Tribunal judiciaire de Paris, 4 décembre 2015
Tribunal judiciaire de Paris, 4 décembre 2015

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris

Thématique : Responsabilité des hébergeurs

Résumé

L’article 6-1-2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique établit un régime de responsabilité atténuée pour les hébergeurs, les protégeant des conséquences des contenus stockés, à condition qu’ils n’aient pas connaissance de leur caractère illicite. La jurisprudence de la CJUE précise que cette protection s’applique tant que l’hébergeur n’exerce pas un rôle actif dans la gestion des données. Dans le cas de leboncoin.fr, le site agit en tant qu’intermédiaire neutre, sans rôle éditorial, et ne peut donc être tenu responsable des contenus publiés par les utilisateurs, tant qu’il retire promptement les données illicites une fois informé.

Statut d’hébergeur ou d’éditeur ?

L’article 6-1-2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 qui transpose en droit interne l’article 14 de la directive n°2000/31/CE prévoit un régime de responsabilité atténuée pour les hébergeurs de services sur internet par rapport aux éditeurs en disposant que « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services, ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».

Ce texte doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui a dit pour droit dans son arrêt Google du 23 mars 2010 que l’article 14 de la directive susvisé « doit être interprété en ce sens que la règle y énoncée s ‘applique au prestataire d’un service de référencement sur internet lorsque ce prestataire n’a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées ».

Ce dispositif a également été éclairé par l’arrêt L’Oréal SA du 12 juillet 2011 de la CJUE aux termes duquel » lorsque ledit exploitant a prêté une assistance laquelle a notamment consisté à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir ces offres, il y a lieu de considérer qu’il a non pas occupé une position neutre entre le client vendeur concerné et les acheteurs potentiels, mais joué un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives à ces offres ».

Application au boncoin.fr

En l’espèce, le site internet leboncoin.fr propose un service de dépôt et de consultation de petites annonces sur internet, plus spécifiquement destiné aux particuliers, qui rédigent leur annonce publiée gratuitement sur le site, et ont la possibilité de souscrire des options payantes leur permettant de modifier leur annonce, d’y apposer un logo urgent, de la positionner en tête de liste ou d’y adjoindre des photos. Ces options, qui ne caractérisent pas une assistance à la rédaction, mais la simple possibilité payante offerte à l’annonceur d’étoffer son annonce ou d’exiger un positionnement, n’induisent pas un rôle éditorial de la part de la société LBC, le contenu des annonces restant le seul fait de l’annonceur, la société LBC qui n’est en outre pas partie à l’éventuel contrat conclu par les utilisateurs, ne reçoit aucune commission sur les transactions, et ne détermine ni le prix ni les modalités de remise du bien vendu, exerçant un rôle neutre d’intermédiaire.

De même la mise en place par la société LBC d’un logiciel de filtrage, dispositif automatique tendant à partir de mots clés à la préservation des droits des tiers, n’induit en rien un rôle éditorial et n’est pas exclusif de la qualification d’hébergeur de sorte que la société LBC relève du régime de responsabilité atténuée prévu par l’article 6-1-2 de la LCN susvisé.

Il convient de rappeler que l’hébergeur, qui conformément à l’article 64-7 de la LCEN n’est pas soumis à une obligation générale de surveillance des informations qu’il transmet ou stocke, ni à une obligation générale de recherche des faits ou des circonstances révélant des activités illicites, n’engage sa responsabilité, conformément à l’article 6-I-2 que si, ayant pris connaissance du caractère illicite des données stockées à la demande d’un annonceur ou des activités illicites de celui-ci, il n’a pas promptement retiré ou rendu inaccessibles ces données.

Forme de la notification de contenus illicites

En l’espèce, si les deux mises en demeure envoyées par un fabricant d’articles de luxe contiennent le lien URL permettant d’accéder à l’annonce litigieuse ainsi qu’une capture d’écran du site leboncoin.fr reproduisant ladite annonce, elles ne mentionnent en revanche pas la forme, la dénomination, le siège social et l’organe qui représente légalement le requérant, information importante pour l’allégation d’une contrefaçon de marque de sorte qu’elles sont insuffisantes au sens de l’article 6-1-5 de la LCEN à satisfaire à l’obligation d’identification du requérant mise à sa charge.

De même les signalements effectués via la fonctionnalité du site leboncoin.fr prévue à cet effet, qui ne permettent pas d’identifier l’expéditeur requérant, pas plus qu’ils n’indiquent les motifs comprenant les dispositions légales et les justifications pour lesquels le contenu doit être retiré, ne constituent pas des notifications au sens de l’article 6-1-5 de la LCEN

Selon l’article 6-1-5 de la LCEN, la connaissance des faits litigieux est acquise lorsqu’il est notifié à l’hébergeur les éléments suivants:

– la date de la notification ;

– si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;

– si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement;

– le nom et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social ;

– la description des faits litigieux et leur localisation précise ;

– les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits;

– la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté. Il s’ensuit que la responsabilité de la société leboncoin.fr n’était pas engagée.

 


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