurs et des utilisateurs des outils, pour permettre aux premiers de télécharger des contenus de toute nature, d’organiser leurs pages et contenus, et d’animer leurs pages, et de connaître leur fréquentions, et aux seconds, de consulter les comptes créateurs, d’écouter les fichiers audios via divers canaux, et de suivre les actualités des artistes.
Les différents abonnements qu’elle propose aux créateurs n’ont pas pour effet de lui donner un rôle actif; il s’agit, notamment pour l’abonnement SoundCloud pro en cause, de leur permettre de personnaliser leur profil et leur URL, de promouvoir leurs titres sur les pages de découverte de SoundCloud et de profiter d’offres exclusives de la part des partenaires de production audio de SoundCloud. Il ne permet pas à SoundCloud de venir interférer ou modifier le contenu de ces comptes.
SoundCloud doit donc être qualifiée d’hébergeur au sens de l’article 6 I. 2° de la LCEN.
Monsieur [F] soutient que SoundCloud aurait effectué une communication au public, l’empêchant de bénéficier du régime dérogatoire de responsabilité prévu à l’article 6-2 LCEN.
Il indique que Soundcloud Limited est lié au label de musique Universal Music Group, par un contrat de partenariat ayant précisément pour objet la publication des contenus sur sa plateforme.
Or il ressort de l’arrêt YouTube susvisé que la CJUE considère qu’un exploitant d’une plateforme n’effectue pas par principe de communication au public, à moins que l’exploitant ait concrètement connaissance de la mise à disposition illicite d’un contenu protégé, qu’il s’abstienne de mettre en œuvre les mesures techniques appropriées qu’il est permis d’attendre d’un opérateur normalement diligent afin de contrer de manière crédible et efficace les violations du droit d’auteur sur sa plateforme et qu’il participe à la sélection de contenus protégés communiqués illégalement au public, fournit des outils destinés spécifiquement au partage illicite ou promeut sciemment de tels partages.
La Cour précise également que la notion de communication au public doit être appréciée en tenant compte du caractère délibéré de l’intervention d’un exploitant de plateforme, dans la mise en ligne d’un contenu illicite, c’est-à-dire notamment « en pleine connaissance des conséquences de son comportement dans le but de donner au public accès à des œuvres protégées », de l’interdiction de téléverser des contenus protégés sur la plateforme figurant dans les conditions générales, de l’absence d’outils destinés spécifiquement au partage de contenus illicites sur la plateforme ainsi que la mise en place de procédés de signalement spécifiques et de programmes de reconnaissance de tels contenus qui constituent des mesures techniques qui contrent de manière crédible et efficace la violation de droits d’auteur sur une plateforme.
Il ressort des courriels échangés le 25 juin 2020 entre le service juridique de SoundCloud et Universal Music à la suite de la réception du courriel de Monsieur [F] que SoundCloud n’avait pas connaissance de la mise en ligne de cette affiche.
SoundCloud ne peut ici être considérée comme ayant eu « concrètement connaissance» de la mise à disposition de l’affiche de Monsieur [F], et encore moins comme ayant pu soupçonner qu’il s’agissait d’un contenu protégé, Universal Music Group étant un profil « Créateur » vérifié, appartenant au plus grand label de musique du monde.
Les publications musicales et autres contenus qui sont publiés sur le compte «[04] », compte de [B] animé par son label de musisque, sont sélectionnés et téléchargés par l’administrateur de ce compte.
SoundCloud ne peut pas surveiller tous les contenus publiés par les utilisateurs, et notamment ceux avec lesquels elle dispose de liens capitalistiques ou avec lesquels elle a conclu des accords de partenariats, et lui imposer une telle obligation de surveillance générale est expressément prohibé par la loi.
Il ressort en outre des conditions générales d’utilisation de la plateforme que SoundCloud met à disposition un formulaire de contact spécialement dédié aux notifications de contenus illicites, et prévoit la suppression et le blocage des contenus violant le droit d’auteur, se réservant le droit de suspendre certains comptes d’utilisateurs contrevenant au droit d’auteur.
De plus, l’existence d’un contrat de partenariat entre SoundCloud et Universal Music Group est inopérant sur la qualification d’hébergeur, du premier et la qualité d’utilisateur du second. En outre, ainsi que le relève la société SoundClound, cet accord, comme ceux qu’elle a conclu avec les autres labels de musique tels que Warner et Sony, vise à obtenir l’accès à l’ensemble du catalogue de ces labels de musique, et ainsi à permettre la publication de contenus licites sur sa plateforme.
Monsieur [F] prétend encore que la LCEN exclut de son champ d’application les hébergeurs liés à leur utilisateur par une relation de contrôle et invoque le deuxième alinéa de l’article 6-I-2.
Il soutient qu’Universal Music Group détient une participation significative du capital de SoundCloud.
En réalité, cet alinéa exclut l’application du régime dérogatoire lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle de l’hébergeur.
Dès lors, cette disposition n’est pas applicable en l’espèce, puisque Universal Music est ici l’utilisateur de la plateforme en tant que créateur, et donc le destinataire du service, et SoundCloud est l’hébergeur.
Par lettre datée du 15 mai 2020 envoyée le 12 juin 2020 par courriel, à l’adresse courriel [Courriel 5], et le 17 juin 2020 par Chronopost, présentée à SoundCloud le 19 juin 2020, [N] [F] a adressé à SoundCloud par l’intermédiaire de son conseil une lettre de mise en demeure, aux termes de laquelle il se présentait comme l’auteur d’une œuvre graphique divulguée en 2012 en France sous le pseudonyme « [N] [F] [M] » » et principalement exploitée sur Internet à l’adresse www.[02].com et soutenait que cette illustration avait été publiée sur les pages internet www.[04] et www.[04], faits constatés par acte d’huissier de justice dressé le 20 avril 2020. Il reprochait à la société SoundCloud des actes de contrefaçon et sollicitait la cessation des actes litigieux et que lui soit adressée une proposition d’indemnisation en réparation de ses préjudices, sur la base de la somme de 133.560 euros au titre de la réparation de l’atteinte aux droits patrimoniaux, et de la somme de 795.000 euros au titre de la réparation de l’atteinte aux droits d’auteur moraux, au motif notamment que SoundCloud aurait permis plus de 15.900.000 consultations de cette illustration.
Dès le 12 juin 2020, jour de réception par courriel de la lettre de mise en demeure, SoundCloud lui a répondu que le contenu visé sur le compte dénommé «[04] », n’avait pas été « sélectionné » et « téléchargé » par elle-même, mais par un tiers, la société Universal Music Group, précisant : « Nous pouvons constater de notre côté qu’Universal a mis à jour ce titre et a peut-être changé l’image. En conséquence, il ne semble pas que nous hébergions l’œuvre en question », et lui recommandant de prendre contact avec Universal Music Group pour toute autres questions ou préoccupations.
[N] [F] ne conteste pas que ce contenu n’était plus accessible sur le site de SoundCloud dès le 12 juin 2020.
Dès lors, dès la réception de la lettre de mise en demeure, SoundCloud a pris les mesures nécessaires pour vérifier si le contenu litigieux était ou non accessible et répondu au Conseil de [N] [F] que le contenu publié par le titulaire du compte «[04] » n’était pas accessible, et par conséquent, qu’il n’était plus hébergé par SoundCloud.
Elle a ainsi agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible et ne peut donc pas voir sa responsabilité civile engagée, conformément à l’article 6-I-2 de la LCEN.
En conséquence, [N] [F] sera débouté de l’intégralité de ses demandes.
Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive
La société SoundCloud sollicite la condamnation de [N] [F] à lui payer la somme de 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire.
L’exercice du droit d’ester en justice, de même que la défense à une telle action, constituent en principe un droit et ne dégénèrent en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas où le titulaire de ce droit en fait, à dessein de nuire, un usage préjudiciable à autrui.
La société SoundCloud fait état du changement persistant d’argumentation et d’évaluation des prétendus préjudices subis tout au long de la procédure, sans une communication complète des pièces, démontrant la faiblesse juridique de l’action de [N] [F], l’absence de sérieux de ses demandes, et l’ayant contraint à soulever un incident de procédure. Elle affirme encore que le demandeur savait pertinemment que son action était dénuée de tout fondement, tentant de prouver d’un préjudice économique disproportionné dépourvu de fondement.
La particulière mauvaise foi dont aurait fait preuve [N] [F] en agissant en justice n’est cependant pas établie; les errements procéduraux et l’analyse des nombreux jeux de conclusions du demandeur, au contenu variant au gré de la procédure, à laquelle a été contrainte la défenderesse, seront pris en compte au titre de la demande formée au titre des frais irrépétibles.
La demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sera rejetée.
Sur les autres demandes
[N] [F], qui succombe, sera condamné aux dépens, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la défenderesse l’intégralité des frais irrépétibles qu’elle a été contraintes d’exposer ; [N] [F] sera donc condamné à lui payer la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
Le présent jugement est exécutoire de plein droit à titre provisoire
Le Tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
Déboute [N] [F] de l’intégralité de ses demandes,
Condamne [N] [F] aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile,
Condamne [N] [F] à payer à la société Soundcloud Limited la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
Déboute la société Soundcloud Limited de sa demande de dommages-intérêts.
AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 26 SEPTEMBRE 2024.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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