Oeuvre architecturale : le piège de la divulgation publique 

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Oeuvre architecturale : le piège de la divulgation publique 

L’Essentiel : Dans le cadre d’une action en contrefaçon, la société Poissonnier & Associés a été déclarée irrecevable par le Tribunal Judiciaire de Marseille. En effet, la cour a souligné qu’une personne morale ne peut revendiquer la qualité d’auteur d’une œuvre collective sans prouver qu’elle en a dirigé l’édition et la divulgation. Bien que Poissonnier ait invoqué des droits d’auteur sur le projet architectural « La Cascade », il a été établi que le projet avait été diffusé sous la direction d’un promoteur immobilier, rendant ainsi la société inéligible à agir en contrefaçon.

Il est vivement conseillé à un cabinet d’architecture de demander au promoteur immobilier d’apposer sur tous les supports de l’oeuvre architecturale, sa dénomination sociale. Le cas contraire, l’oeuvre est présumée appartenir au promoteur immobilier et l’action en contrefaçon du cabinet d’architecture sur ses croquis et travaux sera tout simplement déclarée irrecevable. 

Assignation en contrefaçon

La société Poissonnier & Associés, invoquant la contrefaçon des plans, esquisses, croquis et projet qu’elle aurait établis en 2015 à l’occasion d’un premier appel d’offres, et dénonçant subsidiairement des actes de concurrence déloyale, a assigné la société Lacaille & Lassus Architectes Associés et les sociétés La Cascadeet GCC Immobilier devant le Tribunal Judiciaire de Marseille afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice.

Irrecevabilité de l’action

Au cas particulier, considérant qu’une personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur, la société Lacaille & Lassus Architectes Associés a soulevé à bon droit l’absence de qualité pour agir de la société Poissonnier & Associés au titre de son action en contrefaçon.

La société Poissonnier & Associés a invoqué sans succès le fait qu’elle est titulaire des droits d’auteur sur l’oeuvre collective dite La Cascade, élaborée entre plusieurs collaborateurs au sein du cabinet d’architecture.

Divulgation publique

A cet égard, la personne morale qui exploite sous son nom une oeuvre à laquelle ont concouru plusieurs participants, est présumée, jusqu’à preuve contraire, titulaire des droits sur cette oeuvre collective.

Droit de propriété sur l’oeuvre collective

Néanmoins, lorsque la qualification est discutée il appartient à celui qui se prévaut de celle-ci d’apporter la preuve qu’il y a bien oeuvre collective.

Au visa de l’article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle l’oeuvre est dite collective si elle est créée à l’initiative d’une personne physique ou morale, qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom, et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé.

La société Poissonnier & Associés ne justifiait pas qu’elle était à l’origine de l’édition, de la publication et de la divulgation du projet architectural sous sa direction et son nom.

Le projet présenté n’a pas été divulgué sous l’égide de la société Poissonnier & Associés. Le cabinet d’architecture apparaît en effet, par son logo, comme participant sous la direction de la société « Pitch Promotion/Groupe Imestia », laquelle se présente en tête de l’organigramme comme promoteur et maître d’ouvrage.

Ainsi, si la société Pitch a effectivement consulté la société Poissonnier & Associés pour l’élaboration d’un projet architectural, il n’en reste pas moins que le projet a été divulgué sous la direction du promoteur immobilier et ne peut être à ce titre considéré comme une oeuvre collective dont la société Poissonnier & Associés serait titulaire au sens de l’article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle.

Une personne morale auteure ?

Une personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur, elle doit donc, avant toute action judiciaire, pouvoir établir qu’elle est titulaire des droits d’auteur sur l’oeuvre collective élaborée entre plusieurs collaborateurs au sein du cabinet d’architecture.

A cet égard, la personne morale qui exploite sous son nom une oeuvre à laquelle ont concouru plusieurs participants, est présumée, jusqu’à preuve contraire, titulaire des droits sur cette oeuvre collective.

Néanmoins, lorsque la qualification est discutée il appartient à celui qui se prévaut de celle-ci d’apporter la preuve qu’il y a bien oeuvre collective.

Au visa de l’article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle l’oeuvre est dite collective si elle est créée à l’initiative d’une personne physique ou morale, qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom, et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé.

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT

DU 12 JANVIER 2023

N° 2023/ 5

Rôle N° RG 22/02605 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BI4YR

S.A.R.L. POISSONNIER, [J] & ASSOCIES

C/

SAS LACAILLE & LASSUS ARCHITECTES ASSOCIES

S.C.I. SCCV LA CASCADE

S.A.S. GCC IMMOBILIER

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Olivier DESCOSSE

Me Alexandra BOISRAME

Me Pierre emmanuel PLANCHON

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance du Juge de la mise en état de Marseille en date du 07 Février 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 20/10449.

APPELANTE

S.A.R.L. POISSONNIER, [J] & ASSOCIES, dont le siège social est sis [Adresse 4]

représentée par Me Olivier DESCOSSE de la SELARL ANDRE – DESCOSSE, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Vanessa MOURRE, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

INTIMEES

SAS LACAILLE & LASSUS ARCHITECTES ASSOCIES, dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Rémi-pierre DRAI, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Margaux BILGER, avocat au barreau de PARIS, plaidant

S.C.I. SCCV LA CASCADE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Pierre emmanuel PLANCHON, avocat au barreau de MARSEILLE, assisté de Me Julie FAY, avocat au barreau de PARIS, plaidant

S.A.S. GCC IMMOBILIER, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Pierre emmanuel PLANCHON, avocat au barreau de MARSEILLE, assisté de Me Julie FAY, avocat au barreau de PARIS, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 14 Novembre 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Pierre CALLOCH, Président

Madame Marie-Christine BERQUET, Conseillère

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Madame Marie PARANQUE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Janvier 2023.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Janvier 2023,

Signé par Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, pour Monsieur Pierre CALLOCH, Président empêché et Madame Marie PARANQUE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

A la suite d’un appel d’offres passé en octobre 2016, sous la forme d’un « dialogue compétitif », la ville de [Localité 5] a retenu la candidature de la société Lacaille & Lassus Architectes Associés, en collaboration avec les sociétés La Cascade et GCC Immobilier, pour l’édification d’un bâtiment dénommé « La Cascade ».

La société Poissonnier, [J] & Associés, invoquant la contrefaçon des plans, esquisses, croquis et projet qu’elle aurait établis en 2015 à l’occasion d’un premier appel d’offres, et dénonçant subsidiairement des actes de concurrence déloyale, a assigné la société Lacaille & Lassus Architectes Associés et les sociétés La Cascadeet GCC Immobilier devant le Tribunal Judiciaire de Marseille afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice.

Dans le cadre de l’instruction du dossier, les sociétés La Cascade et GCC Immobilier ont saisi le juge de la mise en état par conclusions d’incident du 9 janvier 2022 pour voir déclarer irrecevable l’action de la société Poissonnier, [J] & Associés pour défaut de qualité à agir tant sur le fondement de l’action en contrefaçon que sur le fondement de la concurrence déloyale.

Les sociétés La Cascade et GCC Immobilier soutenaient notamment que la société Poissonnier, [J] & Associés n’apportait pas la preuve qu’elle était titulaire de droits d’auteur sur l’oeuvre revendiquée et faisaient valoir que les conditions pour que soit constituée une oeuvre collective n’étaient pas remplies.

La société Poissonnier, [J] & Associés soutenait au contraire qu’elle était titulaire d’une oeuvre collective.

Par ordonnance du 7 février 2022 le juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de Marseille a :

— déclaré irrecevable la société Poissonnier, [J] & Associés à agir en contrefaçon de droits d’auteur sur une oeuvre collective constituée par des plans, études et croquis relativement au projet d’aménagement de l’îlot de la Cascade à [Localité 5],

— rejeté l’exception d’irrecevabilité de l’action en concurrence déloyale de la société Poissonnier, [J] & Associés,

— condamné la société Poissonnier, [J] & Associés à verser à la société Lacaille & Lassus Architectes Associés et les sociétés La Cascade et GCC Immobilierensemble la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure,

— rejeté les demandes au titre des frais irrépétibles de procédure de la société Poissonnier, [J] & Associés et de la société Lacaille & Lassus Architectes Associés,

— condamné la société Poissonnier, [J] & Associés aux dépens de l’incident

— ————

Par acte du 21 février 2022 la société Poissonnier, [J] & Associés a interjeté appel de l’ordonnance.

— ————

Par conclusions enregistrées le 7 juin 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Poissonnier, [J] & Associés (SARL) soutient que :

— à titre principal, elle est titulaire des droits d’auteur sur l’oeuvre architecturale l’îlot La Cascade et dispose ainsi du droit d’agir puisqu’elle en est l’initiateur et a pris la direction du projet ; elle a également exploité l’oeuvre créée de façon collective ; le nom de la société est toujours apparu, fusionnant les contributions individuelles des salariés intervenus sur le projet ; la société Pitch Promotion n’était pas à l’initiative de la création puisqu’en sa qualité de promoteur, elle était la personne pour qui le bilan était réalisé ; la création de l’oeuvre a été faite sous sa direction ; l’oeuvre a été diffusée sur son site internet, et a été soumise au promoteur,

— à titre subsidiaire, elle bénéficie d’une présomption de titularité des droits d’auteur en tant que personne morale en l’absence de revendication de la part du ou des auteurs,

— elle justifie d’un intérêt à agir au titre de la concurrence déloyale dès lors que cette action est distincte de l’action en contrefaçon, que les circonstances sont établies et que son préjudice financier, évalué à 62.627 euros, est également justifié, outre son préjudice moral.

La société appelante demande dès lors à la Cour d’infirmer l’ordonnance en ce qu’elle l’a déclarée irrecevable en son action en contrefaçon, l’a condamnée au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et l’a déboutée de sa demande à ce titre.

La société Poissonnier, [J] & Associés sollicite ainsi de :

— la déclarer recevable à agir au titre de la contrefaçon à l’encontre de la société Lacaille & Lassus Architectes Associés et des sociétés La Cascade et GCC Immobilier,

— débouter les sociétés intimées de leurs demandes dans le cadre de l’appel incident,

— confirmer l’ordonnance en ce qu’elle l’a déclarée recevable à agir au titre de la concurrence déloyale,

— débouter la société Lacaille & Lassus Architectes Associés et les sociétés La Cascade et GCC Immobilier de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

— condamner la société Lacaille & Lassus Architectes Associés et les sociétés La Cascade et GCC Immobilier au paiement de la somme de 5.000 euros chacun en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

— ————

Par conclusions enregistrées le 10 octobre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Lacaille & Lassus Architectes Associés (SAS) réplique que :

— au visa des articles 31 et 32 du code de procédure civile, la société Poissonnier, [J] & Associés ne justifie pas de son droit d’agir et rappelle que la recevabilité d’une action en contrefaçon des droits d’auteur est soumise à la preuve par le demandeur de sa qualité de titulaire du droit d’auteur,

— la société Poissonnier, [J] & Associés ne démontre pas que les conditions lui permettant de se prévaloir de la qualification d’oeuvre collective sont réunies : le projet a été élaboré sous l’égide de la société Pitch Promotion et non de la société Poissonnier, [J] & Associés ; la société Poissonnier, [J] & Associés ne démontre pas avoir pris la direction du projet par des directives adressées à ses salariés, et les attestations doivent être jugées irrecevables et écartées au visa de l’article 202 du code de procédure civile en l’absence des mentions obligatoires ; la société Poissonnier, [J] & Associés ne justifie pas davantage de l’exploitation de l’oeuvre sur son site internet ; la société Poissonnier, [J] & Associés ne peut invoquer une fusion des contributions à son initiative puisque c’est le logo de la société Pitch qui apparaît,

— la société Poissonnier, [J] & Associés ne peut se prévaloir de la présomption de titularité des droits d’auteur dans la mesure où si une personne morale peut être investie des droits de l’auteur conformément à l’article L.113-5 du code de la propriété intellectuelle, elle n’a pas pour autant la qualité d’auteur ; en tout état de cause, cette présomption est inapplicable dès lors que la société Poissonnier, [J] & Associés n’établit pas l’exploitation paisible de l’oeuvre revendiquée,

— l’action de la société Poissonnier, [J] & Associés doit également être déclarée irrecevable au titre des actes de concurrence déloyale en l’absence de preuve de la qualité d’auteur de la société Poissonnier, [J] & Associés et de l’absence de preuve des investissements réalisés et du coût des études

La société Lacaille & Lassus Architectes Associés demande ainsi à la cour de confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a déclaré la société Poissonnier, [J] & Associés irrecevable à agir en contrefaçon de droits d’auteur et de l’infirmer en ce qu’elle l’a déclarée recevable au titre de la concurrence déloyale.

La société Lacaille & Lassus Architectes Associés sollicite dès lors que soit déclarée irrecevable pour défaut de qualité à agir la société Poissonnier, [J] & Associés et qu’elle soit condamnée au paiement de la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

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Par conclusions enregistrées le 13 mai 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les sociétés La Cascade(SCI) et GCC Immobilier (SASU) répliquent pour leur part que :

— la société Poissonnier, [J] & Associés ne justifie pas d’une qualité à agir sur le fondement de la contrefaçon de droits d’auteur,

— en premier lieu, s’agissant de l’oeuvre collective, elle ne démontre pas que l’oeuvre revendiquée a été créée à son initiative, sous sa direction et son contrôle comme le fruit de plusieurs contributions créatives qui se fondent dans un ensemble, et qu’elle l’a ensuite elle-même divulguée au sens des dispositions de l’article L.113-2 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle,

— en second lieu, s’agissant de la présomption de cotitularité, elle ne peut trouver à s’appliquer dès lors que la société Poissonnier, [J] & Associés ne démontre pas avoir exploité paisiblement l’oeuvre revendiquée ; la simple diffusion sur son site internet, si elle est retenue, ne caractérise pas une commercialisation et donc une exploitation ; subsidiairement, si la présomption de titularité était retenue, la société Poissonnier, [J] & Associés ne pourrait revendiquer un préjudice moral dès lors que la personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur ni être investie à titre originaire de l’ensemble des droits d’auteur,

— à titre incident, l’action de la société Poissonnier, [J] & Associés doit également être déclarée irrecevable au titre de la concurrence déloyale dès lors qu’elle échoue à prouver sa qualité d’auteur ainsi que les éléments concrets sur les investissements financiers ou humains engagés, distincts de ses honoraires

Ainsi, les sociétés La Cascade et GCC Immobilier demandent à la Cour, à titre principal, de confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a déclaré irrecevable à agir la société Poissonnier, [J] & Associés sur le fondement du droit d’auteur et la débouter de son appel et de toutes fins qu’il comporte.

A titre subsidiaire, si la présomption de titularité est retenue, juger irrecevable l’action de la société Poissonnier, [J] & Associés sur le fondement du droit moral et pour former des demandes au titre d’un préjudice moral,

Sur leur appel incident, les sociétés La Cascade et GCC Immobilier demandent l’infirmation de l’ordonnance en ce qu’elle a déclaré recevable la société Poissonnier, [J] & Associés en son action en concurrence déloyale.

Par ailleurs, elles sollicitent la condamnation de la société Poissonnier, [J] & Associés à leur payer chacune la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de justice de première instance et d’appel, dont distraction.

— ————

Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l’instruction par ordonnance du 17 octobre 2022 et a fixé l’examen de l’affaire à l’audience du 14 novembre 2022.

A cette date, l’affaire a été retenue et mise en délibéré au 12 janvier 2023.

MOTIFS

Sur la recevabilité des actions engagées par la société Poissonnier, [J] & Associés :

En application de l’article 122 du code de procédure civile constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Ainsi, au visa de l’article 31 du code de procédure civile l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Pour autant, au visa de l’article 31 susvisé, il a été jugé que l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action, et que l’existence du droit invoqué n’est pas une condition de recevabilité de l’action mais de son succès.

Il en résulte que sur le fondement de l’action en concurrence déloyale, le demandeur à l’action n’a pas à faire la preuve préalable des actes fautifs, de son préjudice ainsi que d’un lien de causalité, ces conditions relevant, non pas de la recevabilité de son action au visa des articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile, mais d’une appréciation au fond des éléments constitutifs de l’action en concurrence déloyale fondée sur l’article 1240 du code civil.

L’ordonnance sera dès lors confirmée en ce qu’elle a déclaré la société Poissonnier, [J] & Associés recevable en son action en concurrence déloyale.

De même, le bien-fondé de l’action en contrefaçon, action qui procède d’un régime autonome de celui de l’action en concurrence déloyale, ne relève pas d’un débat sur la recevabilité.

En revanche, le défaut de qualité pour agir constitue un moyen de nature à rendre irrecevable toute prétention émise par une personne dépourvue du droit d’agir.

Ainsi, aux termes de l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporel exclusif et opposable à tous, comprenant des attributs d’ordre intellectuel et moral mais également d’ordre patrimonial.

De ce fait, l’auteur d’une oeuvre peut agir en contrefaçon à l’égard des tiers, pour autant qu’il établisse sa qualité d’auteur.

Au cas particulier, considérant qu’une personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur, la société Lacaille & Lassus Architectes Associés a soulevé à bon droit l’absence de qualité pour agir de la société Poissonnier, [J] & Associés au titre de son action en contrefaçon.

La société Poissonnier, [J] & Associés invoque le fait qu’elle est titulaire des droits d’auteur sur l’oeuvre collective dite La Cascade, élaborée entre plusieurs collaborateurs au sein du cabinet d’architecture.

A cet égard, la personne morale qui exploite sous son nom une oeuvre à laquelle ont concouru plusieurs participants, est présumée, jusqu’à preuve contraire, titulaire des droits sur cette oeuvre collective.

Néanmoins, lorsque la qualification est discutée il appartient à celui qui se prévaut de celle-ci d’apporter la preuve qu’il y a bien oeuvre collective.

Au visa de l’article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle l’oeuvre est dite collective si elle est créée à l’initiative d’une personne physique ou morale, qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom, et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé.

En cause d’appel, la société Poissonnier, [J] & Associés produit des éléments permettant d’attester que le projet architectural est bien une création collective dès lors qu’il a mobilisé divers intervenants avec des approches complémentaires au sein d’une équipe de conception dirigée par M. [B] [J].

Il convient de rappeler que les formalités imposées par les articles 202 et suivants du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité et que le juge peut en tout état de cause apprécier souverainement si une attestation non conforme à l’article 202 présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction. Dès lors, la nullité des attestations produites par la société appelante n’a pas lieu d’être prononcée de ce seul fait.

En revanche, la société Poissonnier, [J] & Associés ne justifie pas qu’elle est à l’origine de l’édition, de la publication et de la divulgation du projet architectural sous sa direction et son nom.

En effet, si elle produit deux versions (non datées) du projet intitulé « Îlot de la Cascade » au nom de Poissonnier [J] (pièces 21 et 22) il n’est pas établi que ces deux versions aient été diffusées.

De plus, comme l’a constaté le premier juge, le projet présenté dans le cadre d’un premier appel de la mairie de [Localité 5] en 2015 n’est pas divulgué sous l’égide de la société Poissonnier, [J] & Associés. Le cabinet d’architecture apparaît en effet, par son logo, comme participant sous la direction de la société « Pitch Promotion/Groupe Imestia », laquelle se présente en tête de l’organigramme comme promoteur et maître d’ouvrage.

Ainsi, si la société Pitch a effectivement consulté la société Poissonnier, [J] & Associés pour l’élaboration d’un projet architectural, il n’en reste pas moins que le projet a été divulgué sous la direction du promoteur et ne peut être à ce titre considéré comme une oeuvre collective dont la société Poissonnier, [J] & Associés serait titulaire au sens de l’article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle.

Enfin, les captures d’écran produites aux débats ne sont pas exploitables en l’espèce et sont insuffisantes à faire la preuve de la divulgation du projet avant la contrefaçon alléguée en l’absence d’éléments datés et précis.

En conséquence, il y a lieu de confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état également en ce qu’elle a déclaré la société Poissonnier, [J] & Associés irrecevable en son action en contrefaçon.

Sur les frais et dépens :

La société Poissonnier, [J] & Associés, partie succombante, conservera la charge des dépens de la procédure d’appel, recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

En revanche, il n’y a pas lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile dans la perspective des débats au fond à intervenir et de l’indemnité d’ores et déjà allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme l’ordonnance rendue le 7 février 2022 par le juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de MARSEILLE,

Y ajoutant,

Dit que la société Poissonnier, [J] & Associés conservera la charge des dépens de la procédure d’appel, recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

Dit n’y avoir lieu à indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

Q/R juridiques soulevées :

Pourquoi est-il conseillé à un cabinet d’architecture de faire figurer sa dénomination sociale sur les supports de l’œuvre architecturale ?

Il est vivement conseillé à un cabinet d’architecture de demander au promoteur immobilier d’apposer sa dénomination sociale sur tous les supports de l’œuvre architecturale pour éviter que l’œuvre soit présumée appartenir au promoteur.

En effet, si cette mention n’est pas faite, le cabinet d’architecture risque de perdre ses droits sur ses croquis et travaux. Dans ce cas, toute action en contrefaçon qu’il pourrait envisager serait déclarée irrecevable, ce qui signifie qu’il ne pourrait pas revendiquer ses droits d’auteur sur l’œuvre.

Quelles sont les raisons de l’assignation en contrefaçon par la société Poissonnier & Associés ?

La société Poissonnier & Associés a assigné la société Lacaille & Lassus Architectes Associés ainsi que les sociétés La Cascade et GCC Immobilier devant le Tribunal Judiciaire de Marseille.

Cette action était motivée par la contrefaçon des plans, esquisses, croquis et projets qu’elle aurait établis en 2015 lors d’un premier appel d’offres. En plus de la contrefaçon, elle a également dénoncé des actes de concurrence déloyale, cherchant ainsi à obtenir une indemnisation pour le préjudice qu’elle estime avoir subi.

Pourquoi l’action de la société Poissonnier & Associés a-t-elle été déclarée irrecevable ?

L’action de la société Poissonnier & Associés a été déclarée irrecevable car, selon le tribunal, une personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur.

La société Lacaille & Lassus Architectes Associés a soulevé cette absence de qualité pour agir, ce qui a été jugé fondé. De plus, la société Poissonnier & Associés n’a pas réussi à prouver qu’elle était titulaire des droits d’auteur sur l’œuvre collective dite La Cascade, élaborée avec plusieurs collaborateurs au sein de son cabinet.

Qu’est-ce qu’une œuvre collective selon le code de la propriété intellectuelle ?

Selon l’article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle, une œuvre est dite collective si elle est créée à l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom.

Dans une œuvre collective, la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble, rendant impossible l’attribution d’un droit distinct à chacun d’eux sur l’ensemble réalisé. Cela signifie que la société qui dirige le projet doit prouver qu’elle a effectivement pris en charge l’édition et la publication de l’œuvre.

Quel est le rôle de la présomption de titularité des droits d’auteur pour une personne morale ?

La présomption de titularité des droits d’auteur stipule qu’une personne morale qui exploite sous son nom une œuvre à laquelle ont contribué plusieurs participants est présumée, jusqu’à preuve du contraire, titulaire des droits sur cette œuvre collective.

Cependant, lorsque la qualification d’œuvre collective est contestée, il incombe à celui qui se prévaut de cette qualification d’apporter la preuve qu’il s’agit bien d’une œuvre collective. Cela implique que la société Poissonnier & Associés devait démontrer qu’elle avait effectivement dirigé et publié l’œuvre pour revendiquer ses droits.

Quels éléments ont conduit à la conclusion que la société Poissonnier & Associés n’était pas titulaire des droits d’auteur ?

La société Poissonnier & Associés n’a pas réussi à prouver qu’elle était à l’origine de l’édition, de la publication et de la divulgation du projet architectural sous sa direction et son nom.

Le projet a été présenté sous la direction de la société Pitch Promotion, qui était le promoteur et maître d’ouvrage. De plus, les éléments produits par la société Poissonnier, tels que des versions non datées du projet, n’ont pas été établis comme ayant été diffusés, ce qui a conduit à la conclusion que la société ne pouvait pas revendiquer les droits d’auteur sur l’œuvre collective.

Quelles conséquences a eu la décision de la cour sur les frais de justice ?

La cour a confirmé l’ordonnance du juge de la mise en état, ce qui signifie que la société Poissonnier & Associés, en tant que partie succombante, a conservé la charge des dépens de la procédure d’appel.

Cela implique qu’elle devra payer les frais de justice engagés durant le processus. En revanche, la cour a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer l’article 700 du code de procédure civile, qui permettrait d’accorder une indemnité pour couvrir les frais de justice, en raison des débats au fond à venir et de l’indemnité déjà allouée en première instance.


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