L’Essentiel : Le dénigrement concurrentiel et la diffamation sont régis par des règles distinctes. Lorsqu’un dénigrement s’apparente à de la diffamation, il est soumis à la prescription abrégée de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881. En l’absence de faute distincte, seules les règles de la diffamation s’appliquent, excluant celles de l’article 1240 du code civil. L’action en diffamation devient irrecevable si plus de trois mois s’écoulent entre le jugement et sa signification. Dans une affaire récente, la cour a infirmé un jugement antérieur, déboutant la société A de sa demande de dommages-intérêts.
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Un dénigrement concurrentiel qui constitue en réalité une diffamation tombe sous le coup de la prescription abrégée de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881. Seules les règles propres à la diffamation peuvent s’appliquer en l’absence de faute distincte, et non celles de l’article 1240 du code civil. L’action en diffamation est irrecevable s’il s’est écoulé plus de trois mois entre le jugement rendu et sa signification. ____________________________________________________________________________________________________ REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D’APPEL DE DIJON 1re chambre civile ARRÊT DU 22 JUIN 2021 N° RG 18/01518 – N° Portalis DBVF-V-B7C-FD7C Décision déférée à la Cour : jugement du 20 mars 2018, rendu par le tribunal de grande instance de Chalon sur Saône – RG : 16/01377 APPELANTE : Madame B X née le […] à […] […] […] Représentée par Me Frédéric HOPGOOD, membre de la SELARL HOPGOOD ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE INTIMÉS : Monsieur C Y es qualités de directeur de la publication du Journal de Saône et Loire, domicilié de droit : […] […] Monsieur D Z, journaliste […] […] SA EST BOURGOGNE MEDIA immatriculée au RCS N° 533 857 355 prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés au siège : […] […] Assistés de Me Valérie ORHAN-LELIEVRE, membre de la SELARL FORESTIER-LELIEVRE, avocat au barreau de LYON, plaidant, et représentés par Me Jean-Vianney GUIGUE, membre de la SELAS ADIDA ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE S.A.R.L. A […] […] Représentée par Me Carine COUILLEROT de la SELARL CARRE JURIS AVOCATS, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE COMPOSITION DE LA COUR : L’affaire a été débattue le 27 avril 2021 en audience publique devant la cour composée de : Michel PETIT, Président de chambre, Président, ayant fait le rapport, Sophie DUMURGIER, Conseiller, Sophie BAILLY, Conseiller, qui en ont délibéré. GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 22 Juin 2021, ARRÊT : rendu contradictoirement, PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, SIGNÉ : par Michel PETIT, Président de chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. * Mme X a créé sa société de pompes funèbres fin 2010, pour laquelle il a été installé une chambre funéraire en 2016. Le 2 mai 2016, le Journal de SAÔNE ET LOIRE, appartenant à la société EST BOURGOGNE MEDIA et dont le directeur de publication est M. Y, a publié comme suit une interview de Mme X par M. Z, journaliste. « A Saint-Martin-en-Bresse, on me refusait l’accès à la maison funéraire alors que c’est défendu*. J’aurais très bien pu me plaindre, mais je ne suis pas ce genre de bagarreuse’!’». L’étoile apparaissant dans le texte de cette citation était reportée à la fin de l’article du journal, avec les mentions suivantes en gras : «’*LEGISLATION Selon l’article R.2223-75 du code des collectivités territoriales, les personnels des entreprises (‘) de pompes funèbres habilitées, conformément à l’article R. 2223-23 mandatés par toute personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, ont accès aux chambres funéraires pour le dépôt et le retrait des corps et la pratique des soins de conservation (‘). PRECISIONS L’entreprise de pompes funèbres A, qui gère le funérarium de Saint-Martin-en-Bresse, maintient que toutes les entreprises ont accès à la maison funéraire, y compris les pompes funèbres B X ». Suivant exploits des 21, 25 et 28 juillet 2016, la SARL A a assigné devant le tribunal de grande instance de CHALON-SUR-SAÔNE Mme X, M. Y, la société EST BOURGOGNE MEDIA, M. Z, en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, pour cause de diffamation. Par jugement du 20 mars 2018, le tribunal a : . condamné Mme X au paiement de 2 000 € à la SARL A pour propos diffamatoires parus dans l’article du Journal de SAONE ET LOIRE le 2 mai 2016, outre dépens et 1 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, . débouté la société A de sa demande d’une publication du jugement dans le journal de SAONE ET LOIRE et de celles formées à l’encontre de M. Y, la société EST BOURGOGNE MEDIA et M. Z, . alloué en faveur de ces derniers 1 500 € payables par la SARL A s’agissant des frais irrépétibles, mais rejeté leurs prétentions et celles de Mme X à des indemnisations pour procédure abusive. Mme X a interjeté appel le 5 novembre 2018. Aux termes de ses conclusions du 9 mai 2019, elle sollicite une infirmation afin de voir’: . déclarer la SARL A irrecevable ou au moins mal-fondée en ses demandes la concernant, . condamner cette société à lui verser 5 000 € pour abus de procédure, et une somme identique au titre de l’article 700 précité. Le 23 juillet 2019, la SARL A a conclu à une réformation de la condamnation pour propos diffamatoires et demandé celle de Mme X au paiement de’: . 2 000 € en raison du dénigrement concurrentiel commis, . 3 000 € devant être versés à M. A comme indemnité procédurale. Dans des écritures du 3 septembre 2019, M. Y en tant que directeur de publication du Journal de SAÔNE ET LOIRE, la société EST BOURGOGNE MEDIA et M. Z prétendent : . à’la prescription de l’action fondée sur la loi du 29 juillet 1881, . subsidiairement, à la confirmation de son rejet, . par réformation, à une condamnation de la SARL A au paiement pour chacun d’eux de 1 500 € (procédure abusive), avec ajout de 2 000 € (coûts non répétibles du second degré de juridiction). MOTIFS DE L’ARRÊT En ce qui concerne les propos diffamatoires, la société A ne développe aucun argument contraire à la prescription extinctive soulevée contre son action par une exacte application de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, alors qu’il s’est écoulé plus de trois mois entre le jugement rendu le 20 mars 2018 et sa signification à Mme X le 4 octobre 2018. Cette SARL considère que sont recevables ses prétentions tendant, sur un fondement juridique différent tiré d’un comportement déloyal de Mme X, aux mêmes fins indemnitaires que celles soumises au premier juge. Au regard de l’article 565 du code de procédure civile, ces prétentions ne sont effectivement pas nouvelles et n’encourent dès lors pas l’irrecevabilité qui leur est opposée. Comme l’observe cependant Mme X, elles sont présentées au titre d’un dénigrement concurrentiel constitué par les propos invoqués au soutien de l’action irrecevable en diffamation. Seules les règles propres à la diffamation peuvent s’appliquer en l’absence de faute distincte, et non celles de l’article 1240 du code civil tel que visé. Par infirmation, la SARL A sera ainsi déboutée de son entière demande. Ne sont toutefois aucunement établis des préjudices spécifiques causés par un abus de procédure. PAR CES MOTIFS, la cour, infirme le jugement frappé d’appel, sauf en ce qu’il a débouté Mme X, M. Y, la société EST BOURGOGNE MEDIA et M. Z de leurs demandes en dommages-intérêts pour procédure abusive, déboute la société A de son entière demande, la condamne aux dépens des deux degrés de juridiction, rejette toutes prétentions plus amples ou contraires, vu notamment l’article 700 du code de procédure civile. Le greffier Le président |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la nature du dénigrement concurrentiel mentionné dans le texte ?Le dénigrement concurrentiel, tel que mentionné dans le texte, se réfère à des propos ou des actions qui visent à nuire à la réputation d’un concurrent dans le cadre de l’exercice de son activité professionnelle. Dans ce cas précis, il s’agit d’une accusation de diffamation portée par la SARL A contre Mme X, qui aurait tenu des propos jugés diffamatoires dans une interview publiée par le Journal de Saône et Loire. Ce type de dénigrement est souvent utilisé dans le contexte commercial pour discréditer un concurrent, ce qui peut avoir des conséquences juridiques. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse encadre strictement les actions en diffamation, stipulant que seules les règles spécifiques à la diffamation s’appliquent en l’absence de faute distincte. Cela signifie que si les propos tenus ne relèvent pas d’une faute distincte, ils doivent être jugés selon les critères de la diffamation. Quelles sont les implications de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ?L’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 stipule que l’action en diffamation est soumise à une prescription abrégée. Cela signifie que les victimes de diffamation doivent agir rapidement, car leur droit d’intenter une action en justice expire trois mois après la publication des propos diffamatoires. Dans le cas présent, il a été noté qu’il s’était écoulé plus de trois mois entre le jugement rendu le 20 mars 2018 et sa signification à Mme X le 4 octobre 2018. Cette prescription est cruciale car elle protège les individus et les entreprises contre des actions en justice qui pourraient être intentées longtemps après les faits, ce qui pourrait nuire à leur réputation sans possibilité de défense adéquate. En conséquence, la SARL A a vu son action en diffamation déclarée irrecevable en raison de ce délai dépassé, ce qui souligne l’importance de respecter les délais légaux dans les affaires de diffamation. Quels ont été les résultats du jugement du 20 mars 2018 ?Le jugement du 20 mars 2018 a eu plusieurs conséquences importantes. Tout d’abord, le tribunal a condamné Mme X à verser 2 000 € à la SARL A pour des propos jugés diffamatoires publiés dans le Journal de Saône et Loire. En plus de cette somme, Mme X a également été condamnée à payer 1 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, qui concerne le remboursement des frais de justice. Cependant, le tribunal a débouté la SARL A de sa demande de publication du jugement dans le même journal, ainsi que des demandes formulées contre M. Y, la société EST BOURGOGNE MEDIA et M. Z. De plus, le tribunal a alloué 1 500 € à ces derniers pour couvrir leurs frais irrépétibles, tout en rejetant les demandes de Mme X et de M. Y pour des indemnisations liées à une procédure abusive. Ces décisions montrent comment le tribunal a évalué les éléments de preuve et les arguments présentés par les deux parties, en tenant compte des lois en vigueur sur la diffamation et les procédures judiciaires. Quelles étaient les demandes de Mme X lors de son appel ?Lors de son appel, Mme X a formulé plusieurs demandes dans ses conclusions du 9 mai 2019. Elle a principalement sollicité une infirmation du jugement initial, ce qui signifie qu’elle souhaitait que la cour d’appel reconsidère et annule la décision du tribunal de grande instance. Mme X a demandé que la SARL A soit déclarée irrecevable ou, à tout le moins, que ses demandes soient jugées mal-fondées. De plus, elle a demandé à ce que la SARL A soit condamnée à lui verser 5 000 € pour abus de procédure, ainsi qu’une somme identique au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour couvrir ses frais de justice. Ces demandes reflètent la volonté de Mme X de contester la décision initiale et de se défendre contre ce qu’elle considérait comme une action injustifiée de la part de la SARL A, tout en cherchant à obtenir réparation pour les frais engagés dans le cadre de cette procédure. Quels ont été les motifs de l’arrêt rendu par la cour d’appel le 22 juin 2021 ?L’arrêt rendu par la cour d’appel le 22 juin 2021 a été motivé par plusieurs éléments clés. Tout d’abord, la cour a constaté que la SARL A n’avait pas présenté d’arguments valables contre la prescription extinctive soulevée par Mme X, en vertu de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881. En effet, il avait été établi qu’il s’était écoulé plus de trois mois entre le jugement du 20 mars 2018 et sa signification à Mme X. La cour a également noté que les prétentions de la SARL A, qui se fondaient sur un comportement déloyal de Mme X, ne pouvaient pas être considérées comme nouvelles et ne risquaient donc pas d’encourir l’irrecevabilité. Cependant, ces prétentions étaient présentées dans le cadre d’un dénigrement concurrentiel, ce qui signifie qu’elles relevaient des règles de la diffamation. En conséquence, la cour a infirmé le jugement initial, débouté la SARL A de sa demande et a condamné cette dernière aux dépens des deux degrés de juridiction, tout en rejetant toutes prétentions supplémentaires. Cela souligne l’importance de respecter les délais de prescription et de bien fonder les actions en justice sur des bases juridiques appropriées. |
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