Constat d’huissier sur Facebook avec les codes d’un tiers

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Constat d’huissier sur Facebook avec les codes d’un tiers
L’Essentiel : Dans l’affaire Manauto, la Cour a statué sur la légalité d’un constat d’huissier réalisé sur un groupe Facebook. Elle a affirmé que la communication des codes d’accès par un membre du groupe à l’huissier était légale et non déloyale, car effectuée de manière spontanée. Le franchiseur, Ewigo, a ainsi pu établir des preuves concernant des critiques émises par un franchisé, M. [U]. La Cour a jugé que le constat du 17 juin 2019 était recevable, soulignant que l’obtention de preuves, même si elle peut sembler contestable, doit être appréciée dans le contexte de l’équité de la procédure.

Si, en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, une personne ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve, la communication spontanée des codes d’accès à un groupe Facebook (par l’un de ses membres) à un huissier, pour procéder à un constat, est légal et non déloyal.

Affaire Manauto

Le 15 mai 2017, Monsieur [X] [U], agissant pour le compte de la société en formation Manauto, a conclu un contrat de franchise avec la société Ewigo pour une durée de 6 ans.

Début 2019, M. [U], qui était insatisfait des résultats de son exploitation franchisée, a rejoint un groupe privé sur Facebook dénommé Ogiwe qui réunissait une vingtaine de franchisés du réseau et des anciens franchisés du réseau Ewigo et était présenté comme un groupe de discussion et d’entraide.

Dénonciation de propos tenus sur un groupe

Un des membres du groupe, également franchisé Ewigo, M. [V], a informé quelque temps après la société Ewigo que M. [U] utilisait ce groupe aux fins d’émettre des critiques du réseau.

A la même période, M. [U] a envoyé un mail à l’ensemble des franchisés visant à “partager les bruits qui courent”, et, tout en les invitant à ne pas “répandre ces rumeurs”, a communiqué son mail personnel à destination de “ceux qui veulent s’unir”.

Le 20 juin 2019, la société Ewigo a notifié par courrier recommandé à la société Manauto la résiliation de plein droit du contrat à aux torts exclusifs de celle-ci, avec effet immédiat, en invoquant une faute grave. Elle l’a par ailleurs informé de la coupure immédiate de ses accès informatiques. La société Manauto a mis en demeure la société Ewigo de lui restituer ses fichiers clients et de rétablir les boites mails, en vain.

Le 4 juillet 2019, la société Manauto a pris acte de la résiliation et dénoncé son caractère unilatéral et brutal.

Par acte du 27 décembre 2019, la société Manauto et ses associés M. [U] et Mme [Z], ont saisi le tribunal de commerce de Paris en lui demandant de condamner la société Ewigo à réparer le préjudice issu de la rupture brutale des relations commerciales.

Principe de loyauté dans l’administration de la preuve

La Cour retient que si, en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, un franchiseur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve, il peut être observé qu’en l’espèce, Ewigo a eu communication spontanée des codes d’accès au groupe Facebook professionnel litigieux, regroupant 24 franchisés, par un franchisé membre, lequel exprimait le souhait qu’un constat d’huissier soit réalisé.

Le franchiseur n’a donc, pour exercer son droit à la preuve, usé d’aucun stratagème pour recueillir les codes d’accès au groupe Facebook litigieux. Il les a en outre utilisés avec l’accord du titulaire, dans le but partagé de faire réaliser un constat d’huissier.

Il s’en suit que ce procédé d’obtention de preuve n’est pas déloyal.

C’est à tort que le tribunal a déclaré le constat d’huissier du 17 juin 2019 irrecevable, au motif que celui-ci ne résultait pas d’une mesure d’instruction judiciaire in futurum telle que l’ordonnance sur requête.

A titre surabondant, la Cour observe que dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.

Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En l’espèce il s’agissait pour le franchiseur, alerté de façon alarmiste par un franchisé, de faire constater les propos appréhendés comme dénigrants tenus par un autre membre du réseau au sein d’un groupe Facebook professionnel.

Le recours à un huissier aux fins de constat constituait donc un moyen indispensable, d’une part, à l’exercice du droit à la preuve du franchiseur pour établir les fautes commises et, proportionné au but poursuivi, d’autre part, à savoir la défense par Ewigo de sa réputation et de celle de son réseau.

En second lieu, la Cour observe que l’indication du numéro de Kbis de la société requérante n’est pas une condition d’opposabilité d’un constat d’huissier.

Il se déduit de l’ensemble que le constat du 17 juin 2019 est recevable et opposable.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le contexte de l’affaire Manauto ?

L’affaire Manauto débute le 15 mai 2017, lorsque Monsieur [X] [U], représentant la société en formation Manauto, signe un contrat de franchise avec la société Ewigo pour une durée de six ans. En début 2019, M. [U] exprime son mécontentement concernant les résultats de son exploitation franchisée. Il rejoint alors un groupe privé sur Facebook, nommé Ogiwe, qui regroupe une vingtaine de franchisés et anciens franchisés du réseau Ewigo. Ce groupe est présenté comme un espace de discussion et d’entraide.

Quelles actions ont été entreprises par M. [U] dans le groupe Facebook ?

M. [U] utilise le groupe Facebook Ogiwe pour critiquer le réseau Ewigo. Un autre membre du groupe, M. [V], franchisé Ewigo, informe la société de ces critiques. Parallèlement, M. [U] envoie un courriel à tous les franchisés, partageant des rumeurs tout en les incitant à ne pas les répandre. Il communique également son adresse e-mail personnelle à ceux qui souhaitent s’unir contre la société Ewigo.

Quelles conséquences ont suivi les actions de M. [U] ?

Le 20 juin 2019, la société Ewigo notifie à Manauto la résiliation immédiate du contrat, invoquant une faute grave. Elle coupe également les accès informatiques de Manauto. En réponse, Manauto met en demeure Ewigo de restituer ses fichiers clients et de rétablir les boîtes mails, mais sans succès. Le 4 juillet 2019, Manauto conteste la résiliation, la qualifiant d’unilatérale et brutale.

Quel recours a été entrepris par Manauto ?

Le 27 décembre 2019, Manauto, avec ses associés M. [U] et Mme [Z], saisit le tribunal de commerce de Paris. Ils demandent la condamnation de la société Ewigo pour réparer le préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales. Cette action vise à obtenir une réparation pour les dommages subis suite à la résiliation du contrat de franchise.

Comment la Cour a-t-elle interprété le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ?

La Cour a affirmé que, selon le principe de loyauté, un franchiseur ne peut pas utiliser de stratagème pour obtenir des preuves. Cependant, dans ce cas, Ewigo a reçu les codes d’accès au groupe Facebook de manière spontanée par un franchisé membre, qui souhaitait qu’un constat d’huissier soit réalisé. Ainsi, la Cour a jugé que la méthode d’obtention de la preuve n’était pas déloyale, car elle avait été réalisée avec l’accord du titulaire et dans un but légitime.

Quelles conclusions la Cour a-t-elle tirées concernant le constat d’huissier ?

La Cour a estimé que le constat d’huissier du 17 juin 2019 était recevable et opposable. Elle a critiqué la décision du tribunal qui avait déclaré ce constat irrecevable, arguant que l’illicéité dans l’obtention d’une preuve ne conduit pas nécessairement à son exclusion. Elle a également souligné que le juge doit évaluer si la preuve porte atteinte à l’équité de la procédure, en équilibrant le droit à la preuve et d’autres droits en présence. Dans ce cas, le constat était essentiel pour défendre la réputation d’Ewigo.

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