Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Chambéry
Thématique : Baux publicitaires et modifications des RLP
→ RésuméAvant de céder un fonds de commerce d’affichage publicitaire, il est déterminant de vérifier l’absence de modifications des règlements locaux de publicité (RLP). Ces changements peuvent affecter la valeur du fonds, notamment en interdisant certains panneaux. Dans l’affaire 300 DPI Affichage, la SAS Compy a découvert qu’un nouveau RLP allait restreindre l’implantation de panneaux, compromettant la rentabilité de son acquisition. Malgré ses réclamations, la SAS FG Publicité a refusé de renégocier le prix. La juridiction a finalement retenu une erreur sur les qualités essentielles du fonds, soulignant la négligence du cédant dans son devoir d’information précontractuelle.
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Avant la cession d’un fonds de commerce d’exploitation d’un réseau d’affichage publicitaire, attention à bien vérifier l’absence de modification en cours des règlements locaux de publicité (RLP). En effet, ces derniers en prévoyant une interdiction de panneaux publicitaires peuvent drastiquement réduire la valeur du fonds de commerce. Par ailleurs, il convient de toujours mentionner dans l’acte de cession, la clause selon laquelle il n’existe aucune mesure administrative judiciaire ou autre pouvant aboutir à la résiliation desdits baux et que rien dans la situation juridique du fonds de commerce cédé ne s’oppose à la libre disposition des biens objets de la cession et à la jouissance de ces derniers par le cessionnaire.
Affaire 300 DPI Affichage
La société 300 DPI Affichage
qui possède un réseau de sociétés exploitant des supports d’affichage de
panneaux publicitaires sur une grande partie du territoire français, a cédé son
fonds de commerce exploité sur les départements de Pyrénées Atlantiques et
Hautes Pyrénées à la SAS Compy, société que venait de constituer pour cet objet
par une ancienne salariée de la société. L’activité de la société consiste à obtenir
des baux de propriétaires afin d’installer des panneaux d’emplacements pour
publicités, de renouveler ces baux et de vendre aux clients ces emplacements
publicitaires. Suite à la vente de son fonds pour un prix de 260 000 euros, la
société 300DPI a fusionné par absorption dans la SAS FG Publicité.
Modification du règlement local de publicité
La SAS Compy a adressé un
courrier à la SAS FG Publicité aux termes duquel elle s’est plainte de ce qu’un
nouveau règlement local de publicité de l’intercommunalité autour de Tarbes
deviendrait applicable dès juillet 2019 et obligerait la société 300 DPI
Affichage à démonter près de la moitié des panneaux qu’elle mettait à la
disposition de ses clients, réduisant d’autant la profitabilité du fonds de
commerce dernièrement acquis. Faisant valoir que la préparation de ces
nouvelles dispositions datait était antérieure à la cession du fonds, elle a
pris attache avec la SAS FG Publicité pour savoir ce qu’elle lui proposait pour
répondre à cette difficulté. Après échange infructueux de courriers, la SAS FG
Publicité a opposé une fin de non-recevoir définitive à la demande de
discussion sur une réduction du prix de cession.
Dol et rétention d’informations déterminantes
La SAS Compy a saisi les
tribunaux afin de solliciter l’annulation du contrat pour dol et à défaut sa
résolution pour vice rédhibitoire. Selon l’article 1130 du code civil,
l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de
telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait
contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère
déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans
lesquelles le consentement a été donné.
La juridiction n’a pas
retenu le dol. Aux termes de l’article 1137 du code civil, le dol est le fait
pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manoeuvres ou
des mensonges. Il est précisé en outre que constitue également un dol la
dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont
il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. Il incombe à celui qui
s’en prévaut d’en établir l’existence. L’article 1112-1 du code civil dispose
quant à lui : « Celle des parties qui connait une information dont l’importance
est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors
que légitimement cette dernière ignore cette information ou fait confiance à
son cocontractant. »
Lors de l’acquisition du
fonds ce dernier était composé de contrats de baux avec panneaux publicitaires
déjà installés, parc générant des loyers versés par les clients louant des
espaces publicitaires. A la date de la cession du fonds de commerce, l’intercommunalité
du Grand Tarbes avait engagé une révision du règlement intercommunal du Grand
Tarbes qui fut approuvée par le conseil communautaire, la mise en conformité
des panneaux publicitaires devant intervenir dans les deux ans. Cette mise en
conformité entraînait pour la société la
nécessité de procéder au démontage de l’ensemble des panneaux exploités sur la
ville de Tarbes et son agglomération qui ne sont pas conformes avec ce nouveau
RLPI. Or, le cessionnaire ne rapportait pas la preuve, qui lui incombait, de ce
que la société FG Publicité avait connaissance de la modification de la
réglementation en cours et l’a sciemment cachée à son cocontractant.
Exclusion du vice caché
Le vice caché n’a pas non
plus été retenu. Lorsque l’erreur sur la substance est la conséquence d’un vice
caché c’est à dire d’un défaut de la chose ignoré de l’acheteur au moment de la
vente et qui rend cette chose impropre à l’usage auquel elle est destinée,
l’acquéreur n’est recevable à exercer que l’action en garantie des vices
cachés. Or l’action en garantie des vices cachés suppose que soient prouvés
l’existence d’un vice inhérent à la chose vendue, le caractère caché de ce
dernier et son existence antérieure à la vente.
En l’espèce, la demande
repose sur l’absence d’information préalable à la vente de l’existence d’une
nouvelle réglementation en cours d’élaboration dont l’objet était de
restreindre les conditions d’implantation des panneaux publicitaires sur
l’agglomération du Grand Tarbes.
L’information litigieuse
n’est pas inhérente à la chose et compte tenu de son caractère externe, il ne
peut être considéré qu’elle constitue un vice caché, de sorte qu’il convient de
se situer uniquement sur le terrain de l’erreur.
Erreur du cessionnaire
En revanche, l’erreur du
cessionnaire a été retenue. Selon l’article 1178, alinéa 4 du code civil, texte
commun à tous les cas de nullité, « Indépendamment de l’annulation du contrat,
la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du
droit commun de la responsabilité extracontractuelle». Ainsi le
contractant dont le consentement a été vicié peut se contenter de faire une
demande de dommages et intérêts, sans demander la nullité, s’il a intérêt au
maintien de la vente. En cas d’erreur spontanée, seule peut éventuellement être
retenue à l’encontre du cocontractant de la victime une faute non
intentionnelle consistant spécialement en un manquement à son devoir
d’information précontractuelle.
Il convient donc dans un
premier temps de vérifier s’il existe, en l’espèce, une erreur sur les qualités
essentielles de la chose, avant de vérifier l’existence d’une éventuelle faute
non intentionnelle commise par le cédant. Selon l’article 1132 du code civil, « l’erreur
de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de
nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la
prestation due ou sur celles du cocontractant. » L’article 1133 du même code
énonce que « les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été
expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties
ont contracté ». Dès lors que les parties ont formellement inclus telle ou
telle qualité dans l’objet de leur accord, les deux conditions posées par le
texte sont satisfaites et il importe peu que la qualité en cause puisse être
considérée comme essentielle in abstracto ou qu’elle corresponde à une attente
inhabituelle et propre à l’un des contractants.
En l’espèce le contrat de
cession de fonds de commerce a porté, s’agissant des éléments incorporels, sur
le droit, pour le temps restant à courir
à compter de l’entrée en jouissance, de tous les contrats d’emplacement privés
et affectés à l’exploitation du fonds de commerce cédé ainsi que les contrats
commerciaux attachés audits emplacements; sur le droit aux contrats en
cours attachés à ces emplacements. S’agissant des éléments corporels: le matériel
servant à l’exploitation du fonds de commerce et composés des panneaux
publicitaires affectés à l’activité d’affichage permettant l’exploitation de
133 faces publicitaires d’affichage et auxquelles sont attachées des contrats
commerciaux et autres éléments corporels y attachés sur les secteurs susvisés.
Au paragraphe « Déclarations
spécifiques du cédant relatives aux contrats de louages d’emplacement » le
cédant a notamment déclaré qu’il n’existait aucune mesure administrative
judiciaire ou autre portant sur l’un des contrats de louage d’emplacement dont s’agit.
Il a par ailleurs été déclaré par le cédant, s’agissant de l’exploitation du
fonds de commerce cédé, que rien ne s’opposait dans sa situation juridique à la
libre disposition des biens objets de la présente cession et à la jouissance
paisible de ces derniers par le cessionnaire.
Vainement, le cédant a fait valoir
que l’évolution de la réglementation fait partie intégrante de l’activité
d’affichage en milieu urbain et que le cessionnaire avait, en sa qualité de
professionnelle exerçant dans ce secteur depuis plusieurs années parfaitement
conscience de l’aléa que représentait cette évolution.
Au moment de la cession du
fonds, le nouveau règlement local était en voie d’être arrêté avec toutes les
modifications en résultant quant à l’implantation des panneaux publicitaires et
cette modification ne présentait aucun caractère aléatoire, mais bien un
caractère certain. Le principe d’une réglementation plus restrictive que celle
existante quant à l’affichage publicitaire sur l’agglomération de Tarbes était
ainsi acquis avant la cession du fonds.
Les stipulations
contractuelles affirmant qu’il n’existait aucune mesure administrative ou autre
portant sur l’un des contrats d’emplacement sont donc manifestement erronées et
parce que ces clauses rentrent dans le champ contractuel, il ne saurait être
reproché au cessionnaire de ne pas s’être renseignée de son côté. Il y a donc bien
eu erreur sur les qualités essentielles des éléments composant le fonds de
commerce.
Faute par négligence du cédant
Le cédant, professionnel de l’affichage publicitaire, qui indique exercer son activité sur 77 agglomérations et avoir été confrontée, en 2016, à trois RLP en cours d’élaboration, a commis une faute en ne vérifiant pas l’existence d’un éventuel remaniement en cours de la réglementation alors que dans le même temps, il a affirmé qu’il n’existait aucune mesure administrative ou autre portant sur les contrats d’emplacement. Le cédant a ainsi manqué à son devoir d’information précontractuelle, faute ouvrant droit à indemnisation au profit du cessionnaire. Télécharger la décision
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