Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Condamnations pénales des hommes d’affaires : le droit à l’oubli s’applique
→ RésuméDans cette affaire, M. [I] a demandé la suppression d’un article en ligne relatant sa condamnation pour enlèvement et séquestration. Il soutient que la publication continue de cet article nuit à sa vie personnelle et professionnelle, malgré l’ancienneté des faits. La cour a reconnu que l’accès à des données sensibles, comme celles relatives aux condamnations pénales, doit être strictement encadré. Elle a conclu que le maintien de l’article n’était pas nécessaire à l’information du public, ordonnant ainsi à la société Aut O’mattic de supprimer la page litigieuse, affirmant le droit à l’oubli en matière de données personnelles.
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Lorsque des liens mènent vers des pages web contenant des données à caractère personnel relatives à des procédures pénales, l’ingérence dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel de la personne concernée est susceptible d’être particulièrement grave en raison de la sensibilité de ces données.
La demande d’effacement de ces données sensibles doit en conséquence être accueillie par le responsable du traitement et il n’en va autrement que s’il apparaît, compte tenu du droit à la liberté d’information, que l’accès à une telle information à partir d’une recherche portant sur le nom de la personne concernée est strictement nécessaire à l’information du public (CE, 6 décembre 2019, n° 401258).
Au cas présent, l’article litigieux donne au public un accès direct et permanent à la condamnation dont il a fait l’objet, alors même qu’en application des dispositions précitées du code de procédure pénale, l’accès aux données relatives aux condamnations pénales d’un individu n’est possible que dans des conditions restrictives et pour des catégories limitées de personnes.
Résumé de l’affaire
Les points essentiels
Introduction de l’affaire
Cette affaire concerne une demande de retrait d’un article en ligne, jugée par la cour d’appel. L’appelant, M. [I], sollicite la suppression d’un article publié sur le site « Fdebranche Actualité, crime et extrême droite », qui relate sa condamnation pénale passée. Il invoque l’article 6, I-8, de la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN) pour justifier sa demande.
Le contenu litigieux
L’article en question, publié le 19 février 2016, relate la condamnation de M. [I] et de ses complices pour enlèvement et séquestration. L’article est illustré de photographies et mentionne les peines de prison infligées. M. [I] argue que la publication continue de cet article lui cause un préjudice, notamment en affectant sa vie professionnelle et personnelle.
La qualité d’hébergeur de l’intimée
Le premier juge avait rejeté la demande de M. [I] en raison de l’absence de preuve que la société Aut O’mattic était l’hébergeur du site litigieux. En appel, M. [I] a produit de nouveaux éléments démontrant le lien entre le site WordPress.com, mentionné sur la page litigieuse, et la société Aut O’mattic, prouvant ainsi leur rôle d’hébergeur.
La demande de retrait de la page
M. [I] soutient que les conditions de l’article 6, I-8, de la LCEN sont remplies, car le contenu en ligne lui cause un dommage. Il argue que son passé judiciaire ne devrait plus être exposé, étant donné qu’il a purgé sa peine et mène désormais une vie sans histoires. Il invoque également le droit à l’oubli prévu par le RGPD et la loi du 6 juillet 1978.
Les répercussions sur la vie professionnelle
M. [I] a fourni des preuves des répercussions négatives de l’article sur sa vie professionnelle, notamment des courriels de clients potentiels mettant fin à leurs relations d’affaires après avoir découvert l’article. Ces éléments démontrent l’impact significatif de la publication continue de l’article sur sa réputation et ses activités professionnelles.
Les dispositions légales applicables
Les articles 17 du RGPD et 51 de la loi du 6 juillet 1978 prévoient le droit à l’effacement des données personnelles, notamment celles relatives aux condamnations pénales. La cour a rappelé que l’accès aux données pénales est strictement encadré et que leur publication en ligne doit être justifiée par un intérêt public strictement nécessaire.
La décision de la cour
La cour a conclu que le maintien en ligne de l’article n’était pas nécessaire à l’information du public, compte tenu de l’ancienneté des faits, de l’absence de notoriété de M. [I], et des répercussions négatives sur sa vie privée et professionnelle. En conséquence, la cour a ordonné la suppression de la page litigieuse par la société Aut O’mattic.
Les frais et dépens
La cour a également condamné la société Aut O’mattic à payer les frais de justice de M. [I], s’élevant à 2.500 euros, en raison de son inertie. La société a été tenue aux dépens, couvrant ainsi les frais exposés par M. [I] en première instance et en appel.
Conclusion
Cette affaire illustre l’application des dispositions de la LCEN et du RGPD en matière de droit à l’oubli et de protection des données personnelles. La décision de la cour souligne l’importance de l’équilibre entre le droit à l’information et le respect de la vie privée, particulièrement en ce qui concerne les données sensibles telles que les condamnations pénales.
Réglementation applicable
1. Article 6, I-8, de la LCEN (Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique)
– Texte: « Le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne. »
2. Article 6, I-2, de la LCEN
– Texte: « Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services. »
3. Article 17 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 (RGPD)
– Texte:
– « 1. La personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement l’effacement, dans les meilleurs délais, de données à caractère personnel la concernant et le responsable du traitement a l’obligation d’effacer ces données à caractère personnel dans les meilleurs délais, lorsque l’un des motifs suivants s’applique :
– a) les données à caractère personnel ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées d’une autre manière ;
– b) la personne concernée retire le consentement sur lequel est fondé le traitement, conformément à l’article 6, paragraphe 1, point a), ou à l’article 9, paragraphe 2, point a), et il n’existe pas d’autre fondement juridique au traitement ;
– c) la personne concernée s’oppose au traitement en vertu de l’article 21, paragraphe 1, et il n’existe pas de motif légitime impérieux pour le traitement, ou la personne concernée s’oppose au traitement en vertu de l’article 21, paragraphe 2 ;
– d) les données à caractère personnel ont fait l’objet d’un traitement illicite ;
– e) les données à caractère personnel doivent être effacées pour respecter une obligation légale qui est prévue par le droit de l’Union ou par le droit de l’État membre auquel le responsable du traitement est soumis ;
– f) les données à caractère personnel ont été collectées dans le cadre de l’offre de services de la société de l’information visée à l’article 8, paragraphe 1.
– […]
– 3. Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas dans la mesure où ce traitement est nécessaire :
– a) à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information […] »
4. Article 51 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés
– Texte: « Le droit à l’effacement s’exerce dans les conditions prévues à l’article 17 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016. »
5. Article 46 de la loi du 6 janvier 1978
– Texte:
– « Les traitements de données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales, aux infractions ou aux mesures de sûreté connexes ne peuvent être effectués que par :
– 1° Les juridictions, les autorités publiques et les personnes morales gérant un service public, agissant dans le cadre de leurs attributions légales ainsi que les personnes morales de droit privé collaborant au service public de la justice et appartenant à des catégories dont la liste est fixée par décret en Conseil d’Etat, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, dans la mesure strictement nécessaire à leur mission ;
– 2° Les auxiliaires de justice, pour les stricts besoins de l’exercice des missions qui leur sont confiées par la loi ;
– 3° Les personnes physiques ou morales, aux fins de leur permettre de préparer et, le cas échéant, d’exercer et de suivre une action en justice en tant que victime, mise en cause, ou pour le compte de ceux-ci et de faire exécuter la décision rendue, pour une durée strictement proportionnée à ces finalités. La communication à un tiers n’est alors possible que sous les mêmes conditions et dans la mesure strictement nécessaire à la poursuite de ces mêmes finalités ;
– 4° Les personnes morales mentionnées aux articles L. 321-1 et L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle, agissant au titre des droits dont elles assurent la gestion ou pour le compte des victimes d’atteintes aux droits prévus aux livres Ier, II et III du même code aux fins d’assurer la défense de ces droits ;
– 5° Les réutilisateurs des informations publiques figurant dans les décisions mentionnées à l’article L. 10 du code de justice administrative et à l’article L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire, sous réserve que les traitements mis en oeuvre n’aient ni pour objet ni pour effet de permettre la réidentification des personnes concernées. »
6. Article 10 du règlement général sur la protection des données (RGPD)
– Texte: « Le traitement des données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales et aux infractions ou aux mesures de sûreté connexes fondé sur l’article 6, paragraphe 1, ne peut être effectué que sous le contrôle de l’autorité publique, ou si le traitement est autorisé par le droit de l’Union ou par le droit d’un État membre qui prévoit des garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes concernées. Tout registre complet des condamnations pénales ne peut être tenu que sous le contrôle de l’autorité publique. »
7. Articles 774 et suivants du code de procédure pénale
– Texte: Les bulletins n°1 et 2 du casier judiciaire ne peuvent être délivrés qu’aux autorités judiciaires pour le premier ainsi qu’à certaines autorités publiques et militaires pour le second.
8. Article 777 du code de procédure pénale
– Texte: « Le bulletin n°3, qui recense les condamnations pour crime ou délit à des peines privatives de liberté d’une durée supérieure à deux ans notamment, peut être réclamé par la personne qu’il concerne mais ne doit, en aucun cas, être délivré à un tiers, sauf s’il s’agit de l’autorité centrale d’un Etat membre de l’Union européenne, saisie par la personne concernée. »
9. Article 700 du code de procédure civile
– Texte: Cet article permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
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