Publier des condamnations pénales : risque maximal

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Publier des condamnations pénales : risque maximal
L’essentiel : Les condamnations pénales, considérées comme des données nominatives sensibles, ne peuvent être publiées sans justifications claires d’un débat d’intérêt général. Un commerçant, condamné pour exercice illégal de la profession de pharmacien, a contesté la publication désanonymisée de ses arrêts sur le site psiram.com, arguant une atteinte à sa vie privée. La juridiction aurait dû évaluer si cette publication servait un intérêt général, en tenant compte de l’article 8 de la CEDH, qui protège le droit au respect de la vie privée, tout en équilibrant ce droit avec la liberté d’expression.

Les condamnations pénales sont des données nominatives sensibles. Les publier sur un site internet sous forme désanonymisée suppose de pouvoir justifier d’un débat d’intérêt général.

Un commerçant condamné pour exercice illégal de la profession de pharmacien a poursuivi l’éditeur du site psiram.com suite à la publication de deux arrêts anciens de la Cour de cassation le concernant (désanonymisés).  Au regard de l’atteinte portée à sa vie privée, la juridiction du fond aurait dû s’assurer si la publication en cause s’inscrivait ou non dans un débat d’intérêt général, justifiant la reproduction des condamnations pénales.

Condamnations dans le domaine public

Par ailleurs, le fait que des informations soient déjà dans le domaine public ne les soustrait pas nécessairement à la protection de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), l’intérêt à publier ces informations devant être mis en balance avec des considérations liées à la vie privée. Celles-ci entrent en jeu dans les situations où des informations ont été recueillies sur une personne bien précise, où des données à caractère personnel ont été traitées ou utilisées et où les éléments en question avaient été rendus publics d’une manière ou dans une mesure excédant ce à quoi les intéressés pouvaient raisonnablement s’attendre (CEDH, arrêt du 27 juin 2017, Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC], n° 931/13, § 134-136).

Condamnation pénale, une donnée de la vie privée

Selon l’article 8 de la CEDH, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. Si ce texte ne peut être invoqué pour se plaindre d’une atteinte à la réputation qui résulterait de manière prévisible des propres actions de la personne, telle une infraction pénale, la mention dans une publication des condamnations pénales dont une personne a fait l’objet, y compris à l’occasion de son activité professionnelle, porte atteinte à son droit au respect dû à sa vie privée (CEDH, arrêt du 28 juin 2018, M.L. et W.W. c. Allemagne, n° 60798/10 et 65599/10).

Selon l’article 10 de la CEDH, toute personne a droit à la liberté d’expression mais son exercice peut être soumis à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d’autrui.

Mise en balance de droits

Le droit au respect de la vie privée, également protégé par l’article 9 du code civil, et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.

Cette mise en balance doit être effectuée en prenant en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], n° 40454/07, § 99, 100 et 102) et, même si le sujet à l’origine de l’article relève de l’intérêt général, il faut encore que le contenu de l’article soit de nature à nourrir le débat public sur le sujet en question (CEDH, arrêt du 29 mars 2016, Bédat c. Suisse [GC], n° 56925/08, § 64). Il incombe au juge de procéder, de façon concrète, à l’examen de chacun de ces critères (1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 16-28.741, Bull. 2018, I, n° 56).

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les implications de la publication de condamnations pénales sur la vie privée ?

La publication de condamnations pénales, surtout lorsqu’elles sont désanonymisées, soulève des questions cruciales concernant le respect de la vie privée. Selon l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), chaque individu a droit au respect de sa vie privée et familiale. Cette protection s’applique même si la personne concernée a été condamnée pour une infraction pénale. En effet, la mention de ces condamnations dans des publications peut porter atteinte à la réputation et à la vie privée de l’individu, ce qui a été confirmé par la jurisprudence, notamment dans l’arrêt M.L. et W.W. c. Allemagne. Il est donc essentiel de justifier la publication de telles informations par un débat d’intérêt général, afin de peser les droits en présence.

Comment la CEDH équilibre-t-elle les droits à la vie privée et à la liberté d’expression ?

La CEDH reconnaît à la fois le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression, comme stipulé dans les articles 8 et 10 de la Convention. Ces droits ont une valeur normative équivalente, ce qui signifie qu’ils doivent être mis en balance par le juge en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas. Cette mise en balance prend en compte plusieurs facteurs, tels que la contribution de la publication à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne concernée, et les répercussions de la publication. Le juge doit examiner ces critères de manière concrète pour déterminer quelle solution protège le mieux l’intérêt le plus légitime, qu’il s’agisse de la vie privée ou de la liberté d’expression.

Quelles sont les conditions pour justifier la publication d’informations sensibles ?

Pour qu’une publication d’informations sensibles, comme des condamnations pénales, soit justifiée, elle doit s’inscrire dans un cadre de débat d’intérêt général. Cela implique que le contenu de l’article doit réellement contribuer à nourrir le débat public sur le sujet en question. Les juges doivent évaluer si la publication respecte les attentes raisonnables des personnes concernées quant à la diffusion de leurs données personnelles. Des éléments comme le comportement antérieur de la personne, l’objet du reportage, et les circonstances de la prise de photographies sont également pris en compte pour déterminer si la publication est appropriée et justifiée.

Quels sont les enjeux de la désanonymisation des condamnations pénales ?

La désanonymisation des condamnations pénales pose des enjeux significatifs en matière de vie privée et de réputation. Même si ces informations sont déjà dans le domaine public, cela ne signifie pas qu’elles peuvent être publiées sans considération pour la vie privée des individus concernés. La CEDH a établi que la publication d’informations sur des personnes spécifiques, surtout lorsqu’elles sont traitées de manière à excéder les attentes raisonnables, peut constituer une atteinte à leur vie privée. Ainsi, les éditeurs de contenu doivent être prudents et justifier la nécessité de publier ces informations, en tenant compte des droits des individus et des implications potentielles sur leur réputation et leur vie personnelle.

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