Cour d’appel de Paris, 17 mai 2024
Cour d’appel de Paris, 17 mai 2024

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Application logicielle défaillante : l’expertise nécessaire

Résumé

En cas de litige concernant la conformité d’une application logicielle, l’expertise est essentielle. Le CNPP a contesté la capacité de la société XCG à prouver que l’application fonctionnait correctement et respectait les spécifications contractuelles. Des anomalies ont été signalées dans les procès-verbaux de recettes, avec des scores de performance insuffisants. La cour, ne pouvant évaluer l’ampleur des développements par rapport aux spécifications, a ordonné une expertise pour déterminer l’état de l’application et les responsabilités des parties. Cette décision vise à éclairer le tribunal sur les manquements éventuels et les préjudices subis.

En cas de litige sur la conformité de prestations informatiques et de validation des PV de recettes, le recours à l’expertise devient incontournable.

En la cause, le CNPP conclut que la société XCG n’apporte pas la preuve, dont elle supporte la charge, que l’application était apte au bon fonctionnement, en particulier que chaque module livré était conforme aux spécifications convenues, que l’application n’était affectée d’aucune anomalie et atteignait les performances attendues, le CNPP se prévalant des anomalies et des dysfonctionnements qu’il a, d’une part, dénoncés dans les réserves des procès-verbaux de recettes qu’il a transmis dans trois courriels des 2 et 5 juillet 2019 relatifs au ‘fichier avec les résultats de la recette marketing’ retenant un score de résultats positif 63,7%, ‘résultats de la recette commerciale’ retenant un score de 59,35% et relatifs aux ‘résultats de la recette formation’ retenant un score de 86,21%. Le CNPP se prévaut d’autre part, d’un procès-verbal d’huissier qu’il a fait établir le 3 octobre 2019.

Connaissance prise de ces documents, la cour n’est pas en mesure de déterminer l’ampleur des développements de l’application par rapport aux spécifications telles qu’elles ont été convenues au contrat, de sorte qu’avant dire droit sur le bien fondé des prétentions de chacune des parties, la juriudiction a ordonné une expertise.

Le CNPP a sélectionné la société XCG pour développer une nouvelle application logicielle professionnelle, mais des retards ont entraîné des litiges sur les paiements. La société XCG a assigné le CNPP en justice pour obtenir le paiement des factures, et le tribunal de commerce de Paris a partiellement donné raison à la société XCG. Les deux parties ont interjeté appel et demandent des sommes différentes. Une expertise sur l’exécution du contrat de service a été demandée par la cour.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 mai 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/16311
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRÊT DU 17 MAI 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/16311 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEKVW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mai 2021 -Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 20/14408

APPELANTE

Association CENTRE NATIONAL DE PREVENTION ET DE PROTECTION (CNPP)

[Adresse 9]

[Localité 5]

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Assistée de Me Françoise BRUNAGEL, avocate au barrea de PARIS

INTIMEE

S.A.S. XCG

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 6]

[Localité 7]

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 501 827 463

Représentée par Me Nicole DELAY PEUCH, avocat au barreau de PARIS, toque : A0377

Assistée de Me Noémie BIRNBAUM, avocate au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 01 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Denis ARDISSON, Président de chambre, en charge du rapport

Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE, Conseillère,

CAROLINE GUILLEMAIN, Conseillère,

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Damien GOVINDARETTY

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Denis ARDISSON, Président de chambre et par Damien GOVINDARETTY, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
L’association Centre national de prévention et de protection (ci-après ‘le CNPP’), appartenant au groupe éponyme, poursuit une activité dans les domaines de la prévention et de la maîtrise des risques au travers de son organisme de formation professionnelle continue et de ses laboratoires, et début 2017, elle a lancé un appel d’offres pour le développement d’une nouvelle application logicielle professionnelle, et à l’insu duquel le CNPP a sélectionné la société XCG puis signé, le 16 mai 2017, un ‘contrat de service’ pour le prix global de 370.300 euros HT devant être acquitté selon l’échéancier suivant : 25% au jour de la signature du contrat, 20% à la date effective de livraison des spécifications, 25% à la date de livraison effective des applications pour recettage, 20% à la date effective de mise en production suite à la recette et 10%, 10 jours après la signature du procès-verbal de vérification d’aptitude au bon fonctionnement.

Alors que la mise en production des applications était prévue au 28 février 2018, le déploiement de la solution a connu des retards et un nouveau calendrier a été négocié entre les parties selon un avenant du 8 octobre 2018 fixant au 1er janvier 2019, la date de production générale des modules de l’application pour toutes les entités du CNPP, sans modification du calendrier de paiement, l’aptitude au bon fonctionnement de l’application étant fixée au 1er février 2019.

En application de l’échelonnement des paiements stipulé au contrat de développement, la société XCG a adressé le 28 février 2019 au CNPP une première facture d’un montant de 88.872 euros TTC correspondant à la quatrième échéance.

Le 23 mai 2019, le CNPP a convenu avec la société XCG un’contrat de maintenance’ corrective et évolutive de l’application, avec effet au 23 janvier 2019.

Puis le 31 mai 2019, la société XCG a adressé au CNPP deux autres factures, l’une de 36.000 euros TTC au titre du ‘contrat de maintenance corrective’ du 23 janvier 2019 au 22 janvier 2020 et l’autre de 61.891,20 euros TTC au titre du ‘contrat support, assistance et maintenanceévolutive’ de janvier 2019 à mai 2019.

Le CNPP s’est acquitté de la facture relative au contrat de maintenance corrective pour 36.000 euros TTC mais s’est opposé au paiement des deux autres factures en estimant que le contrat l’application n’était pas opérationnelle et qu’aucun paiement au titre du support ou maintenance évolutive ne pouvait dès lors être facturé.

La société XCG a vainement mis en demeure le CNPP le 27 juillet 2019 d’acquitter une facture n°038022019 de 88.872 euros TTC et le 7 août 2019 la facture n°067052019 avant que le CNPP ne dénonce la résiliation le 21 septembre 2019 des contrats de maintenance corrective, de support, d’assistance et de maintenance évolutive.

Par acte du 3 mars 2020, la société XCG a assigné le CNPP devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de la facture émise le 31 mai 2019 pour 88.872 au titre du contrat de service, et de 72.205,20 euros relative aux factures émises depuis le 30 août 2019 au titre des contrats de maintenance corrective, de support, d’assistance et de maintenance évolutive. Le CNPP a pour sa part contesté devoir ces factures et invoqué le bénéfice de la résolution des contrats au titre de laquelle il a réclamé, reconventionnellement, la condamnation de la société XCG à lui payer la restitution de la somme de 370.300 euros à titre de pénalités de retard ainsi que la somme de 450.896,67 euros de dommages et intérêts.

Par jugement du 19 mai 2021, la juridiction commerciale a condamné le CNPP à payer à la société XCG les sommes de :

58.800 euros TTC au titre du contrat de maintenance augmentés des intérêts au taux légal à compter du 7 août 2019, date de la mise en demeure de payer,

88.872 euros au titre du contrat de service augmenté des intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2019, date de la mise en demeure de payer,

– débouté la société XCG de sa demande de condamnation du CNPP la somme de 72.205,20 euros TTC relative aux factures émises depuis le 30 août 2019,

– débouté le CNPP de l’ensemble de ses demandes,

– ordonné la société XCG de remettre au CNPP, tous les éléments (lignes de code spécifiques, documentation) relatifs au logiciel qu’elle a développé,

– condamné le CNPP à payer à la société XCG la somme de 2.500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile,

– condamné le CNPP aux dépens ;

Le Centre national de prévention et de protection a interjeté appel du jugement le 9 septembre 2021.

* *

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 14 décembre 2023 pour l’association Centre national de prévention et de protection afin d’entendre, en application des articles 1103, 1217, 1231-1 et 1353 du code civil :

– déclarer l’appel recevable,

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté la société XCG de certaines de ses demandes de paiement,

– confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné à la société XCG de remettre au CNPP tous les éléments (lignes de code spécifique, documentation) relatifs au logiciel qu’elle a développé,

– infirmer le jugement pour le surplus,

– débouter la société XCG de l’ensemble de ses demandes,

– condamner la société XCG à régler au CNPP la somme de 370.300 euros à titre de pénalités de retard,

– condamner la société XCG à régler au CNPP la somme de 450.896,67 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

– débouter la société XCG de ses demandes additionnelles en appel,

– condamner la société XCG à régler la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société XCG à régler les entiers dépens ;

* *

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 22 décembre 2023 pour la société XCG afin d’entendre, en application des articles 1103, 1104 et 1193 du code civil, 56, 853 et 861-2 du code de procédure civile :

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné le CNPP à payer à la société XCG la somme de 88.872 euros relative au contrat de service augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2019, date de la mise en demeure de payer, débouté le CNPP de sa demande de pénalités de retard, débouté le CNPP de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice économique et organisationnel,

– infirmer le jugement pour le surplus,

– condamner le CNPP à payer les sommes de :

61.891,20 euros relative au contrat de maintenance augmentée des intérêts au taux légal à compter du 7 août 2019, date de la mise en demeure de payer,

44.436 euros TTC correspondant au talon 5 du contrat de prestation de services,

28.677,60 euros relative aux factures d°assistance émises depuis le 30 juin 2019 et restant impayées,

2.304 euros TTC correspondant au renouvellement de la maintenance des licences MyReport,

18.720 euros TTC correspondant à l’extension du contrat de services pour l’extranet,

2.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

– débouter le CNPP de sa demande de transmission du code source,

– condamner le CNPP à payerla somme de 10.000 euros en application de l°article 700 du code de procédure civile,

– condamner le CNPP aux dépens.

* *

Par message transmis le 17 avril 2024, la cour a demandé aux parties leurs observations sur la ‘nécessité d’ordonner une expertise sur l’exécution du contrat de service ainsi que sur l’état des développements des fonctionnalités disponibles au mois d’août 2019’.

Vu les observations transmises le 22 avril 2024 pour le CNPP ;

Vu les observations transmises le 3 mai 2024 pour le CNPP et pour la société XCG.
SUR CE, LA COUR,

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie à leurs conclusions et au jugement suivant la prescription de l’article 455 du code de procédure civile.

Pour voir infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné à payer la somme de 88.872 euros TTC corresponsant à la fourniture du jalon 4 du contrat de service, mais l’entendre confirmer en ce qu’il a rejeté le solde du prix de 44.436 euros, et infirmer encore le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de résolution judiciaire du contrat de service, le CNPP relève en premier lieu qu’aucun procès-verbal de recette ou un procès-verbal de vérification d’aptitude au bon fonctionnement des modules n’est intervenu entre les parties dans les conditions prescrites à l’article 4 du contrat.

En second lieu, le CNPP conclut que la société XCG n’apporte pas la preuve, dont elle supporte la charge, que l’application était apte au bon fonctionnement, en particulier que chaque module livré était conforme aux spécifications convenues, que l’application n’était affectée d’aucune anomalie et atteignait les performances attendues, le CNPP se prévalant des anomalies et des dysfonctionnements qu’il a, d’une part, dénoncés dans les réserves des procès-verbaux de recettes qu’il a transmis dans trois courriels des 2 et 5 juillet 2019 relatifs au ‘fichier avec les résultats de la recette marketing’ retenant un score de résultats positif 63,7%, ‘résultats de la recette commerciale’ retenant un score de 59,35% et relatifs aux ‘résultats de la recette formation’ retenant un score de 86,21%. Le CNPP se prévaut d’autre part, d’un procès-verbal d’huissier qu’il a fait établir le 3 octobre 2019.

Au demeurant et connaissance prise de ces documents, la cour n’est pas en mesure de déterminer l’ampleur des développements de l’application par rapport aux spécifications telles qu’elles ont été convenues au contrat, de sorte qu’avant dire droit sur le bien fondé des prétentions de chacune des parties, il convient d’ordonner une expertise dans les termes et suivant les modalités définis au dispositif de l’arrêt ci-dessous.
PAR CES MOTIFS :

Avant dire droit,

DÉSIGNE en qualité d’expert M. [M] [F], [Adresse 4] – Tél : [XXXXXXXX01] Fax : [XXXXXXXX02] Port. : [XXXXXXXX03] Email : [Courriel 8], lequel pourra prendre l’initiative de recueillir l’avis d’un autre technicien au besoin, seulement dans une spécialité distincte de la sienne, avec mission de :

– déterminer l’état de développement de l’applications et du niveau d’aptitude des fonctionnalités développées par la société XCG au mois d’août 2019 par comparaison avec le contrat de service et les demandes de modification,

– caractériser les éventuels manquements de la société XCG aux prescriptions contractuelles, aux règles de l’art et aux délais de délivrance de l’application,

– donner son avis sur l’état fonctionnel des prestations livrées au jour de la rupture du contrat au mois d’août 2019,

– donner son avis sur les échanges de courriels ainsi que sur les comptes-rendus des comités de pilotage,

– fournir tout élément technique et de fait, de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie, de déterminer les responsabilités encourues, et les préjudices invoqués par les parties,

– effectuer les observations utiles à sa mission ;

DIT que pour procéder à sa mission l’expert devra :

– convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l’occasion de l’exécution des opérations ou de la tenue des réunions d’expertise,

– se faire remettre toutes pièces utiles à l’accomplissement de sa mission, notamment, s’il le juge utile, les pièces définissant le marché, les plans d’exécution, le dossier des ouvrages exécutés,

– se rendre sur les lieux et si nécessaire en faire la description,

– à l’issue de la première réunion d’expertise, ou dès que cela lui semble possible, et en concertation avec les parties, définir un calendrier prévisionnel de ses opérations, l’actualiser ensuite dans le meilleur délai – en faisant définir une enveloppe financière pour les investigations à réaliser, de manière à permettre aux parties de préparer le budget nécessaire à la poursuite de ses opérations, – en les informant de l’évolution de l’estimation du montant prévisible de ses frais et honoraires et en les avisant de la saisine du juge du contrôle des demandes de consignation complémentaire qui s’en déduisent, sur le fondement de l’article 280 du code de procédure civile, et dont l’affectation aux parties relève du pouvoir discrétionnaire du juge suivant l’article 269 du même code, – en fixant aux parties un délai impératif pour procéder aux interventions forcées, – en les informant, le moment venu, de la date à laquelle il prévoit de leur adresser son document de synthèse,

– au terme de ses opérations, adresser aux parties un document de synthèse, sauf exception dont il s’expliquera dans son rapport (par ex : réunion de synthèse, communication d’un projet de rapport), et y arrêter le calendrier impératif de la phase conclusive de ses opérations, compte tenu des délais octroyés devant rester raisonnable, – en fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse, – en rappelant aux parties, au visa de l’article 276, alinéa 2, du code de procédure civile, qu’il n’est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au delà de ce délai ;

DIT que l’expert devra communiquer un pré rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif ;

FIXE à la somme de 8.000 euros la provision concernant les frais d’expertise qui devra être consignée par l’association Centre national de prévention et de protection à la régie de la cour d’appel de Paris le 7 juin 2024 au plus tard ;

DIT que faute de consignation de la provision dans ce délai impératif, ou de demande de prorogation sollicitée en temps utile, la désignation de l’expert sera caduque et de nul effet ;

DIT que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 248, 263 à 284-1 du code de procédure civile et qu’il déposera l’original de son rapport au greffe du tribunal judiciaire de Paris dans les six mois suivant la date à laquelle il aura été informé de la consignation, sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile de manière motivée auprès du juge chargé du contrôle des expertises ;

DIT que l’exécution de la mesure d’instruction sera suivie par M. Denis Ardisson, président de la chambre 11 du pôle 5 de la cour d’appel de Paris ;

RENVOIE la cause et les parties devant le magistrat chargé de la mise en état ;

RÉSERVE les dépens et les frais irrépétibles ;

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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