Type de juridiction : Conseil d’Etat
Juridiction : Conseil d’Etat
Thématique : Annulation de la classification du film « Salafiste »
→ RésuméLe Conseil d’Etat a censuré l’interdiction de diffusion du film « Salafistes » aux mineurs de dix-huit ans, jugée disproportionnée. Bien que le documentaire présente des scènes de violence réelles, il vise à informer sur la réalité de la violence salafiste, confrontant les discours des idéologues aux actes commis. Les avertissements en début de film et la dédicace aux victimes des attentats de 2015 clarifient l’intention de dénonciation. Ainsi, le film ne banalise pas la violence, permettant aux mineurs d’accéder à une œuvre qui contribue à la connaissance sans glorifier les actes violents.
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Interdiction aux mineurs censurée
Par une décision du 27 janvier 2016, la ministre de la culture et de la communication avait accordé au film documentaire « Salafistes » un visa d’exploitation cinématographique assorti d’une interdiction de représentation aux mineurs de dix-huit ans et d’un avertissement. Cette classification a été censurée par le Conseil d’Etat qui a jugé que la protection de l’enfance et de la jeunesse et le respect de la dignité humaine n’impliquent pas que le visa d’exploitation du film comporte une interdiction de diffusion aux mineurs de dix-huit ans.
Violence et très grande violence
Le film documentaire comporte des scènes violentes montrant de nombreuses exactions, assassinats, tortures, amputations, réellement commises par des groupes se revendiquant notamment des organisations Daech et Al-Qaïda au Maghreb islamique et présente, en parallèle, les propos de plusieurs protagonistes légitimant les actions en cause, menées contre des populations civiles, sans qu’aucun commentaire critique n’accompagne les scènes de violence.
Toutefois, ces scènes s’insèrent de manière cohérente dans le propos du film documentaire, dont l’objet est d’informer le public sur la réalité de la violence salafiste en confrontant les discours tenus par des personnes promouvant cette idéologie aux actes de violence commis par des personnes et groupes s’en réclamant.
En outre, tant l’avertissement figurant en début de film que la dédicace finale du documentaire aux victimes des attentats du 13 novembre 2015 sont de nature à faire comprendre, y compris par des spectateurs âgés de moins de dix-huit ans, l’objectif d’information et de dénonciation poursuivi par l’oeuvre documentaire, qui concourt ainsi à l’établissement et à la diffusion de connaissances sans présenter la violence sous un jour favorable ni la banaliser. Il en résulte, compte tenu de l’objet du film documentaire et du traitement de la violence qu’il retient, et eu égard à la nécessité de garantir le respect de la liberté d’information, y compris à l’égard de mineurs de dix-huit ans, que les scènes violentes du film documentaire intitulé « Salafistes » ne sont pas de nature à être qualifiées de scènes de « très grande violence » au sens des dispositions du 4° de l’article R. 211-12 du code du cinéma et de l’image animée.
Modalités de classification des films
L’article L. 211-1 du code du cinéma et de l’image animée confère au ministre chargé de la culture l’exercice d’une police spéciale fondée sur les nécessités de la protection de l’enfance et de la jeunesse et du respect de la dignité humaine. A cette fin, il lui revient d’apprécier s’il y a lieu d’assortir la délivrance du visa d’exploitation d’une oeuvre ou d’un document cinématographique de l’une des restrictions prévues par les dispositions précédemment citées. Saisi d’un recours contre une telle mesure de police, il appartient au juge de l’excès de pouvoir de contrôler le caractère proportionné de la mesure retenue au regard des objectifs poursuivis par la loi.
Au sens de l’article L. 211-1 du code du cinéma et de l’image animée, la représentation cinématographique est subordonnée à l’obtention d’un visa d’exploitation délivré par le ministre chargé de la culture. Ce visa peut être refusé ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de l’enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine. Le ministre de la culture délivre le visa d’exploitation cinématographique aux oeuvres ou documents cinématographiques après avis de la commission de classification des oeuvres cinématographiques. Le visa d’exploitation cinématographique s’accompagne de l’une des mesures de classification suivantes : 1° Autorisation de la représentation pour tous publics ; 2° Interdiction de la représentation aux mineurs de douze ans ; 3° Interdiction de la représentation aux mineurs de seize ans ; 4° Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans sans inscription sur une liste spéciale lorsque l’oeuvre ou le document comporte des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence mais qui, par la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité, ne justifient pas une telle inscription ; 5° Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans avec inscription de l’oeuvre ou du document sur la liste spéciale.
Appréciation de la violence
S’agissant des mesures de classification prévues aux 4° et 5°, il appartient au Ministre d’apprécier si le film, pris dans son ensemble, revêt un caractère pornographique ou d’incitation à la violence justifiant que la délivrance du visa d’exploitation soit accompagnée d’une interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans avec inscription sur la liste prévue à l’article L. 311-2 du code du cinéma ou si, alors même qu’il comporte des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence, la manière dont cette oeuvre ou ce document est filmée et la nature du thème traité conduisent à limiter la restriction dont est assorti le visa d’exploitation à la seule interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans.
Lorsqu’une oeuvre ou un document cinématographique comporte des scènes violentes, il y a lieu de prendre en considération, pour déterminer si la protection de l’enfance et de la jeunesse et le respect de la dignité humaine justifient une des mesures de classification prévues aux 4° et 5°, la manière dont elles sont filmées, l’effet qu’elles sont destinées à produire sur les spectateurs, notamment de nature à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser, enfin, toute caractéristique permettant d’apprécier la mise à distance de la violence et d’en relativiser l’impact sur la jeunesse.
En ce qui concerne les films à caractère documentaire, qui visent à décrire la réalité des situations dont ils portent témoignage et qui ont ainsi pour objet de contribuer à l’établissement et à la diffusion de connaissances, l’appréciation doit être portée par le ministre, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, compte tenu de la nécessité de garantir le respect de la liberté d’information, protégée notamment par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
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