Tribunal judiciaire de Marseille, 3 octobre 2022
Tribunal judiciaire de Marseille, 3 octobre 2022
Type de juridiction : Tribunal judiciaire Juridiction : Tribunal judiciaire de Marseille Thématique : Fermeture de compte Instagram : oubliez l’article 845 du CPC

Résumé

Dans le cadre d’une contestation de fermeture de compte Instagram, les lois spéciales prévalent sur les lois générales. Depuis le 4 mars 2022, une procédure accélérée au fond est instaurée pour traiter les dommages liés aux contenus en ligne. Les requérants ne peuvent plus invoquer l’article 845 du CPC, rendant toute ordonnance fondée sur cette base irrégulière. Ainsi, la rétractation de l’ordonnance doit être prononcée sans se prononcer sur le fond. Le juge ne peut pas imposer de mesures de rétablissement sous astreinte ni accorder de provisions, respectant ainsi les limites de ses pouvoirs.

Lois spéciales c/ Lois générales

Dans le cadre d’une contestation de fermeture de compte instagram, les lois spéciales dérogent aux lois générales.

Procédure accélérée au fond

Une procédure accélérée au fond devant le Président du Tribunal Judiciaire est désormais prévue depuis le 4 mars 2022 par la loi pour la confiance dans l’économie numérique pour prévenir un dommage ou faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication en ligne.

Ordonnance irrégulière

En conséquence, tous les requérants (requête formulée après le 4 mars 2022) ne sont plus fondés à se prévaloir des dispositions générales l’article 845 al 2 du CPC. Le cas échéant l’ordonnance rendue le sera sur une base légale irrégulière et devra pour ce seul motif être rétractée, sans qu’il y lieu de se prononcer sur le fond, à charge pour les requérantes d’agir à l’avenir le cas échéant dans le cadre d’une procédure accélérée au fond et à charge pour la plateforme à l’origine de la fermeture du compte Instagram de veiller au fonctionnement licite dudit compte ainsi rétabli du fait de la rétractation.

Pouvoirs du juge de la rétractation

Il n’y a pas lieu non plus d’assortir la mesure de rétractation d’une mesure de rétablissement du compte litigieux sous astreinte, ce qui excède les pouvoirs du juge de la rétractation, et pas davantage d’allouer une quelconque provision à la victime de la fermeture du compte, ce qui excèderait également les pouvoirs du juge de la rétractation.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE
ORDONNANCE DE REFERE
Référés
Cabinet 1
ORDONNANCE DU 03 Octobre 2022

Monsieur GORINI, Premier Vice Président Président

Greffier Madame LAFONT, Greffier

Débats en audience publique le : 05 Septembre 2022

GROSSE: EXPEDITION:

N° RG 22/04017 – N° Portalis DBW3-W-B7G-2JSP.

PARTIES:

DEMANDEUR
Monsieur C A né le […] à Sèvres, domicilié chez Maître E F, […]

représenté par Me Florence BOYER, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat postulant et par Maîtres E F & Ivan TEREL de l’AARPI GKA AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant

DEFENDERESSES

Madame L M Z née le […] à Paris, domiciliée chez son conseil Maître X G, […]
Madame H Y née le […] à Lyon, élisant domicile au cabinet de son conseil Maître X à […]

Toutes deux représentées par Me X G-BENCHETRIT, avocat au barreau de MARSEILLE

Société META PLATFORMS IRELAND LIMITED, dont le siège social est sis […], […], prise en la personne de son représentant légal
représentée par Maître Hubert ROUSSEL de l’ASSOCIATION CABINET ROUSSEL-CABAYE, avocats au barreau de MARSEILLE, avocat postulant et par Me Bertrand LIARD de WHITE & CASE LLP, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTERVENTION VOLONTAIRE
Madame J B née le […] à PARIS, demeurant […]

représentée par Me Florence BOYER, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat postulant et par Maîtres E F & Ivan TEREL de l’AARPI GKA AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant

EXPOSE DU LITIGE

Attendu que régulièrement autorisé, suivant actes d’huissier en date du 3 août 2022, M C A a assigné en référé d’heure à heure Mme H Y, Mme L M Z et la Société Meta Platforms Ireland Limited, requérant la rétractation de l’ordonnance sur requête rendue le 30 mai 2022 par le Président du Tribunal de ce siège à la requête en date du 25 mai 2022 de Mesdames Y et Z ayant enjoint la Société Meta Plateforms Ireland Limited de fermer le compte « OKLM” dont l’URL est: https://www;instagram.com/oklm/,

qu’il demande qu’il soit fait injonction à la Société Meta Plaforms Ireland Limited de cesser toute mesure de suspension du compte « OKLM » et de rétablir celui-ci en son état lors de sa
fermeture, afin de lui permettre à nouveau de l’utiliser, et ce sous astreinte de 1.500 € par jour de retard à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir,

qu’à titre reconventionnel il requiert la condamnation solidaire des trois assignées à lui verser une provision de 15.000 € à valoir sur la réparation de son préjudice causé par la fermeture du compte susvisé et la condamnation solidaire de Mesdames Y et Z à lui verser une provision de 50.000 € à valoir sur la réparation de son préjudice causé par l’abus du droit d’agir, outre

10.000 € au titre de l’article 700 du CPC,

qu’au soutien de ses demandes il expose en substance être un artiste français renommé connu sous le nom d’artiste « P »,

qu’il est plébiscité sur Instagram,

qu’il administre le compte qui a été supprimé, ce qui lui donne qualité à agir,

que l’ordonnance attaquée a été prise en violation des dispositions de l’article 6,1. 8. de la loi pour la confiance dans l’économie numérique telles que modifiées par la loi N° 2021-1109 du 24 août 2021 qui imposent pour demander la fermeture d’un compte la saisine du Président du Tribunal Judiciaire statuant selon la procédure accéléré au fond, ce qui institue ab initio une procédure contradictoire pour garantir la liberté d’expression, ces dispositions étant en vigueur depuis le 4 mars 2022, soit avant le dépôt de la requête,

que les requérantes ont fondé à tort leur requête sur des dispositions abrogées au moment de leur requête qui prévoyaient que l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication du public en ligne, lesdites dispositions ayant été remplacées par une procédure accélérée au fond,

qu’il ajoute que le dommage visé par la requête vise notamment des faits de diffamation,

que les requérantes n’ont à cet égard pas respecté le régime procédural prévu par l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881,

qu’à titre subsidiaire il fait valoir l’absence de preuve d’un dommage à prévenir ou à faire cesser, soutenant que les requérantes n’ont pas joint à leur requête de pièces démontrant qu’elles avaient porté à la connaissance de Meta les contenus qu’elles incriminaient et lui avaient demandé leur suppression,

qu’il ajoute que les contenus visés par les requérantes ne sont pas de son fait mais des publications émanant de tiers,

qu’il s’estime victime d’une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression,

Attendu que Mesdames Y et Z s’opposent à la demande et sollicitent la confirmation. de l’ordonnance déférée, outre 4.000 € au titre de l’article 700 du CPC,

qu’elles soutiennent que M A n’a ni qualité ni intérêt à agir,

qu’il ne justifie pas que le compte OKLM lui appartienne,

que, sur la validité de l’ordonnance, elles indiquent subir un acharnement de la part des comptes utilisés par M A sur différentes plateformes et réseaux sociaux,

que M A est particulièrement connu pour véhiculer des messages de haine et injurieux sur les réseaux sociaux,

qu’il a décidé de les prendre pour cibles sans aucune raison légitime,

que l’ordonnance attaquée n’a pas été rendue au seul visa de la loi pour la confiance dans l’économie numérique,

qu’en effet l’article 845 al 2 et l’article 9 du Code Civil fondent cette décision,

Attendu que la Société Meta Platforms Ireland Limited Nous demande de juger à titre principal que M A n’a pas qualité à agir dès lors qu’il ne démontre pas qu’il est titulaire du compte susvisé et qu’il n’a pas intérêt à agir contre elle qui est un simple tiers à la procédure, ajoutant à titre subsidiaire que le juge de la rétractation n’a pas d’autre pouvoir que le cas échéant de rétracter une ordonnance rendue sur requête sans pouvoir assortir cette rétractation d’une astreinte ni statuer sur une demande reconventionnelle,

qu’elle demande que soit écartée l’exécution provisoire de l’ordonnance à intervenir,

qu’elle requiert 10.000 € à titre de dommages-intérêts,

Attendu que Mme J B, associé unique de la Société Louve, manager et associée de M C A, demande qu’acte lui soit donné de son intervention volontaire, indiquant qu’elle administre le compte Instagram OKLM litigieux depuis novembre 2021 au nom et pour le compte de M C A, s’associant et faisant siennes toutes les demandes de ce dernier,

qu’il lui sera donné acte de son intervention volontaire,

SUR QUOI, NOUS, JUGE DES REFERES,

Vu l’assignation délivrée, les pièces versées aux débats et les conclusions échangées entre les. parties,

Attendu, sur la recevabilité de la demande en rétractation présentée par M A, que dans leur
requête initiale les requérantes présentent elles-mêmes M A O P comme gérant et administrant le compte litigieux “ OKLM”,

qu’elles ne sauraient dés lors remettre en cause dans le cadre de la présente procédure sa qualité d’administrateur du compte litigieux qu’elles ont antérieurement reconnue,

que leur moyen tiré du défaut de qualité et d’intérêt à agir sera donc écarté,

Attendu, sur la validité de l’ordonnance attaquée, que force est de rappeler que les lois spéciales dérogent aux lois générales,

qu’en l’espèce, il est constant qu’une procédure accélérée au fond devant le Président du Tribunal Judiciaire est désormais prévue depuis le 4 mars 2022 par la loi pour la confiance dans l’économie numérique pour prévenir un dommage ou faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication en ligne, de sorte qu’au jour de leur requête présentée le 25 mai 2022 les requérantes n’étaient plus fondées à se prévaloir en l’espèce des dispositions générales l’article 845 al 2 du CPC,

que l’ordonnance rendue l’a donc été sur une base légale irrégulière et doit de ce fait pour ce seul motif être rétractée, sans qu’il y lieu de se prononcer sur le fond, à charge pour les requérantes d’agir à l’avenir le cas échéant dans le cadre d’une procédure accélérée au fond et à charge pour M A et Mme B de veiller au fonctionnement licite dudit compte ainsi rétabli du fait de la rétractation,

que, cela dit, il n’y a pas lieu d’assortir la mesure de rétractation d’une mesure de rétablissement du compte litigieux sous astreinte, ce qui excède les pouvoirs du juge de la rétractation, et pas davantage d’allouer une quelconque provision à M A, ce qui excède également les pouvoirs du juge de la rétractation,

qu’il n’y a pas lieu de dire que la présente ordonnance sera exécutoire au seul vu de la minute, sans pour autant écarter l’exécution provisoire attachée à toute ordonnance rendue en référé,

Attendu que Mesdames Y et Z supporteront les dépens du référé, qu’il n’y a pas lieu à article 700 du CPC au profit de M A et de Mme B ni de toute autre partie en la cause,

PAR CES MOTIFS, JUGEANT PAR ORDONNANCE PRONONCEE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE, CONTRADICTOIRE ET EN PREMIER RESSORT,

Donnons acte à Mme J B de son intervention volontaire..

Jugeons M A recevable en sa demande de rétractation.

Vu l’article 6 I de la loi sur la confiance en l’économie numérique,

Jugeons que depuis le 4 mars 2022 seule la procédure accélérée au fond devant le Président du Tribunal Judiciaire constitue le cadre procédural légal pour voir prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un

dommage occasionné par le contenu d’un service de communication en ligne.
Constatons que dans leur requête initiale Mesdames Y et Z ne se sont pas conformées à ce cadre légal.

Rétractons en conséquence l’ordonnance sur requête rendue le 30 mai 2022 par le Président du Tribunal Judiciaire de Marseille.

Nous déclarons incompétent pour stațuer sur la demande de rétablissement du compte OKLM sous astreinte.

Invitons Mme B et M A à veiller au fonctionnement licite du compte OKLM ainsi rétabli du seul fait de la rétractation prononcée.

Nous déclarons incompétent pour statuer sur la demande reconventionnelle.

Disons n’y avoir lieu à dire que la présente ordonnance sera exécutoire au seul vu de la minute sans pour autant écarter l’exécution provisoire attachée à toute ordonnance de référé.

Disons n’y avoir lieu à application de l’article 700 du CPC au profit de M A et de Mme B.

Disons que Mesdames Y et Z supporteront les dépens du référé.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

J LAFONT V GORINI
 

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