Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Caen
Thématique : Développeur et actionnaire d’une Start-Up : la preuve du contrat de travail
→ RésuméLe développeur d’une Start-Up, sans contrat de travail formel, se retrouve dans une situation complexe lorsqu’il devient actionnaire. Ce statut complique la preuve d’un lien de subordination, essentiel pour revendiquer des droits de salarié. En effet, les échanges sporadiques avec le gérant ne suffisent pas à établir un pouvoir de direction. De plus, le litige autour du code source qu’il a développé souligne la difficulté de revendiquer des droits d’auteur tout en cherchant à prouver un statut de salarié. En l’absence de contrat écrit, ses demandes sont vouées à l’échec, illustrant les enjeux juridiques liés à son double rôle.
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Le développeur informatique oeuvrant pour une Start Up (sans contrat de travail sur la base d’une promesse) et qui décide de devenir actionnaire peut se retrouver privé du statut de salarié. Par ailleurs, il est vivement conseillé d’encadrer en amont la cession des droits du développeur sur le code source.
Preuve de l’existence du lien de subordination
En effet, le statut d’associé rend plus difficile la preuve de l’existence du lien de subordination dès lors qu’elle suppose un pouvoir de direction et de contrôle.
Pouvoir de direction et de contrôle
En la cause, le seul envoi spontané par le développeur de deux courriels en plus de 7 mois informant le gérant de l’avancement des travaux informatiques et l’envoi d’un courriel de reproche par le gérant de la société ne suffisent pas à démontrer que l’employeur aurait exercé sur le développeur un tel pouvoir de direction et de contrôle.
Propriété du code source
Un litige s’est aussi noué autour du code-source qu’il a développé dans le cadre de son travail.
Estimant être propriétaire de ce code, il a réclamé que la société achète les droits le concernant pour l’exploiter et a verrouillé l’accès à ce code par un logiciel de cryptage.
La société avait alors saisi le tribunal de commerce pour voir lever ce cryptage. Or, le développeur en tant qu’associé n’a pas contesté la compétence de cette juridiction pour en connaître ni en première instance ni en appel.
En revendiquant un statut de salarié cette action en revendication de droits aurait aussi été vouée à l’échec puisque un salarié ne peut revendiquer des droits d’auteur sur une oeuvre informatique développée dans le cadre de son travail et avec les moyens de l’employeur.
COUR D’APPEL DE CAEN
Chambre sociale section 1
ARRÊT DU 20 OCTOBRE 2022
AFFAIRE : N° RG 21/01534
N° Portalis DBVC-V-B7F-GYND
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHERBOURG en date du 05 Mai 2021 RG n° 19/00044
APPELANTE :
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS – CGEA DE [Localité 7]
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Julie POMAR, avocat au barreau de CAEN
INTIMES :
Monsieur Bruno S.
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me France OZANNAT, avocat au barreau de CHERBOURG
S.E.L.A.R.L. SBCMJ en sa qualité de Mandataire Liquidateur de la SAS CITIES PROGRAM, prise en la personne de son représentant légal Maître Bruno CAMBON, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3] – [Localité 4]
Représentée par Me BATAILLE, avocat au barreau de CHERBOURG
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller, rédacteur
Mme VINOT, Conseiller,
DÉBATS : A l’audience publique du 23 juin 2022
GREFFIER : Mme ALAIN
ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 20 octobre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier
FAITS ET PROCÉDURE
Estimant avoir été lié par un contrat de travail à la SAS Cities Program de novembre 2017 à septembre 2018 en qualité de développeur Web, M. Bruno S. a saisi, le 15 mai 2019, le conseil de prud’hommes de Cherbourg pour demander, en dernier lieu, un rappel de salaire, une indemnité pour travail dissimulé, pour voir dire que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour obtenir des indemnités de rupture et des dommages et intérêts.
Le 3 juin 2019, la SAS Cities Program a été placée en liquidation judiciaire.
Par jugement du 5 mai 2021, le conseil de prud’hommes a dit qu’existait entre les parties un contrat de travail prenant effet au 11 décembre 2017, condamné la SELARL SBCMJ, en sa qualité de mandataire liquidatrice de la SAS Cities Program, à verser à M. S. : 34 200€ de rappel de salaire (outre les congés payés afférents), 22 800€ d’indemnité pour travail dissimulé, 3 800€ d’indemnité de préavis, 712,50€ d’indemnité de licenciement, 3 800€ de dommages et intérêts ‘en réparation des préjudice subis’, 1 500€ en application de l’article 700 du code de procédure civile, l’a condamnée à lui remettre, sous astreinte, des bulletins de paie du 11 décembre 2017 au 12 septembre 2018, un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi et dit la décision opposable à l’AGS-CGEA de Rouen dans les limites de la garantie légale et des plafonds applicables.
L’AGS-CGEA de [Localité 7] et la SAS Cities Program représentée par la SELARL SBCMJ, sa mandataire liquidatrice, ont interjeté appel du jugement. Les deux appels ont été joints.
Vu le jugement rendu le 5 mai 2021 par le conseil de prud’hommes de Cherbourg
Vu les dernières conclusions de la SAS Cities Program, appelante, représentée par la SELARL SBCMJ, sa mandataire liquidatrice, communiquées et déposées le 7 septembre 2021, tendant à voir réformer le jugement, au principal, à voir dire le conseil de prud’hommes incompétent et à voir renvoyer la cause devant le tribunal de commerce de Cherbourg, subsidiairement, à voir M. S. débouté de toutes ses demandes, très subsidiairement, tendant à voir réduire le montant des dommages et intérêts susceptibles d’être alloués, en tout état de cause, à voir déclarer l’arrêt opposable à l’AGS-CGEA de Rouen dans la limite de la garantie légale et des plafonds applicables et à voir M. S. condamné à lui verser 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile
Vu les dernières conclusions de l’AGS-CGEA de Rouen, appelante, communiquées et déposées le 22 septembre 2021, tendant à voir le jugement réformé, au principal, à voir la cour se déclarer incompétente et renvoyer le dossier devant le tribunal de commerce de Cherbourg, subsidiairement, s’en rapportant à justice quant à la demande de rappel de salaire et tendant à voir M. S. débouté de ses autres demandes très subsidiairement tendant à voir réduire les dommages et intérêts alloués à M. S. à de ‘plus justes proportions’, tendant en tout état de cause, à se voir déclarer l’arrêt opposable dans la limite de la garantie légale et des plafonds applicables
Vu les dernières conclusions de M. S., intimé, communiquées et déposées le 17 septembre 2021, tendant à voir le jugement confirmé et à voir condamner l’AGS-CGEA de [Localité 7] et la SAS Cities Program représentée par la SELARL SBCMJ, sa mandataire liquidatrice à lui verser 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 1er juin 2022
MOTIFS DE LA DÉCISION
M. S. formule des demandes toutes fondées et justifiées par l’existence d’un contrat de travail. Dès lors, si ce contrat de travail n’existe pas, M. S. devra être débouté de ses demandes et non renvoyé devant le tribunal de commerce qui n’a pas compétence pour statuer sur de telles demandes. M. S. pourrait, ensuite, saisir, s’il l’estime utile, le tribunal de commerce de nouvelles demandes, différentes, formées sur un autre fondement.
En conséquence, l’exception d’incompétence soulevée par les appelantes sera rejetée.
En l’absence de tout contrat de travail écrit, il appartient à M. S. d’établir l’existence d’un contrat de travail en démontrant qu’il a accompli une prestation de travail pour le compte de la SAS Cities Program, sous sa subordination, moyennant une rémunération.
M. S. fait valoir qu’il a accompli une prestation de travail au profit de la SAS Cities Program. Une rémunération avait été prévue, dès le début de la relation contractuelle et une promesse d’embauche établie prévoyant un salaire, il était soumis à des instructions précises, rendait compte chaque semaine et son travail était contrôlé, il utilisait le matériel de l’entreprise, travaillait avec les stagiaires de l’entreprise et était soumis à des horaires de travail.
La SAS Cities Program, représentée par la SELARL SBCMJ, sa mandataire liquidatrice et l’AGS-CGEA de [Localité 7] contestent sa qualité de salarié. Elles font valoir qu’il était associé et n’a pas contesté la compétence du tribunal de commerce quand la SAS Cities Program l’a assigné devant cette juridiction en référé pour le voir condamner à lever le blocage du code source du logiciel.
‘ L’existence d’une prestation de travail n’est pas contestée par la SAS Cities Program et l’AGS-CGEA de [Localité 7].
‘ Il ressort des échanges entre les parties les points suivants :
Par courriel du 10 novembre 2017, le dirigeant de la SAS Cities Program, M. [J], a écrit à M. S. en lui précisant les salaires annuels prévus pour le poste de développeur, en lui indiquant que pour les 3/4 premiers mois, 1 800€ seraient ‘provisionnés virtuellement’, qu’à l’issue, lors de son embauche en contrat à durée indéterminée une prime exceptionnelle correspondant à ces premiers mois à 1 800€ lui serait versée et qu’à l’issue du premier mois ‘si votre travail et votre investissement sont en accord avec mes prérogatives’ une promesse d’embauche lui serait faite. Si en revanche, leur collaboration s’arrêtait avant l’embauche, la société ‘restera redevable sur facture des sommes provisionnés virtuellement’.
Par lettre du 11 décembre 2017 mentionnant en objet ‘promesse d’embauche au poste de développeur Web à partir du 13 février 2018″, la SAS Cities Program a informé M. S. que sa candidature était retenue, qu’un contrat à durée indéterminée avec salaire de 3 800€ pour 169H mensuelles lui était proposé à partir du 13 février 2018 sous réserve de ‘notre levée de fonds ou de notre lancement commercial assurant la trésorerie nécessaire’.
Ces deux correspondances ne peuvent s’analyser ni l’une ni l’autre en une promesse unilatérale de contrat de travail. En effet, dans la première, la SAS Cities Program n’y exprime pas l’intention de s’engager et dans la seconde, son intention de s’engager est conditionnelle.
Ces correspondances établissent toutefois qu’un salaire avait été prévu entre les parties.
L’AGS-CGEA de [Localité 7] fait valoir que M. S. n’a jamais demandé le paiement de salaires et a reconnu que la contrepartie de son travail consistait à obtenir 500 parts du capital de la société.
Il est constant que M. [J] a cédé à M. S. le 6 avril 2018 50 actions pour une valeur nominale de 5 000€. Un projet de protocole entre les parties prévoyait que la remise de ces actions et la somme de 3 000€ versée en deux fois par la SAS Cities Program au cours de la relation contractuelle correspondait à la reconnaissance de la participation de M. S. au développement de l’entreprise.
Toutefois, ce protocole n’a pas été accepté par M. S. qui, contrairement à ce qu’indique l’AGS-CGEA de [Localité 7], à continuer à réclamer le paiement d’un salaire. Dans un courriel du 12 septembre 2018, en reprenant l’historique des relations, il indique ainsi que la cession des parts devait s’accompagner du versement d’un salaire et précise avoir demandé en juin ce versement.
Outre ce salaire, il a également réclamé diverses contreparties pour le travail accompli et la cession du code-source (versement en capital, versement de prime..).
Il ressort de ces différents éléments qu’un salaire a initialement été prévu et rien n’établit que M. S. ait renoncé à son versement même s’il a par ailleurs réclamé diverses autres sommes en contrepartie du code-source qu’il indique avoir créé.
‘ Dans la proposition initiale d’emploi, la SAS Cities Program a indiqué que M. S. travaillerait complètement en télétravail, avec une visio-conférence par semaine, a donné divers objectifs à atteindre et a précisé que M. S. pourrait étoffer son équipe avec des stagiaires. Cette proposition ne s’est toutefois jamais concrétisée.
Il est constant que M. S., domicilié dans les Alpes Maritimes, ne s’est jamais rendu dans les locaux de la société à Cherbourg et il n’est ni établi ni soutenu qu’il aurait effectué une visio-conférence par semaine.
Les 11 et 28 décembre 2017, M. S. a envoyé un point à M. [J] sur les ‘nouveautés’, le 24 juillet 2018 il l’a tenu au courant de la solution apportée à divers problèmes.
Le 11 décembre 2017, M. [J] a adressé un courriel de reproche à M. S. ainsi rédigé : ‘… La moindre des choses si vous avez un empêchement est de m’en avertir. Vous êtes censé être actif et alerte sur vos emails et téléphone pendant les heures normales de bureau. Pour info les horaires de (…) sont lundi au vendredi 9H-12H 13H-18H. J’attends votre appel’.
Le 6 août, M. [J] lui a demandé par texto de revenir vers lui ‘TRÈS rapidement au sujet de Ion cube’ (logiciel de cryptage installé par M. S. sur le code-source)
Mme [R] qui a effectué un stage dans l’entreprise à partir du 3 avril 2018 écrit qu’elle travaillait avec M. S. qui était ‘le seul employé étant donné que le reste de l’équipe était composé de stagiaires’. Elle ajouté que M. S. était ‘nécessité’ (sollicité’) ‘chaque jour par un membre de l’équipe’.
Il ressort de ces différents éléments que M. S. a informé la SAS Cities Program de l’évolution de son travail, a travaillé de manière quotidienne avec les stagiaires de l’entreprise et s’est vu une fois reproché de n’avoir pas été joignable pendant les horaires de l’entreprise. Le fait qu’il travaille sur le logiciel de l’entreprise ne saurait en revanche être assimilé au fait de travailler avec des outils de l’entreprise.
Pendant le cours de la relation contractuelle il est, parallèlement, devenu actionnaire de la société et un litige s’est développé à propos du code-source qu’il a développé dans le cadre de son travail pour la SAS Cities Program. En effet, estimant être propriétaire de ce code, il a réclamé que la société achète les droits le concernant pour l’exploiter et a verrouillé l’accès à ce code par un logiciel de cryptage. La SAS Cities Program a saisi le tribunal de commerce pour voir lever ce cryptage. M. S. n’a pas contesté la compétence de cette juridiction pour en connaître ni en première instance ni en appel. Or, comme le font justement remarquer la SAS Cities Program et l’AGS-CGEA de [Localité 7], un salarié ne peut revendiquer des droits d’auteur sur une oeuvre informatique développée dans le cadre de son travail. La position prise sur ce point par M. S. est donc contradictoire avec la revendication d’un contrat de travail.
L’existence d’un lien de subordination suppose un pouvoir de direction et de contrôle. Le seul envoi spontané par M. S. de deux courriels en plus de 7 mois informant le gérant de l’avancement des travaux et l’envoi d’un courriel de reproche par le gérant de la SAS Cities Program ne suffisent pas à démontrer que la SAS Cities Program aurait exercé sur M. S. un tel pouvoir de direction et de contrôle, et ce d’autant que les éléments ci-dessus rappelés se trouvent contredits par la position prise par M. S. relativement au code-source qu’il a développé.
En conséquence, M. S. ne démontrant pas l’existence d’un contrat de travail, il sera débouté de ses demandes.
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la SAS Cities Program ses frais irrépétibles.
DÉCISION
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
— Rejette l’exception d’incompétence soulevée par la SAS Cities Program représentée par la SELARL SBCMJ, sa mandataire liquidatrice et par l’AGS-CGEA de [Localité 7]
— Infirme le jugement
— Statuant à nouveau
— Déboute M. S. de ses demandes
— Déboute la SAS Cities Program de sa demande faite en application de l’article 700 du code de procédure civile
— Condamne M. S. aux entiers dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
M. ALAIN L. DELAHAYE
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