Gestation pour autrui : l’hébergeur OVH condamné

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Gestation pour autrui : l’hébergeur OVH condamné

L’Essentiel : La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la société OVH, confirmant ainsi la décision de la cour d’appel de Versailles. Cette dernière avait condamné OVH à verser 3 000 euros de dommages-intérêts à l’association Juristes pour l’Enfance pour ne pas avoir retiré un contenu illicite lié à la gestation pour autrui, interdit en France. La Cour a jugé que le site de la société espagnole Subrogalia, accessible en français et visant des clients français, était manifestement illicite. OVH a manqué à ses obligations en ne rendant pas le site inaccessible, causant ainsi un préjudice à l’association.

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Cour de cassation, Première chambre civile, 23 novembre 2022, 21-10.220

CIV. 1

SG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 23 novembre 2022

Rejet

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 829 FS-B

Pourvoi n° T 21-10.220

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 23 NOVEMBRE 2022

La société OVH, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 21-10.220 contre l’arrêt rendu le 13 octobre 2020 par la cour d’appel de Versailles (1re chambre, 1ère section), dans le litige l’opposant :

1°/ à l’association Juristes pour l’Enfance, dont le siège est [Adresse 1], ayant également un établissement [Adresse 3],

2°/ à la société Subrogalia SL, dont le siège est [Adresse 4] (Espagne),

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société OVH, de la SARL Corlay, avocat de l’association Juristes pour l’Enfance, et l’avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l’audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Mornet et Chevalier, Mmes Kerner-Menay et Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes de Cabarrus et Feydeau-Thieffry, M. Serrier, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société OVH du désistement de son pourvoi en ce qu’il est dirigé contre la société Subrogalia SL.

Faits et procédure

2. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 13 octobre 2020), le 1er février 2016, l’association Juristes pour l’enfance (l’association) a mis en demeure la société OVH, en sa qualité d’hébergeur de sites, de retirer sans délai le contenu du site internet http://www.subrogalia.com/fr/, édité par la société de droit espagnol Subrogalia (la société Subrogalia), afin qu’il ne soit plus accessible sur le territoire français, en application des dispositions de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).

3. L’association faisait valoir que le contenu de ce site était illicite comme proposant son entremise entre une mère porteuse et un client désireux d’accueillir l’enfant portée par elle, alors que la gestation pour autrui (GPA) est interdite en France et pénalement sanctionnée.

4. L’association ayant réitéré sa notification le 13 juin 2016, la société OVH lui a indiqué, par lettre du 17 juin suivant, qu’en l’absence de contenu manifestement illicite, il ne lui appartenait pas de se substituer aux autorités judiciaires afin de trancher un litige opposant l’association à la société Subrogalia, mais qu’elle exécuterait spontanément toute décision de justice qui serait portée à sa connaissance à ce titre.

5. Le 18 août 2016, l’association a assigné la société OVH afin qu’il lui soit fait injonction, sous astreinte, de rendre inaccessible le site internet litigieux et qu’elle soit condamnée à lui payer des dommages-intérêts. La société OVH a assigné en intervention forcée la société Subrogalia.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

6. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. La société OVH fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à l’association la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors :

« 1°/ que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ; qu’en déduisant l’application de la loi française du fait que le site de la société Subrogalia, en ce qu’il contrevient explicitement aux dispositions de droit français prohibant la gestation pour autrui, est susceptible de causer un dommage sur le territoire français parce qu’il viole la loi française, et juger en conséquence manifestement illicite le contenu de ce site pour retenir la responsabilité de la société OVH, la cour d’appel qui a statué par un motif inopérant a violé l’article 4 du Règlement Rome II n° 864/2007 du 11 juillet 2007, ensemble l’article 6.I.2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 et l’article 227-12 du code pénal ;

2°/ que la responsabilité d’un hébergeur de site internet pour n’avoir pas retiré promptement une information dénoncée comme illicite ne peut être retenue que si l’information présente manifestement ce caractère ; la gestation pour autrui fait l’objet de débats et d’options juridiques très différentes selon les pays, on n’est pas unanimement réprouvés par une norme de droit international ; n’est donc pas manifestement illicite un site internet créé et développé en Espagne où la gestation pour autrui est licite, par une société de droit espagnol qui ne propose des prestations d’accompagnement à la gestation pour autrui que dans les pays où la maternité de substitution est légale, de sorte que quand bien même le contenu de ce site serait accessible au public français, aucune activité interdite par le droit français n’est effectivement exercée en France ; qu’en jugeant le contraire, pour retenir la responsabilité de la société OVH au seul motif inopérant que ce site, destiné notamment à un public situé en France, serait susceptible de causer un dommage sur le territoire français où de telles prestations sont interdites, la cour d’appel, qui n’en a pas caractérisé l’illicéité manifeste a violé l’article 6-I.2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 ;

3°/ qu’un hébergeur de site internet ne peut être condamné à payer des dommages-intérêts à une association lui ayant dénoncé le contenu d’un site comme étant illicite que si l’absence de prompt retrait des informations figurant sur celui-ci est en lien de causalité direct et certain avec un préjudice personnel de cette association ; qu’en condamnant la société OVH à payer 3.000 € de dommages-intérêts à l’association des Juristes pour l’enfance au titre d’un prétendu préjudice moral dont elle n’a pas expliqué en quoi il serait personnel à l’association et directement causé par l’absence de prompt retrait du site litigieux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 6-I.2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, ensemble l’article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Ayant, par motifs propres et adoptés, relevé que les informations contenues sur le site internet de la société espagnole étaient accessibles en français, que la société Subrogalia y affirmait travailler avec des clients de quatre pays dont la France et que le public français était la cible du site, la cour d’appel en a exactement déduit que le site internet litigieux était manifestement illicite en ce qu’il contrevenait explicitement aux dispositions, dépourvues d’ambiguïté, du droit français prohibant la GPA et qu’il avait vocation à permettre à des ressortissants français d’avoir accès à une pratique illicite en France.

9. Elle a ainsi caractérisé l’existence d’un dommage subi par l’association sur le territoire français au regard de la loi s’y appliquant et justement retenu que la société OVH, qui n’avait pas promptement réagi pour rendre inaccessible en France le site litigieux, avait manqué aux obligations prévues à l’article 6. I. 2, de la loi du 21 juin 2004.

10. Elle a enfin souverainement apprécié, par une décision motivée, le préjudice qui en était résulté.

11. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société OVH aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société OVH ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société OVH

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société OVH fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à payer à l’association Juristes pour l’enfance la somme de 3000 € de dommages et intérêts ;

ALORS D’UNE PART QUE la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ; qu’en déduisant l’application de la loi française du fait que le site de la société espagnole Subrogalia, en ce qu’il contrevient explicitement aux dispositions de droit français prohibant la gestation pour autrui, est susceptible de causer un dommage sur le territoire français parce qu’il viole la loi française, et juger en conséquence manifestement illicite le contenu de ce site pour retenir la responsabilité de la société OVH, la cour d’appel qui a statué par un motif inopérant a violé l’article 4 du Règlement Rome II n° 864/2007 du 11 juillet 2007, ensemble l’article 6.I.2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 et l’article 227-12 du code pénal ;

ALORS D’AUTRE PART QUE la responsabilité d’un hébergeur de site internet pour n’avoir pas retiré promptement une information dénoncée comme illicite ne peut être retenue que si l’information présente manifestement ce caractère ; la gestation pour autrui fait l’objet de débats et d’options juridiques très différentes selon les pays, on n’est pas unanimement réprouvés par une norme de droit international ; n’est donc pas manifestement illicite un site internet créé et développé en Espagne où la gestation pour autrui est licite, par une société de droit espagnol qui ne propose des prestations d’accompagnement à la gestation pour autrui que dans les pays où la maternité de substitution est légale, de sorte que quand bien même le contenu de ce site serait accessible au public français, aucune activité interdite par le droit français n’est effectivement exercée en France ; qu’en jugeant le contraire, pour retenir la responsabilité de la société OVH au seul motif inopérant que ce site, destiné notamment à un public situé en France, serait susceptible de causer un dommage sur le territoire français où de telles prestations sont interdites, la cour d’appel, qui n’en a pas caractérisé l’illicéité manifeste a violé l’article 6-I.2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 ;

ALORS ENSUITE QU’un hébergeur de site internet ne peut être condamné à payer des dommages-intérêts à une association lui ayant dénoncé le contenu d’un site comme étant illicite que si l’absence de prompt retrait des informations figurant sur celui-ci est en lien de causalité direct et certain avec un préjudice personnel de cette association ; qu’en condamnant la société OVH à payer 3.000 € de dommages-intérêts à l’association des Juristes pour l’enfance au titre d’un prétendu préjudice moral dont elle n’a pas expliqué en quoi il serait personnel à l’association et directement causé par l’absence de prompt retrait du site litigieux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 6-I.2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, ensemble l’article 1240 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

La société OVH fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu’il lui a fait injonction de rendre le site litigieux inaccessible sur le territoire français ;

ALORS QUE toute personne a droit à la liberté d’expression, qui comprend la liberté de communiquer des informations sans considération de frontière ; qu’en faisant injonction à la société OVH de rendre le site litigieux inaccessible sur le territoire français, en prenant toutes mesures techniques à cet effet « quelles qu’en soient les conséquences », cependant que la seule solution technique possible consistait, ainsi que l’exposait l’hébergeur, à débrancher purement et simplement le site de sorte qu’il ne pourra plus être accessible de nulle part, y compris depuis des Etats où la GPA est parfaitement licite, la cour d’appel a porté une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et a violé l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le contexte de l’affaire jugée par la Cour de cassation le 23 novembre 2022 ?

L’affaire concerne un litige entre la société OVH, un hébergeur de sites internet, et l’association Juristes pour l’Enfance, ainsi que la société espagnole Subrogalia SL.

L’association a mis en demeure OVH de retirer le contenu d’un site internet, affirmant que ce dernier proposait des services liés à la gestation pour autrui (GPA), une pratique interdite en France.

Après une assignation en justice, la cour d’appel de Versailles a condamné OVH à payer des dommages-intérêts à l’association, ce qui a conduit OVH à se pourvoir en cassation.

Quels étaient les arguments de la société OVH dans son pourvoi ?

La société OVH a soulevé plusieurs arguments dans son pourvoi.

Premièrement, elle a contesté l’application de la loi française, arguant que la loi applicable à une obligation non contractuelle est celle du pays où le dommage survient.

OVH a soutenu que le site de Subrogalia, bien qu’il soit accessible en France, ne proposait pas d’activités illégales sur le territoire français, car la GPA est légale en Espagne.

De plus, OVH a affirmé que la responsabilité d’un hébergeur ne peut être engagée que si le contenu est manifestement illicite, ce qui n’était pas le cas ici.

Comment la Cour de cassation a-t-elle justifié sa décision ?

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la société OVH en confirmant la décision de la cour d’appel.

Elle a relevé que le site de Subrogalia était accessible en français et ciblait des clients français, ce qui en faisait un contenu manifestement illicite au regard de la loi française interdisant la GPA.

La Cour a également noté que la société OVH n’avait pas réagi promptement pour rendre le site inaccessible, ce qui constituait une violation de ses obligations légales.

Enfin, la Cour a estimé que le préjudice subi par l’association était bien caractérisé, justifiant ainsi la condamnation à des dommages-intérêts.

Quelles sont les implications de cet arrêt pour les hébergeurs de sites internet ?

Cet arrêt a des implications significatives pour les hébergeurs de sites internet en matière de responsabilité.

Il souligne que les hébergeurs doivent être vigilants quant au contenu qu’ils hébergent, surtout lorsque ce contenu peut être accessible dans des juridictions où il est illégal.

La décision rappelle également que la responsabilité d’un hébergeur peut être engagée si celui-ci ne retire pas rapidement un contenu manifestement illicite, même si ce contenu est légal dans le pays d’origine.

Cela pourrait inciter les hébergeurs à mettre en place des mécanismes de surveillance plus rigoureux pour éviter d’éventuelles sanctions.

Quels sont les enjeux juridiques liés à la gestation pour autrui dans cette affaire ?

La gestation pour autrui (GPA) est un sujet complexe et controversé sur le plan juridique, avec des lois variant considérablement d’un pays à l’autre.

En France, la GPA est interdite et considérée comme illégale, ce qui a conduit l’association Juristes pour l’Enfance à agir contre le site de Subrogalia.

L’affaire met en lumière les tensions entre la liberté d’expression et la protection des lois nationales, notamment en ce qui concerne des pratiques jugées contraires à l’ordre public.

Les décisions judiciaires comme celle-ci peuvent influencer le débat public et législatif sur la GPA, ainsi que sur la responsabilité des plateformes en ligne face à des contenus potentiellement illicites.


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