Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Versailles
Thématique : Droit d’accès de l’employeur aux conversations Facebook du salarié
→ RésuméL’employeur peut justifier l’accès aux conversations Facebook d’un salarié si cela est indispensable à l’exercice de ses droits et proportionné au but poursuivi. Dans une affaire récente, la société Ace Hôtellerie a utilisé une conversation Facebook pour prouver des comportements inappropriés d’un salarié, justifiant ainsi son licenciement pour faute grave. Bien que cette preuve ait été obtenue sans stratagème, l’atteinte à la vie privée du salarié a été considérée comme justifiée, car elle était nécessaire pour démontrer des actes de proxénétisme qui compromettaient l’image de l’entreprise. Le licenciement a été validé par la cour d’appel.
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Des preuves pouvant porter atteinte à la vie personnelle d’un salarié peuvent être produites, y compris en cas de preuve obtenue de manière illicite ou déloyale, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice d’un droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi (Ass. Plén., 22 décembre 2023, n° 21-11.330 ; Soc., 17 janvier 2024, n° 22-17.474).
En l’espèce, la société n’a mis en place aucun stratagème pour obtenir la conversation Facebook tenue par un salarié puisque c’est une salariée de l’hôtel qui lui a transmis cette preuve, la conversation Facebook se trouvant ouverte et donc accessible par tous, sur l’ordinateur commun de l’hôtel. Par ailleurs, l’employeur n’avait pas d’autre moyen que de produire cette preuve pour justifier les faits reprochés au salarié.
En conséquence, l’atteinte portée à la vie privée du salarié est justifiée au regard des intérêts légitimes de la société Ace Hôtellerie, qui s’est trouvée contrainte de sanctionner le salarié afin de faire cesser un trouble manifeste dans l’entreprise, et de l’impossibilité de prouver la réalité de ces faits autrement qu’en produisant la conversation privée du salarié.
Par ailleurs, le comportement du salarié portait effectivement atteinte à l’image de la société Ace Hôtellerie envers ses clients et lui faisait courir un risque de sanctions pénales et de fermeture de l’établissement (le salarié facturait en liquide une chambre à des clients souhaitant avoir des relations sexuelles). Il rendait impossible son maintien au sein de l’entreprise, y compris pendant son préavis.
Nos Conseils:
1. L’employeur doit rapporter la preuve des faits constitutifs d’une faute grave pour licencier un salarié. Il est important de documenter de manière précise, objective et contrôlable les manquements du salarié pour justifier un licenciement pour faute grave.
2. En cas de griefs graves tels que le détournement de fonds ou des actes de proxénétisme, il est essentiel de recueillir des preuves tangibles pour étayer les allégations de l’employeur. Les témoignages, les documents officiels et les échanges écrits peuvent être des éléments clés pour prouver les faits reprochés.
3. En cas de litige, il est recommandé de faire appel à un avocat spécialisé en Travail | RH pour vous conseiller et vous représenter de manière efficace devant les juridictions compétentes. Un avocat pourra vous aider à défendre vos intérêts et à faire valoir vos droits dans le cadre d’un contentieux lié à un licenciement pour faute grave.
M. [C] a été licencié pour faute grave par la société Ace Hôtellerie, mais le conseil de prud’hommes de Nanterre a jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. La société a interjeté appel et demande à la cour de juger que le licenciement est réel et sérieux. M. [C] demande la confirmation du jugement et une indemnité de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
16 mai 2024
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/00358
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
Chambre sociale 4-2
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 MAI 2024
N° RG 22/00358
N° Portalis DBV3-V-B7G-U7S7
AFFAIRE :
S.A. ACE HOTELLERIE
C/
[H] [C]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 avril 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
Section : C
N° RG : F 18/03253
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Lénaïg RICKAUER
Me Pierre-Philippe FRANC
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A. ACE HOTELLERIE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Lénaïg RICKAUER de la SELARL FIDU-JURIS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 13 et Me Alexia SEBAG de la SELEURL A.SEBAG Avocats, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0774
APPELANTE
Monsieur [H] [C]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Pierre-Philippe FRANC de la SELEURL SELARLU CABINET FRANC, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0189
INTIME
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 20 février 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
Greffier lors de la mise à disposition : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI
Vu le jugement rendu le 26 avril 2021 par le conseil de prud’hommes de Nanterre,
Vu la déclaration d’appel de la société Ace Hôtellerie du 7 février 2022,
Vu les dernières conclusions d’appelante de la société Ace Hôtellerie du 16 février 2023,
Vu les dernières conclusions de M. [H] [C] du 27 juillet 2022,
Vu l’ordonnance de clôture du 17 janvier 2024.
EXPOSE DU LITIGE
La société anonyme Ace Hôtellerie, dont le siège social est situé [Adresse 2] à [Localité 3], est spécialisée dans l’exploitation d’hôtels restaurants. Elle emploie moins de 11 salariés.
La convention collective nationale applicable est celle des hôtels, cafés restaurants du 30 avril 1997.
M. [H] [C], né 18 avril 1991, a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel du 1er février 2016, à effet au 30 mars 2016, en qualité d’employé polyvalent restauration, non cadre, à temps partiel à raison de 26 heures par semaine, selon des horaires de nuit et moyennant une rémunération initiale de 9,67 euros bruts de l’heure.
Par lettre en date du 4 mai 2017, la société Ace Hôtellerie a convoqué M. [C] à un entretien préalable qui s’est déroulé le 19 mai 2017.
Par courrier en date du 29 mai 2017, la société Ace Hôtellerie a notifié à M. [C] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :
« Monsieur,
Nous avons eu à déplorer de votre part divers agissements constitutifs d’une faute grave.
En effet, et tel que nous l’évoquions dans votre convocation à entretien préalable, nous devons déplorer que :
Nous vous informons que nous sommes amenés à envisager à votre égard une mesure de licenciement en raison des faits qui vous sont reprochés et qui sont les suivants :
– Malgré les fonctions qui vous sont dévolues au titre de votre contrat de travail, vous persistez, malgré nos rappels à l’ordre réguliers, à ne pas clôturer vos journées sur la PMS et sortir les mains courantes. « Titre d’exemple jeudi 13 avril 2017, jeudi 20 avril 2017, jeudi 27 avril 2017, dimanche 30 avril 2017 ».
Nous avons effectivement pu constater à l’examen des clôtures effectuées durant votre période de service les 13, 20, 27 et 30 avril 2017, que celles-ci n’ont pas été traitées par vous mais par le salarié qui vous succédait le lendemain matin. Article 2 de votre contrat de travail.
– Le dimanche 30 avril, nous avons trouvé votre témoignage pour usage de la chambre des employés pour proxénétisme. Date de la conversation le 09 janvier 2017, vous avez eu une attitude des plus irrespectueuses et virulente envers l’hôtel, et vos collègues car vous exploitiez les locaux de l’hôtel pour proxénétisme : aidé, assisté et protégé (sic) la prostitution d’autrui et tirer profit de la prostitution d’autrui. « Acte vérifier (sic) avec notre fournisseur de protection et surveillance ».
– Vous avez une attitude irrévérencieuse à l’endroit de nos clients et de l’hôtel, suite à la vente des prestations hôtel et restaurant sans les facturés (sic) sur la PMS « pour exemple le 29/04/17 ».
Témoignage du client le lendemain, « Acte vérifier (sic) avec notre fournisseur de protection et surveillance ».
– Malgré les fonctions qui vous sont dévolues au titre de votre contrat de travail, vous persistez, malgré nos rappels à l’ordre réguliers, à ne pas assumer votre rôle d’employé polyvalent et finir vos taches (sic) respectives ; celles-ci sont donc traitées par les salariés qui vous relèvent le matin alors qu’ils ont eux-mêmes de nouvelles taches (sic) durant leur propre service à accomplir.
Ces salariés se sont plaints de cette surcharge de travail du fait de votre propre inexécution volontaire et fautive.
Certaines de nos entreprises clientes, lesquelles réservent régulièrement de nombreuses chambres et nuitées dans notre établissement, nous ont précisément rapporté (sic) il y a peu, l’attitude réfractaire que vous adoptiez avec eux et qui est incompatible avec l’activité de service de notre établissement.
Je cite le client « le veilleur étant endormi presque toute la nuit, pendant son service dans les locaux qu’il devait surveiller, il est surpris par un de mes collègues qui lui a demandé une bouteille d’eau mais hélas. « Extrait du témoignage du client ».
Nous avons ainsi découvert que vous adoptiez de manière régulière cette attitude absolument inadmissible, à un tel point que ces clients ont été contraints de les dénoncer récemment de manière officielle à notre société et envisagent de cesser leur réservation dans notre établissement.
De ce fait, les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 19 mai dernier ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet ; en effet, vous avez tout simplement nié les faits qui vous étaient reprochés alors que les multiples plaintes de clients distincts ne souffrent d’aucun doute possible.
En outre, votre défense qui consiste à rejeter toute responsabilité en indiquant que vous n’avez aucune fiche de poste est illustratrice de votre particulière mauvaise foi et de votre état d’esprit particulièrement réfractaire à toute forme de dialogue ou exécution de bonne foi de votre contrat de travail.
Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible ; le licenciement prend donc effet immédiatement à la date du 29 mai 2017, sans indemnité de préavis ni de licenciement.
Nous vous rappelons que vous faites l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent, la période non travaillée 4 mai 2017 au 29 mai 2017 nécessaire pour effectuer la procédure de licenciement, ne sera pas rémunérée. »
Par requête reçue au greffe le 20 juin 2017, M. [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre d’une demande de condamnation au versement des sommes à caractère indemnitaire et/ou salariale suivantes :
– indemnité compensatrice de préavis : 1 128,24 euros,
– indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 112,82 euros,
– indemnité de licenciement : 300 euros,
– salaire pendant la mise à pied du 4 au 29 mai 2017 : 914,48 euros,
– congés payés y afférents : 91,44 euros,
– dommages-intérêts pour rupture abusive : 10 000 euros,
– article 700 du code de procédure civile : 1 200 euros,
– exécution provisoire.
Par courrier reçu au greffe du conseil de prud’hommes de Nanterre le 12 décembre 2018, M. [C] a sollicité un relevé de la radiation prononcée le 18 septembre 2017.
Les parties ont été convoquées à l’audience du bureau de jugement du 30 novembre 2020 par lettre recommandée avec avis de réception du 10 juillet 2020.
La société Ace Hôtellerie n’a transmis aucune conclusion, pièces ou information particulière au conseil de prud’hommes de Nanterre.
Par jugement réputé contradictoire rendu le 26 avril 2021, la section commerce du conseil de prud’hommes de Nanterre a :
– dit et jugé que le licenciement de M. [C] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamné la société Ace Hôtellerie verser à M. [C] les sommes suivantes :
. 1 128,24 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, représentant l’équivalent d’un mois de salaire,
. 112,82 euros au titre des congés payés incidents,
. 300 euros à titre d’indemnité de licenciement,
. 914,48 euros à titre de paiement de la mise à pied conservatoire du 4 au 29 mai 2017,
. 91,44 euros au titre des congés payés afférents à la période de mise à pied conservatoire,
. 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive sur le fondement de l’article L. 1235-5 du code du travail, version en vigueur à la date du licenciement,
– ordonné la remise d’un certificat de travail, de bulletins de paie conformes et d’une attestation destinée au Pôle emploi conforme au jugement à intervenir,
– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision en application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile,
– condamné la société Ace Hôtellerie à verser à M. [C] la somme de 600 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté M. [C] du surplus de ses demandes,
– dit que les intérêts courront à compter de la saisine du conseil de prud’hommes, pour les créances de nature salariale et à compter de la notification de la décision pour le reste,
– ordonné la capitalisation des intérêts par l’application de l’article 1343-2 du code civil,
– condamné la société Ace Hôtellerie aux entiers dépens, y compris les frais éventuels d’exécution de la présente décision.
Par déclaration du 7 février 2022, la société Ace Hôtellerie a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 16 février 2023, la société Ace Hôtellerie demande à la cour de :
– déclarer la demande de la société Ace Hôtellerie recevable et bien fondée,
A titre principal,
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 26 avril 2021 en toutes ses dispositions,
Et statuant de nouveau,
– juger que le licenciement pour faute grave prononcé par la société Ace Hôtellerie est réel est sérieux,
– débouter M. [C] de toutes ses demandes, fins et prétentions,
A titre subsidiaire,
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 26 avril 2021 en ce qu’il a :
. dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse,
. fixé le montant de l’indemnité légale de licenciement à la somme de 300 euros,
. condamné la société Ace Hôtellerie à la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
. condamné la société Ace Hôtellerie à verser à M. [C] la somme de 600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Et statuant de nouveau,
– juger que le licenciement prononcé par la société Ace Hôtellerie est réel est sérieux,
– requalifier le licenciement prononcé à l’encontre de M. [C] en licenciement pour motif personnel,
– fixer le montant de l’indemnité légale de licenciement à la somme de 225,64 euros,
– débouter M. [C] de sa demande de dommages et intérêt au titre du licenciement abusif,
– débouter M. [C] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
A titre infiniment subsidiaire,
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 26 avril 2021 en ce qu’il a :
. fixé le montant de l’indemnité légale de licenciement à la somme de 300 euros,
. condamné la société Ace Hôtellerie à la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
Et statuant de nouveau,
– fixer le montant de l’indemnité légale de licenciement à la somme de 225,64 euros,
– fixer le montant des dommages et intérêt au titre du licenciement abusif dus à M. [C] par la société Ace Hôtellerie à la somme de 1 euro,
En tout état de cause,
– condamner M. [C] à payer à la société Ace Hôtellerie la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [C] aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 27 juillet 2022, M. [C] demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris,
– condamner la société Ace Hôtellerie à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées, soutenues à l’audience et rappelées ci-dessus.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur le licenciement
L’appelante soutient que le licenciement de M. [C] est fondé sur une inexécution réitérée des ordres et directives, un détournement des fonds de la société, une attitude inacceptable avec des entreprises clientes, et des actes de proxénétisme perpétrés sur le lieu et pendant le temps de travail, ces faits étant constitutifs d’une faute grave. Elle relève avoir transmis des conclusions et pièces au greffe du conseil de prud’hommes de Nanterre mais ceux-ci n’ont pas été pris en compte.
L’intimé fait valoir que la société Ace Hôtellerie ne présente aucune preuve des fautes qu’il aurait commises, qu’il n’existe pas de charte informatique, ni de règlement intérieur, que son professionnalisme est attesté par un client de l’hôtel et que la stagiaire mise en cause nie les faits allégués.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve. Il doit justifier le licenciement par des faits précis, objectifs et contrôlables, imputables au salarié.
La lettre de licenciement pour faute grave invoque plusieurs griefs relatifs au comportement de M. [C] en termes de non-respect des procédures internes et de comportements fautifs qui nuisent à l’entreprise.
– une inexécution réitérée des ordres et directives de son employeur : la société Ace Hôtellerie reproche à M. [C] de ne pas respecter la procédure interne relative à l’utilisation du logiciel de réservation et de facturation.
M. [C], sans contester les faits, répond que son employeur ne fournit aucune preuve de ses allégations.
L’appelante fournit des impressions issues du logiciel des enregistrements réalisés par M. [C] et d’enregistrements réalisés par d’autres salariés, démontrant ainsi que les manipulations étaient correctement réalisées par les autres salariés, contrairement à celles de M. [C] (pièces n°21 et 22 appelante).
Ces documents établissent également que pendant la durée du service de M. [C], des changements d’identifiants ont été réalisés (pièce n°21 appelante). Or, M. [C], en sa qualité de veilleur de nuit, était le seul salarié présent dans les locaux de l’hôtel au moment des changements d’identifiants.
L’appelante produit des attestations de salariés, selon les formes prévues par le code de procédure civile. Ces salariés indiquent que M. [C] n’a pas réalisé l’ensemble de ses tâches et notamment ne traitait pas « les emails de réservation », ce qui leur a causé des difficultés à leur prise de poste, après le service de M. [C] (pièces n° 10, 17, 19 et 20 appelante).
M. [C] pour sa part ne fournit pas d’explications sur les raisons des changements d’identifiants et sur la non-réalisation des tâches qui lui incombaient.
Les éléments rapportés par l’employeur établissent suffisamment que M. [C] ne respectait pas la procédure interne relative à l’utilisation du logiciel de réservation et de facturation.
Le grief est établi.
– le détournement des fonds de la société Ace Hôtellerie : la société Ace Hôtellerie soutient que M. [C] a détourné des fonds.
M. [C], sans contester les faits, répond que son employeur ne fournit aucune preuve de ses allégations.
Mme [E], salariée de la société Ace Hôtellerie en qualité de réceptionniste, atteste que le 29 avril 2017, « Sur la fin de mon service, un client s’est présenté à la réception afin de se faire servir des boissons. Ayant déjà fini ma caisse, mon collègue [H] [C] m’a proposé d’encaisser le client à ma place. (‘) J’atteste avoir pris l’argent dans les mains du client et l’avoir remis à mon collègue afin qu’il le range dans la caisse. Le lendemain j’étais très surprise d’apprendre par la direction que le client avait demander une facture de ses prestations regler (sic) en espèce alors que rien a été saisi sur notre système informatique par M. [C] [sic] » (pièce n°7 appelante).
Mme [U], salariée de la société Ace Hôtellerie en qualité d’hôtesse d’accueil, atteste également que le 29 avril 2017 elle a servi « un coca-cola et une bouteille d’eau de 1,5 litre. Le client était à la réception et à payer en espèces à ma collègue qui a fini son service, qui a ensuite remis le billet de 20 euros à mon collègue [H] [C] » (pièce n°6 appelante).
M. [M], client de l’hôtel et auteur de la commande de boissons en question, atteste que le 29 avril 2017, M. [C] « ne m’a pas donné de facture pour les consommations achetées » (pièce n°9 appelante).
Cependant, le montant de ces consommations n’est pas précisé et rend impossible le contrôle de l’absence d’encaissement réalisé par M. [C] (pièce n°8 appelante), d’autant que M. [C] a enregistré un encaissement pour la somme de 10 euros, le 30 avril 2017 à 1h17 (pièce n°21 appelante).
Le grief n’est pas suffisamment établi.
– une attitude inacceptable avec des entreprises clientes : l’appelante soutient que M. [C] a eu des comportements inadmissibles envers les collaborateurs d’un important client lequel a fait le choix d’un autre hôtel pour héberger ses salariés, ce qui a occasionné une perte de chiffre d’affaires à la société Ace Hôtellerie.
M. [C], sans contester les faits, répond que son employeur ne fournit aucune preuve de ses allégations.
L’appelante présente un échange de mails avec un représentant de la société cliente, la société Brothier (pièces n°23 et 23.1 appelante). Mme [Z] [W], salariée de la société Brothier, indique que les problèmes avec le veilleur de nuit, M. [C] sont récurrents. Des collaborateurs se sont plaints d’avoir attendu « devant le halle (sic) de réception (‘) pour disposer de leurs clés de chambres vers minuit, 45 mn d’attente », « d’avoir trouver (sic) le veilleur de nuit endormi », d’avoir « demandé une bouteille d’eau mais malheureusement votre veilleur s’est rendormi ».
En conséquence, la société Brothier a décidé d’opter « pour un autre hôtel cette année ».
Le grief est établi.
– la commission d’actes constitutifs de proxénétisme, effectués sur le lieu et pendant le temps de travail : l’appelante soutient que M. [C] s’est livré à des actes de proxénétisme sur le lieu de travail et pendant les horaires de travail.
L’intimé conteste les faits et relève que la société Ace Hôtellerie n’a engagé aucune procédure pénale à son encontre sur le fondement de ces faits.
Il sera rappelé que M. [C] était seul salarié présent dans les locaux de l’hôtel la nuit, de 22h45 à 7h15, et occupait les fonctions d’employé polyvalent restauration. Ses missions, décrites dans son contrat de travail, dûment paraphé et signé, étaient notamment les suivantes : « rôle de réceptionniste, et surveillance et sécurité, assurer l’accueil des clients durant la durée de leur séjour, de l’arrivée au départ et les renseigne (‘) exclus toutes demandes contraires aux bonnes m’urs et à l’ordre public (‘), étant seul la nuit il est responsable de la sécurité des personnes et des biens de l’établissement » (pièce n°1 appelante).
L’appelante produit l’attestation de Mme [E], réceptionniste au sein de l’hôtel (pièce n°18 appelante). Mme [E] précise qu’elle « a trouvé la conversation facebook de [H] [C] ouverte le 30 avril 2017 à l’heure de mon arrivée à l’hôtel à 14h00 ».
L’employeur verse aux débats ladite conversation Facebook que Mme [E] a porté à sa connaissance le 30 avril 2017 (pièce n°11 appelante). L’appelante précise que l’ordinateur professionnel est un ordinateur commun à usage de tous les salariés de l’hôtel.
La conversation sur le réseau social Facebook est datée du 9 janvier 2017 et issue du compte privé « Nas » pour M. [H] [C]. Les propos tenus lors de la conversation ne font aucun doute sur l’identité du propriétaire du compte puisqu’il s’agit notamment d’une description du poste de travail de M. [C] et qu’il indique « il y a quelques mois en travaillant à l’hôtel ».
M. [C] relate des faits qui se sont déroulés entre lui et un client de l’hôtel : « un jeune vient me voir à la réception. Il me demande une chambre (alors qu’il en avait déjà une) mais il me fait comprendre qu’il est avec son collègue dans la chambre et qu’il a besoin de ramener une meuf. Je lui sors les prix et ça lui convient pas. Trop cher. Alors il me dis vas y c’est une meuf que j’ai rencontré sur internet (‘). Alors je lui dis écoute j’ai une chambre secrète non declaré dans l’hôtel. Si ta copine est fresh (sic), tu me laisse me la faire sinon tu me passe un billet (40 euros). Il vient une heure après avec la meuf, il me la présente et on s’installe à 3 pour boire un peu de rosé (‘). Elle était fresh mais l’argent a pris le dessus lol alors il me passe mon billet et il se casse avec elle dans la chambre [sic] ».
M. [C] raconte ensuite qu’il a eu une relation sexuelle avec cette femme : « on a fait du catch, on a terminé, elle était contente, moi aussi et en plus j’avais l’argent mdr. (‘) Elle est resté avec moi au travail, et elle me sucé sous le comptoir pendant que je répondais au appels des clients presque toute la nuit [sic] ».
L’appelante soutient qu’elle est en droit de verser cet élément de preuve aux débats.
Des preuves pouvant porter atteinte à la vie personnelle d’un salarié peuvent être produites, y compris en cas de preuve obtenue de manière illicite ou déloyale, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice d’un droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi (Ass. Plén., 22 décembre 2023, n° 21-11.330 ; Soc., 17 janvier 2024, n° 22-17.474).
En l’espèce, la société n’a mis en place aucun stratagème pour obtenir cette conversation puisque c’est une salariée de l’hôtel qui lui a transmis cette preuve, la conversation Facebook se trouvant ouverte et donc accessible par tous, sur l’ordinateur commun de l’hôtel (pièce n°18 appelante). Par ailleurs, l’employeur n’avait pas d’autre moyen que de produire cette preuve pour justifier les faits reprochés à M. [C].
En conséquence, l’atteinte portée à la vie privée de M. [C] est justifiée au regard des intérêts légitimes de la société Ace Hôtellerie, qui s’est trouvée contrainte de sanctionner M. [C] afin de faire cesser un trouble manifeste dans l’entreprise, et de l’impossibilité de prouver la réalité de ces faits autrement qu’en produisant la conversation privée de M. [C].
M. [C] produit l’attestation de M. [O], ayant assisté le salarié lors de l’entretien préalable du 19 mai 2017, qui évoque « l’accusation de proxénétisme. J’ai fait remarqué (sic) à M. [K] qu’il était étrange d’accuser et de possiblement licencier un employé de proxénétisme sans porter plainte » (pièce n°6 intimé) .
M. [O] se borne ainsi à reprocher à l’employeur de ne pas avoir porté plainte, ce qui ne constitue pas la preuve de l’absence de réalité des faits reprochés.
En effet, le fait que l’employeur n’ait pas déposé plainte pénale à l’encontre de son salarié est sans conséquence sur la qualification des faits commis par M. [C] dans le cadre de sa relation contractuelle avec la société Ace Hôtellerie.
Le grief est établi.
Au regard des griefs avancés par l’employeur, M. [C] se borne à produire l’attestation de M. [N] se disant client de l’hôtel qui se contente de faire état du « professionnalisme de M. [C] » sans autre précision, de sorte que la généralité de ces propos est insuffisante pour écarter lesdits griefs.
Les griefs ainsi retenus, pris dans leur ensemble, caractérisent des manquements graves du salarié à ses obligations telles qu’elles résultent de son contrat de travail, lesquels révèlent une particulière déloyauté de M. [C], notamment s’agissant des faits de proxénétisme.
Ce comportement portait effectivement atteinte à l’image de la société Ace Hôtellerie envers ses clients et lui faisait courir un risque de sanctions pénales et de fermeture de l’établissement. Il rendait impossible son maintien au sein de l’entreprise, y compris pendant son préavis.
Le licenciement de M. [C] repose en conséquence sur une faute grave.
Le jugement sera infirmé en ce que le conseil de prud’hommes a jugé que le licenciement de M. [C] était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la société Ace Hôtellerie à verser à M. [C] une indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité de congés payés incidente, une indemnité de licenciement, le paiement de la mise à pied conservatoire du 4 au 29 mai 2017 et l’indemnité de congés payés incidente, des dommages et intérêts pour rupture abusive et la remise des documents sociaux conformes au jugement.
M. [C] sera débouté de ses demandes à ce titre.
Il sera rappelé que l’infirmation du jugement vaut titre exécutoire pour la restitution des sommes versées.
2- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement sera infirmé sur les frais irrépétibles et les dépens.
M. [C] sera condamné aux dépens de première instance et d’appel, lesquels dépens sont ceux visés à l’article 695 du code de procédure civile.
M. [C] sera condamné à payer à la société Ace Hôtellerie la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel et débouté de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 26 avril 2021,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que le licenciement de M. [H] [C] repose sur une faute grave,
Déboute M. [H] [C] de ses demandes d’indemnité compensatrice de préavis et d’indemnité de congés payés afférents, d’indemnité de licenciement, de salaire sur la mise à pied conservatoire du 4 au 29 mai 2017 et des congés payés afférents, de dommages et intérêts pour rupture abusive et de sa demande de remise de documents sociaux,
Rappelle que l’infirmation du jugement dont appel vaut titre exécutoire pour la restitution des sommes versées,
Condamne M. [H] [C] aux dépens de première instance et d’appel, lesquels dépens sont ceux visés à l’article 695 du code de procédure civile,
Condamne M. [H] [C] à payer à la société Ace hôtellerie la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,
Déboute M. [H] [C] de sa demande à ce titre.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Valérie de Larminat, conseiller, pour Mme Catherine Bolteau-Serre, président empêché, et par Mme Angeline Szewczikowski, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, P/Le président empêché,
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