→ RésuméDans l’affaire Louis Vuitton c/ Pooey Puitton, la société LV a dénoncé une atteinte à sa marque renommée, arguant que le produit « Pooey Puitton » tirait indûment profit de sa notoriété. La cour a rejeté la défense de parodie, soulignant que l’utilisation du nom et des motifs similaires à ceux de Louis Vuitton visait à augmenter les ventes, sans justification valable. La décision a affirmé que la renommée de la marque LV impose une protection stricte contre toute exploitation non autorisée, confirmant ainsi le préjudice subi par la société en raison de la confusion potentielle dans l’esprit des consommateurs. |
L’atteinte à une marque renommée telle que celle de Louis Vuitton est constituée
dès lors qu’il ressort de la comparaison visuelle de la marque figurative et du motif litigieux une similitude suffisamment importante pour rattacher le produit litigieux à la marque de la société Louis Vuitton. La parodie de marque pour des produits destinés à la vente ne peut être retenue.
Contexte de l’affaire
La société de droit américain MGA Entertainment Inc, la société de droit anglais MGA Entertainment UK, et la société de droit belge MGA Entertainment Belgium BVA (les sociétés MGA) sont spécialisées dans la conception et la commercialisation de jouets et jeux à destination des enfants et des adolescents. Leurs produits sont distribués en France par différents revendeurs tels que les sociétés Maxi Toys, GP Toys, Splash-Toys, Toys «R» Us, Jellej Jouets et la société de droit italien Giochi Preziosi Spa. Cette dernière, dont la société GP Toys France est la filiale française, a pour activité la fabrication et la distribution de jouets à destination des enfants. Elle a conclu, le 21 novembre 2018, un contrat de distribution avec la société MGA Entertainment HK Ltd, filiale de droit Hongkongais de la société MGA Entertainment Inc.
En 2018, les sociétés MGA ont lancé une gamme de produits destinée aux enfants de 6 à 12 ans sous la référence « Poopsie Slime Surprise », ayant pour objet la fabrication de « slime », pâte gluante, visqueuse, colorée et malléable, très populaire auprès des enfants depuis 2017. L’un des jeux, le “Poopsie Pooey Puitton Slime” est constitué d’une mallette en plastique reprenant la forme de l’ « émoticône caca » et son dérivé, l’émoji « caca de licorne » et renfermant des ingrédients pour réaliser du « slime ». Ce jouet se présente comme suit :
Ayant découvert la commercialisation de ce produit, dont elle a fait l’acquisition le 28 novembre 2018, dans un magasin à l’enseigne Toys «R» Us, et ayant constaté sa mise en vente sur plusieurs sites marchands tant français qu’étrangers, la société LV a procédé le 18 décembre 2018 à une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Splash Toys, considérée comme l’importateur en raison de la mention de son nom sur l’étiquette du produit litigieux. Celle-ci niait toute implication dans la commercialisation de ce produit, qu’elle imputait à la société de droit hongkongais Splash Toys Limited. La société LV a ensuite fait pratiquer plusieurs saisies-contrefaçons
La parodie de marque écartée
En premier lieu, la parodie de marque a été écartée. Aucune exception de parodie, propre au droit d’auteur, ne figure dans le Livre VII du code de la propriété intellectuelle. L’analyse que les défenderesses livrent de la position de la société LV sur l’exception de fair ou de parodie dans l’instance qui opposait celle-ci aux sociétés MGA devant les juges californiens, est donc inopérante.
De même, détourner les signes Louis Vuitton en un signe ludique ou moqueur pour son titulaire ne saurait traduire une simple dénonciation adressée aux adultes des dérives néfastes de la société de consommation. Il est en effet manifeste et suffisamment établi que cet usage des signes de la société LV ne relève pas d’un usage étranger à la vie des affaires, mais vise à faciliter les ventes du produit litigieux et augmenter le chiffre d’affaires des défenderesses. Le clin d’oeil allégué à Louis Vuitton n’est pas plus conforme aux pratiques honnêtes en matière commerciale : en tirant indument profit de la renommée et du caractère fortement descriptif des marques Louis Vuitton, l’usage de ces signes sur le produit litigieux ne saurait caractériser, par définition, une pratique commerciale loyale.
Il en résulte, en l’absence d’un juste motif, que l’existence d’une atteinte à la renommée des marques de l’Union européenne n° 15610 et n°009844391 est caractérisée, sans qu’il y ait lieu d’examiner l’existence d’un risque de préjudice porté à la renommée ou au caractère distinctif de celles-ci.
Protection de la marque renommée
Le fait d’avoir appelé le produit litigieux du nom similaire « Pooey Puitton » et de l’avoir revêtu d’une séquence de motifs floraux en alternance, sur fond blanc, similaires aux motifs figuratifs de la marque figurative Louis Vuitton, est de nature à tirer profit indûment de la renommée exceptionnelle et du caractère très fortement distinctif des marques de la société demanderesse,
La condition spécifique de la protection de la marque renommée tirée de l’existence d’une atteinte sans juste motif à la marque antérieure. A cet égard, il convient d’observer que plus le caractère distinctif et la renommée de celle-ci seront importants, plus l’existence d’une atteinte sera aisément admise (CJCE, General Motors Corporation, C-375/97, précité, point 30).
L’atteinte peut être de trois types : premièrement, le préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure, deuxièmement, le préjudice porté à la renommée de cette marque et, troisièmement, le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque (CJCE, 27 novembre 2008, Intel corporation, C-252/07, point 27).
Une telle atteinte suppose, sans que cela suffise à la caractériser, qu’en raison d’un certain degré de similitude entre les signes, le public concerné effectue un rapprochement entre eux, c’est-à-dire qu’il établisse un lien, même s’il ne les confond pas (CJCE, Intel, précité, points 30 et 32).
L’existence d’un tel lien entre la marque antérieure renommée et la marque postérieure doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, parmi lesquels : le degré de similitude entre les signes, la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées, y compris le degré de proximité ou de dissemblance entre les produits ou services, le public concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif de la marque, intrinsèque ou acquis par l’usage, de la marque antérieure, l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public (CJCE, Intel, précité, points 41 et 42).
La CJUE a précisé aux points 47 à 54 la manière dont ces critères doivent être pondérés : la renommée d’une marque s’apprécie par rapport au public concerné par les produits ou les services pour lesquels cette marque a été enregistrée. Or, il peut s’agir soit du grand public, soit d’un public plus spécialisé (voir arrêt General Motors, précité, point 24). Il peut être distinct, identique ou se chevaucher avec celui de la marque seconde, cette appréciation permettant de déterminer si le public visé par chacune des deux marques peut être confronté à l’autre marque et, en tenant compte de l’ensemble des autres facteurs pertinents du cas d’espèce, établir un lien entre elles.
Ces critères font également partie des facteurs pertinents pour apprécier plus généralement l’existence (ou le risque) d’une atteinte (CJCE, Intel, précité, point 68).
En l’espèce, s’agissant de la marque verbale « Louis Vuitton » n°15610, la comparaison de ce signe doit être faite avec le nom du produit « Pooey Puitton » et non, comme le soutiennent les défenderesses, avec le nom « Poopsie Pooey Puitton » : l’étiquette du produit litigieux fait en effet apparaître de manière nettement différenciée tant dans la couleur que dans la police d’écriture le nom « Pooey Puitton »(en lettres noires) sous celui de Poopsie (en lettres colorées) qui correspond à la gamme de produits enregistrée à titre de marque par la société MGA intertainment Inc. pour désigner des jouets. En outre, la notice de présentation du produit dissocie clairement le nom « Pooey Puitton » du signe « Poopsie » par l’ajout de la mention « TM » derrière chacun d’eux, de sorte que dans l’esprit des concepteurs du produit litigieux « Pooey Puitton » est bien la marque du produit et non un simple référence, ce que corroborent aussi les termes « Pooey Puitton purse » pour décrire le produit sur la notice, contredisant l’allégation d’une mention purement ornementale. Le produit est ainsi commercialisé sous la marque « Poopsie Slime surprise » correspondant au nom de la gamme et sous celle de « Pooey Puitton »correspondant au nom du produit déposé à titre de marque.
Le public cible
Quant au public concerné par le produit litigieux, qui est un jouet pour enfants, âgés de 5 à 10 ans selon les sociétés MGA, si celles-ci démontrent que l’enfant a acquis un rôle déterminant dans l’acte d’achat d’un jouet, ce qui en fait un prescripteur d’achats important, les jouets n’en demeurent pas moins achetés par les adultes, comme l’admettent ces sociétés, qu’ils soient ou non les parents. Ces derniers s’avèrent ainsi très impliqués dans l’acte d’achat de jouets, en particulier de Noël, comme le révèle une étude de 2017 du magazine LSA invoquée par la société LV et selon laquelle si 80% des enfants font une liste, seuls un quart des parents achètent exactement les jouets demandés.
Le fait que l’enfant soit le prescripteur principal de l’achat de jouets n’est pas de nature à éluder le fait que des enfants appartenant à la tranche d’âge ciblée par le jouet en cause n’achèteront pas par eux-mêmes un produit à 80 euros, ce que corroborent les études produites par la société GP Toys établissant que les achats sont avant tout destinés aux enfants de l’acheteur dans 36% des actes d’achat et qu’une fois sur cinq seulement le produit est destiné à l’acheteur.
Enfin, les sociétés défenderesses ne peuvent tout à la fois, sans se contredire, soutenir que le produit serait choisi exclusivement par l’enfant en tant que prescripteur et que les signes ont été apposés sur le jouet à des fins parodiques des marques de la demanderesse, ce qui ciblerait les adultes.
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