Cour d’appel de Paris, 10 mars 2020
Cour d’appel de Paris, 10 mars 2020

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Obligation d’entretenir une œuvre

Résumé

Le propriétaire d’une œuvre est tenu d’une obligation d’entretien pour préserver son intégrité, sous peine de nuire au droit moral de l’auteur. Cette obligation est de moyen, non de résultat. Dans le cas d’un ensemble artistique monumental au barrage-réservoir AUBE, les sculpteurs ont constaté des dégradations dues à des actes de vandalisme. Malgré les efforts de l’Institut interdépartemental des Barrages-Réservoirs du Bassin de la Seine (IIBRBS) pour protéger l’œuvre, les vols et dégradations ont persisté. L’IIBRBS a démontré sa diligence par des plaintes et des mesures de surveillance, ne pouvant être tenu responsable d’un défaut d’entretien face à ces circonstances.

Il est acquis que le propriétaire d’une œuvre est débiteur d’une obligation de l’entretenir aux fins de la conserver en bon état, sous peine de porter atteinte au droit moral de l’auteur. Cette obligation n’est toutefois que de moyen et non de résultat.  

Intégrité des sculptures

Deux
sculpteurs ont été désignés lauréats du concours d’architecture et d’ingénierie
pour la réalisation, dans le cadre d’un ensemble architectural sur le site du
barrage-réservoir AUBE, d’un ensemble artistique monumental destiné à célébrer
la naissance de ce barrage réservoir, situé au bord du lac de la forêt d’Orient
à MATHAUX (10). L’installation était composée de 121 sculptures en bronze
représentant des poissons, d’un cercle d’eau de 60 mètres de diamètre,
assemblant 324 modules en fonte de bronze, d’une carte du ciel représentée par
163 demi sphères en inox, d’un garde corps en bronze sur une longueur de 10
mètres et enfin d’un bas relief en bronze décrivant les fondements du projet,
elle a été réalisée en 1993.

A
partie de 1997, l’ensemble artistique a subi des dégradations en raison d’actes
de vandalisme et de vols qui ont perduré pendant plusieurs années. Après avoir
alerté le gestionnaire du lieu (Institut interdépartemental des
Barrages-Réservoirs du Bassin de la Seine, l’IIBRBS) de remédier à la situation,
les sculpteurs ont poursuivi ce dernier en atteinte de leurs droits moraux (droit
au respect de l’œuvre).

Droit au respect de l’œuvre

L’article
L121-1 du code de la propriété intellectuelle précise que l’auteur jouit du
droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre ; ce droit est
imprescriptible. Ce droit au respect s’impose aux propriétaires du support
matériel de l’oeuvre. Selon l’article 544 du code civil, ‘la propriété est le
droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu
qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements’. Le
droit moral de l’auteur de l’oeuvre ne peut mettre en échec le droit de
propriété, l’auteur ne peut imposer au propriétaire du support matériel une
intangibilité absolue de son oeuvre.

Obligation de moyen du commanditaire de l’œuvre

En
l’occurrence, il était justifié que l’IIBRBS avait effectué plus de vingt
dépôts de plainte pour des vols de statues et de matériels relevant de l’oeuvre
en cause, entre 1995 et 2015. II avait pris l’initiative de mettre à l’abri
certains poissons composant l’oeuvre, mais qu’ils ont été dérobés dans
l’entrepôt dans lequel ils étaient remisés. L’IIBRBS a également appelé en 2006
l’attention des pouvoirs publics, en l’espèce celle du sous-préfet de
Bar-sur-Aube, sur le caractère préoccupant de la situation, et provoqué une
réunion de travail avec notamment des représentants des forces de l’ordre. Il avait
écrit en 2015 au procureur de la République en soulignant le nombre important
d’éléments de l’oeuvre qui avaient été dérobés, en dépit du nombre accru de
rondes de gendarmerie et du fait que le site était surveillé depuis 2007 par
des entreprises privées (l’IIBRBS a en effet lancé en 2007 un appel d’offres
pour des prestations de surveillance nocturne de l’oeuvre, pour un coût annuel
de 39.324,48 euros, correspondant à trois rondes nocturnes, effectuées de
manière aléatoire, 7 jours sur 7, avec un temps de présence sur place de 30
minutes par ronde, ces surveillances ayant été mises en place dès 2007).

Aussi,
s’il n’était pas contesté que l’oeuvre s’était dégradée, l’IIBRBS a justifié de
démarches entreprises pour enrayer les
vols et dégradations qui lui ont été occasionnés, tant par les plaintes
répétées, par ses interventions auprès des autorités publiques, ou par
l’engagement pendant plusieurs années de frais de surveillance élevés. Il ne pouvait,
au vu de ces éléments, lui être reproché un défaut de diligence dans la charge
de la préservation de l’oeuvre, et son absence de réponse aux propositions de
remise en état de l’oeuvre ne peut être analysée comme révélatrice d’un
désintérêt pour l’oeuvre.

Il ne pouvait donc, du fait de la situation de l’oeuvre -sise sur un emplacement à ciel ouvert depuis près de trente ans accessible au public-, de ses dimensions et de la convoitise suscitée par les matériaux dans lesquels elle est pour partie réalisée, que l’IIBRBS assure la préservation de l’oeuvre à des conditions excessives ; le droit des auteurs au respect de leur oeuvre ne pouvant justifier qu’ils imposent au propriétaire du support matériel de l’oeuvre d’assurer l’immutabilité de ladite oeuvre et sa préservation à des conditions déraisonnables. Télécharger la décision

 

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon