Cour de Cassation, 30 mars 2016
Cour de Cassation, 30 mars 2016

Type de juridiction : Cour de Cassation

Juridiction : Cour de Cassation

Thématique : Droit de filmer en caméra cachée

Résumé

La Cour de cassation a statué sur le droit des journalistes à utiliser la caméra cachée pour des reportages d’actualité. Elle a confirmé le non-lieu pour escroquerie à l’encontre d’un journaliste ayant infiltré des milieux religieux. Bien que le journaliste ait usé d’un faux nom, cela n’a pas constitué une fausse qualité au sens de la loi. L’infiltration, visant à révéler des comportements sans provoquer, ne caractérise pas une manœuvre frauduleuse. La Cour a souligné que le journaliste était un témoin, non un provocateur, et que le préjudice relevait d’une atteinte à la vie privée, non d’escroquerie.

Délit d’escroquerie inapplicable

La Cour de cassation a rendu un arrêt éclairant sur le droit pour les journalistes, de filmer en caméra cachée, aux fins de réaliser des reportages sur des sujets d’actualité. Les juges suprêmes ont confirmé le non-lieu prononcé du chef d’escroquerie à l’encontre d’un journaliste et du président de France Télévisions.

En l’occurrence, un journaliste s’est infiltré dans des milieux religieux et a filmé des images et enregistrer des propos permettant de témoigner de l’existence de méthodes susceptibles d’être nourries de l’idéologie de l’extrême droite. Les personnes filmées à leur insu ont poursuivi le journaliste et le président de France Télévisions pour escroquerie.

Conditions de l’escroquerie

Si le journaliste a usé d’un faux nom, celui-ci n’a pas joué de rôle déterminant : le fait de taire sa qualité professionnelle ou de se prétendre militant, athée ou bénévole, auprès des personnes rencontrées, ne constitue pas une prise de fausse qualité au sens de la loi, mais un simple mensonge. Le procédé de l’infiltration, s’il concourt à révéler ou mettre à jour, sans leur consentement, les comportements des personnes, sans les provoquer, ne constitue pas une manoeuvre frauduleuse caractérisant le délit d’escroquerie de l’article 313-1 du code pénal.

Aux termes de l’article 313-1 du code pénal, l’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manoeuvres frauduleuses, « de tromper une personne physique ou morale, et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’autrui, à remettre des fonds, valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ».

Le délit d’escroquerie nécessite chez son auteur un ou des actes positifs, sa passiveté qui se bornerait à dissimuler un fait ou une particularité, ne suffisant pas à le caractériser. Par ailleurs, il est exigé une relation de cause à effet entre les moyens utilisés et la remise, de sorte que s’il apparaît que la fraude utilisée n’a pas eu d’influence sur la victime et s’il est démontré que celle-ci eût livré le bien ou la chose’, même en l’absence de manoeuvres, le délit d’escroquerie ne peut être constitué.

L’escroquerie étant un délit de commission, il exige un acte positif tant pour ce qui concerne l’usage d’une fausse qualité que celui de manoeuvres frauduleuses ; le seul fait pour le journaliste, de taire sa qualité professionnelle, ce qui ne constitue qu’un acte passif, ne peut lui être reproché au soutien de la fausse qualité ; d’autre part, le fait de se prétendre militant, athée ou bénévole ne constitue pas une prise de fausses qualités au sens de la loi, en ce que ces qualificatifs ne sont pas attachés à l’état ou au statut de la personne et de nature, à eux seuls, à créer une confusion dans l’esprit des personnes filmées, mais constituent des éléments relevant de valeurs personnelles, ou de l’intimité, que la loi ne compte pas parmi les qualités faussement alléguées.

Le journaliste a fait usage d’un simple mensonge auprès des personnes qu’il entendait observer, ce qui n’était pas punissable au sens de l’article 313-1 du code pénal.

Caméra cachée, outil légitime d’investigation

Sur l’infiltration des journalistes, il est constant que le procédé consistant à aller rechercher par le biais d’une caméra cachée, des informations qu’il serait impossible pour un journaliste de se procurer par un autre moyen, est légitime, compte tenu du sujet faisant l’objet d’investigations.

Ce procédé s’il n’est pas légalement proscrit, doit être justifié par les nécessités de l’information et effectué sans recours ni à la manipulation, ni au mensonge, et en respectant l’anonymisation des personnes filmées et auditionnées, dans une recherche de proportionnalité entre l’intérêt de l’enquête et le respect des personnes.

Au cours du reportage, force est de constater que le journaliste s’est borné à regarder et à écouter ce qu’il se passait autour de lui, (et donc de filmer et d’enregistrer) dans le but d’en restituer la teneur et la substance dans un reportage dédié au grand public.

Les questions posées aux juges étaient celles de savoir si, sans l’intervention du journaliste, les personnes filmées se seraient comportées autrement, auraient tenu des discours différents, face à un autre interlocuteur, et si, finalement, la remise critiquée (images et sons), à supposer qu’elle ait été déterminée par le procédé utilisé, ne se résumerait pas à la réalité du vécu des personnes considérées, leur réalité, leurs idées, leurs projets. La Cour a retenu que le journaliste n’était  dans cette opération d’infiltration, certes menée selon son initiative, que le témoin et non l’acteur et/ ou le provocateur à l’action. Admettre le contraire permettrait de classer parmi les turpitudes définies par le législateur à l’article 313-1 du code pénal, et délimitées par la jurisprudence, des pratiques qui ne concourent qu’à la révélation ou la mise à jour d’une réalité.

En réalité, l’éventuel préjudicie subi, ne relève pas d’une remise déterminée par la tromperie ou des manoeuvres frauduleuses, qui en l’espèce n’étaient pas constituées, mais était circonscrit à une atteinte à la vie privée des personnes filmées.

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