Contrefaçon de marques et absence de similitude entre les services

·

·

Contrefaçon de marques et absence de similitude entre les services

L’Essentiel : La contrefaçon de marques nécessite une similitude entre les services concernés. Dans l’affaire opposant l’association ‘Institut [5]’ à Mme [U], la Cour a constaté l’absence de similitude entre les services de formation en couture de Mme [U] et ceux pour lesquels les marques de l’association sont enregistrées. En conséquence, les demandes de contrefaçon ont été rejetées, car l’association n’a pas démontré que ses marques jouissaient d’une renommée suffisante pour justifier une protection contre l’utilisation des signes litigieux. De plus, aucune concurrence déloyale n’a été établie, le tribunal concluant à l’absence de risque de confusion.

Faute de similitude entre les services pour lesquels les marques sont enregistrées et ceux pour lesquels les signes litigieux sont utilisés, il ne peut y avoir d’atteinte à ces marques que par atteinte à leur renommée.

La Cour de justice de l’Union européenne a précisé que le droit exclusif du titulaire de la marque, qui n’est pas absolu, ne l’autorise à s’opposer à l’usage d’un signe par un tiers en vertu de l’article 9, dans les conditions énumérées au paragraphe 2, sous a) et b), que si cet usage porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (CJCE, 12 novembre 2002, Arsenal football club, C-206/01, point 51 ; plus récemment, CJUE, 17 novembre 2022, Impexeco, C-253/20, point 46 et jurisprudence citée).

Le droit conféré par les marques nationales et de l’Union européenne est prévu dans des termes en substance identiques par la directive 2015/2436 et le règlement 2017/1001, respectivement à leur article 10 et 9, ce dernier étant ainsi rédigé :

« 1. L’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque :

a) ce signe est identique à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée;

b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque;

c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’Union et que l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l’Union européenne ou leur porte préjudice. »

L’atteinte au droit conféré par la marque, prévue en droit interne, en des termes en substance identiques, aux articles L. 713-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction postérieure au 15 décembre 2019, est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l’article L. 716-4 (dans le cas des marques françaises) et par l’article L. 717-1 (dans le cas des marques de l’Union européenne).

Résumé de l’affaire

L’association ‘Institut [5]’ accuse Mme [U] d’utiliser les signes ‘IFMC’ et ‘ifmcouture’ pour des services de formation en couture, ce qui constituerait une contrefaçon de ses marques ‘IFM – institut [5]’ et une concurrence déloyale. Malgré un accord de médiation, l’association maintient ses demandes et réclame l’interdiction pour Mme [U] d’utiliser ces signes, ainsi que des dommages et intérêts. Elle affirme que les signes utilisés par Mme [U] sont presque identiques à ses marques et qu’il existe un risque de confusion pour le public cible. Elle estime également avoir subi un préjudice financier et demande la publication d’un communiqué pour rétablir sa réputation. Mme [U] n’a pas répondu aux accusations.

Les points essentiels

Demandes fondées sur la contrefaçon de marques

La demande est fondée sur la contrefaçon de marques nationales et de l’Union européenne. Le droit conféré par les marques est prévu dans des termes identiques par la directive 2015/2436 et le règlement 2017/1001. La Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions dans lesquelles le titulaire d’une marque peut s’opposer à l’usage d’un signe par un tiers.

Demandes fondées sur la concurrence déloyale

La demande est également fondée sur la concurrence déloyale. La concurrence déloyale consiste en des agissements s’écartant des règles de loyauté et de probité professionnelle. Il est nécessaire d’apprécier la faute de manière concrète et circonstanciée. Dans ce cas, il n’y a pas de risque de confusion ni de parasitisme, ni de pratique commerciale trompeuse.

Les montants alloués dans cette affaire: – L’association Institut [5] : 0€
– Dépens à la charge de l’association Institut [5]

Réglementation applicable

I. Demandes fondées sur la contrefaçon de marques

– Article 10 de la directive 2015/2436 et article 9 du règlement 2017/1001

« 1. L’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.
2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque :
a) ce signe est identique à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée;
b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque;
c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’Union et que l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l’Union européenne ou leur porte préjudice. »

– Articles L. 713-2, L. 713-3, L. 716-4, et L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle

II. Demandes fondées sur la concurrence déloyale

– Article 1240 du code civil

« La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité civile édicté par l’article 1240 du code civil, consiste en des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre. L’appréciation de la faute doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits. »

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Charles-antoine JOLY de la SELAS DS AVOCATS
– Maître Valentine COUDERT de la SELARL OCTAAV

Mots clefs associés & définitions

– Marques nationales et de l’Union européenne
– Droit exclusif du titulaire de la marque
– Atteinte au droit conféré par la marque
– Contrefaçon
– Responsabilité civile
– Risque de confusion
– Fonctions de la marque
– Similitude entre les produits ou services et les signes
– Renommée de la marque
– Concurrence déloyale
– Notoriété
– Parasitisme
– Liberté du commerce et de l’industrie
– Risque de confusion avec la dénomination complète
– Pratique commerciale trompeuse
– Marques nationales et de l’Union européenne: marques enregistrées au niveau national ou au niveau de l’Union européenne
– Droit exclusif du titulaire de la marque: droit accordé au propriétaire de la marque pour l’usage exclusif de celle-ci
– Atteinte au droit conféré par la marque: violation du droit exclusif du titulaire de la marque
– Contrefaçon: reproduction non autorisée d’une marque protégée
– Responsabilité civile: obligation de réparer le préjudice causé à autrui
– Risque de confusion: possibilité que les consommateurs confondent deux marques similaires
– Fonctions de la marque: fonctions de la marque incluant l’identification de l’origine des produits ou services, la garantie de qualité et la communication
– Similitude entre les produits ou services et les signes: ressemblance entre les produits ou services offerts et les signes distinctifs utilisés
– Renommée de la marque: notoriété et réputation d’une marque
– Concurrence déloyale: pratiques commerciales trompeuses ou déloyales visant à nuire à la concurrence
– Notoriété: reconnaissance et popularité d’une marque
– Parasitisme: exploitation de la notoriété d’une marque pour en tirer profit sans autorisation
– Liberté du commerce et de l’industrie: principe de liberté d’exercer une activité commerciale ou industrielle
– Risque de confusion avec la dénomination complète: risque que les consommateurs confondent une marque avec sa dénomination complète
– Pratique commerciale trompeuse: pratique visant à induire en erreur les consommateurs sur les caractéristiques d’un produit ou service.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

29 mars 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 21/11361
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

N° RG 21/11361
N° Portalis 352J-W-B7F-CU4QQ

N° MINUTE :

Assignation du :
24 Août 2021

JUGEMENT
rendu le 29 Mars 2024
DEMANDERESSE

Association Institut [5]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Charles-antoine JOLY de la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #T007

DÉFENDERESSE

Madame [O] [U]
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Valentine COUDERT de la SELARL OCTAAV, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1224

Copies délivrées le :
– Maître JOLY #T007 (ccc)
– Maître COUDERT #C1224 (ccc)

Décision du 29 Mars 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 21/11361 – N° Portalis 352J-W-B7F-CU4QQ

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Véra ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistée de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 07 Décembre 2023 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 01 Mars 2024 puis prorogé en dernier lieu au 29 Mars 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

1. L’association ‘Institut [5]’ reproche à Mme [U] l’usage des signes ‘IFMC’ et ‘ifmcouture’ pour des services de formation aux métiers de la couture, notamment dans les noms de domaine ifmcouture.com et ifmcouture.net, en contrefaçon selon elle de ses marques ‘IFM – institut [5]’ et de façon déloyale et parasitaire.

2. Elle invoque les deux marques suivantes, dont elle est titulaire, toutes deux intitulées ‘IFM – institut [5]’ et dont la représentation, identique, figure ci-dessous :

– la marque figurative de l’Union européenne numéro 18 042 779, déposées le 28 mars 2019 et enregistrées le 3 décembre 2020 pour désigner les services suivants :

« 35 Gestion des affaires commerciales; administration commerciale; services d’intermédiation commerciale; compilation d’informations dans des bases de données informatiques; services de gestion informatisée de fichiers; aide aux entreprises dans le développement de leurs marchés; services d’information d’affaires; service de développement commercial; fourniture de services d’assistance administrative; services de réseautage commercial en ligne; services d’informations et de recherches commerciales; services d’offres d’emploi [recrutement]; services d’emploi [recrutement]; services d’information sur l’emploi [recrutement]; fourniture, conduite et gestion de programme d’affiliation, de services d’adhésion à des clubs et conduite de programme de fidélisation de clients; services de secrétariat; mise en relation entre contacts commerciaux et professionnels; audits d’entreprises (analyses commerciales); services d’intermédiation commerciale (conciergerie).

41 Activités sportives.

42 Services scientifiques et technologiques; Recherche scientifique; Recherche industrielle.

45 Services juridiques. »

– la marque semi-figurative française numéro 4 538 243, de même nom, déposée le même jour et enregistrée le 22 janvier 2021 pour désigner, les services suivants :

« Classe 35 : gestion des affaires commerciales; administration commerciale ; services d’intermédiation commerciale ; compilation d’informations dans des bases de données informatiques ; services de gestion informatisée de fichiers ; aide aux entreprises dans le développement de leurs marchés ; services d’information d’affaires ; service de développement commercial ; fourniture de services d’assistance administrative ; services d’informations et de recherches commerciales ; services de secrétariat ; audits d’entreprises (analyses commerciales) ; services d’intermédiation commerciale (conciergerie) ;

Classe 41 : Activités sportives ; montage de programmes radiophoniques ou télévisuels ; montage de bandes vidéo ; location d’enregistrements sonores ; location de postes de télévision. » ;

3. Expliquant que Mme [U] avait pris l’engagement de cesser l’usage litigieux mais sans l’exécuter, l’association l’a assignée en contrefaçon et concurrence déloyale le 24 aout 2021. Une médiation en cours de procédure a permis aux parties de transiger mais, estimant à nouveau l’accord non respecté, l’association a maintenu ses demandes. L’instruction a été close le 16 mars 2023.

4. L’association Institut [5], dans ses dernières conclusions (14 décembre 2022), demande en substance que soit interdit à Mme [U] de désigner des services de formation en couture par le biais du site ifmcouture.net ou de tout autre signe prêtant à confusion avec les marques, sous astreinte, la publication d’un communiqué et sa condamnation à lui payer 30 000 euros de provision sur la réparation de la contrefaçon et de la concurrence déloyale ainsi que 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre le recouvrement des dépens par son avocat.

5. Sur la contrefaçon, elle soutient que ses marques désignent des services de formation continue, que Mme [U] utilise, pour commercialiser des services dans le même domaine d’activité de l’industrie de la création de mode, les signes IFM couture et IFMC qui sont presque identiques à ses marques, que dans celles-ci, l’élément dominant est IFM car les mots « institut [5] » sont descriptifs et ne servent qu’à rendre l’acronyme intelligible, de même dans les signes litigieux, que le public pertinent, constitué de jeunes à la recherche d’une formation, est moins avisé et plus vulnérable que le consommateur moyen et qu’il existe ainsi un risque de confusion, d’autant plus qu’elle jouit, expose-t-elle, d’une renommée dans le milieu [5].

6. Elle expose que les faits de contrefaçon ont été commis au moins depuis le 7 juillet 2021, reproche à la défenderesse de continuer à exploiter les noms de domaine ifmcouture.com et .net en y laissant une redirection vers son nouveau nom de domaine ifpcouture.net, que l’usage du signe ifmc ou ifmcouture perdure sur la page Instatgram de la défenderesse dont le nom n’a pas changé.

7. Sur la concurrence déloyale et parasitaire, elle reproche à la défenderesse de s’être délibérément placée dans son sillage et de rechercher une confusion sur l’origine des services, ce qu’elle qualifie également de pratique commerciale trompeuse.

8. Sur le préjudice, elle allègue un avilissement de ses signes distinctifs et déduit, au regard de la durée de deux ans écoulée depuis le début des faits, un préjudice non sérieusement contestable selon elle de 30 000 euros. Elle justifie sa demande de publication par la grande diffusion des faits dès lors qu’ils ont été commis sur Internet, renforcée par le fait que le public visé, des « jeunes talents » intéressés par le milieu très compétitif de la mode, a pu voir sa confiance en l’IFM réduite par ces faits, ainsi que par la persistance de ceux-ci et le silence de Mme [U].

9. Mme [U], bien que représentée, n’a pas conclu.

MOTIVATION

I . Demandes fondées sur la contrefaçon de marques

10. Le droit conféré par les marques nationales et de l’Union européenne est prévu dans des termes en substance identiques par la directive 2015/2436 et le règlement 2017/1001, respectivement à leur article 10 et 9, ce dernier étant ainsi rédigé :

« 1. L’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque :

a) ce signe est identique à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée;

b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque;

c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’Union et que l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l’Union européenne ou leur porte préjudice. »

11. L’atteinte au droit conféré par la marque, prévue en droit interne, en des termes en substance identiques, aux articles L. 713-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction postérieure au 15 décembre 2019, est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l’article L. 716-4 (dans le cas des marques françaises) et par l’article L. 717-1 (dans le cas des marques de l’Union européenne).

12. La Cour de justice de l’Union européenne a précisé que le droit exclusif du titulaire de la marque, qui n’est pas absolu, ne l’autorise à s’opposer à l’usage d’un signe par un tiers en vertu de l’article 9, dans les conditions énumérées au paragraphe 2, sous a) et b), que si cet usage porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (CJCE, 12 novembre 2002, Arsenal football club, C-206/01, point 51 ; plus récemment, CJUE, 17 novembre 2022, Impexeco, C-253/20, point 46 et jurisprudence citée).

13. S’agissant en particulier de l’atteinte prévue au paragraphe 2, sous b), la Cour de justice a précisé, dès la première directive rapprochant les législations sur les marques, que le risque de confusion dépend de plusieurs critères interdépendants, dont le degré de similitude entre les produits ou services et les signes en cause, la connaissance de la marque sur le marché, mais aussi le degré de distinctivité de cette marque, le risque de confusion étant d’autant plus grand que celle-ci était plus distinctive, et inversement (voir par exemple CJCE, 29 septembre 1998, Lloyd Schuhfabrik, C-342-97, points 19 et 20 ; plus récemment, s’agissant du caractère distinctif, CJUE, 18 juin 2020, Primart, C-702/18 P, point 51).

14. Il ressort du constat du site internet ifmcouture.net réalisé le 7 juillet 2021 (pièce 6) que celui-ci est exploité par une « EIRL [J] » située au [Adresse 1] à [Localité 6], ce qui correspond à la dénomination et à l’adresse de l’activité d’entrepreneur individuel à responsabilité limité de Mme [U], à savoir « EIRL [J] [O] » (pièce 5, [J] étant le nom d’usage de la défenderesse, [O] son prénom). Les captures d’écran de la page Instagram ifmcouture (pièce 9) révèlent que celle-ci adopte la même dénomination que le site internet précité, mais fait référence à « [Z] Ifmc », ce qui n’a pas de rapport avec Mme [O] [U]. Néanmoins, cette page Instagram, dont les captures d’écran sont postérieures au début du litige, renvoie au site ifmcouture.com dont l’EIRL [J] est titulaire du nom de domaine (pièce 10.2) et montre une évolution des signes utilisés qui confirme l’identité d’entreprise avec le site internet : le signe ifmcouture, qui constitue toujours le nom de la page, est en effet remplacé à plusieurs endroits et notamment dans l’image principale par le signe ‘IFPC’, qui n’est plus litigieux et qui correspond également au nouveau nom de domaine du site internet de Mme [U] (ifpcouture.com, pièce 10.3). Ainsi, la page Instagram ifmcouture est bien exploitée, comme le site internet ifmcouture.net, par Mme [U] dans le cadre de son entreprise individuelle à responsabilité limitée.

15. Le site et la page Instagram présentent et promeuvent des services de formation, plus précisément de « formation aux métiers de la couture », le site mentionnant « stylisme, modélisme, couture, arts appliqués » et la page Instagram indiquant que sont proposés un CAP, un titre professionnel à distance et « un Club couture avec un coach ».

16. Le site fait usage, pour ces services, d’un signe contenant les lettres ‘IFMC’ de biais (se lisant du bas à gauche vers le haut à droite) en fines capitales orangées dans un arc de cercle de même couleur coupé sous les lettres par une aiguille (également orangée) dont l’arc traverse le chas, l’arc étant lui-même entouré de représentations décoratives, dans un style ancien, d’outils pour la couture (dé, bobine, machine à coudre…). Ce signe est représenté ci-dessous :

17. Le site fait également usage de son nom de domaine ifmcouture.net pour ses services de formation. Il se désigne encore comme « Institut de formation aux métiers de la couture » et se présente comme « l’institut de formation aux métiers de la couture spécialiste de la formation pro ».

18. La page Instagram, visitée après le début du litige et après que Mme [U] a annoncé cesser l’usage litigieux, est intitulée « ifmcouture », mentionne « [Z] ifmc », renvoie au site internet ifmcouture.com, mais son image de titre est un logo non litigieux, contenant le sigle ‘IFPC’ dont le I est une aiguille stylisée. Cette page Instagram contient par ailleurs des publications anciennes dans lesquelles se trouvent les signes ‘#ifmcouture’ ou ‘#ifmc’ pour identifier les illustrations liées aux services en cause.

19. Ces signes sont similaires aux marques IFM – institut [5] dans la mesure où ils ont en commun avec elles les trois lettres de son acronyme initial.

20. Toutefois, ces marques ne sont pas enregistrées pour désigner des services de formation comme l’affirme la demanderesse. Celle-ci n’indique pas quels autres services seraient similaires à ceux pour lesquels la défenderesse fait usage des signes IFMC et ifmcouture, à savoir les services de formation.

21. Ces marques sont enregistrées pour des services aux entreprises tels que la gestion des affaires commerciales, l’intermédiation commerciale, la gestion d’informations d’affaires, le développement commercial, les offres d’emploi, la fidélisation de clients, le secrétariat, les activités sportives, les services scientifiques et technologiques ou les services juridiques, dont il n’est ni allégué ni démontré qu’ils sont similaires aux services de formation.

22. Faute de similitude entre les services pour lesquels les marques sont enregistrées et ceux pour lesquels les signes litigieux sont utilisés, il ne peut y avoir d’atteinte à ces marques qu’en application du paragraphe 2, sous c) des textes susvisés, c’est-à-dire par atteinte à leur renommée. Or la demanderesse, si elle allègue jouir d’une renommée, n’apporte aucun élément pour caractériser concrètement la renommée de ses deux marques, ni même, au demeurant, les services pour lesquels cette renommée serait acquise.

23. Par conséquent, les demandes en contrefaçon sont rejetées.

II . Demandes fondées sur la concurrence déloyale

24. La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité civile édicté par l’article 1240 du code civil, consiste en des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre. L’appréciation de la faute doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits.

25. Constitue également une concurrence déloyale et est ainsi fautif au sens de l’article 1240 du code civil le fait, pour un agent économique, de se placer dans le sillage d’une entreprise en profitant indument des investissements consentis ou de sa notoriété, ou encore de ses efforts et de son savoir-faire ; qualifié de parasitisme, il résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité (Cass. Com., 4 février 2014, pourvoi n° 13-11.044 ; Com., 26 janvier 1999, pourvoi n° 96-22.457), et qu’il faut interpréter au regard du principe de liberté du commerce et de l’industrie.

26. Au cas présent, la dénomination de la demanderesse est ‘Institut [5]’, ce qui ne lui donne pas un droit en soi sur les initiales, sauf à démontrer que l’emploi de ces initiales crée un risque de confusion avec la dénomination complète.

27. Les signes litigieux utilisés par la défenderesse contiennent certes les trois initiales de la dénomination de la demanderesse, à savoir I, F et M ; ils y ajoutent toutefois systématiquement soit la lettre C, soit le mot entier « couture » et le site de la défenderesse indique dès sa page d’accueil que ces initiales correspondent à « Institut de formation aux métiers de la couture », ce qui ne peut pas être confondu avec l’Institut [5].

28. Si le signe ifmcouture, en distinguant les trois premières initiales (ifm) du dernier mot (couture) se rapproche davantage des initiales de l’Institut [5], il ne renvoie toutefois pas à la dénomination complète ‘Institut [5]’, qui ne contient pas le terme ‘couture’ ni n’est lié nécessairement à celle-ci.

29. Plus généralement, la communication de Mme [U] sur son site et sa page Instagram ne reprend aucun des éléments susceptibles d’être associés à l’Institut [5] par des personnes en recherche d’orientation ou formation professionnelle.

30. Les seuls éléments communs ne sont en définitive, outre le secteur d’activité, que trois lettres qui ne suffisent pas à laisser penser à ce public qu’il se trouve en présence de l’association demanderesse ou de l’un de ses partenaires.

31. Il n’en résulte donc pas un risque de confusion ni un parasitisme, ni une pratique commerciale trompeuse.

32. Par conséquent, les demandes sont rejetées.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal :

Rejette l’ensemble des demandes de l’association Institut [5] ;

Laisse les dépens à la charge de celle-ci.

Fait et jugé à Paris le 29 Mars 2024

Le GreffierLa Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les accusations portées par l’association ‘Institut [5]’ contre Mme [U] ?

L’association ‘Institut [5]’ accuse Mme [U] d’utiliser les signes ‘IFMC’ et ‘ifmcouture’ pour des services de formation en couture, ce qui constituerait une contrefaçon de ses marques ‘IFM – institut [5]’ et une concurrence déloyale.

Elle maintient ses demandes malgré un accord de médiation, réclamant l’interdiction pour Mme [U] d’utiliser ces signes, ainsi que des dommages et intérêts.

L’association affirme que les signes utilisés par Mme [U] sont presque identiques à ses marques, ce qui pourrait créer un risque de confusion pour le public cible.

Elle estime également avoir subi un préjudice financier et demande la publication d’un communiqué pour rétablir sa réputation.

Mme [U] n’a pas répondu aux accusations, ce qui a renforcé la position de l’association dans cette affaire.

Quelles sont les bases juridiques des demandes de l’association ‘Institut [5]’ ?

Les demandes de l’association ‘Institut [5]’ reposent sur deux bases juridiques principales : la contrefaçon de marques et la concurrence déloyale.

Concernant la contrefaçon, le droit conféré par les marques est prévu par la directive 2015/2436 et le règlement 2017/1001.

Ces textes stipulent que l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif, permettant d’interdire à un tiers d’utiliser un signe identique ou similaire pour des produits ou services identiques ou similaires, en cas de risque de confusion.

En ce qui concerne la concurrence déloyale, elle est fondée sur l’article 1240 du code civil, qui définit la concurrence déloyale comme des agissements s’écartant des règles de loyauté et de probité professionnelle.

L’association doit prouver que les actions de Mme [U] créent un risque de confusion avec ses propres services.

Quels montants ont été alloués dans cette affaire ?

Dans cette affaire, l’association ‘Institut [5]’ n’a reçu aucun montant alloué, soit 0€.

Les dépens ont été laissés à la charge de l’association, ce qui signifie qu’elle devra supporter les frais de la procédure judiciaire.

Cela souligne l’issue défavorable pour l’association, qui n’a pas réussi à prouver ses accusations de contrefaçon et de concurrence déloyale.

Le tribunal a rejeté l’ensemble des demandes formulées par l’association, ce qui a des implications financières pour celle-ci, notamment en termes de frais d’avocat et de justice.

Quelles sont les conclusions du tribunal concernant la contrefaçon de marques ?

Le tribunal a conclu que les demandes en contrefaçon de marques étaient rejetées.

Il a noté qu’il n’y avait pas de similitude entre les services pour lesquels les marques de l’association étaient enregistrées et ceux pour lesquels les signes litigieux étaient utilisés par Mme [U].

Les marques de l’association étaient enregistrées pour des services liés à la gestion des affaires commerciales, tandis que les signes utilisés par Mme [U] concernaient des services de formation en couture.

En l’absence de similitude entre les services, le tribunal a déterminé qu’il ne pouvait y avoir d’atteinte aux marques que par atteinte à leur renommée, ce qui n’a pas été prouvé par l’association.

Ainsi, le tribunal a rejeté les accusations de contrefaçon.

Quelles sont les conclusions du tribunal concernant la concurrence déloyale ?

Concernant la concurrence déloyale, le tribunal a également rejeté les demandes de l’association ‘Institut [5]’.

Il a souligné que la concurrence déloyale implique des agissements qui s’écartent des règles de loyauté et de probité professionnelle, créant un risque de confusion.

Cependant, le tribunal a constaté qu’il n’y avait pas de risque de confusion entre les services offerts par Mme [U] et ceux de l’association.

Les signes utilisés par Mme [U] contenaient des éléments distinctifs, tels que le mot « couture », qui ne laissaient pas penser à une association avec l’Institut [5].

De plus, la communication de Mme [U] ne reprenait aucun des éléments susceptibles d’être associés à l’association, ce qui a conduit le tribunal à conclure qu’il n’y avait pas de parasitisme ni de pratique commerciale trompeuse.

Ainsi, les demandes pour concurrence déloyale ont été rejetées.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon