Usage obligatoire des Téléservices : Tribunal administratif de Melun, 8ème chambre, 6 avril 2023, 2106240

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Usage obligatoire des Téléservices : Tribunal administratif de Melun, 8ème chambre, 6 avril 2023, 2106240

L’Essentiel : Le Tribunal administratif de Melun a statué sur l’obligation d’utiliser des téléservices pour les demandes de titres de séjour. Il a souligné que cette obligation ne peut être imposée que si l’accès au service public est garanti et que les droits des usagers sont respectés. Le tribunal a annulé la décision du préfet de Seine-et-Marne, constatant l’absence de mesures alternatives pour ceux qui ne peuvent pas utiliser les outils numériques. Il a enjoint au préfet de mettre en place des solutions effectives pour permettre à tous les usagers d’accéder aux services nécessaires, dans un délai de deux mois.

Si les dispositions de cet article R. 431-2 donnent compétence au préfet pour rendre obligatoire le recours à un téléservice dans le but de demander certains titres de séjour, l’autorité administrative ne saurait édicter une telle obligation qu’à la condition de permettre l’accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l’exercice effectif de leurs droits. Il doit tenir compte de l’objet du service, du degré de complexité des démarches administratives en cause et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l’outil numérique mis en œuvre ainsi que de celles du public concerné, notamment, le cas échéant, de ses difficultés dans l’accès aux services en ligne ou dans leur maniement.

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Tribunal administratif de Melun, 8ème chambre, 6 avril 2023, 2106240 Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistré le 30 juin 2021, la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués), le syndicat professionnel des avocats de France (SAF), la Ligue des droits de l’homme (LDH), le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s), l’ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers) et le Secours Catholique – Caritas France (SCCF), représentés par Me Ouedraogo, demandent au tribunal :

1°) d’annuler les décisions, révélées par les mises à jour des sites internet de la sous-préfecture de Torcy le 5 mai 2021 et de la préfecture de Seine-et-Marne le 28 mai suivant, par lesquelles le préfet de Seine-et-Marne, a procédé à la mise en place et rendant obligatoire l’usage d’un téléservice pour l’obtention d’un rendez-vous et le dépôt de certaines demandes concernant la situation des étrangers résidant dans le département ;

2°) d’annuler la décision implicite par laquelle le préfet de Seine-et-Marne a rejeté les demandes formulées par les requérants dans leur courrier du 26 avril 2021 sollicitant la mise en place de modalités alternatives d’accès au dépôt d’une demande de délivrance, de renouvellement, de modification, de validation d’un titre de séjour ou visa, auprès de la préfecture de Seine-et-Marne ;

3°) d’enjoindre au préfet de Seine-et-Marne, dans le délai de huit jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard :

– de mettre fin aux téléservices mis en place de manière irrégulière et de les rendre conformes aux dispositions légales et règlementaires ;

– de proposer aux usagers des modalités alternatives aux procédures dématérialisées ainsi mises en place, pour le dépôt de toutes demandes afférentes au titre de séjour, quel qu’en soit le fondement ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat (préfet de Seine-et-Marne) la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les requérants soutiennent que :

– leurs statuts leur donnent intérêt à agir à l’encontre des décisions attaquées ;

– les modules de prise de rendez-vous ou de dépôt des demandes de titre de séjour utilisés par la préfecture de Seine-et-Marne constituent des téléservices dont la mise en place n’a pas été précédée de la transmission d’un engagement de conformité auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), ni de la publication d’un acte réglementaire, conformément à l’article 5 du décret n° 2016-685 du 27 mai 2016 ;

– en imposant une saisine exclusive de l’administration par voie électronique, le préfet a méconnu les articles L. 112-8, R. 112-9-1 et R. 112-9-2 du code des relations entre le public et l’administration ;

– les décisions contestées méconnaissent les dispositions des articles L. 112-9 et L. 112-10 du code des relations entre le public et l’administration et celles de l’article 1er du décret n° 2015-1423 du 5 novembre 2015 relatif aux exceptions à l’application du droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique, qui excluent du champ d’application de la mise en place de téléservices les démarches relatives aux documents de séjour et titre de voyage ;

– les dispositions de l’article R. 311-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans sa version antérieure au 1er mai 2021 et des articles R. 431-2 et R. 431-3 du même code ont été méconnues ;

– le principe fondamental du droit d’être entendu a été méconnu ;

– les décisions contestées méconnaissent le droit de chaque personne à décider de l’usage de ses données personnelles, consacré notamment par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD), et par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ;

– le dispositif de prise de rendez-vous par voie de saisine électronique ne fournit pas aux personnes concernées une information conforme à celle prévue par le RGPD ; à supposer même que les personnes demandant un rendez-vous soient suffisamment informées de leurs droits, rien ne permet d’établir qu’il leur serait possible de les exercer effectivement ; dès lors que la demande de rendez-vous pour le retrait d’un titre ou le dépôt d’une demande de titre de séjour, appelle des éléments sur l’état civil du demandeur, son identité ou encore sur sa vie familiale, il était nécessaire de réaliser une analyse d’impact relative à la protection des données (AIDP) préalablement à la mise en œuvre de cette procédure ;

– l’absence d’alternative à la procédure dématérialisée porte atteinte à diverses dispositions de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ;

– en imposant à certaines catégories d’usagers de saisir l’administration par voie électronique pour obtenir un rendez-vous en vue de faire valoir leur droit au séjour sans prévoir de mode alternatif de saisine et en refusant, par ailleurs, cette voie d’accès à d’autres catégories d’usagers, les décisions attaquées méconnaissent le principe de l’égalité d’accès au service public.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2023, le préfet de Seine-et-Marne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

– le syndicat des avocats de France ne justifie pas d’un intérêt à agir ;

– s’agissant de la légalité des téléprocédures  » ANEF « , il ressort de la décision du Conseil d’Etat n° 452798 du 3 juin 2022, que le décret du 24 mars 2021 et l’arrêté du 27 avril 2021 relatif aux titres de séjour dont la demande s’effectue au moyen d’un téléservice n’ont été que partiellement censurés ; or la préfecture de Seine-et-Marne a tiré les conséquences de cette annulation et a mis en place de façon effective et crédible l’accompagnement prévu à l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

– le décret du 27 mai 2016 ne constitue pas la base juridique de la décision préfectorale prévoyant, pour les démarches de ces étrangers, le recours à un téléservice ; les dispositions relatives au droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique, et notamment celles du décret du 5 novembre 2015, n’ont, par elles-mêmes, ni pour objet, ni pour effet, d’interdire à l’administration de mettre des téléservices à la disposition des usagers pour les démarches administratives qui sont exclues de ce droit ; il s’ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 112-9 du code des relations entre le public et l’administration est infondé.

Par ordonnance du 29 novembre 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 9 janvier 2023.

Par un courrier du 31 janvier 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d’être fondé sur un moyen d’ordre public relevé d’office tiré de ce que le Syndicat des avocats de France ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre les décisions contestées.

Par un mémoire enregistré le 7 mars 2023, la CIMADE et autres ont présenté des observations sur le moyen d’ordre public relevé par le tribunal.

Vu :

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

– le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;

– le code de l’action sociale et des familles ;

– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

– le code des relations entre le public et l’administration ;

– la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

– la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 ;

– l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 ;

– la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 ;

– le décret n° 2015-1404 du 5 novembre 2015 ;

– le décret n° 2015-1423 du 5 novembre 2015 ;

– le décret n° 2016-685 du 27 mai 2016 ;

– le décret n° 2018-1130 du 11 décembre 2018 ;

– le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 ;

– l’arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé  » Saisine par voie électronique de l’administration  » (SVE) ;

– l’arrêté du 27 avril 2021 pris en application de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

– la délibération de la CNIL n° 2015-388 du 5 novembre 2015 portant avis sur un projet d’arrêté portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé  » saisine par voie électronique  » (SVE) ;

– le code de justice administrative.

Vu les décisions nos 452798, 452806, 454716 et les avis nos 461694, 461695, 461922 du 3 juin 2022 du Conseil d’Etat.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. B,

– les conclusions de Mme Salenne-Bellet, rapporteure publique,

– les observations de Me Ouedraogo, représentant les associations et syndicats requérants.

Considérant ce qui suit

:

1. Le préfet de Seine-et-Marne a décidé de mettre en place des procédures dématérialisées pour le traitement de certaines démarches relatives à l’accueil et au séjour des étrangers. Par des publications électroniques des 5 et 28 mai 2021, les services préfectoraux ont indiqué sur les sites internet de la sous-préfecture de Torcy et de la préfecture de Seine-et-Marne la procédure à suivre pour le dépôt de demandes concernant diverses catégories de titres de séjour. Par les présentes requêtes, la Cimade et autres demandent l’annulation pour excès de pouvoir des décisions révélées par les publications précitées et ensemble de la décision implicite par laquelle le préfet de Seine-et-Marne a rejeté leur demande du 26 avril 2021, reçu le 27 suivant, tendant à la mise en place de modalités alternatives ou de substitution aux procédures dématérialisées.

Sur l’intérêt pour agir du Syndicat des avocats de France :

2. Le Syndicat des avocats de France, dont les statuts prévoient qu’il constitue un syndicat professionnel ayant pour objet la défense des intérêts matériels et moraux de la profession, et qui ne saurait utilement se prévaloir des termes généraux de ces mêmes statuts relatifs à la défense des droits et libertés, ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation des décisions qu’il conteste.

3. Il en résulte que les conclusions de la requête sont irrecevables en tant qu’elles émanent du Syndicat des avocats de France.

Sur l’office du juge administratif :

4. L’effet utile de l’annulation pour excès de pouvoir du refus opposé par le préfet de Seine-et-Marne à la demande des requérants réside dans l’obligation pour cette autorité de prendre les mesures réglementaires demandées par les requérants. Il s’ensuit que, lorsqu’il est saisi de conclusions aux fins d’annulation d’un tel refus, le juge de l’excès de pouvoir est conduit à apprécier sa légalité au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

Sur les conclusions à fin d’annulation de la décision implicite des 27 juin 2021 :

5. Dans le cadre de leur saisine du préfet de Seine-et-Marne le 26 avril 2021, les requérants ont demandé de mettre en place des modalités alternatives d’accès au dépôt d’une demande de délivrance, de renouvellement, de modification de certains titres de séjour, de changement d’adresse, duplicata, modification d’état civil ou de demande de document de circulation pour étranger mineur (A) à la seule voie dématérialisée. En gardant le silence à la suite de la réception de ce courrier reçu le 27 avril 2021, le préfet a implicitement refusé de prévoir des modalités alternatives aux procédures dématérialisées instituées, d’une part, dans le cadre des pouvoirs d’organisation de ses services par les publications du 4 août 2020 et, d’autre part, dans le cadre de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Sur le cadre juridique du litige :

6. Aux termes de l’article R. 311-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en vigueur jusqu’au 30 avril 2021 :  » Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour en application de l’article L. 311-3, est tenu de se présenter, à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient. / Toutefois, le préfet peut prescrire que les demandes de titre de séjour soient déposées au commissariat de police ou, à défaut de commissariat, à la mairie de la résidence du requérant. / Le préfet peut également prescrire : / 1° Que les demandes de titre de séjour appartenant aux catégories qu’il détermine soient adressées par voie postale ; / 2° Que les demandes de cartes de séjour prévues aux articles L. 313-7 et L. 313-27 soient déposées auprès des établissements d’enseignement ayant souscrit à cet effet une convention avec l’Etat () « .

7. Le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d’un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour a modifié notamment les dispositions réglementaires du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives à la procédure de délivrance des titres de séjour. Son article R. 431-2, dans sa rédaction issue de ce décret, prévoit désormais que, pour les catégories de titres de séjour figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l’immigration, les demandes s’effectuent au moyen d’un téléservice à compter de la date fixée par le même arrêté.

8. Aux termes de l’article R. 431-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile :  » La demande de titre de séjour ne figurant pas dans la liste mentionnée à l’article R. 431-2, est effectuée à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture « .

9. Il appartient aux préfets, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous leur autorité. Ils peuvent ainsi prendre des dispositions relatives au dépôt des demandes qui leur sont adressées, dans la mesure où l’exige l’intérêt du service, dans le respect des règles ou principes supérieurs et dans la mesure où de telles règles n’y ont pas pourvu. Il en résulte que, sauf dispositions spéciales, les préfets peuvent créer des téléservices pour l’accomplissement de tout ou partie des démarches administratives des usagers.

10. Il résulte des dispositions de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que, pour certaines catégories de titres de séjour, les demandes doivent s’effectuer obligatoirement au moyen d’un téléservice. Ces catégories sont limitativement énumérées par l’arrêté du 27 avril 2021 et les arrêtés modificatifs des 19 mai et 9 septembre 2021 et des 29 mars et 16 septembre 2022. Ainsi, pour ces titres de séjour, le préfet tire des dispositions de l’article R. 431-2 la compétence pour obliger les étrangers à prendre rendez-vous et présenter leur demande de façon dématérialisée, sous réserve de certaines garanties. En revanche, pour les démarches visant à obtenir un titre de séjour qui ne relève pas de l’article R. 431-2, le préfet de Seine-et-Marne ne tient pas de son pouvoir d’organisation de ses services la compétence pour rendre l’emploi de téléservices obligatoire.

S’agissant des procédures instituées hors du cadre de l’article R. 431-2 :

11. En premier lieu, aux termes du II de l’article 1er de l’ordonnance du 8 décembre 2005 :  » Sont considérés, au sens de la présente ordonnance : / 1° Comme système d’information, tout ensemble de moyens destinés à élaborer, traiter, stocker ou transmettre des informations faisant l’objet d’échanges par voie électronique entre autorités administratives et usagers ainsi qu’entre autorités administratives ; () / 4° Comme téléservice, tout système d’information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités administratives « . Il résulte de ces dispositions que doit être regardé comme un téléservice au sens de cette ordonnance, non seulement un système permettant à un usager de procéder par voie électronique à l’intégralité d’une démarche ou formalité administrative, mais aussi un système destiné à recevoir, par voie électronique et dans le cadre d’une telle démarche ou formalité, une demande de rendez-vous ou un dépôt de pièces.

12. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu par le préfet de Seine-et-Marne, les services permettant aux demandeurs de titre de séjour, par la voie électronique, de solliciter un rendez-vous en préfecture et, le cas échéant, de déposer les pièces nécessaires à l’examen de leur demande constituent des  » téléservices  » au sens de l’article 1er de l’ordonnance du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives.

13. En second lieu, et ainsi qu’il a été dit au point 10, le caractère obligatoire de l’emploi de téléservices obligatoire afin de prendre un rendez-vous et déposer une demande en vue d’obtenir un titre de séjour qui ne relève pas du champ de l’article R. 431-2 précité ne saurait résulter du pouvoir d’organisation du service du préfet du Seine-et-Marne.

14. Il résulte de ce qui précède que les associations requérantes sont fondées à soutenir que, dans le cas où l’autorité administrative a mis en place une procédure dématérialisée hors du cadre de l’article R. 431-2, il lui appartient d’instaurer des mesures alternatives effectives pour permettre aux personnes concernées l’exercice effectif de leurs droits.

S’agissant des procédures instituées dans le cadre de l’article R. 431-2 :

15. Le décret du 24 mars 2021, dont sont issues les dispositions de l’article R. 431-2, a été partiellement annulé par une décision n° 452798 du Conseil d’Etat du 3 juin 2022 en tant qu’il ne prévoyait pas de mesures de substitution destinées, par exception, à répondre au cas où, alors même que l’étranger aurait préalablement accompli toutes les diligences qui lui incombent et aurait notamment fait appel au dispositif d’accueil et d’accompagnement prévu, il se trouverait dans l’impossibilité d’utiliser le téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement.

16. Si les dispositions de cet article R. 431-2 donnent compétence au préfet pour rendre obligatoire le recours à un téléservice dans le but de demander certains titres de séjour, l’autorité administrative ne saurait édicter une telle obligation qu’à la condition de permettre l’accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l’exercice effectif de leurs droits. Il doit tenir compte de l’objet du service, du degré de complexité des démarches administratives en cause et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l’outil numérique mis en œuvre ainsi que de celles du public concerné, notamment, le cas échéant, de ses difficultés dans l’accès aux services en ligne ou dans leur maniement.

S’agissant de la mise en place de mesures alternatives ou de substitution :

17. Eu égard aux caractéristiques du public concerné, à la diversité et à la complexité des situations des demandeurs et aux conséquences qu’a sur la situation d’un étranger, notamment sur son droit à se maintenir en France et, dans certains cas, à y travailler, l’enregistrement de sa demande, il incombe à l’autorité administrative, lorsqu’elle impose le recours à un téléservice pour l’obtention de certains titres de séjour, de prévoir les dispositions nécessaires pour que bénéficient d’un accompagnement les personnes qui ne disposent pas d’un accès aux outils numériques ou qui rencontrent des difficultés soit dans leur utilisation, soit dans l’accomplissement des démarches administratives. Il lui incombe, en outre, pour les mêmes motifs, de garantir la possibilité de recourir à des mesures alternatives ou de substitution pour le cas où certains demandeurs se heurteraient, malgré cet accompagnement, à l’impossibilité de recourir au téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement.

18. Or si le préfet de Seine-et-Marne se prévaut de la mise en place à compter du 18 octobre 2021 de mesures d’accompagnement uniquement réservé aux usagers concernés par une démarche à réaliser sur l’ANEF (administration numérique pour les étrangers en France) et rencontrant des difficultés techniques ou n’étant pas en capacité de réaliser les démarches administratives demandées, il ressort des pièces du dossier, et il n’est pas sérieusement contesté par le préfet de Seine-et-Marne, compte tenu des difficultés des étrangers pour obtenir un rendez-vous en préfecture, que ces mesures de substitution ne sont pas effectives dans les cas évoqués au point précédent.

19. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête dirigés contre l’obligation d’avoir recours à des téléservices, que la Cimade et autres sont fondés à demander l’annulation de la décision du préfet de Seine-et-Marne en tant seulement qu’elles ont rendu, d’une part, l’emploi de téléservices obligatoire pour le traitement des demandes de titres de séjour qui ne relèvent pas du champ de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sans avoir prévu de mesures alternatives effectives, d’autre part, pas prévu de mesures de substitution effectives s’agissant des demandes de titres de séjour relevant du champ de ce même article.

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

20. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative :  » Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution « .

21. L’annulation des décisions attaquées en tant, d’une part, qu’elles rendent obligatoires l’emploi de téléservices pour le traitement des demandes de titres de séjour ne relevant pas des dispositions de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sans prévoir de mesures alternatives effectives, d’autre part, qu’elles refusent de mettre en place les mesures de substitution effectives à l’utilisation du téléservice relevant des dispositions de ce même article R. 431-2 implique nécessairement l’édiction de ces mesures.

22. Il y a donc lieu pour le tribunal d’enjoindre au préfet de Seine-et-Marne de mettre en place des alternatives ou des mesures de substitution effectives à la prise de rendez-vous par voie électronique pour les ressortissants étrangers confrontés à l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous en vue de déposer leur demande de titre par la voie du téléservice, tant pour les demandes qui relèvent du champ d’application de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que pour celles qui en sont exclues, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction de l’astreinte sollicitée par les requérants.

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

23. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat (préfet de Seine-et-Marne) une somme totale de 1 500 euros à verser à La Cimade, à la Ligue des droits de l’homme, au Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s, à l’association avocats pour la défense des droits des étrangers et au Secours Catholique – Caritas France, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite du préfet de Seine-et-Marne rendant obligatoires l’emploi de téléservices de prise de rendez-vous et de dépôt de pièces pour la présentation et le traitement des demandes de titres de séjour qui ne relèvent pas du champ de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est annulée en tant qu’elle ne prévoit pas de mesures alternatives effectives.

Article 2 : La décision implicite du préfet de Seine-et-Marne est annulée en tant qu’elle n’a pas prévu de mesures de substitution effectives s’agissant des demandes de titres de séjour relevant du champ de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de Seine-et-Marne de mettre en place des mesures alternatives effectives à la prise de rendez-vous par voie électronique pour les ressortissants étrangers confrontés à l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous en vue de déposer leur demande de titre par la voie du téléservice pour les demandes qui ne relèvent pas du champ d’application de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 4 : Il est enjoint au préfet de Seine-et-Marne de mettre en place des mesures de substitution effectives à la prise de rendez-vous par voie électronique pour les ressortissants étrangers confrontés à l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous en vue de déposer leur demande de titre par la voie du téléservice pour les demandes qui relèvent du champ d’application de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 5 : L’Etat (préfet de Seine-et-Marne) versera, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme totale de 1 500 euros à La Cimade, à la Ligue des droits de l’homme, au Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s, à l’association avocats pour la défense des droits des étrangers et au Secours Catholique – Caritas France.

Article 6 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 7 : Le présent jugement sera notifié à l’association Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), première requérante dénommée dans la requête et au ministre de l’intérieur et des Outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l’audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Gracia, président,

M. Israël, premier conseiller,

Mme Potin, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.

Le rapporteur,

D. B

Le président,

J-Ch. GraciaLa greffière,

C. Mahieu

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des Outre-mer en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,  

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions pour que le préfet puisse rendre obligatoire l’usage d’un téléservice pour les demandes de titres de séjour ?

Le préfet peut rendre obligatoire l’usage d’un téléservice pour les demandes de titres de séjour uniquement si certaines conditions sont remplies. Tout d’abord, il doit garantir l’accès normal des usagers au service public. Cela signifie que les usagers doivent pouvoir accéder aux services sans rencontrer d’obstacles majeurs.

Ensuite, il est essentiel de garantir l’exercice effectif des droits des personnes concernées. Cela implique que le préfet doit tenir compte de plusieurs facteurs, tels que la complexité des démarches administratives, les conséquences de ces démarches pour les intéressés, et les caractéristiques de l’outil numérique utilisé.

Il doit également prendre en considération les difficultés que le public peut rencontrer dans l’accès aux services en ligne ou dans leur utilisation. Ces conditions visent à assurer que l’obligation d’utiliser un téléservice ne crée pas de discrimination ou d’inégalité d’accès aux droits.

Quels étaient les principaux arguments des requérants contre l’obligation d’utiliser un téléservice ?

Les requérants, comprenant des associations comme la Cimade et la Ligue des droits de l’homme, ont avancé plusieurs arguments pour contester l’obligation d’utiliser un téléservice pour les demandes de titres de séjour.

Premièrement, ils ont soutenu que les téléservices mis en place n’avaient pas été précédés d’un engagement de conformité auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), ni de la publication d’un acte réglementaire, ce qui est requis par la loi.

De plus, ils ont affirmé que l’imposition d’une saisine exclusive par voie électronique méconnaissait plusieurs articles du code des relations entre le public et l’administration, qui prévoient des exceptions pour certaines démarches administratives, notamment celles relatives aux titres de séjour.

Les requérants ont également souligné que l’absence de modalités alternatives d’accès aux services portait atteinte aux droits des usagers, en particulier pour ceux qui n’ont pas accès à Internet ou qui rencontrent des difficultés dans son utilisation.

Quelle a été la décision du tribunal administratif de Melun concernant l’obligation d’utiliser un téléservice ?

Le tribunal administratif de Melun a décidé d’annuler la décision implicite du préfet de Seine-et-Marne qui rendait obligatoire l’utilisation de téléservices pour le traitement des demandes de titres de séjour ne relevant pas du champ de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Le tribunal a jugé que le préfet n’avait pas prévu de mesures alternatives effectives pour permettre aux usagers d’exercer leurs droits, ce qui était une condition essentielle pour imposer l’usage d’un téléservice.

De plus, le tribunal a enjoint au préfet de mettre en place des mesures alternatives et de substitution effectives pour les ressortissants étrangers confrontés à l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous par voie électronique. Cette décision vise à garantir l’égalité d’accès au service public et à protéger les droits des usagers.

Quelles sont les implications de cette décision pour les usagers des services administratifs ?

Cette décision a des implications significatives pour les usagers des services administratifs, en particulier pour les étrangers sollicitant des titres de séjour. Elle souligne l’importance de garantir l’accès aux services publics sans discrimination, en tenant compte des diverses situations des usagers.

En annulant l’obligation d’utiliser un téléservice sans mesures alternatives, le tribunal a renforcé le droit des usagers à choisir la méthode de communication avec l’administration. Cela signifie que les usagers qui n’ont pas accès à Internet ou qui rencontrent des difficultés techniques doivent pouvoir déposer leurs demandes par d’autres moyens.

De plus, cette décision impose aux autorités administratives de réfléchir à des solutions inclusives et accessibles, garantissant ainsi que tous les usagers puissent exercer leurs droits sans entrave. Cela pourrait également inciter d’autres préfectures à revoir leurs pratiques en matière de téléservices et à s’assurer qu’elles respectent les droits des usagers.


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