Pierre Bergé c/ Ministère de la culture

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Pierre Bergé c/ Ministère de la culture

L’Essentiel : La société Pierre Bergé est contrainte de restituer à l’État la statuette médiévale d’albâtre, le « pleurant n° 17 », issue du tombeau de Philippe II le Hardi. Sa demande de certificat d’exportation a été refusée, le Ministre de la culture affirmant que l’œuvre appartient au domaine public. Selon le décret du 2 novembre 1789, tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, et le « pleurant n° 17 » a été incorporé au domaine national. La juridiction a conclu qu’aucun décret n’autorisait son aliénation, justifiant ainsi la restitution sans violer le droit de propriété de la société.

Certificat d’exportation des œuvres d’art

La société Pierre Bergé devra restituer à l’État une statuette médiévale d’albâtre de pleurant étanchant ses larmes provenant du tombeau de Philippe II le Hardi (le  » pleurant n°17 « ). La société avait formulé une demande de certificat d’exportation de ladite œuvre  en vue d’une éventuelle sortie définitive du territoire national.  Outre le refus opposé, le Ministre de la culture a ordonné la restitution de la statue qui appartiendrait au domaine public de l’Etat.

Décret du 2 novembre 1789

Aux termes du décret de l’Assemblée constituante du 2 novembre 1789 (non enterré), tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation. Aux termes de l’article 8 du décret de l’Assemblée constituante des 22 novembre et 1er décembre 1790 relatif aux domaines nationaux, aux échanges et concessions et aux apanages, les domaines nationaux et les droits qui en dépendent, sont et demeurent ; mais ils peuvent être vendus et aliénés à titre perpétuel et incommutable, en vertu d’un décret formel du corps législatif « sanctionné par le Roi, en observant les formalités prescrites pour la validité de ces sortes d’aliénations ». Toutefois, pour les bienheureux possesseurs de ces biens, l’article 36 du décret a prévu une prescription acquisitive : « La prescription aura lieu à l’avenir pour les domaines nationaux dont l’aliénation est permise par les décrets de l’assemblée nationale, et tous les détenteurs d’une portion quelconque desdits domaines, qui justifieront en avoir joui par eux-mêmes ou par leurs auteurs, à titres de propriétaires, publiquement et sans trouble, pendant quarante ans continuels à compter du jour de la publication du présent décret, seront à l’abri de toute recherche ».

Il résulte de ces dispositions que si en mettant fin à la règle d’inaliénabilité du  » domaine national « , le décret des 22 novembre et 1er décembre 1790 a rendu possible, pendant qu’il était en vigueur, l’acquisition par prescription des biens relevant de ce domaine, cette possibilité n’a été ouverte que pour les biens dont  » un décret formel du corps législatif, sanctionné par le Roi  » avait préalablement autorisé l’aliénation.

Suivi de possession historique du « pleurant n° 17 »

En l’occurrence, le « pleurant n° 17 » appartient à un ensemble d’une quarantaine de statuettes qui ornaient le tombeau de Philippe le Hardi, ducH, édifié entre 1340 et 1410 dans l’oratoire de la chartreuse de Champmol. A ce titre, il a été incorporé au domaine national en vertu du décret du 2 novembre 1789. Les tombeaux des ducs de Bourgogne et leurs ornements, qui ont été expressément exclus de la vente des biens de la chartreuse réalisée le 4 mai 1791, ont été transférés en 1792 au sein de l’abbatiale Saint-Bénigne de Dijon, un inventaire dressé le 11 mai 1792 attestant qu’à cette date, la statuaire des tombeaux était complète. La délibération du conseil général de la commune de Dijon du 8 août 1793 décidant de la destruction des tombeaux des ducs de Bourgogne en a exclu les statuettes de chartreux pour qu’elles soient  » conservées et déposées dans un lieu convenable « . Le  » pleurant n° 17  » a ensuite été soustrait au domaine national à une date et dans des circonstances indéterminées. Sa trace fut retrouvée en 1811 chez un collectionneur privé, puis en 1813 chez un autre collectionneur. Depuis lors, il a été transmis par voie successorale.

En conséquence, le « pleurant n° 17 » n’avait jamais cessé, depuis sa mise à disposition de la Nation en 1789, d’appartenir au domaine national puis au domaine public dont il a été irrégulièrement soustrait. Après avoir relevé l’absence d’un décret formel du corps législatif autorisant expressément son aliénation, la juridiction a considéré à bon droit qu’il n’avait pu faire l’objet d’une prescription acquisitive au profit de ses détenteurs successifs, quelle que soit leur bonne foi.

Droit de propriété individuel c/ Domanialité publique

Aucune violation du droit de propriété de la société Pierre Bergé n’a été retenue. Aux termes de l’article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».

La reconnaissance de l’appartenance de la statuette au domaine public justifiait qu’elle soit rendu à son propriétaire, l’Etat, sans que soit méconnue l’exigence de respect d’un juste équilibre entre les intérêts privés de ses détenteurs et l’intérêt public majeur qui s’attache à la protection de cette œuvre d’art.

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Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la situation juridique de la statuette médiévale d’albâtre, le « pleurant n° 17 » ?

La statuette médiévale d’albâtre, connue sous le nom de « pleurant n° 17 », est au cœur d’une dispute juridique entre la société Pierre Bergé et l’État. Cette œuvre, qui provient du tombeau de Philippe II le Hardi, a été demandée pour exportation par la société, mais le Ministre de la culture a refusé cette demande.

Il a également ordonné la restitution de la statuette à l’État, affirmant qu’elle appartient au domaine public. Ce statut de domaine public est crucial, car il signifie que l’œuvre ne peut pas être légalement possédée par des particuliers sans un décret formel autorisant son aliénation.

Quelles sont les implications du décret du 2 novembre 1789 sur les biens ecclésiastiques ?

Le décret du 2 novembre 1789 stipule que tous les biens ecclésiastiques sont désormais à la disposition de la nation. Cela a marqué un tournant dans la gestion des biens religieux, permettant à l’État de les administrer et de les vendre.

L’article 8 du décret de l’Assemblée constituante des 22 novembre et 1er décembre 1790 a précisé que ces biens peuvent être vendus, mais uniquement par un décret formel sanctionné par le Roi. Cela a ouvert la voie à une prescription acquisitive pour les biens nationalisés, mais uniquement si les conditions légales étaient respectées.

Comment le « pleurant n° 17 » a-t-il été intégré au domaine national ?

Le « pleurant n° 17 » fait partie d’un ensemble de statuettes qui ornaient le tombeau de Philippe le Hardi, édifié entre 1340 et 1410. En vertu du décret du 2 novembre 1789, cette œuvre a été incorporée au domaine national.

Les tombeaux des ducs de Bourgogne, y compris leurs ornements, ont été exclus de la vente des biens de la chartreuse en 1791. En 1792, un inventaire a confirmé que la statuaire des tombeaux était complète, ce qui inclut le « pleurant n° 17 ».

Quelle a été la suite de possession historique du « pleurant n° 17 » ?

Après son intégration au domaine national, le « pleurant n° 17 » a été soustrait à ce domaine à une date indéterminée. Sa trace a été retrouvée en 1811 chez un collectionneur privé, puis en 1813 chez un autre.

Depuis lors, la statuette a été transmise par voie successorale. Cependant, la juridiction a conclu qu’elle n’avait jamais cessé d’appartenir au domaine public, car il n’existait pas de décret formel autorisant son aliénation.

Quelles sont les considérations juridiques concernant le droit de propriété de la société Pierre Bergé ?

La société Pierre Bergé n’a pas vu son droit de propriété violé, selon les dispositions de l’article 1er du protocole additionnel à la convention européenne des droits de l’homme. Cet article stipule que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi.

Dans ce cas, la reconnaissance de l’appartenance de la statuette au domaine public a justifié sa restitution à l’État, tout en respectant l’équilibre entre les intérêts privés des détenteurs et l’intérêt public de protéger cette œuvre d’art.


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