L’Essentiel : L’Autorité de la concurrence a mis en demeure Google de clarifier les règles de sa régie publicitaire Google Ads, suite à des pratiques jugées discriminatoires envers Amadeus, fournisseur de renseignements téléphoniques. Depuis janvier 2018, plusieurs comptes d’Amadeus ont été suspendus sans avertissement, entravant sa capacité à promouvoir ses services. L’Autorité estime que ces actions pourraient constituer une rupture brutale des relations commerciales et un abus de position dominante. En réponse, elle a ordonné des mesures d’urgence pour garantir une application objective et transparente des règles, afin de protéger la concurrence et les intérêts d’Amadeus.
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Vent mauvais pour Google, après une sanction CNIL majeure, la société a été mise en demeure par l’Autorité de la concurrence de « clarifier rapidement » les Règles de sa régie publicitaire Google Ads applicables aux services payants de renseignements par voie électronique afin de les rendre plus précises, intelligibles et de garantir leur application dans des conditions non-discriminatoires. Saisine d’AmadeusLa société Amadeus, qui propose le service de renseignements téléphoniques 118 001, a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par Google. Elle lui reproche d’avoir suspendu, à compter de janvier 2018, plusieurs de ses comptes Google Ads et d’avoir ensuite refusé la plupart des annonces, qu’elle souhaitait diffuser pour promouvoir ses services. Elle a, accessoirement à sa saisine au fond, demandé le prononcé de mesures d’urgence. Si Google est libre de définir sa politique des contenus admis sur Google Ads, notamment pour protéger les consommateurs, il est important – compte tenu de sa position incontournable sur le marché (90 % des recherches effectuées en France) – que la mise en œuvre de ces Règles se fasse dans des conditions objectives et transparentes et qu’elle ne conduise pas à des discriminations au détriment de certains acteurs. La silhouette de la rupture brutale de relations commercialesEn l’état de l’instruction du dossier, l’Autorité estime que les pratiques de Google vis-à-vis d’Amadeus sont susceptibles de caractériser une rupture brutale des relations commerciales dans des conditions qui ne sont ni objectives, ni transparentes. Elle estime, en outre, que ces pratiques sont susceptibles d’être regardées comme constituant un abus de position dominante, en tant qu’elles seraient discriminatoires. En effet, en l’état de l’instruction, la suspension des comptes d’Amadeus est intervenue sans avertissement, ni mention claire des manquements reprochés, alors même qu’au cas d’espèce, les services commerciaux de Google avaient été très étroitement associés à l’élaboration des campagnes publicitaires d’Amadeus dans le cadre d’un partenariat spécial. Par ailleurs, des concurrents d’Amadeus semblent avoir été effectivement en mesure de diffuser des annonces identiques à celles dont la diffusion lui était refusée. Compte tenu des effets très significatifs de ces pratiques sur l’activité d’Amadeus, l’Autorité de la concurrence a, dans l’attente de sa décision au fond, prononcé des mesures d’urgence afin d’obtenir notamment de Google : i) qu’elle clarifie les Règles de Google Ads qu’elle entend appliquer aux services payants de renseignements par voie électronique ; ii) et qu’elle réexamine la situation d’Amadeus au regard de ces nouvelles Règles en vue de lui redonner accès, le cas échéant, au service Google Ads si ces annonces y sont conformes. En l’espèce, Google est à l’origine de la quasi-totalité du trafic des sites édités par Amadeus et il génère ainsi l’essentiel des appels reçus par le 118 001. Par ailleurs, le niveau de notoriété de ce numéro ne lui permet pas de maintenir son activité en dehors du référencement payant proposé par Google, les résultats issus du référencement naturel étant quasi nuls. À ce stade, les éléments du dossier tendent à montrer que la suspension des comptes d’Amadeus est intervenue sans avertissement, ni mention claire des manquements reprochés. De plus, ces suspensions de comptes sont intervenues alors que les services commerciaux de Google avaient pourtant été impliqués dans l’élaboration des campagnes publicitaires. Enfin, le même type d’annonces restait autorisé pour d’autres annonceurs, qui ont pu continuer à diffuser des annonces similaires à celles reprochées à Amadeus. Au vu de ces éléments, l’Autorité considère que les pratiques de Google sont susceptibles de caractériser une rupture brutale des relations commerciales dans des conditions non objectives, non transparentes et discriminatoires. Les mesures d’urgence prononcéesLes pratiques de Google ont placé Amadeus dans une situation critique. Elle a subi une perte massive et très brutale de son chiffre d’affaires (-90 % entre 2017 et 2018) et elle présente des résultats négatifs depuis le début des pratiques, au point qu’elle risque d’être conduite à sortir prochainement du marché. Compte tenu du caractère potentiellement anticoncurrentiel des pratiques et du préjudice grave et immédiat qu’elles portent aux intérêts d’Amadeus, l’Autorité a estimé nécessaire d’obtenir, dans l’attente de la décision au fond, des garanties relatives à l’application objective, transparente et non discriminatoire des Règles Google Ads. En conséquence, l’Autorité enjoint à Google de : i) clarifier les Règles Google Ads applicables aux services payants de renseignements par voie électronique afin de les rendre plus précises et intelligibles ; ii) revoir la procédure de suspension de compte des annonceurs actifs dans le secteur des services de renseignements par voie électronique, en prévoyant un avertissement formel et un préavis suffisant pour permettre aux annonceurs, sauf situation grave, de justifier le manquement reproché, d’y remédier, ou de demander des explications ; iii) réaliser une revue individuelle de la conformité des campagnes proposées par les comptes non suspendus d’Amadeus aux règles clarifiées et, si cette revue révèle que ces annonces sont effectivement conformes, autoriser Amadeus à diffuser ses annonces publicitaires dans des conditions non-discriminatoires ; iv) organiser une formation de son personnel commercial au contenu des Règles Google Ads clarifiées afin que celui-ci puisse alerter les annonceurs sur les cas de non-conformité. Qu’est-ce qu’une mesure conservatoire ?Il s’agit d’une décision provisoire, dans l’attente de la décision au fond, que l’Autorité peut prononcer en urgence lorsqu’elle estime que les pratiques dénoncées, d’une part, sont susceptibles de méconnaître le droit de la concurrence et, d’autre part, portent une atteinte grave et immédiate à la concurrence ou à un acteur d’un secteur. Jusqu’ici, l’Autorité de la concurrence devait nécessairement être saisie d’une telle demande par les parties. Dorénavant, la directive ECN +, qui vient d’être publiée au JOUE, permettra à l’Autorité, lorsque le texte sera transposé, d’imposer des mesures provisoires d’urgence d’office, y compris en l’absence de saisine par une entreprise. Quelle est la portée de la mesure conservatoire et celle-ci signifie-t-elle qu’il y a eu infraction ?La décision ordonnant une mesure conservatoire ne vaut pas constat d’infraction au droit de la concurrence : seule l’instruction au fond permettra d’établir les faits et de se prononcer sur les infractions alléguées par la saisine. Pour autant, la mesure conservatoire s’impose à l’entreprise qui en fait l’objet jusqu’à la décision au fond. Quel est le rôle des mesures conservatoires dans la palette des pouvoirs de l’Autorité de la concurrence ?Depuis sa création en 2009, l’Autorité de la concurrence a statué dans 44 décisions sur des demandes de mesures conservatoires et dans 8 cas, elle a fait droit à celles-ci. La France se distingue, au sein du réseau européen des autorités de concurrence, par l’existence de cette procédure dont elle n’hésite pas2 à faire usage lorsqu’elle estime que les conditions sont réunies. En ordonnant une mesure conservatoire, l’Autorité peut éviter, pendant le temps que dure l’instruction, qu’une pratique susceptible d’être anticoncurrentielle ne nuise gravement à la concurrence ou à l’entreprise qui en est victime. Son effet est ainsi proche de celui d’une procédure de référé prononcée par le juge dans l’attente de la décision au fond. Des exemples de mesures conservatoires prononcéesPour mémoire, en 2010, l’Autorité est déjà intervenue dans le secteur de la publicité en ligne en ordonnant à Google de mettre en œuvre de manière objective, transparente et non-discriminatoire la politique de contenus de son service AdWords en matière de radars routiers (décision Navx 10-MC-01). Depuis 2009, l’Autorité de la concurrence a prononcé 8 décisions de mesures conservatoires, dans des secteurs divers tels l’énergie ou l’audiovisuel. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les accusations portées par Amadeus contre Google ?Amadeus a saisi l’Autorité de la concurrence en raison de pratiques qu’elle considère comme discriminatoires de la part de Google. Elle reproche à Google d’avoir suspendu plusieurs de ses comptes Google Ads à partir de janvier 2018, ce qui a eu pour conséquence le refus de la plupart des annonces qu’elle souhaitait diffuser pour promouvoir ses services de renseignements téléphoniques. Cette suspension a été effectuée sans avertissement préalable ni explication claire des manquements reprochés. Amadeus a également demandé des mesures d’urgence pour protéger ses intérêts commerciaux, soulignant l’importance d’une application objective et transparente des règles de Google Ads, compte tenu de la position dominante de Google sur le marché. En effet, Google détient environ 90 % des recherches effectuées en France, ce qui rend ses décisions particulièrement impactantes pour les entreprises qui dépendent de sa plateforme pour leur visibilité. Quelles sont les implications de la rupture brutale des relations commerciales ?L’Autorité de la concurrence a estimé que les pratiques de Google à l’égard d’Amadeus pourraient constituer une rupture brutale des relations commerciales. Cela signifie que Google a mis fin à sa collaboration avec Amadeus dans des conditions qui ne sont ni objectives ni transparentes, ce qui pourrait être considéré comme un abus de position dominante. La suspension des comptes d’Amadeus a eu lieu sans avertissement, et les services commerciaux de Google avaient pourtant été impliqués dans l’élaboration des campagnes publicitaires d’Amadeus. De plus, des concurrents d’Amadeus ont pu continuer à diffuser des annonces similaires, ce qui soulève des questions sur la non-discrimination dans l’application des règles de Google Ads. Cette situation a des conséquences significatives sur l’activité d’Amadeus, qui dépend fortement de Google pour générer du trafic vers ses services. La perte de visibilité sur cette plateforme a entraîné une chute drastique de son chiffre d’affaires, ce qui pourrait mettre en péril sa survie sur le marché. Quelles mesures d’urgence ont été prononcées par l’Autorité de la concurrence ?Face à la situation critique d’Amadeus, l’Autorité de la concurrence a prononcé des mesures d’urgence pour garantir une application objective et non discriminatoire des règles de Google Ads. Ces mesures incluent plusieurs exigences à l’égard de Google : 1. Clarification des règles : Google doit rendre ses règles concernant les services payants de renseignements plus précises et intelligibles. 2. Réexamen des comptes : Google doit revoir la situation d’Amadeus à la lumière des nouvelles règles et, si les annonces sont conformes, lui permettre de diffuser ses publicités. 3. Procédure de suspension : Google doit établir une procédure de suspension de compte qui inclut un avertissement formel et un préavis suffisant pour permettre aux annonceurs de rectifier les manquements. 4. Formation du personnel : Google doit former son personnel commercial sur les règles clarifiées afin d’assurer une meilleure communication avec les annonceurs. Ces mesures visent à protéger Amadeus et à rétablir une concurrence équitable sur le marché des services de renseignements. Qu’est-ce qu’une mesure conservatoire ?Une mesure conservatoire est une décision provisoire prise par l’Autorité de la concurrence dans l’attente d’une décision au fond. Elle est prononcée en urgence lorsque l’Autorité estime que les pratiques dénoncées pourraient violer le droit de la concurrence et causer un préjudice grave et immédiat à un acteur du marché. Traditionnellement, l’Autorité devait être saisie par les parties pour prononcer une telle mesure. Cependant, avec la directive ECN +, l’Autorité pourra désormais imposer des mesures d’urgence d’office, même sans saisine préalable d’une entreprise. Ces mesures sont essentielles pour prévenir des dommages irréparables à la concurrence ou à des entreprises en difficulté pendant la durée de l’instruction. La mesure conservatoire signifie-t-elle qu’il y a eu infraction ?Il est important de noter qu’une mesure conservatoire ne constitue pas une constatation d’infraction au droit de la concurrence. Elle est simplement une réponse temporaire aux pratiques dénoncées, en attendant que l’instruction au fond établisse les faits et détermine s’il y a eu effectivement des infractions. Ainsi, bien que la mesure conservatoire impose des obligations à l’entreprise concernée, elle ne préjuge pas du résultat final de l’instruction. L’Autorité de la concurrence doit encore examiner les éléments du dossier pour se prononcer sur les infractions alléguées. Quel est le rôle des mesures conservatoires dans les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence ?Les mesures conservatoires jouent un rôle déterminant dans les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence. Depuis sa création en 2009, l’Autorité a statué sur des demandes de mesures conservatoires dans 44 décisions, en faisant droit à 8 d’entre elles. La France se distingue par l’existence de cette procédure, qui permet à l’Autorité d’agir rapidement pour éviter que des pratiques potentiellement anticoncurrentielles ne causent des dommages graves à la concurrence ou à des entreprises. En ordonnant une mesure conservatoire, l’Autorité peut ainsi protéger le marché et les acteurs économiques pendant la durée de l’instruction, en évitant que des comportements nuisibles ne s’aggravent. Quels sont des exemples de mesures conservatoires prononcées par l’Autorité ?L’Autorité de la concurrence a déjà utilisé des mesures conservatoires dans divers secteurs. Par exemple, en 2010, elle a ordonné à Google de mettre en œuvre de manière objective et non discriminatoire sa politique de contenus pour son service AdWords, en ce qui concerne les radars routiers. Depuis 2009, l’Autorité a prononcé un total de 8 décisions de mesures conservatoires dans des secteurs variés, tels que l’énergie et l’audiovisuel. Ces interventions visent à garantir une concurrence équitable et à protéger les acteurs du marché contre des pratiques potentiellement nuisibles. Ces exemples illustrent l’engagement de l’Autorité à utiliser ses pouvoirs pour maintenir l’intégrité du marché et prévenir des abus de position dominante. |
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