Cour d’appel de Rennes, 25 février 2020
Cour d’appel de Rennes, 25 février 2020

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Rennes

Thématique : Articles Chanel chez Easycash : une violation de distribution exclusive ?

Résumé

La société CHANEL a contesté la revente de ses produits cosmétiques par un particulier à EASY CASH, arguant une violation de ses droits de distribution exclusive. Cependant, la Cour a rappelé que le droit de revente d’un consommateur ne peut être restreint si les produits ont été mis sur le marché avec l’autorisation de la marque. Bien que CHANEL ait soulevé des préoccupations concernant l’altération des produits, la revente de biens d’occasion reste légitime. En revanche, EASY CASH a été jugée coupable de concurrence déloyale pour avoir comparé ses prix à ceux des produits neufs, ce qui constitue un parasitisme.

Un particulier a acheté de nombreux produits cosmétiques de marque CHANEL (portant la mention « Ne peut être vendu que par les dépositaires agréés CHANEL ») auprès d’une parfumerie, revendeur agréé par le réseau de distribution CHANEL. Par la suite, le particulier a revendu certains de ses produits à la société de vente de produits d’occasion EASY CASH. Contestant la légalité de ces ventes, la société CHANEL a poursuivi le particulier et l’enseigne EASY CASH en contrefaçon, parasitisme et concurrence déloyale.

Droit de revente du consommateur

Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire
d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le
commerce dans la Communauté économique européenne ou dans l’Espace économique
européen sous cette marque par le titulaire ou avec son autorisation (L713-4
ancien alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle). Toutefois, les droits conférés au titulaire
d’une marque sont applicables uniquement à sa protection pour un «usage dans la
vie des affaires», ce qui n’est pas le cas d’un consommateur détenant
licitement des produits et les revendant d’occasion. La CJUE a rappelé dans ses
arrêts du 16 novembre 2004, Anheuser-Busch, C-245/02, Rec. p. I-10989, point
62, ainsi que du 18 juin 2009, L’Oréal e.a., C-487/07, Rec. p. I-5185, point
57), que le titulaire de la marque ne peut évoquer son droit exclusif que dans
le contexte d’une activité commerciale. La vente réalisée par le particulier ne
s’inscrivant pas dans le contexte d’une activité commerciale, la société CHANEL
a été déboutée de ses prétentions.

Responsabilité de la société EASY CASH

S’agissant de la société EASY CASH, il est constant qu’elle
a acquis les produits d’un particulier qui les avait lui-même acquis d’un
revendeur agréé, et qu’ainsi ces produits avaient été mis dans le commerce avec
l’autorisation du titulaire de la marque. Il est aussi acquis que les
protections conférées par le droit des marques ne doivent pas conduire à
interdire le marché légitime des biens d’occasion et que le titulaire de la
marque doit pouvoir justifier d’un motif légitime de s’opposer à l’opération économique
litigieuse.

A cet égard, les dispositions de l’alinéa 2 de l’article
713-4 du code de la propriété intellectuelle prévoient que malgré une mise dans
le commerce licite, faculté reste ouverte au titulaire de la marque de
s’opposer à tout nouvel acte de commercialisation s’il justifie de motifs
légitimes, tenant notamment à la modification ou à l’altération, ultérieurement
intervenue, de l’état des produits.

La société CHANEL a fait valoir avec succès que les produits
cosmétiques font l’objet d’une double péremption : une péremption objective,
dont le point de départ est la date de fabrication, et une péremption qui
pourrait être qualifiée de subjective, dont le point de départ est la date
d’ouverture du produit, celui-ci s’altérant par contact avec l’air. Elle fait
ainsi valoir que les acquéreurs de produits déjà utilisés n’ont aucun moyen de
connaître cette dernière date de péremption. Elle a également fait valoir que les cosmétiques sont soumis à des
prescriptions sanitaires particulières qui ne permettent pas leur remise dans
le commerce une fois qu’ils ont commencé à être utilisés.

S’agissant de parfums et de produits cosmétiques, la juridiction
a rappelé que toute utilisation partielle d’un produit conduit à son
altération, laquelle est gravement préjudiciable à l’image de la société CHANEL
et à l’univers de luxe et de pureté qu’elle véhicule. Ainsi, la société CHANEL,
titulaire de la marque, est fondée à s’opposer à tout acte de commercialisation
d’un produit cosmétique et de parfumerie dont il ne peut être établi qu’il n’a
jamais été utilisé au préalable (15.000 euros de dommages et intérêts).

En revanche, concernant la revente de produits à l’état neuf,
ni les droits conférés au titulaire de la marque ni l’existence d’un réseau de
distribution spécifique ne peuvent avoir pour effet d’interdire à EASY CASH de
revendre ce produit d’occasion, le marché de l’occasion étant un marché licite
et légitime qui ne doit pas être interdit au consommateur.

D’autre part, la juridiction n’a pas retenu que les conditions
de vente étaient dévalorisantes : la société EASY CASH est située dans une zone
commerciale au sein de laquelle est exploitée une parfumerie DOUGLAS, membre du
réseau agréé CHANEL, ce qui démontre que l’emplacement n’est pas en soi
dévalorisant ; d’autre part, les produits cosmétiques sont présentés sur les
étagères d’une armoire vitrée et éclairée, ce qui, s’agissant de produits d’occasion,
est un mode de présentation adéquat, y compris pour des cosmétiques de luxe.

Concurrence déloyale de la société EASY CASH

En revanche, pour pouvoir bénéficier de la protection apportée à la revente des produits d’occasion, la société EASY CASH se devait de ne pas concurrencer la vente de produits neufs, dont le réseau de distribution sélective a l’exclusivité. Or, tel n’était pas le cas, dans la mesure où l’huissier a constaté que la société EASY CASH mentionnait sur des étiquettes tant son propre prix de revente que celui du produit à l’état neuf, en faisant explicitement la comparaison entre les deux. La société EASY CASH cherchait dès lors à s’approprier non la clientèle spécifique des produits d’occasion mais la clientèle de produits neufs recherchant «la bonne affaire».  Et un tel comportement est à l’évidence fautif comme constitutif de parasitisme et d’une atteinte au réseau sélectif de vente, la société EASY CASH s’appuyant sur le travail fourni par un membre de ce réseau et donc par la société CHANEL pour favoriser ses propres ventes. Télécharger la décision

 

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon