Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Rouen
Thématique : Vidéosurveillance en entreprise : recevable ou non ?
→ RésuméL’utilisation de la vidéosurveillance en entreprise soulève des questions de légalité, notamment en ce qui concerne la protection de la vie privée des salariés. Bien qu’un système installé dans un local non public pour sécuriser des biens ne nécessite pas d’information à la CNIL, il doit être précédé d’une consultation du CSE si ce dispositif surveille également les employés. Dans ce cas, l’employeur n’a pas respecté ces obligations, rendant les preuves issues de la vidéosurveillance illicites. Cependant, le juge peut décider de leur recevabilité si leur utilisation ne porte pas atteinte à l’équité de la procédure.
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Vidéosurveillance en entreprise : recevable ou non ?
L’utilisation d’une vidéosurveillance
Concernant l’utilisation d’une vidéosurveillance, l’information de la CNIL n’est pas nécessaire s’agissant d’un système installé dans un local non public, destiné à l’entrepôt de marchandises, afin d’assurer la sécurité des biens.
Néanmoins, dès lors que ce système permet de facto de surveiller également l’activité des salariés, la consultation préalable du CSE avant la mise en place du système de vidéosurveillance est impérative.
Or, l’employeur ne justifie pas avoir informé les salariés des finalités du dispositif de contrôle installé ni de la base juridique le justifiant, contrairement aux dispositions de l’article 32 de la loi du 10 janvier 1978.
La preuve issue de ce dispositif de vidéosurveillance est donc illicite.
Exception au droit de la preuve
Toutefois, il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant alors apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
En l’espèce la vidéosurveillance apparaît justifiée par la nécessaire protection des marchandises stockées dans l’entrepôt. Même si la société ne justifie pas d’une information individuelle et complète aux salariés, une affiche était apposée à l’entrée du bâtiment signalant la présence de la vidéosurveillance dans l’établissement. Les salariés n’étaient donc pas filmés à leur insu.
Le fait que M. [D] consulte a posteriori les images de vidéosurveillance pour connaître les circonstances exactes de l’accident apparaît également justifié compte tenu des conséquences tant financières que commerciales (en terme d’image vis-à-vis de leur client) de cet accident.
Par ailleurs, dans la mesure où M. [N] nie les faits, et où il n’y a pas eu de témoin direct de leurs circonstances, la production de l’attestation de M. [D] est indispensable à l’exercice par l’employeur de son droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi.
Il convient dès lors de déclarer cette pièce recevable et de dire n’y avoir lieu de l’écarter des débats.
Recevabilité de la pièce produite
La cour a jugé que l’attestation de M. [T] [D], responsable du site, était recevable malgré l’absence de consultation préalable du CSE et d’information individuelle des salariés sur la vidéosurveillance. La vidéosurveillance était justifiée pour assurer la sécurité des biens, et la consultation des images était indispensable pour l’exercice du droit à la preuve.
Mise à pied disciplinaire et rappel de salaire
La cour a annulé la mise à pied disciplinaire du 7 décembre 2020 pour manque de preuves et a condamné l’employeur à verser un rappel de salaire correspondant aux deux jours de mise à pied.
Contestation du licenciement
La cour a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, en se basant sur les faits établis par les attestations des collègues de M. [N]. Malgré l’absence de preuve suffisante, les antécédents de l’employé et la gravité de l’accident ont justifié le licenciement.
Indemnités compensatrice de préavis et de licenciement
M. [N] a obtenu une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité de licenciement en fonction de son ancienneté et de son salaire mensuel moyen.
Demandes accessoires
La société GCA Supply Logistics a été condamnée à payer les dépens de la procédure et une somme de 1500 euros à M. [N] sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile pour la première instance et en cause d’appel.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 22/03188 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JF4V
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 21 MARS 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DU HAVRE du 27 Septembre 2022
APPELANT :
Monsieur [J] [N]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE-LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Anaëlle LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
S.A.S. GCA SUPPLY LOGISTICS
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Nadira CHALALI, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 16 Janvier 2024 sans opposition des parties devant Madame ROYAL, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame ROYAL, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 16 janvier 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 21 mars 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 21 Mars 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
La société GCA Supply Logistics est prestataire de services dans la logistique manutention transport.
M.[J] [N] a été engagé par la société Daher à compter du 1er mars 2002 en qualité de magasinier, en contrat à durée déterminée puis en contrat à durée indéterminée.
Son contrat de travail a été transféré à la société Soflog Solution puis à la société GCA Supply Logistics à compter du 1er avril 2016, avec reprise d’ancienneté au 1er mars 2002, sur le poste de cariste en prestations logistiques (conducteur de chariot élévateur).
L’employeur lui a notifié un avertissement le 18 décembre 2019 puis une mise à pied disciplinaire de 2 jours le 7 décembre 2020.
Le 18 décembre 2020, M.[N] a été convoqué à un entretien préalable qui a eu lieu le 4 janvier 2021.
La société GCA Supply Logistics lui a notifié le 13 janvier 2021 son licenciement pour faute grave.
Par requête déposée le 27 avril 2021, M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes du Havre en contestation de son licenciement.
Par jugement du 27 septembre 2022 le conseil de prud’hommes a :
– dit n’y avoir lieu à examiner la demande de rejet de la pièce n°8 produite par la société GCA Supply Logistics,
– débouté M. [N] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté M. [N] et la société GCA Supply Logistics de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [N] aux dépens.
M. [N] a interjeté appel de cette décision le 30 septembre 2022.
Par conclusions remises le 1er décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, M. [J] [N] demande à la cour d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et, statuant à nouveau, de :
– annuler la sanction disciplinaire du 7 décembre 2020,
– juger la pièce adverse n°8 irrecevable,
– juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– à titre subsidiaire, requalifier son licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
– condamner la société GCA Supply Logistics à lui verser les sommes suivantes, sur la base d’un salaire mensuel moyen brut de 2 013,03 euros :
188,06 euros de rappel de salaire correspondant à la mise à pied disciplinaire, outre 18,80 euros de congés payés
31 201,97 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
4 026,06 euros d’indemnité compensatrice de préavis, outre 402,60 euros de congés payés y afférents
11 742,67 euros d’indemnité légale de licenciement,
– débouter la société GCA Supply Logistics de l’ensemble de ses demandes,
– condamner la société GCA Supply Logistics aux dépens ainsi qu’au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions remises le 27 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la société GCA Supply Logistics demande à la cour de :
– à titre principal, confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
– à titre subsidiaire, limiter le montant de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à défaut de justification du préjudice financier, et l’indemnité légale à la somme de 10 366,25 euros
– en tout état de cause, condamner M. [N] aux dépens ainsi qu’au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 21 décembre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de la pièce n°8 produite par l’employeur
M. [N] demande à voir déclarer irrecevable et écarter des débats l’attestation de M.[T] [D], responsable du site (pièce n°8 produite par l’employeur), au motif que ce dernier faisait état de ce qu’il avait vu en consultant la vidéosurveillance, alors que la vidéosurveillance n’avait pas été valablement mise en place, que la société ne justifiait pas avoir informé individuellement les salariés de l’installation de la vidéosurveillance, ni procédé à l’information obligatoire auprès de la CNIL et à la consultation du CSE.
La société GCA Supply Logistics réplique que la mise en place d’un système de vidéosurveillance intrusion dans un entrepôt non ouvert au public, destinée à assurer la sécurité des personnes et des biens et non à surveiller l’activité des salariés à leur poste de travail, ne nécessite pas l’information de la CNIL.
Elle argue par ailleurs du fait que les employés étaient informés de l’existence d’une vidéosurveillance intrusion au moyen de panneaux affichés de façon visible dans les lieux concernés.
En vertu des dispositions de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Aux termes de son attestation du 27 mai 2021M. [T] [D], responsable de site déclare :
« le 4/12/2020, en début de matinée, j’ai été informé par monsieur [F] [K], gestionnaire de contrat, qu’une avarie avait été constatée sur une colonne de notre client Sidel. Ce dernier ayant été informé par téléphone par un emballeur. Je me suis rendu sur place pour constater les dégâts.
Sur place j’ai retrouvé la colonne très fortement abîmée et laissée de travers.
Afin de comprendre ce qu’il s’était passé, j’ai consulté la caméra de surveillance (surveillance intrusion) et j’ai vu Mr [N] [J], monter sur un chariot 7T, démarrer et avancer rapidement. Lors de cette man’uvre, le chariot a heurté violemment la colonne Sidel qui est venue s’encastrer dans le palettier qui se trouvait à proximité.
Sans descendre du chariot, Mr [N] a redressé la colonne pour la sortir du palettier et est parti faire une opération de manutention.
Mr [N] n’a pas pris la peine de descendre du chariot pour aller constater les dégâts.
Ce dernier m’a indiqué que suite à cet incident il avait informé un collègue. »
Il convient en premier lieu de relever que dans son attestation M. [D] ne se contente pas de relater ce qu’il a vu en consultant la vidéosurveillance mais il témoigne également de faits qu’il a lui- même constatés.
Concernant l’utilisation de la vidéosurveillance, l’information de la CNIL n’était pas nécessaire s’agissant d’un système installé dans un local non public, destiné à l’entrepôt de marchandises, afin d’assurer la sécurité des biens.
Néanmoins, ce système permettait de facto de surveiller également l’activité des salariés. Or l’employeur ne justifie pas de la consultation préalable du CSE avant la mise en place du système de vidéosurveillance. Il ne justifie pas non plus avoir informé les salariés des finalités du dispositif de contrôle installé ni de la base juridique le justifiant, contrairement aux dispositions de l’article 32 de la loi du 10 janvier 1978.
La preuve issue de ce dispositif de vidéosurveillance est donc illicite.
Toutefois, il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant alors apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
En l’espèce la vidéosurveillance apparaît justifiée par la nécessaire protection des marchandises stockées dans l’entrepôt. Même si la société ne justifie pas d’une information individuelle et complète aux salariés, une affiche était apposée à l’entrée du bâtiment signalant la présence de la vidéosurveillance dans l’établissement. Les salariés n’étaient donc pas filmés à leur insu.
Le fait que M. [D] consulte a posteriori les images de vidéosurveillance pour connaître les circonstances exactes de l’accident apparaît également justifié compte tenu des conséquences tant financières que commerciales (en terme d’image vis-à-vis de leur client) de cet accident.
Par ailleurs, dans la mesure où M. [N] nie les faits, et où il n’y a pas eu de témoin direct de leurs circonstances, la production de l’attestation de M. [D] est indispensable à l’exercice par l’employeur de son droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi.
Il convient dès lors de déclarer cette pièce recevable et de dire n’y avoir lieu de l’écarter des débats.
Sur les demandes d’annulation de la mise à pied disciplinaire du 7 décembre 2020 et de rappel de salaire
Le 7 décembre 2020, une mise à pied disciplinaire de 2 jours a été notifiée au salarié pour avoir, le 29 octobre 2020, fait tomber un scan portatif lors d’une man’uvre avec le chariot élévateur, puis avoir roulé dessus. Il aurait reconnu les faits lors de l’entretien préalable à cette sanction.
M.[N] demande à la cour d’infirmer le jugement, d’annuler cette mise à pied disciplinaire et de condamner l’employeur à un rappel de salaire correspondant aux deux jours de mise à pied.
Il conteste les faits, argue de l’absence de preuve et fait valoir qu’il appartient à l’employeur de faire la démonstration de l’existence d’un règlement intérieur régulièrement déposé.
L’article L.1333-1 du code du travail dispose qu’« en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.
L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.
Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. »
L’article L.1332-2 du code du travail prévoit que « le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise. »
L’employeur ne produit aucun élément sur les faits du 29 octobre ayant motivé la mise à pied disciplinaire.
Compte tenu de la contestation des faits par le salarié et de l’absence de tout élément de preuve, il y a lieu d’infirmer le jugement déféré, d’annuler la mise à pied disciplinaire prononcée le 7 décembre 2020 et de condamner la société GCA Supply Logistics à payer à M. [N] la somme de 188,06 euros brut de rappel de salaire correspondant aux deux jours de mise à pied, effectuées les 15 et 17 décembre 2020, ainsi que 18,80 euros brut de congés payés y afférents.
Sur la contestation du licenciement
Aux termes de la lettre de licenciement pour faute grave du 13 janvier 2021, qui fixe les limites du litige, il est reproché à M.[N] d’avoir le 4 décembre 2020, étant conducteur d’un chariot élévateur, endommagé une machine de leur client, la société Sidel pour un coût d’environ 10 000 euros. Selon l’employeur cet accident serait dû aux manquements de M. [N] aux procédures et règles de sécurité.
Il y est précisé que lors de l’entretien préalable M. [N] aurait reconnu les faits et qu’il s’agissait du 3ème sinistre occasionné par lui depuis octobre 2019, les précédents sinistres ayant été sanctionnés par un avertissement le 15 octobre 2019 et une mise à pied disciplinaire de 2 jours le 29 octobre 2020.
L’employeur conclut que ces faits avaient porté atteinte à l’image commerciale de la société.
M. [N] conteste son licenciement. Il fait valoir en premier lieu que la société avait connaissance des faits du 4 décembre quand elle lui a notifié la mise à pied disciplinaire, le 7 décembre 2020. Selon l’appelant, l’employeur, n’ayant pas fait état des faits du 4 décembre dans le courrier du 7 décembre, a épuisé son pouvoir disciplinaire et ne pouvait plus ensuite fonder une procédure de licenciement sur les faits du 4 décembre.
En second lieu M. [N] conteste les faits qui lui sont reprochés et argue de l’absence de preuve suffisante, au regard notamment de l’irrecevabilité de l’attestation de M. [D].
La société GCA Supply Logistics réaffirme le bien fondé du licenciement pour faute grave.
Elle réplique que les faits commis le 4 décembre sont postérieurs aux faits qui ont motivé la mise à pied disciplinaire et que la procédure de licenciement était donc tout à fait régulière.
Elle soutient que M. [N] conduisait trop vite, sans faire attention à son environnement proche, et qu’il a de ce fait percuté avec son chariot élévateur une colonne. En outre il n’aurait pas alerté sa hiérarchie pour faire constater les dégâts.
Selon l’intimée les faits seraient établis non seulement par l’attestation de M. [D], responsable du site mais également par celles de deux autres salariés.
L’article L.1235-1 du code du travail, applicable en l’espèce, dispose qu’ « en cas de litige,…à défaut d’accord, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il justifie dans le jugement qu’il prononce le montant des indemnités qu’il octroie.
Si un doute subsiste, il profite au salarié. »
Conformément aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu’elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et l’employeur qui l’invoque doit en rapporter la preuve.
S’agissant de la régularité de la procédure, force est de constater que certes l’employeur avait connaissance des faits du vendredi 4 décembre quand il a notifié, le lundi 7 décembre, la mise à pied disciplinaire pour les faits du 29 octobre 2020. Toutefois les faits du 4 décembre ont eu lieu après l’entretien préalable du 23 novembre concernant les faits du 29 octobre et le courrier portant notification de la mise à pied disciplinaire le 7 décembre, visait uniquement les faits du 29 octobre 2020.
Aussi, compte tenu du très court délai intervenu entre les nouveaux faits et la notification de la sanction disciplinaire pour des faits antérieurs, séparés d’un week-end, ne permettant pas à l’employeur de disposer de suffisamment de temps pour aviser en fonction des nouveaux faits commis, non nécessairement connu dans toutes ses composantes, il convient de retenir que l’employeur n’avait pas épuisé son pouvoir disciplinaire à l’égard des faits du 4 décembre par l’effet de la notification de la mise à pied disciplinaire du 7 décembre 2020.
S’agissant des faits, la société GCA Supply Logistics produit, outre l’attestation de M. [D], celles de deux autres collègues du salarié.
M. [Y] [X], réceptionniste, a témoigné, aux termes de sa seconde attestation du 4 novembre 2021, du fait que M. [N], après l’accident, l’avait prévenu qu’il avait endommagé la colonne avec son chariot.
M. [K] [F], gestionnaire de contrat, a attesté le 4 novembre 2021 du fait que M. [Y] [X] lui avait dit, le 4 décembre 2020, que M. [N] avait percuté une colonne du client Sidel. Vers 9h10, M. [F] s’était rendu sur place pour constater les dégâts.
L’employeur produit également une déclaration de sinistre, un constat amiable d’accident, ainsi que des photographies de la colonne endommagée, le coût du sinistre étant estimé à environ 11 000 euros.
Malgré les dénégations de M. [N], les faits qui lui sont reprochés sont établis non seulement par l’attestation de M.[D], mais également par celle de M. [X] qui, certes n’a pas été témoin direct des faits, mais qui a recueilli les déclarations de M. [N], admettant être l’auteur de l’accident.
Il ressort de l’attestation de M. [D] que cet accident n’est pas la résultante d’une simple faute d’inattention de M. [N] mais d’une man’uvre trop rapide de son chariot, qui a heurté violemment la colonne Sidel. Cette man’uvre, effectuée par un salarié très expérimenté et formé, comme cela ressort des pièces produites par l’employeur, constitue un manquement fautif aux règles de sécurité, prohibé par l’article 11 du règlement intérieur de la société.
En outre, le fait de ne pas avoir immédiatement informé sa hiérarchie après l’accident constitue également un comportement fautif.
Il convient également de prendre en compte le fait que M. [N] avait reçu un avertissement le 18 décembre 2019 pour des faits similaires, puisque le 15 octobre 2019, en manutentionnant, il avait touché un panneau d’affichage qui avait basculé sur une pièce aéronautique du client Safran, endommageant celle-ci. Le montant des réparations s’était élevé à 42 000 euros. Le salarié n’avait pas informé lui-même sa hiérarchie de ces faits, l’information étant alors donnée par le client.
Aussi, même si la mise à pied disciplinaire du 7 décembre 2020 a été annulée, les nouveaux faits commis le 4 décembre 2020, alors que le salarié avait fait l’objet d’un avertissement le 18 décembre 2019 pour des faits similaires, justifient la mesure de licenciement.
Toutefois, ces faits ne rendaient pas impossible le maintien du salarié dans la société pendant la durée du préavis. En effet, il a continué à travailler normalement dans la société du 4 décembre 2020 au 13 janvier 2021.
Il convient dès lors d’infirmer le jugement déféré, de requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse.
De manière subséquente, le jugement déféré est infirmé en ce qu’il a débouté M. [N] de ses demandes d’indemnité compensatrice de préavis et d’indemnité de licenciement et confirmé en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande d’indemnité compensatrice de préavis
L’article L.1234-1 du code du travail, en vigueur depuis le 1er mai 2008, dispose que « lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :
1° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l’accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;
2° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d’un mois ;
3° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois.
Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l’accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d’ancienneté de services plus favorable pour le salarié. »
Compte tenu de son ancienneté et sur la base d’un salaire mensuel moyen non contesté de 2 013,03 euros brut, il est accordé à M. [N] une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 4 026,06 euros brut, outre 402,60 euros brut de congés payés y afférents.
Sur la demande d’indemnité de licenciement
En vertu des dispositions de l’article L.1234-9 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 24 septembre 2017 « le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire. »
En vertu des dispositions de l’article R.1234-2 du code du travail « l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :
1° Un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans ;
2° Un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans. »
Sur la base de 19 années d’ancienneté (du 1er mars 2002 au 13 mars 2021) et d’un salaire mensuel moyen de 2013,03 euros brut, une indemnité de licenciement d’un montant de 11 071,66 euros brut sera accordé à M.[N].
Sur les demandes accessoires
Succombant partiellement, la société GCA Supply Logistics supportera les entiers dépens de la procédure, y compris de première instance.
Compte tenu des circonstances de l’espèce, il convient également de condamner la société GCA Supply Logistics à payer à M. [N] la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile pour la première instance et 1500 euros en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement du conseil de prud’hommes du Havre du 27 septembre 2022 ce qu’il a débouté M. [J] [N] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
L’infirme en ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau,
Déclare la pièce n°8 produite par la société GCA Supply Logistics recevable,
Annule la mise à pied disciplinaire du 7 décembre 2020,
Requalifie le licenciement pour faute grave notifié le 13 janvier 2021 par la société GCA Supply Logistics à M. [N] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
Condamne la société GCA Supply Logistics à verser à M. [N] les sommes suivantes :
188,06 euros brut de rappel de salaire correspondant aux deux jours de mise pied disciplinaire, ainsi que 18,80 euros brut de congés payés y afférents,
4 026,06 euros brut d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi que 402,60 euros brut de congés payés y afférents,
11 071,66 euros brut d’indemnité de licenciement,
Condamne la société GCA Supply Logistics aux entiers dépens de première instance et d’appel,
Condamne la société GCA Supply Logistics à verser à M. [N] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et 1 500 euros en cause d’appel.
La greffière La présidente
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