Cour d’Appel de Versailles, 4 avril 2024
Cour d’Appel de Versailles, 4 avril 2024

Type de juridiction : Cour d’Appel

Juridiction : Cour d’Appel de Versailles

Thématique : Virements frauduleux : le manquement de la banque à son devoir de vigilance

Résumé

Dans l’affaire opposant Monsieur [R] [C] à la banque Boursorama, le tribunal a jugé que la banque n’avait pas manqué à son devoir de vigilance malgré les virements frauduleux effectués par le client. Les virements, bien que nombreux et élevés, n’ont pas présenté d’anomalies apparentes suffisantes pour susciter des doutes légitimes chez la banque. Le client, qui a investi sans se renseigner sur la fiabilité de la société de courtage, a été considéré comme imprudent. En conséquence, sa demande d’indemnisation a été rejetée, et il a été condamné à verser des frais de procédure à la banque.

En raison du principe de non-ingérence, qu’il n’incombe pas au banquier comme en l’espèce simple teneur de compte et non investi d’un mandat particulier ou d’une mission générale de police (tout au plus débiteur, en amont d’éventuelles poursuites qui ne lui appartiennent pas, de l’obligation de signalement relative à une suspicion de blanchiment ou de trafic illicite évoquée plus avant), de réclamer des explications à son client sur les ordres qu’il donne ou de procéder à des investigations destinées à s’assurer de la régularité, de l’opportunité ou encore de la dangerosité des opérations que celui-ci lui demande d’accomplir.

En matière de virements frauduleux, il est toujours loisible à l’investisseur victime d’une arnaque de recueillir des informations sur ce cocontractant qui lui faisait miroiter des investissements étonnement fructueux. Est négligent l’investisseur qui ne se renseigne pas sur la fiabilité du placement afin d’éclairer son consentement.

La solution juridique apportée à cette affaire est que la banque n’a pas manqué à son devoir de vigilance envers son client, malgré les virements frauduleux effectués. Le tribunal a jugé que les anomalies apparentes invoquées par le client n’étaient pas suffisantes pour susciter des doutes légitimes chez la banque. Par conséquent, la demande d’indemnisation du client a été rejetée et celui-ci a été condamné à verser des frais de procédure à la banque. Le client a également été débouté de sa demande reconventionnelle.

Résumé

Client, titulaire de comptes chez Boursorama, a été démarché par une société de courtage étrangère et a investi 118.200 euros sur une plate-forme de trading en ligne. Après avoir constaté qu’il ne pouvait pas retirer ses fonds, il a porté plainte et a ensuite assigné Boursorama en justice pour obtenir réparation de son préjudice financier. Le tribunal judiciaire de Nanterre a condamné Boursorama à lui verser 35.460 euros, mais l’a débouté de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral. Boursorama a fait appel de cette décision, demandant à la cour de débouter le client de toutes ses demandes et de le condamner à payer des frais. Le client, de son côté, demande à la cour de confirmer le jugement en augmentant le montant des dommages et intérêts qu’il réclame.

Sur l’engagement de la responsabilité de la banque

Le tribunal a retenu un manquement de la banque à son obligation de vigilance dans le cas de huit virements frauduleux effectués sur une courte période, d’un montant élevé et déconnectés du fonctionnement habituel du compte bancaire du client. La banque n’a pas alerté le client ni demandé d’explications, ce qui a entraîné une perte de chance pour le client.

L’appel de la banque

La banque conteste le jugement en affirmant qu’elle n’a pas failli à son obligation de vigilance envers le client. Elle met en avant le comportement imprudent du client dans ses investissements et souligne qu’elle n’avait pas l’obligation de le mettre en garde. Elle conteste également les anomalies apparentes relevées par le tribunal.

La défense du client

Le client soutient que la banque aurait dû détecter les anomalies des virements et le mettre en garde. Il estime que la banque aurait dû agir avec plus de vigilance étant donné sa vulnérabilité en matière d’investissements. Il conteste le taux de perte de chance fixé par le tribunal.

Sur le devoir général de vigilance de la banque

La cour considère que la banque n’avait pas l’obligation de se renseigner sur la nature des investissements du client. Les virements litigieux ne présentaient pas d’anomalies apparentes justifiant une mise en garde de la part de la banque. La cour infirme le jugement et déboute le client de sa demande reconventionnelle.

Sur les demandes accessoires

La cour condamne le client à verser une somme complémentaire à la banque au titre des frais de procédure. Le client est également condamné à payer les dépens de première instance et d’appel.

– Monsieur [R] [C] est condamné à verser à la société anonyme Boursorama la somme de 3.000 euros
– Monsieur [R] [C] est condamné à supporter les entiers dépens
– Monsieur [R] [C] est condamné à verser la somme de 700 euros à la société anonyme Boursorama conformément à l’article 700 du code de procédure civile

Réglementation applicable

– Code monétaire et financier
– Code civil
– Code de procédure civile

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES
– Me Bérangère PLANCHON, avocat au barreau de VERSAILLES
– Me Arnaud-Gilbert RICHARD de la SAS RICHARD ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
– Me Anne BERNARD-DUSSAULX de l’AARPI RICHEMONT DELVISO, avocat au barreau de PARIS

Mots clefs associés

– Motifs de la décision
– Responsabilité de la banque
– Obligation de vigilance
– Virements frauduleux
– Montant élevé des virements
– Surveillance particulière des banques
– Lutte contre le blanchiment de capitaux
– Obligation de conseil
– Obligation d’information
– Obligation de mise en garde
– Préjudice financier
– Perte de chance
– Imprudences du client
– Vulnérabilité aux escroqueries
– Devoir général de vigilance
– Surveillance des opérations
– Anomalies apparentes
– Risques d’escroquerie
– Alertes AMF, TRACFIN, ACPR
– Investissements
– Fiabilité du cocontractant
– Anomalies intellectuelles
– Virements litigieux
– Disproportion des virements
– Concentration des opérations
– Libellé des virements
– Localisation des banques destinataires
– Préjudice moral
– Demandes accessoires
– Article 700 du code de procédure civile
– Dépens de première instance et d’appel

– Motifs de la décision : Raisons justifiant la décision prise par une autorité judiciaire ou administrative
– Responsabilité de la banque : Obligation pour une banque de répondre des conséquences de ses actes ou de ses omissions
– Obligation de vigilance : Devoir pour une personne ou une entité de surveiller attentivement une situation ou des opérations
– Virements frauduleux : Transferts d’argent effectués de manière illégale ou trompeuse
– Montant élevé des virements : Transferts d’argent d’une valeur importante
– Surveillance particulière des banques : Surveillance renforcée exercée par les banques pour détecter des activités suspectes
– Lutte contre le blanchiment de capitaux : Ensemble des mesures visant à prévenir l’utilisation de fonds issus d’activités criminelles
– Obligation de conseil : Devoir pour un professionnel de fournir des conseils avisés à ses clients
– Obligation d’information : Devoir pour une partie de communiquer des informations pertinentes à une autre partie
– Obligation de mise en garde : Devoir pour une personne de mettre en garde une autre personne contre un risque ou une conséquence prévisible
– Préjudice financier : Dommage subi par une personne en termes de pertes économiques
– Perte de chance : Privation d’une opportunité ou d’une possibilité de gain
– Imprudences du client : Comportements risqués ou négligents de la part d’un client
– Vulnérabilité aux escroqueries : Facilité avec laquelle une personne peut être victime d’une escroquerie
– Devoir général de vigilance : Obligation pour une personne de rester attentive et prudente dans ses actions
– Surveillance des opérations : Contrôle exercé sur les transactions financières ou commerciales
– Anomalies apparentes : Erreurs ou incohérences visibles ou détectables
– Risques d’escroquerie : Possibilité d’être victime d’une fraude ou d’une tromperie
– Alertes AMF, TRACFIN, ACPR : Signaux ou notifications émis par des autorités de régulation financière
– Investissements : Placements financiers ou opérations visant à générer des profits
– Fiabilité du cocontractant : Confiance accordée à une partie avec laquelle on a conclu un contrat
– Anomalies intellectuelles : Erreurs ou incohérences liées à la réflexion ou à la compréhension
– Virements litigieux : Transferts d’argent faisant l’objet d’un litige ou d’une contestation
– Disproportion des virements : Déséquilibre ou inadéquation entre les montants des transferts
– Concentration des opérations : Regroupement ou accumulation d’opérations sur une même période ou un même compte
– Libellé des virements : Mention écrite indiquant la nature ou la raison d’un transfert d’argent
– Localisation des banques destinataires : Emplacement géographique des établissements bancaires recevant les fonds
– Préjudice moral : Dommage subi par une personne en termes de souffrance psychologique
– Demandes accessoires : Réclamations complémentaires formulées dans le cadre d’une procédure judiciaire
– Article 700 du code de procédure civile : Disposition légale permettant de demander le remboursement des frais de justice
– Dépens de première instance et d’appel : Frais engagés lors d’une procédure judiciaire en première instance et en appel

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 38E

Chambre civile 1-6

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 AVRIL 2024

N° RG 23/00298 – N° Portalis DBV3-V-B7H-VUA2

AFFAIRE :

S.A. BOURSORAMA

C/

[R] [C]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Décembre 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE

N° RG : 19/05201

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 04.04.2024

à :

Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Bérangère PLANCHON, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A. BOURSORAMA

N° Siret : 351 058 151 (RCS Nanterre)

[Adresse 2]

[Localité 5]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Arnaud-Gilbert RICHARD de la SAS RICHARD ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1070 – Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 – N° du dossier 26002

APPELANTE

Monsieur [R] [C]

né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 6] (69)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Anne BERNARD-DUSSAULX de l’AARPI RICHEMONT DELVISO, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1901 – Représentant : Me Bérangère PLANCHON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : L0287

INTIMÉ

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 28 Février 2024, Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Fabienne PAGES, Président,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO

EXPOSÉ DU LITIGE

Client, avec son épouse, depuis 1998 de la banque en ligne la société Boursorama et titulaire en ses livres d’un compte joint à vue et d’un compte sur livret, monsieur [C] expose qu’il a été démarché par une société de courtage étrangère Trade Capital Ltd en vue d’investir des fonds, ceci sur sa plate-forme de trading en ligne, sur des comptes d’épargne rémunérés en lui promettant des gains importants et une rentabilité rapide et certaine de son investissement.

C’est ainsi qu’il a effectué, entre le 16 juin 2015 et le 29 septembre 2015, huit virements pour un montant total de 118.200 euros depuis ses comptes Boursorama à destination de la banque catalane Caixa Bank.

Au constat de l’impossibilité de retirer les fonds investis et les gains escomptés ainsi que d’interlocuteurs devenus injoignables, il a déposé plainte auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Toulon, le 27 mai 2016, sans suite pénale à ce jour.

Puis, par pli recommandé du 09 mai 2019, il a vainement mis en demeure la société Boursorama de lui rembourser les sommes investies si bien que par acte du 22 mai 2022 et pour obtenir réparation de ses préjudices il l’a assignée en paiement des dites sommes outre celle de 5.000 euros au titre de son préjudice moral.

Par jugement contradictoire rendu le 02 décembre 2022 le tribunal judiciaire de Nanterre a, en assortissant sa décision de l’exécution provisoire :

condamné la société Boursorama à payer à monsieur [R] [C] les sommes de 35.460 euros en réparation de son préjudice financier et 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

débouté monsieur [R] [C] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral,

condamné la société Boursorama aux dépens dont distraction au profit de maître Anne Bernard-Dussault, avocate.

Par dernières conclusions (n° 2) notifiées le 06 octobre 2023, la société anonyme Boursorama, appelante de ce jugement selon déclaration remise au greffe le 13 janvier 2023, demande à la cour, visant les conditions de la responsabilité contractuelle et les articles 1231-1, 1231-4, 1937, 1984 et 1985 du code civil, L 133-3 et suivants, L 561-4 et suivants du code monétaire et financier :

de réformer le jugement (entrepris) en ce qu’il a condamné la société Boursorama à payer à monsieur [R] [C] les sommes de 35.460 euros en réparation de son préjudice financier et 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens dont distraction au profit de maître Anne Bernard-Dussaulx, avocate,

statuant à nouveau

de débouter monsieur [R] [C] de l’ensemble de ses demandes à toutes fins qu’elles comportent,

de condamner monsieur [R] [C] à payer à Boursorama la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés directement, sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile, dont le montant sera recouvré par maître Mélina Pedroletti, avocat.

Par dernières conclusions (n° 1) notifiées le 07 juillet 2023 monsieur [R] [C] prie la cour, au visa de l’article 1231-1 du code civil :

à titre principal

de confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a limité le montant des condamnations à 35.460 euros en réparation du préjudice financier de monsieur [R] [C],

en conséquence

de condamner la société Boursorama à payer à monsieur [R] [C] 80% des sommes perdues, soit 94.560 euros, outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure adressée à cette dernière, en réparation de son préjudice né de la perte de chance,

de condamner la société Boursorama à (lui) payer la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral,

de condamner la société Boursorama à (lui) payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du ‘CPC’ et aux entiers dépens dont distraction au profit de maître Anne Bernard- Dussaulx, avocat au barreau de Paris.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’engagement de la responsabilité de la banque

Il convient de rappeler que, pour statuer comme il l’a fait, le tribunal a d’abord rejeté les griefs fondés sur le manquement de la banque à ses obligations d’information et de conseil, dès lors que la société Boursorama n’avait que la qualité de prestataire de services de paiement et non point d’investissement, comme il a rejeté le grief fondé sur l’obligation de surveillance particulière des banques édictée aux articles L 561-5 et L 561-6 du code monétaire et financier invoqués qui n’a pour finalité que la détection de transactions s’inscrivant dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Il a, en revanche, retenu un manquement de la banque à son obligation de vigilance la contraignant à déceler les irrégularités ou les anomalies apparentes, relevant que la société Boursorama aurait dû être alertée par ces huit virements frauduleux, répétés et sur une très courte période, d’un montant élevé et déconnectés du fonctionnement habituel du compte bancaire de son client, par des prélèvements tant sur son compte courant que sur son compte sur livret et à destination de sociétés étrangères et inconnues dont le libellé pouvait attirer l’attention sur le caractère suspect des opérations. Ajoutant que la banque s’est abstenue de tout contact avec son client ou de demandes d’explications ou encore, dans le cadre de son devoir de contribuer à la sécurité des échanges économiques, de ‘mise en garde liée à l’origine des fonds’.

Il a évalué à 30% la perte de chance de monsieur [C], principal responsable de ses imprudences, de n’avoir pas investi ses fonds.

L’appelante relève liminairement des contradictions internes dans la motivation du jugement en ce qu’il écarte des griefs au titre des devoirs de conseil, d’information et de vigilance particuliers en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme mais les retient pour accueillir la demande fondée sur son devoir de vigilance dans le cadre de sa relation contractuelle.

Elle consacre des développements relatifs à son absence d’obligation d’information, de mise en garde ou de conseil à l’égard de monsieur [C] dans la réalisation des virements litigieux en qualité de prestataire de services d’investissement ainsi qu’au caractère inopérant de l’invocation de son obligation spéciale de vigilance relative au blanchiment d’argent qui n’a pour finalité que la protection de l’intérêt général et porte sur des transactions exclusivement sanctionnées sur le plan administratif.

Elle entend démontrer que, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, elle n’a pas failli à son obligation générale de vigilance à l’égard de son client et, se réclamant de la récente doctrine de la Cour de cassation, réfute point par point la qualification d’anomalies apparentes ou intellectuelles donnée par le tribunal aux divers éléments qu’il a retenus.

Pour dire que monsieur [C] ne saurait prétendre qu’il a été ‘normalement vigilant’ ni lui faire supporter le préjudice résultant de sa propre faute, la banque stigmatise son comportement particulièrement imprudent, aussi bien lors du démarchage par une société sur laquelle il lui revenait de se renseigner qu’en signant et approuvant plusieurs contrats, sans frais et sans fiscalité, qu’il lui appartenait d’analyser tant ils suscitaient le doute ; elle en reprend pour ce faire diverses stipulations et annonces de rendement, comme : ‘le placement est sans risques. Il est garanti …’, ‘dans le cas où l’opération s’avère perdante, je suis garanti d’être remboursé de mon investissement’, ‘dans le cas où l’opération s’avère perdante, l’assurance de recouvrement se charge de rembourser la totalité de l’investissement’ // ‘25,3% avec un taux de réussite de 89%’, ‘21,2% avec un taux de réussite de 72%’, ‘38,2 % au minimum avec un taux de réussite de 91%’.

L’intimé, sur le fondement de l’article 1231-1 (nouveau) du code civil, consacre son argumentation au devoir général de vigilance et de surveillance du banquier lui imposant de déceler les anomalies tant matérielles qu’intellectuelles et s’appuie sur force jurisprudences (anciennes de la Cour de cassation, des cours d’appel de Lyon et de Paris, des tribunaux judiciaires d’Albi, de Quimper, de Clermont-Ferrand, de Bordeaux, de Lyon, d’Angoulême, de Grenoble ou encore de Strasbourg)pour dire qu’ils retiennent un faisceau d’indices parmi lesquels le montant élevé des virements, l’âge de la victime, les destinataires inconnus, le libellé des virements, le nom des bénéficiaires, l’inscription du bénéficiaire sur la liste noire de l’ ‘AFM’, les comptes destinataires situés à l’étranger et l’existence d’une fraude répandue et connue des banques.

Il précise que le devoir de non-ingérence du banquier ne lui permet pas de se dédouaner de son devoir de vigilance et de mise en garde en cas d’opérations apparaissant anormales.

Et, poursuivant la confirmation du jugement, il soutient que la société Boursorama ne pouvait ignorer les risques d’escroquerie grâce aux alertes ‘AMF, TRACFIN, ACPR’, qu’en l’espèce ses virements présentaient un caractère anormal en regard de sa pratique habituelle par leur nombre, leurs montants, leur répétition et leur concentration sur trois mois à hauteur de deux fois ses revenus annuels, par le constat du montant inférieur des trois derniers résultant de l’épuisement de ses fonds, par l’existence de deux virements totalisant 54.800 euros depuis son compte-épargne, par le transfert de sommes représentant la totalité de ses liquidités et de son épargne qui le plaçait en situation de risque et encore par le compte destinataire des virements à l’étranger (en Espagne), aux montants considérables, révélant, en regard de ses comptes bancaires, des pratiques inhabituelles.

Son absence de connaissance et d’expérience des marchés financiers le rendait, ajoute-t-il, particulièrement vulnérable aux escroqueries et aurait dû appeler la banque à une plus grande vigilance ; s’appropriant la motivation du tribunal sur ce point, il évoque en outre les pratiques d’autres banques (tels La Banque Postale, la Caisse régionale du Crédit agricole mutuel sud Rhône Alpes ou le Crédit mutuel Alliance fédérale) qui, contrairement à Boursorama, s’attachent à mettre en garde leurs clients selon divers procédés.

Sollicitant, sur appel incident, la fixation de sa perte de chance à 80% du capital investi du fait de la forte probabilité qu’il conserve ses fonds si la banque l’avait mis en garde, il estime enfin qu’à tort le tribunal a jugé qu’il était le principal responsable de ses imprudences en limitant le taux à 30%.

Ceci étant exposé, il convient de constater que n’est déférée à la cour que l’appréciation du manquement de la banque à son devoir général de vigilance et de surveillance, incidemment à son devoir non immixtion, en sorte qu’il n’y pas lieu de se prononcer sur les autres manquements invoqués en première instance par monsieur [C] qui ne les soumet pas à l’appréciation de la cour sur appel incident.

Sur ce devoir général de vigilance, il y a lieu de considérer, en raison du principe de non-ingérence, qu’il n’incombe pas au banquier comme en l’espèce simple teneur de compte et non investi d’un mandat particulier ou d’une mission générale de police (tout au plus débiteur, en amont d’éventuelles poursuites qui ne lui appartiennent pas, de l’obligation de signalement relative à une suspicion de blanchiment ou de trafic illicite évoquée plus avant), de réclamer des explications à son client sur les ordres qu’il donne ou de procéder à des investigations destinées à s’assurer de la régularité, de l’opportunité ou encore de la dangerosité des opérations que celui-ci lui demande d’accomplir.

Au cas particulier, monsieur [C] ne peut être suivi en son grief premier selon lequel la banque ne pouvait ignorer les risques d’escroqueries aux investissements.

Il évoque, en effet, sans plus de précisions factuelles les alertes diffusées en 2015 par l’Autorité des marchés financiers (AFM), par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l’organisme de Traitement des renseignements contre les circuits financiers clandestins (Tracfin)mais laisse sans réponse l’argumentation adverse selon laquelle dans le cadre des virements SEPA librement initiés, son client ne l’a nullement informée sur la nature et l’objet de ses investissements réalisés par l’intermédiaire de la société Trade Capital Ltd, entreprise d’investissement d’ailleurs référencée et autorisée sur les marchés régulés sous l’identifiant Regafi n° 56279, objecte-t-elle (pièce n° 3 de l’appelante).

Au demeurant, il est constant que, depuis le 07 juillet 2011, l’AMF et l’ACPR publient régulièrement des communiqués de presse conjoints destinés à alerter le public sur des sites internet et entités à risques, aisément accessibles en fournissant même des adresses électroniques et numéros de téléphone pour obtenir de plus amples renseignements.

Il peut être observé que monsieur [C], qui se présente comme profane en matière d’investissement et oppose au grief d’imprudence retenu par le tribunal sa vulnérabilité, mentionne, certes, sa date de naissance (en 1959) en tête de ses écritures mais, en méconnaissance des dispositions combinées des articles 954 al 1, 960 et 961 du code de procédure civile, ne précise pas sa profession, indice parmi d’autres permettant au juge d’apprécier le niveau de compétence d’une partie dans le domaine considéré et sa capacité à appréhender la portée de ses engagements.

En toute hypothèse et alors qu’il lui était loisible de recueillir des informations sur ce cocontractant qui lui faisait miroiter des investissements étonnement fructueux, il ne prétend pas s’être renseigné sur sa fiabilité afin d’éclairer son consentement, ce qui ressort de la lecture de sa plainte pénale, et il ne peut, non plus, se prévaloir d’informations détenues par la banque qui ne lui étaient pas accessibles.

Pour autant, si la société Boursorama peut, de son côté, se prévaloir de sa qualité de prestataire de services de paiement et du fait qu’elle s’est bornée à exécuter de simples ordres de virement, il lui revient toutefois de satisfaire à son devoir de surveillance en présence d’anomalies, pour peu qu’elles soient apparentes, susceptibles d’affecter les éléments matériels qui lui sont transmis ou lorsque l’opération envisagée et le fonctionnement du compte présentent des indices évidents propres à faire douter de leur régularité.

En l’espèce et étant précisé qu’il n’est point débattu d’anomalies matérielles mais d’anomalies intellectuelles, le faisceau d’éléments dont fait état monsieur [C] qu’ils soient pris individuellement ou dans leur ensemble, ne lui permet pas de prétendre qu’ils se présentaient comme des indices apparents d’irrégularité de nature à susciter le doute de son teneur de compte.

A examiner les virements litigieux exécutés conformément aux identifiants (ou IBAN) fournis par monsieur [C], donneur d’ordre utilisant le service de paiement, il apparaît qu’ils sont tous à destination de titulaires (au nombre de trois) ayant un compte ouvert dans les livres de la banque Caixa Bank et par l’intermédiaire du même courtier Trade Capital Ltd.

Ils se présentent comme suit, selon les quatre opérations auxquelles monsieur [C] a déclaré avoir participé dans sa plainte sus-évoquée adressée au ministère public (pièce n° 4) :

le 16 juin 2015 : un virement de 10.000 euros le compte d’une société Falcone Espana Internacional

les 24 et 26 juin 2015 : deux virements de 30.000 et de 24.800 euros sur le compte d’une société KGN Moviles SL,

les 15 et 16 juillet puis le 07 août 2015 : trois virements de 22.000, 20.000 puis 6.000 euros sur le compte de cette société KGN Moviles SL,

les 28 et 29 septembre 2015 : deux virements de 5.000 puis 400 euros sur le compte d’une société Fownt Marketing SL.

S’agissant des griefs tirés de l’inéquation de ces virements en regard de la situation personnelle de monsieur [C] et de ses pratiques, les anomalies apparentes qu’il invoque ne peuvent être retenues.

Il ressort, en effet, des pièces versées aux débats que leur montant cumulé de 118.200 euros n’apparaît pas révélateur d’une disproportion manifeste en regard de ses ressources (soit un revenu fiscal imposable de 85.895 euros pour son foyer fiscal et pour l’année 2015 // pièce n° 8 de l’intimé),que les sommes provenaient de son épargne sur livret (créditeur de la somme de 97.000 euros au 29 mai 2015) tandis que son compte joint était lui-même créditeur de la somme de 11.203,82 euros au 16 juin 2015 avant transfert de son épargne, que monsieur [C] n’a pas fait appel à des financements extérieurs qui auraient pu alerter la banque et que celle-ci relève, sans contestation, que son compte est resté créditeur tout au long de la période considérée.

Il en ressort également que ces ordres de virement durant cette période de trois mois et demi se concentrent sur quatre opérations, que les deux derniers aux moindres montants ne traduisent pas nécessairement, comme il le prétend, un essoufflement de sa trésorerie mais, ainsi que le relève Boursorama, peuvent correspondre au montant de la dernière opération à ce montant et que l’ensemble de ces retraits par virements pouvait présenter une utilité économique (‘une alternative à l’investissement traditionnel qui peut révéler de nombreuses opportunités pour les investisseurs particuliers’ selon la documentation de Trade Capital // pièce n° 2 de l’intimé) pour un client disposant, comme monsieur [C], d’une épargne sans risque mais de moindre rémunération et soudain désireux de la faire davantage fructifier, ceci au moyen de virements successifs selon des options de placement laissées à son libre arbitre.

S’agissant, par ailleurs, des opérations proprement dites, le simple libellé de ces virements seul porté à la connaissance de la banque et qui ne peuvent s’analyser en une opération bancaire particulièrement complexe, ne faisait pas apparaître que les trois sociétés bénéficiaires – dont monsieur [C] ne démontre pas qu’elles faisaient l’objet de signalements particuliers – auraient dû de quelque manière susciter des soupçons quant à la probité de leurs activités et, partant, la méfiance de la société Boursorama, non tenue d’effectuer des recherches sur ces personnes morales par un quelconque engagement envers son client sur ce point, et il ne peut donc lui être reproché de ne l’avoir pas alerté sur leur défaut d’intégrité ou de possibles dangers.

La localisation à l’étranger de la banque destinataire des fonds n’engendre pas, en soi, la suspicion, s’agissant d’une banque européenne ayant son siège en Espagne, pays dont il n’est pas prétendu qu’il suscite des craintes particulières quant à la fiabilité de son système financier, et de la Caixa Bank que la société Boursorama qualifie, sans démenti, de banque de premier ordre.

Enfin, monsieur [C] n’oppose à la banque aucune preuve venant contredire l’affirmation selon laquelle elle ignorait la personne du courtier, la société Trade Capital Ltd.

Par suite, doit être infirmé le jugement qui a fait droit à l’action indemnitaire de monsieur [C] fondée sur le manquement de la banque à son devoir de vigilance et celui-ci sera débouté de sa demande reconventionnelle relative à l’évaluation de sa perte de chance, comme en celle portant sur l’indemnisation de son préjudice moral.

Sur les demandes accessoires

L’équité conduit à condamner monsieur [C] à verser à la banque intimée la somme complémentaire de 3.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile

Débouté de ce dernier chef , monsieur [C] qui succombe supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe ;

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau en y ajoutant ;

Déboute monsieur [R] [C] de sa demande indemnitaire formée à l’encontre de la société anonyme Boursorama en réparation de ses préjudices, financier et moral ;

Condamne monsieur [R] [C] à verser à la société anonyme Boursorama la somme de 3.000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Fabienne PAGES, Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon