Tribunal judiciaire de Paris, 1er juillet 2016
Tribunal judiciaire de Paris, 1er juillet 2016

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris

Thématique : Présomption d’innocence paralysée par la diffamation ?

Résumé

La présomption d’innocence et la liberté d’expression se croisent délicatement dans le cadre des affaires judiciaires. La loi du 29 juillet 1881 protège l’honneur des individus, tandis que l’article 9-1 du code civil garantit le droit à un procès équitable. La diffusion d’informations sur une affaire en cours ne constitue pas nécessairement une atteinte à cette présomption, à condition que les faits soient rapportés de manière objective, sans préjugé sur la culpabilité. Ainsi, la couverture médiatique, même si elle évoque des actes violents, peut être justifiée par l’intérêt public, tant qu’elle respecte ces principes fondamentaux.

Rendre compte d’une affaire judiciaire

Rendre compte d’une affaire judiciaire en cours peut-il être considéré comme une diffamation vis-à-vis de l’accusé ?

Si le délit de diffamation, institué par la loi du 29 juillet 1881, vise la protection de l’honneur et de la considération d’une personne, le principe de la présomption d’innocence, institué à l’article 9-1 du code civil et garanti par l’article 6 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, vise quant à lui une valeur sociale distincte : le droit de la personne à un procès équitable, étant rappelé que l’atteinte à ce droit n’est sanctionnée, aux termes de l’article 9-1 du code civil, que dans le cas où les faits en cause font l’objet d’une enquête ou d’une instruction.

Cumul de qualifications juridiques

En conséquence, l’imputation de faits précis n’est pas exclusive pour autant que ces faits font l’objet d’une procédure pénale en cours, du droit, pour la personne visée, d’agir sur le fondement des dispositions de l’article 9-1 du code civil, en sorte que les dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 n’ont pas lieu de s’appliquer.

Articulation entre présomption d’innocence et liberté d’expression

L’article 9-1 du code civil dispose que chacun a droit au respect de la présomption d’innocence et que lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du préjudice subi, prescrire toutes mesures, telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte.

La protection instituée par ces dispositions légales (garantie aussi par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme) ne saurait être comprise comme un droit absolu, mais doit être mise en rapport avec le principe de la liberté d’expression consacré par l’article 10 de la même Convention.

Il s’en évince que l’article 9-1 du code civil ne saurait avoir pour objet d’interdire qu’il soit rendu compte des affaires judiciaires, et l’atteinte à la présomption d’innocence n’est constituée que lorsque la publication litigieuse manifeste clairement, avant toute condamnation devenue irrévocable prononcée par la juridiction compétente, la conviction de son auteur quant à la culpabilité de la personne en cause, dans des conditions de nature à persuader les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs, de cette culpabilité, conditions dans lesquelles l’équilibre entre la protection des droits personnels du mis en cause et celle de la liberté d’informer, n’est plus assuré.

Diffusion d’une vidéo violente | Affaire du GUD

En l’espèce, le site Mediapart a été poursuivi (en vain) pour atteinte à la présomption d’innocence. Le site s’était procuré neuf vidéos où l’on voit le chef du GUD à Paris, agresser et violenter l’un des anciens responsables de ce groupuscule extrémiste.

Les juges ont rappelé que la diffusion au public d’un élément de preuve des faits en cause, fût-elle accablante pour celui qui revendique la protection de sa présomption d’innocence, n’est pas en elle-même de nature à porter atteinte à cette protection légale, dès lors que cet élément de preuve est rapporté de manière objective et sans conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité, étant au demeurant observé que si le demandeur conteste la relation publique des vidéos dans l’article poursuivi, il ne conteste toutefois ni l’authenticité de ces enregistrements, ni son identification comme auteur de ceux-ci.

Même si les journalistes emploient dans l’article des termes forts, évoquant notamment « une véritable séance d’humiliation, d’une violence inouïe », la sévérité de ces termes n’est pas emphatique mais à la mesure de la brutalité des scènes filmées, de même que l’emploi, dans le titre, du mot « sauvagerie » qui, pour être éminemment dépréciatif, ne fait que décrire l’atrocité des faits dont les vidéos constituent autant de preuves objectives.

En estimant que ces actes peuvent être qualifiés de « traitements inhumains et dégradants,  tels que définis par la Convention européenne des droits de l’Homme», les auteurs de l’article ne font qu’invoquer la protection d’un droit fondamental sans formuler, là non plus, aucun préjugé sur la culpabilité du demandeur.

Dans ces conditions, les journalistes de Mediapart se sont bien attachés à faire la relation objective d’un élément de preuve matériel dont la diffusion, aussi accablante soit-elle pour le chef du GUD, n’en a pas moins été justifiée par le droit d’informer le public sur un sujet d’intérêt général (pas d’atteinte à sa présomption d’innocence).

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