Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris
Thématique :
→ RésuméL’affaire La Centrale illustre l’importance de la protection des marques de renommée, même en l’absence de similitudes directes entre les services. La société Groupe La Centrale a intenté une action contre Le Garage de la Centrale pour contrefaçon, arguant que l’utilisation de cette dénomination portait atteinte à sa marque renommée. Malgré des services différents, la renommée de La Centrale dans le secteur des petites annonces automobiles a conduit à une association dans l’esprit du public, justifiant ainsi la protection de la marque. Le tribunal a reconnu cette atteinte, condamnant Le Garage à cesser l’utilisation de la dénomination litigieuse.
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La protection des marques de renommée joue même en l’absence de similitudes avec les services ou produits proposés. L’utilisation des signes «La Centrale de l’occasion» et «Garage de la Centrale» constituent une atteinte à la marque de renommée La Centrale.
Affaire la Centrale
Au regard de la relative ancienneté de l’usage de la marque La Centrale (13 ans au moins), de sa présence très importante dans le secteur de la publication de petites annonces en France, tant en termes relatifs qu’absolus, de sa capacité à servir de référence des pratiques d’un segment de ce secteur (les petites annonces automobiles), dont le public pertinent est le même, à savoir le grand public, la marque verbale française La Centrale jouit d’une forte renommée auprès de ce public.
Cette renommée étant importante sur l’ensemble du territoire français, qui est une partie substantielle du territoire de l’Union européenne, la marque verbale de l’Union jouit également d’une renommée. Enfin, la marque semi-figurative française, qui est exploitée comme la marque verbale (notamment sur le site internet de la demanderesse), jouit de la même renommée.
Protection des marques de renommée
Non seulement les marques La Centrale sont renommées auprès du grand public, qui est aussi le public pertinent des services désignés par le signe litigieux (réparation et vente de véhicules), mais elles sont en particulier renommées pour des services de diffusion d’annonces (s’agissant des marques verbales) et d’édition de messages (s’agissant de la marque figurative, qui n’est pas enregistrée pour la diffusion d’annonces) lorsqu’ils sont en lien avec la vente de véhicules d’occasion.
Le public est donc d’autant plus susceptible d’associer aux marques le signe litigieux exploité dans ce secteur (réparation automobile).
L’absence de similitudes
Ainsi, malgré l’absence de similitude entre les services de réparation et de vente de véhicule et les services pour lesquels les marques sont enregistrées, il résulte de la renommée de celles-ci auprès du grand public, y-compris dans le domaine de l’automobile, de la forte similitude entre les marques et le signe, et de la façon dont celui-ci est construit, que le public établit un lien entre eux.
La contrefaçon de marque de renommée
Les droits conférés par les marques nationales et de l’Union européenne sont prévus dans des termes en substance identiques par la directive 2015/2436 et le règlement 2017/1001, respectivement à leur article 10 et 9, ce dernier étant rédigé en ces termes, s’agissant en particulier de l’atteinte à une marque de renommée :
«Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque:
(…)
c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’Union et que l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l’Union européenne ou leur porte préjudice. »
La protection des marques jouissant d’une renommée, codifiée en droit interne, en des termes en substances identiques, à l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction postérieure au 15 décembre 2019, est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l’article L. 716-4 (dans le cas des marques françaises) et par l’article L. 717-1 (dans le cas des marques de l’Union européenne).
Interprétant les dispositions en substance identiques de la première directive rapprochant les législations des États membres sur les marques, qui doivent en outre être interprétées de manière uniforme avec les disposition du règlement, la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit que pour bénéficier d’une protection élargie à des produits ou à des services non similaires, une marque enregistrée doit être connue d’une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par elle (CJCE, 14 septembre 1999, General motors corporation, C-375/97).
Au plan territorial, il suffit que la renommée existe dans une partie substantielle du territoire concerné, État membre ou Union (respectivement, CJCE, General motors corporation, précité, point 28 ; et CJCE, 6 octobre 2009, Pago international, C-301/07, point 27).
Conditions de l’atteinte à la marque de renommée
Le juge qui considère que la condition tirée de la renommée est remplie doit procéder à l’examen de la seconde condition prévue au texte, à savoir l’existence d’une atteinte sans juste motif à la marque antérieure ; à cet égard, il convient d’observer que plus le caractère distinctif et la renommée de celle-ci seront importants, plus l’existence d’une atteinte sera aisément admise (CJCE General Motors Corporation, précité, point 30).
L’atteinte peut être de trois types : premièrement, le préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure, deuxièmement, le préjudice porté à la renommée de cette marque et, troisièmement, le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque (CJCE, 27 novembre 2008, Intel corporation, C-252/07, point 27).
Une telle atteinte suppose (sans que cela suffise à la caractériser) qu’en raison d’un certain degré de similitude entre les signes, le public concerné effectue un rapprochement entre eux, c’est-à-dire qu’il établisse un lien, même s’il ne les confond pas. L’appréciation de ce lien repose notamment sur le degré de similitude entre les signes, le degré de ressemblance ou de dissemblance entre les produits ou services, le public concerné, l’intensité de la renommée, le degré de caractère distinctif de la marque (CJCE, Intel, précité, points 30 et 31, et point 42).
Ces critères font également partie des facteurs pertinents pour apprécier plus généralement l’existence (ou le risque) d’une atteinte (CJCE, Intel, précité, point 68).
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
3ème section
No RG 21/15509 –
No Portalis 352J-W-B7F-CVUWS
No MINUTE :
Assignation du :
08 Décembre 2021
JUGEMENT
rendu le 02 Août 2022
DEMANDERESSE
S.A.S. GROUPE LA CENTRALE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Maître Arnaud CASALONGA de la SAS CASALONGA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0177
DÉFENDERESSE
S.A.R.L. LE GARAGE DE LA CENTRALE
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1] CORSE
défaillant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Linda BOUDOUR, juge
assistés de Lorine MILLE, greffière
DEBATS
A l’audience du 23 mars 2022 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 24 mai 2022 et prorogé en dernier lieu au 02 août 2022
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Réputé contradictoire
En premier ressort
Exposé du litige
1. La société Groupe la centrale (ci-après « La Centrale »), qui fournit un service de petites annonces pour automobiles d’occasion, reproche à la société « Le Garage de la centrale » d’utiliser cette expression dans sa dénomination sociale, son enseigne physique, ainsi que sur Facebook et Instagram, pour désigner ses services de réparation et de vente de véhicules. Elle qualifie ces faits de contrefaçon par risque de confusion et par atteinte à une marque renommée, ainsi que de concurrence déloyale et parasitaire.
2. Elle se prévaut ainsi des marques suivantes, dont elle est titulaire :
— la marque verbale française « La Centrale » no3036751 déposée le 23 juin 2000 et enregistrée pour désigner divers produits et services, dont elle invoque les suivants :
« journaux et périodiques, en particulier journaux et périodiques de petites annonces permettant la mise en relation de personnes concernant l’acquisition et/ou la transmission de biens mobiliers et/ou immobiliers » ;
« publicité en particulier conseils en publicité, publicité en ligne sur un réseau de communications informatiques, location de temps publicitaire sur tout moyen de communication, diffusion d’annonces publicitaires en ligne sur un réseau de communications informatiques », « publication de textes publicitaires sur tout moyen de communication », « rédaction d’annonces et / ou de textes publicitaires », « vente aux enchères » ;
« finances en particulier services de financement, de crédit » ;
« publication de textes et messages autres que des textes publicitaires sur tout support » ;
« télécommunications en particulier communications télématiques, transmission d’informations contenues dans des banques de données, transmission de messages et d’images assistées par ordinateur, communication par terminaux d’ordinateurs » ;
— la marque verbale de l’Union européenne « La Centrale » no001919182 déposée le 24 octobre 2000 et enregistrée le 10 mars 2003 pour désigner divers produits et services, dont elle invoque les mêmes que ci-dessus ;
— la marque semi-figurative française « La Centrale » (en capitales blanches sur fond rouge) no99801180 déposée le 5 juillet 1999 et enregistrée (la même année) pour désigner divers produits et services dont elle invoque les suivants :
« publicité » ; « services de télécommunication, y compris communication télématique, transmission d’informations contenues dans des banques de données, transmission de messages et d’images assistée par ordinateur. » « édition de textes ou de messages. Conseils techniques et renseignements juridiques pour particuliers ».
3. La société La Centrale, après avoir adressé en vain à la société Le Garage de la centrale trois mises en demeure de cesser les usages litigieux, l’a assignée en contrefaçon et concurrence déloyale le 8 décembre 2021. La défenderesse a été assignée à l’adresse de son siège, confirmé par l’huissier qui y a constaté une « enseigne » et « le nom du destinataire sur la boîte aux lettres », mais sans pouvoir signifier l’acte à sa personne ni à une personne présente car le local était fermé. L’assignation est donc régulière, mais sans avoir été délivrée à la personne du destinataire, qui n’a pas comparu ; le jugement est ainsi réputé contradictoire, mais seulement parce qu’il est susceptible d’appel.
4. La défenderesse n’ayant pas comparu, l’instruction a été close à l’audience d’orientation le 3 février 2022, et l’affaire plaidée le 23 mars 2022.
5. Dans son assignation, la société Groupe la centrale demande de condamner la société Le Garage de la centrale
? à titre principal, à lui payer,
? pour la contrefaçon de ses trois marques, et « sauf à parfaire » 30 000 euros en réparation de son préjudice commercial et 20 000 euros en réparation de son préjudice moral,
? pour concurrence déloyale et parasitaire, 30 000 euros de dommages et intérêts ;
? subsidiairement, à lui payer 30 000 euros pour concurrence déloyale et parasitaire
? en tout état de cause,
? lui interdire la reproduction ou l’imitation de ses marques y compris en tant que dénomination sociale, nom commercial, enseigne, « en relation avec des services identiques ou similaires » à ceux de ces marques et « pour des produits ou services ayant trait au secteur automobile », sous astreinte de 1 000 euros « par infraction constatée et par jour de retard » ;
? la publication du jugement dans 5 revues ou journaux,
? outre 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, les dépens qui « comprendront les frais de constat », et l’exécution provisoire.
6. Elle allègue d’abord la renommée de ses marques, « et ce bien antérieurement à 2012 » (date de création de la société défenderesse), faisant valoir que cette renommée aurait été reconnue par la cour d’appel de Paris en 2006, que son magazine hebdomadaire de petites annonces était exploité depuis 1970, que le site internet qui en est le prolongement serait le premier site de petites annonces de voitures d’occasion et « le site de référence », avec 1,7 millions de visiteurs uniques en 2006, 4 233 000 visiteurs uniques mensuels en 2018 et 308 000 annonces, que sa marque serait réputée pour son sérieux et sa qualité, et qu’elle va jusqu’à faire établir des sondages et lier des partenariats pour améliorer ses services et leur fiabilité.
7. Elle estime ensuite que le signe « Le Garage de la centrale » utilisé par la défenderesse, dans lequel l’élément dominant serait « la centrale », reproduit à l’identique « l’élément unique, distinctif et dominant » de la marque verbale mais aussi de la marque semi-figurative car il est exploité sur fond de couleur avec texte blanc ; que le public peut penser à une déclinaison des marques, et ce d’autant plus qu’il s’agit du secteur automobile dans lequel leur renommée serait grande.
8. Sur les produits et services concernés, elle soutient en substance que la diffusion d’annonces de vente de véhicules sur l’internet constitue une édition de textes ou messages à caractère publicitaire ; qu’ainsi, la défenderesse a exploité le signe litigieux pour des produits identiques à ceux pour lesquels les marques sont enregistrées ; que pour le reste, elle exerce des activités de vente, financement, entretien et réparation de véhicules sans permis, ainsi que de commerce de véhicules et d’équipement automobiles ; que ces activités sont similaires ou complémentaires aux services de financement et de vente aux enchères pour lesquels les marques sont enregistrées
9. Elle allègue alors d’une part une atteinte à la renommée de sa marque, tenant d’abord à ce que cet usage à l’identique de sa marque amènerait le consommateur à établir un lien, dont il résulterait « indéniablement » une dilution du caractère distinctif des marques par une « dispersion » de leur identité et de « leur emprise sur l’esprit du public » ; et ensuite à ce que la défenderesse tirerait indûment profit de « la renommée de la société La Centrale en matière automobile », et ce sans juste motif car non autorisé ; outre qu’elle se verrait ainsi associée à des services de moins bonne qualité que les siens.
10. Et elle allègue d’autre part un risque de confusion au regard de la similitude entre les signes et entre les services, d’autant plus grand selon elle que la défenderesse ferait « en sorte d’amalgamer ses activités avec celles de la société Aixam », qui vend des véhicules, en apposant sa dénomination « Le Garage de la centrale » sur l’enseigne dédiée à Aixam, et en étant aussi référencée sur le site d’Aixam, ce qui amènerait le public à croire que les services exploités sous le signe litigieux sont dans le secteur automobile, et donc « en relation avec les services proposés par » la demanderesse.
11. Elle invoque enfin des faits distincts de concurrence déloyale tenant à l’imitation de son nom commercial, son enseigne et ses noms de domaine ; et de parasitisme tenant à l’utilisation des termes « La Centrale » pour des activités dans le secteur automobile. Elle les invoque encore à titre subsidiaire.
12. Elle allègue alors en premier lieu un préjudice moral « forfaitaire » de 20 000 euros tenant à la dilution et la banalisation de ses marques dont elle rappelle la renommée, en deuxième lieu un préjudice « forfaitaire » de 30 000 euros tenant d’une part à la perte de valeur distinctive et attractive de ses marques, qui provoque une baisse de leurs valeurs patrimoniales, et d’autre part au bénéfice réalisé indûment par la défenderesse ; en troisième lieu un préjudice « forfaitaire » de 30 000 euros tiré des faits distincts de concurrence déloyale, tenant au risque de confusion et au profit indû fait sur sa notoriété.
MOTIFS
1) Demandes en contrefaçon de marque
a. contrefaçon de marque renommée
13. Les droits conférés par les marques nationales et de l’Union européenne sont prévus dans des termes en substance identiques par la directive 2015/2436 et le règlement 2017/1001, respectivement à leur article 10 et 9, ce dernier étant rédigé en ces termes, s’agissant en particulier de l’atteinte à une marque de renommée :
« (…)
2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque:
(…)
c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’Union et que l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l’Union européenne ou leur porte préjudice. »
14. La protection des marques jouissant d’une renommée, codifiée en droit interne, en des termes en substances identiques, à l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction postérieure au 15 décembre 2019, est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l’article L. 716-4 (dans le cas des marques françaises) et par l’article L. 717-1 (dans le cas des marques de l’Union européenne).
i. renommée
15. Interprétant les dispositions en substance identiques de la première directive rapprochant les législations des États membres sur les marques, qui doivent en outre être interprétées de manière uniforme avec les disposition du règlement, la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit que pour bénéficier d’une protection élargie à des produits ou à des services non similaires, une marque enregistrée doit être connue d’une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par elle (CJCE, 14 septembre 1999, General motors corporation, C-375/97).
16. Au plan territorial, il suffit que la renommée existe dans une partie substantielle du territoire concerné, État membre ou Union (respectivement, CJCE, General motors corporation, précité, point 28 ; et CJCE, 6 octobre 2009, Pago international, C-301/07, point 27).
17. Si la demanderesse n’invoque aucune preuve de la date qu’elle allègue pour le commencement de l’exploitation de sa marque (1970 selon elle), elle justifie de l’enregistrement des noms de domaine lacentrale.fr et lacentrale.com, respectivement les 22 aout 1996 et 17 janvier 1997. L’exploitation de ces noms de domaines pour des petites annonces d’automobiles est affirmée par deux articles tirés de sites internet et datés de 2006 (pièce La Centrale no13), le premier certes non identifié et le second inconnu (e-marketing.fr). Ils sont toutefois corroborés par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 29 mars 2006 (RG 05/02283) ayant retenu la « notoriété » de la marque « La Centrale » pour un journal d’annonces automobiles, ce qui ne concerne pas directement les sites internet mais permet de confirmer à tout le moins l’existence d’une exploitation de la marque La Centrale, au moins à partir de 2006, pour désigner un service de petites annonces de vente d’automobiles.
18. La demanderesse se fonde encore sur une série d’articles extraits de sites internet (ses pièces no13 et 15) dont le premier cité dans l’assignation émane du site d’un organe de presse connu, Challenges (assignation p. 11). Mais cet article n’est qu’un « communiqué », comme le dit son en-tête, c’est-à-dire une publicité, et non un rapport neutre et objectif de la réalité. Tous les autres articles cités par la demanderesse, sauf un, ont un ton franchement promotionnel qui les assimile à de la propagande commerciale, ce qui comme pour les deux articles de 2006 évoqués au paragraphe précédent permet éventuellement de supposer l’existence d’une activité sous la marque (puisqu’on en fait la promotion) mais ne constitue assurément pas la preuve de son succès. Le seul article pertinent, dans l’ensemble aggloméré en pièce no15, est un article du site auto-moto.com, dont l’objet n’est pas la promotion des services de la demanderesse, mais plus généralement « les répercussions du confinement sur le marché de l’occasion » ; l’auteur de l’article s’y sert du « site de référence qu’est La Centrale » pour constater le nombre d’annonces de vente de véhicules d’occasion pendant le confinement. Pour le reste, l’auteur de l’article n’est pas nommé, et la demanderesse n’offre pas de justifier la renommée ou la grande fiabilité du site auto-moto.com. Cet article, unique, est donc un indice faible de la renommée de la marque en 2020.
19. La demanderesse se fonde enfin sur l’importance de la fréquentation de son site internet en visant sans plus de précision sa pièce no14, identifiée au bordereau comme un « rapport sur la ‘digitalisation du commerce des véhicules d’occasion’ – février 2019 ». La lecture de ce document révèle plus précisément qu’il s’agit d’un rapport établi pour le compte de « L’Association nationale pour la formation automobile » (ANFA), qui constate et analyse le commerce des véhicules d’occasion. Pour cela, il cite à de nombreuses reprises « La Centrale » avec « Le Bon coin » comme les intermédiaires les plus important dans la vente de véhicules d’occasion. En particulier, un tableau (p. 35) révèle que le site lacentrale.fr est le deuxième site le plus visité pour la vente de véhicules d’occasion, avec 4,2 millions de visiteurs uniques mensuels. Il est certes loin derrière le site le plus visité (leboncoin.fr, 25,4 millions) et très proche du 3e site le plus visité (paruvendu.fr, 4,1 millions) mais, d’une part, ces trois premiers sites devancent très nettement les suivants (le 4e n’est visité que par 0,8 millions de personnes par mois), et d’autre part une fréquentation mensuelle de 4 millions de personnes est en elle-même très importante rapportée à la population française totale. Il résulte donc de ce tableau qu’à travers le site lacentrale.fr, la marque La Centrale fait l’objet d’une exploitation très intense pour des services de publication de petites annonces et d’édition de messages, plus précisément des petites annonces automobiles, attirant chaque mois un nombre de personnes non seulement très élevé en soi, mais également très supérieur à la plupart de ses concurrents directs. Plus généralement, le rapport cite La Centrale (avec Le Bon Coin) à de nombreuses reprises, comme les intermédiaires de référence dans la vente de véhicules d’occasion.
20. Ainsi, à la date de ce rapport (février 2019), au regard de la relative ancienneté de son usage (13 ans au moins), de sa présence très importante dans le secteur de la publication de petites annonces en France, tant en termes relatifs qu’absolus, de sa capacité à servir de référence des pratiques d’un segment de ce secteur (les petites annonces automobiles), dont le public pertinent est le même, à savoir le grand public, la marque verbale française La Centrale jouissait d’une forte renommée auprès de ce public. Cette renommée étant importante sur l’ensemble du territoire français, qui est une partie substantielle du territoire de l’Union européenne, la marque verbale de l’Union jouit également d’une renommée. Enfin, la marque semi-figurative française, qui est exploitée comme la marque verbale (notamment sur le site internet de la demanderesse), jouit de la même renommée.
ii. atteinte à la marque renommée
21. Le juge qui considère que la condition tirée de la renommée est remplie doit procéder à l’examen de la seconde condition prévue au texte, à savoir l’existence d’une atteinte sans juste motif à la marque antérieure ; à cet égard, il convient d’observer que plus le caractère distinctif et la renommée de celle-ci seront importants, plus l’existence d’une atteinte sera aisément admise (CJCE General Motors Corporation, précité, point 30).
22. L’atteinte peut être de trois types : premièrement, le préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure, deuxièmement, le préjudice porté à la renommée de cette marque et, troisièmement, le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque (CJCE, 27 novembre 2008, Intel corporation, C-252/07, point 27).
23. Une telle atteinte suppose (sans que cela suffise à la caractériser) qu’en raison d’un certain degré de similitude entre les signes, le public concerné effectue un rapprochement entre eux, c’est-à-dire qu’il établisse un lien, même s’il ne les confond pas. L’appréciation de ce lien repose notamment sur le degré de similitude entre les signes, le degré de ressemblance ou de dissemblance entre les produits ou services, le public concerné, l’intensité de la renommée, le degré de caractère distinctif de la marque (CJCE, Intel, précité, points 30 et 31, et point 42).
24. Ces critères font également partie des facteurs pertinents pour apprécier plus généralement l’existence (ou le risque) d’une atteinte (CJCE, Intel, précité, point 68).
usages en l’espèce et services concernés
25. La demanderesse a fait constater par un huissier de justice, le 20 juillet 2021 (sa pièce no10) qu’une page Facebook intitulée « La Centrale de l’occasion – distributeur exclusif Aixam » a pour « photo de couverture » la photographie d’un grand panneau au bord d’une route indiquant en 3 lignes : « Garage de la centrale – mécanique générale toutes marques – voitures sans permis Aixam ». Une photographie du même panneau apparait également sur une page Instagram au même nom (« La Centrale de l’occasion ») dont la demanderesse a fait une copie (sa pièce no9), qui contient d’autres photographies montrant un garage avec une grande enseigne horizontale indiquant « Garage de la centrale » en lettres blanches sur fond orange. Cette même enseigne horizontale apparait sur l’impression d’écran du site Google maps réalisée par la demanderesse (sa pièce no7) qui révèle que ce garage se situe à l’adresse de la société Le Garage de la centrale.
26. Il est ainsi établi que la société défenderesse fait usage à titre d’enseigne du signe « Garage de la centrale » en lettres blanches sur fond orange, pour des services de « mécanique générale » donc de réparation automobile, et de vente de véhicules de marque Aixam.
27. Par ailleurs, il ressort d’une copie d’écran de la page Facebook précitée (pièce no8), laquelle reproduit comme « photo de couverture » l’enseigne du bord de route de la société défenderesse, qu’elle contient plusieurs annonces de vente de véhicules d’occasion. Certaines de ces annonces mentionnent l’adresse de la société défenderesse telle qu’elle apparait sur l’extrait du site Google maps (« face au Leclerc drive de [Adresse 4] ») et leurs photographies permettent également de voir l’enseigne horizontale « Garage de la centrale ». Il en résulte que malgré le nom différent de cette page Facebook (« La Centrale de l’occasion »), il s’agit d’annonces éditées par la société défenderesse, Le Garage de la centrale. Enfin, le constat d’huissier précité montre qu’une page Instagram au nom de M. [F] [V], gérant de la société défenderesse selon son extrait Kbis (pièce no6), et qui mentionne sous ce nom « Garage de la centrale », contient une annonce de vente d’un scooter d’occasion.
28. Il est ainsi également établi que la société défenderesse fait usage du signe « Garage de la centrale » pour désigner un service de vente de véhicules d’occasion. Cet usage n’est en revanche pas réalisé pour désigner un service de publicité : en effet, en mettant en ligne des annonces pour vendre des véhicules d’occasion, la société Le Garage de la centrale fait la publicité de ses véhicules à vendre, sans fournir elle-même de service de publicité, de rédaction ou de diffusion de petites annonces. Il pourrait s’agir d’un service de publication de messages ou d’annonces si les véhicules proposés à la vente n’étaient pas ceux de la société défenderesse, mais ceux de tiers, auxquels elle fournirait alors un service complet de dépôt, publicité, et représentation pour l’acte de vente ; mais cela n’est ni démontré ni même allégué par la demanderesse. Enfin, les usages examinés ci-dessus sont évidemment sans rapport avec les autres services invoqués par la demanderesse : finance ou télécommunications.
lien et atteinte
29. L’expression « Le Garage de la centrale » est composée de la désignation du service (le garage) et de sa qualification par un complément du nom (de la centrale). L’élément distinctif et dominant de ce signe est donc cette deuxième partie, qui, exceptée la préposition ‘de’, est identique aux marques. Le signe est donc visuellement, phonétiquement et conceptuellement très proche des marques verbales « La Centrale ». Il l’est tout autant de la marque semi-figurative dès lors qu’il est exploité en lettres blanches sur fond orange, ce qui est assez fortement similaire aux lettres blanches sur fond rouge de la marque.
30. Cette construction en « établissement DE la centrale » indique en outre une appartenance ou une proximité, ce qui est propice aux déclinaisons ou aux partenariats.
31. Or non seulement les marques sont renommées auprès du grand public, qui est aussi le public pertinent des services désignés par le signe litigieux (réparation et vente de véhicules), mais elles sont en particulier renommées pour des services de diffusion d’annonces (s’agissant des marques verbales) et d’édition de messages (s’agissant de la marque figurative, qui n’est pas enregistrée pour la diffusion d’annonces) lorsqu’ils sont en lien avec la vente de véhicules d’occasion. Le public est donc d’autant plus susceptible d’associer aux marques le signe litigieux exploité dans ce secteur.
32. Ainsi, malgré l’absence de similitude entre les services de réparation et de vente de véhicule et les services pour lesquels les marques sont enregistrées, il résulte de la renommée de celles-ci auprès du grand public, y-compris dans le domaine de l’automobile, de la forte similitude entre les marques et le signe, et de la façon dont celui-ci est construit, que le public établit un lien entre eux.
33. Par les usages décrits ci-dessus, non autorisés par le titulaire de la marque, et qui ont lieu dans la vie des affaires, pour des produits ou services, la société Le Garage de la centrale s’associe à la renommée des marques, dont elle se revendique implicitement une déclinaison, un service supplémentaire, ou un réparateur et vendeur partenaire. Elle profite ainsi de leur renommée, de façon parasitaire, pour développer sa propre activité. Il s’agit donc d’un profit indûment tiré de la renommée des marques. En outre, par l’impression donnée au public que la marque La Centrale s’étend à des activités ou des partenariats dans d’autres domaines liés aux véhicules d’occasion, ces usages portent atteinte, bien que de façon plus marginale, au caractère distinctif des marques. En revanche, leur renommée, qui est parasitée mais non altérée ou discréditée, ne subit pas de préjudice.
34. Ces atteintes, de deux ordres, tenant au préjudice causé au caractère distinctif et au profit indûment tiré de la renommée des trois marques en cause, caractérisent une contrefaçon.
35. Il n’y a alors pas lieu d’examiner les moyens tenant à la contrefaçon par imitation, qui ont la même fin (caractériser une contrefaçon des mêmes marques), reposent sur les mêmes faits, et fondent les mêmes allégations quant au préjudice.
b. préjudice et mesures réparatoires
36. En application de l’article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, également applicable en vertu de l’article L. 717-2 aux atteintes portées au droit du titulaire d’une marque de l’Union européenne, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
37. Toutefois (2nd alinéa de l’article L. 716-4-10), la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Elle n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
38. L’article L. 716-4-11 du même code prévoit qu’en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants, les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne, selon les modalités qu’elle précise. Ces mesures sont ordonnées aux frais du contrefacteur.
39. Les deux chefs de préjudice que la demanderesse attribue distinctement, pour le premier à la dilution et la banalisation de ses marques, et pour le second à la perte de leur valeur distinctive et attractive, sont en réalité deux façons de désigner le même préjudice. L’usage de la marque pour désigner d’autres services que ceux de son titulaire provoque en effet une « dilution », qui est la même chose qu’une « banalisation », et qui correspond précisément à un affaiblissement du pouvoir distinctif de la marque.
40. Cette perte, ici, est relativement faible, dans la mesure où, d’une part, l’usage litigieux est limité à un seul établissement dont la chalandise est locale et ce pendant une durée que la demanderesse n’établit pas, et où, d’autre part, il concerne des services non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, qui ne sont donc que marginalement affectés par le mésusage de la marque. Il peut être évalué à 5 000 euros.
41. Le profit indûment tiré de la renommée des marques, qui est l’atteinte principale aux marques dans la présente espèce, a causé un préjudice moral à leur titulaire, qui peut être évalué à 10 000 euros au regard de l’activité réelle mais modérée de la défenderesse.
42. La société Le Garage de la centrale doit donc être condamnée à payer à la société La Centrale une somme de 15 000 euros au total ; outre l’interdiction de poursuivre les usages illicites, sous astreinte.
43. Le préjudice est entièrement réparé par l’octroi de dommages et intérêts, sans qu’il soit besoin d’ordonner en outre une publication. La demande en ce sens est donc rejetée.
2o) Demandes en concurrence déloyale et parasitaire
44. Les faits allégués au soutien de cette prétention sont exactement les mêmes que ceux qui ont caractérisé la contrefaçon des marques ; ils n’en sont « distincts » qu’en ce qu’ils caractériseraient une faute distincte tenant à l’emploi parasitaire et à la création d’un risque de confusion avec le nom commercial, l’enseigne et le nom de domaine de la demanderesse. Toutefois, ces signes distinctifs sont composés de la marque, et la demanderesse ne justifie pas qu’ils aient malgré cette identité une valeur distincte de celle de cette marque, qui aurait été séparément affectée par le risque de confusion allégué. Elle échoue donc à démontrer un préjudice distinct qui n’aurait pas déjà été indemnisé par la réparation du dommage causé par la contrefaçon.
45. La demande est, par conséquent, rejetée.
3o) Dispositions finales
46. Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu’il détermine, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de cette partie.
47. Le cout d’un constat d’huissier, qui ne fait pas partie des frais énumérés par l’article 695 du même code, n’entre pas dans les dépens ; il fait partie des autres frais exposés pour la procédure, relevant de l’article 700.
48. La défenderesse, qui perd le procès pour l’essentiel, doit être tenue aux dépens et indemniser la demanderesse de ses frais, lesquels peuvent être raisonnablement estimés au regard des diligences qui ressortent de l’assignation et des pièces, et en l’absence d’élément contraire, à 5 000 euros.
49. L’exécution provisoire est de droit, et aucun motif ne commande de l’écarter au cas présent.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort,
CONDAMNE la société Le Garage de la centrale à payer 15 000 euros à la société Groupe la centrale en réparation de son préjudice causé par la contrefaçon de ses marques françaises no3036751 et no99801180, et de l’Union européenne no001919182 ;
Lui ENJOINT de cesser l’usage de tout signe distinctif contenant les termes « la centrale », y-compris à titre de dénomination sociale, de nom commercial, et d’enseigne, et ce dans un délai de 60 jours passé la signification du présent jugement, puis sous astreinte de 300 euros par jour de retard, qui courra au maximum pendant 180 jours ;
Se réserve la liquidation de l’astreinte ;
REJETTE la demande en publication ;
REJETTE la demande en dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire ;
CONDAMNE la société Le Garage de la centrale aux dépens ainsi qu’à payer 5 000 euros à la société Groupe la centrale au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 02 Août 2022
La Greffière La Présidente
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