CJUE, 12 juillet 2011
CJUE, 12 juillet 2011
Type de juridiction : CJUE Juridiction : CJUE Thématique :

Résumé

Dans le cadre du droit des marques, les marketplaces hybrides comme Amazon ne bénéficient pas du même statut que les hébergeurs. Elles peuvent être tenues responsables de contrefaçon si les utilisateurs établissent un lien entre les produits proposés et une marque déposée. La CJUE a souligné que la présentation uniforme des annonces, incluant celles des vendeurs tiers, peut induire en erreur l’utilisateur, lui faisant croire que la plateforme commercialise également ces produits. Ainsi, la distinction entre les offres de la marketplace et celles des vendeurs tiers est cruciale pour éviter toute confusion et protéger les droits des titulaires de marques.

Sur le terrain du droit des marques, une Markeplace, telle qu’Amazon, qui vend ses propres produits avec ceux de ses vendeurs référencés, ne bénéficie pas du même régime de faveur que celui des hébergeurs.

En conséquence, une Markeplace «hybride» s’expose à une condamnation pour contrefaçon de marque si ses utilisateurs sont susceptibles d’établir un lien entre les services offerts par la Markeplace et une marque déposée.

L’établissement du lien avec une marque protégée

En effet, un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif pourrait croire que c’est la plateforme qui commercialise, en son nom et pour son propre compte, le produit pour lequel il est fait usage de la marque en question.

La CJUE a déjà jugé qu’un tel lien existe lorsque l’exploitant d’une place de marché en ligne fait, à l’aide d’un service de référencement sur Internet et à partir d’un mot clé identique à une marque d’autrui, de la publicité pour des produits de cette marque mis en vente par ses clients sur sa place de marché en ligne.

En effet, une telle publicité crée, pour les internautes effectuant une recherche à partir de ce mot clé, une association évidente entre ces produits de marque et la possibilité de les acheter via ladite place de marché.

C’est pour ce motif que le titulaire de cette marque est habilité à interdire à cet exploitant un tel usage, lorsque cette publicité porte atteinte au droit de marque en raison du fait qu’elle ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si lesdits produits proviennent du titulaire de ladite marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C-324/09, EU:C:2011:474, points 93 et 97).

Il résulte de cette jurisprudence que, ainsi qu’aux fins de déterminer si l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne fait lui-même usage d’un signe identique à une marque d’autrui, figurant dans des annonces relatives à des produits proposés par des vendeurs tiers sur cette place de marché, il convient d’apprécier si un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif de ce site Internet établit un lien entre les services de cet exploitant et le signe en question.

Nouvelles pratiques des Markeplaces hybrides

Saisie d’une question préjudicielle, la CJUE s’est prononcée sur la pratique des Marketplaces consistant à regrouper, pour une même catégorie de produits, des annonces émanant tant de cette société elle-même que de vendeurs tiers actifs sur la place de marché en ligne que comprennent ces sites Internet.

Cette pratique diffère de celle d’autres sociétés, telles qu’eBay ou Rakuten, qui se bornent à exploiter une place de marché en ligne et qui, partant, publient uniquement des annonces émanant de vendeurs tiers, sans exercer elles-mêmes aucune activité de vente de produits.

Amazon ne serait cependant pas la seule à avoir adopté ce modèle commercial de type « hybride ». Des opérateurs comme la société Cdiscount accueillent également des produits de vendeurs tiers à côté de leur propre gamme de produits.

Perception trompeuse de l’utilisateur de la place de marché en ligne

Aux fins de déterminer si l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne fait lui-même usage d’un signe identique à une marque d’autrui, figurant dans des annonces relatives à des produits proposés par des vendeurs tiers sur cette place de marché (pratique susceptible de contrefaçon), il convient d’apprécier si un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif de ce site Internet établit un lien entre les services de cet exploitant et le signe en question.

Partant, afin de déterminer si une annonce, publiée sur un site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne par un vendeur tiers actif sur cette dernière, utilisant un signe identique à une marque d’autrui peut être considérée comme faisant partie intégrante de la

communication commerciale de l’exploitant dudit site Internet, il y a lieu de vérifier si cette annonce est susceptible d’établir un lien entre les services offerts par cet exploitant et le signe en question, au motif qu’un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif pourrait croire que c’est ledit exploitant qui commercialise, en son nom et pour son propre compte, le produit pour lequel il est fait usage du signe en question.

Les critères pour déterminer le risque de confusion

Dans le cadre de cette appréciation globale des circonstances de l’espèce, revêtent une importance particulière notamment le mode de présentation des annonces, tant individuellement que dans leur ensemble, sur le site Internet en question ainsi que la nature et l’ampleur des services fournis par l’exploitant de celui-ci.

S’agissant, premièrement, du mode de présentation de ces annonces, le besoin d’un affichage transparent des annonces sur Internet est prévu dans la législation de l’Union sur le commerce électronique (arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C-324/09, EU:C:2011:474, point 95).

Les annonces affichées sur un site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne doivent, dès lors, être présentées d’une façon qui permette à un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif de distinguer aisément les offres émanant, d’une part, de l’exploitant de ce site Internet et, d’autre part, de vendeurs tiers actifs sur la place de marché en ligne qui y est intégrée (voir, par analogie, arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C-324/09, EU:C:2011:474, point 94).

Or, la circonstance que l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne recourt à un mode de présentation uniforme des offres publiées sur son site Internet, affichant en même temps ses propres annonces et celles des vendeurs tiers et faisant apparaître son propre logo de distributeur renommé tant sur son site Internet que sur l’ensemble de ces annonces, y inclus celles relatives à des produits offerts par des vendeurs tiers, est susceptible de rendre difficile une telle distinction claire et ainsi de donner à l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif l’impression que c’est ledit exploitant qui commercialise, en son nom et pour son propre compte, également les produits offerts à la vente par ces vendeurs tiers.

Partant, lorsque ces produits sont revêtus d’un signe identique à une marque d’autrui, une telle présentation uniforme est susceptible de créer un lien, aux yeux de ces utilisateurs, entre ce signe et les services fournis par ce même exploitant.

«Les meilleurs ventes »

En particulier, lorsque l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne associe aux différentes offres, provenant de lui-même ou d’un tiers, sans distinction en fonction de leur origine, une mention du type « les meilleurs ventes », « les plus demandés » ou « les plus offerts », aux fins notamment de promouvoir certaines de ces offres, une telle présentation est susceptible de renforcer auprès de l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif l’impression que les produits ainsi promus sont commercialisés par cet exploitant, en son nom et pour son propre compte.

La nature et l’ampleur des services fournis par l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne aux vendeurs tiers qui proposent des produits revêtus du signe en cause sur cette place de marché, tels que ceux consistant notamment dans le traitement des questions des utilisateurs relatives à ces produits ou au stockage, à l’expédition et à la gestion des retours desdits produits, sont susceptibles également de donner l’impression, à un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif, que ces mêmes produits sont commercialisés par ledit exploitant, en son nom et pour son propre compte, et ainsi de créer un lien, aux yeux de ces utilisateurs, entre ses services et les signes figurant sur ces produits et dans les annonces de ces vendeurs tiers.

Notion de «Faire usage d’une marque»

En vertu de l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001, l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire le droit d’interdire à tout tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique à cette marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée.

La notion de « faire usage », au sens de l’article 9, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, n’est pas définie par ce règlement.

Il découle de la jurisprudence constante de la CJUE que le titulaire de la marque est habilité à interdire l’usage, sans son consentement, d’un signe identique à ladite marque par un tiers, lorsque cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, et porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, parmi lesquelles figure notamment la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2016, Daimler, C-179/15, EU:C:2016:134, point 26 et jurisprudence citée).

Selon son sens habituel, l’expression « faire usage » implique un comportement actif et une maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage. L’article 9, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, qui énumère de façon non exhaustive les types d’usage que le titulaire de la marque peut interdire, mentionne exclusivement des comportements actifs de la part du tiers (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C- 567/18, EU:C:2020:267, point 37 et jurisprudence citée), parmi lesquels figure, à cet article 9, paragraphe 3, sous b), le fait d’offrir les produits contrefaisants, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins.

Dans ce contexte, la Cour a rappelé que l’article 9 du règlement 2017/1001 a pour but de fournir au titulaire d’une marque de l’Union européenne un instrument légal lui permettant d’interdire, et ainsi de faire cesser, tout usage de cette marque qui est fait par un tiers sans son consentement.

Cependant, seul un tiers qui a la maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage est effectivement en mesure de cesser cet usage et donc de se conformer à ladite interdiction (arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C-567/18, EU:C:2020:267, point 38 et jurisprudence citée).

Par ailleurs, la Cour a aussi ugé que l’usage d’un signe identique ou similaire à la marque du titulaire par un tiers, au sens de l’article 9, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, implique, à tout le moins, que ce dernier fasse un usage du signe dans le cadre de sa propre communication commerciale.

Une personne peut ainsi permettre à ses clients de faire usage de signes identiques ou similaires à des marques, sans faire elle-même un usage desdits signes (arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C-567/18, EU:C:2020:267, point 39 et jurisprudence citée).

Responsabilité de l’exploitant d’une place de marché en ligne

S’agissant de l’exploitant d’une place de marché en ligne, l’usage de signes identiques ou similaires à des marques, dans des offres à la vente affichées sur cette place de marché, est fait uniquement par les clients vendeurs de cet exploitant et non pas par celui-ci, dès lors que ce dernier n’utilise pas ce signe dans le cadre de sa propre communication commerciale (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C-324/09, EU:C:2011:474, points 102 et 103, ainsi que du 2 avril 2020, Coty Germany, C-567/18, EU:C:2020:267, point 40).

En effet, le simple fait de créer les conditions techniques nécessaires pour l’usage d’un signe et d’être rémunéré pour ce service ne signifie pas que celui qui rend ce service fasse lui-même usage dudit signe, même s’il agit dans son propre intérêt économique (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C-567/18, EU:C:2020:267, point 43 et jurisprudence citée).

Dans cette même perspective, la Cour a jugé que, lorsque l’exploitant d’une place de marché en ligne offre des services de stockage aux vendeurs tiers actifs sur cette place de marché, de sorte qu’il entrepose pour ces vendeurs tiers des produits portant atteinte à un droit de marque, sans toutefois avoir connaissance du caractère contrefaisant des produits en cause et sans avoir pour objectif d’offrir lui-même les biens qu’il stocke ou de les mettre lui-même sur le marché, c’est non pas l’exploitant, mais ces vendeurs seuls qui font usage des signes apposés sur les biens stockés.

Précédemment la CJUE avait indiqué (arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a. (C-324/09, EU:C:2011:474),) sans ambigüité que cet exploitant n’avait pas connaissance du fait que les produits en cause portaient atteinte à un droit de marque, qu’il n’avait pas lui-même offert les produits concernés à la vente ni ne les avait mis dans le commerce et qu’il n’avait pas non plus l’intention de le faire lui-même.

Cette juridiction avait également relevé que l’expédition de ces produits était réalisée par des prestataires externes (voir arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C-567/18, EU:C:2020:267, points 9, 30 et 47).

La « communication commerciale » désigne généralement toute forme de communication destinée aux tiers, visant à promouvoir son activité, ses biens ou ses services, ou à indiquer l’exercice d’une telle activité.

L’utilisation d’un signe dans la propre communication commerciale d’une telle entreprise suppose ainsi que ce signe apparaisse, aux yeux des tiers, comme faisant partie intégrante de celle-ci et, partant, comme relevant de l’activité de cette entreprise.

Dans une situation où le prestataire d’un service utilise un signe identique ou similaire à une marque d’autrui pour promouvoir des produits que l’un de ses clients commercialise à l’aide de ce service, ce prestataire fait lui-même usage de ce signe lorsqu’il utilise celui-ci de telle façon qu’il s’établit un lien entre ledit signe et les services fournis par ledit prestataire (arrêts du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C-324/09, EU:C:2011:474, point 92, ainsi que du 15 décembre 2011, Frisdranken Industrie Winters, C-119/10, EU:C:2011:837, point 32).

Ainsi, la Cour a considéré qu’un tel prestataire ne fait pas lui-même usage d’un signe identique ou similaire à une marque d’autrui lorsque le service rendu par celui-ci n’est, par sa nature, pas comparable à un service visant à promouvoir la commercialisation de produits revêtus de ce signe et n’implique pas la création d’un lien entre ce service et ledit signe, dès lors que le prestataire en question n’apparaît pas au consommateur, ce qui exclut toute association entre ses services et le signe en cause (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2011, Frisdranken Industrie Winters, C-119/10, EU:C:2011:837, point 33).


   

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