Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Limoges
Thématique : La mise en page : hors périmètre du journalisme
→ RésuméLa mise en page ne relève pas du journalisme. Une salariée, secrétaire technique de rédaction, ne peut être requalifiée en journaliste si ses tâches se limitent à la collecte et à la préparation d’articles, à la mise en page et à la rédaction de titres. Le rôle du journaliste consiste à recueillir des informations et à rédiger des articles qui informent le public. Les activités de mise en page, bien qu’importantes pour la lisibilité, ne confèrent pas une forme journalistique aux contenus. Ainsi, la demande de reclassification de la salariée a été rejetée, confirmant la décision des premiers juges.
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Une salariée ayant exercé des fonctions de secrétaire technique de rédaction (employée de presse) ne peut obtenir sa requalification en journaliste (secrétaire de rédaction ou d’édition) si ses tâches consistaient à collecter et préparer des articles, photos, dessins … ; définition de leur emplacement lors de la mise en page ; rédaction des titres et légendes ; mise en page des articles en utilisant le logiciel « lndesign » et traitement des photos avec le logiciel « Photoshop ».
Le travail du journaliste consiste principalement à recueillir des informations puis à rédiger un article ou mettre en forme un reportage afin de présenter des faits qui contribuent à l’actualité et à l’information du public. Or, le simple travail de mise en page qui peut aller jusqu’à la recherche d’une meilleure lisibilité ne peut être assimilé au fait de donner une forme journalistique aux communiqués et informations de correspondants ou aux dépêches d’agences de presse.
A l’opposé, le secrétaire de rédaction ou d’édition 1er échelon est le journaliste qui au centre d’édition ou dans une agence dotée de moyens de télécomposition donne une forme journalistique aux communiqués et informations de correspondants ou aux dépêches d’agences de presse. Il est placé sous l’autorité d’un secrétaire de rédaction ou d’édition 2ème échelon. Il peut être appelé dans les mêmes conditions à participer à des travaux de maquettisation ou de mise en page.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE
ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2021
N° RG 20/00707 – N° Portalis DBV6-V-B7E-BIEWT
AFFAIRE :
F Y
C/
CGEA DE BORDEAUX
S.C.P. BTSG Représentée par Me Marc SENECHAL, domicilié audit siège, en qualité de mandataire liquidateur de la SARL SNEM,
JPC/MLM
Licenciement
G à M. X, Me Pleinevert et Me Dudognon, le 15/12/2021
A l’audience publique de la Chambre économique et sociale de la cour d’appel de LIMOGES, le quinze Décembre deux mille vingt et un a été rendu l’arrêt dont la teneur suit ;
ENTRE :
Madame F Y, demeurant […]
représentée par M. H X, défenseur syndical muni d’un pouvoir régulier
APPELANTE d’un jugement rendu le 03 Novembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LIMOGES
ET :
1.- CGEA DE BORDEAUX L’UNEDIC, délégation AGS, CGEA de BORDEAUX, association déclarée, représentée par sa directrice nationale, Madame J K, en application de l’article L 3253-14 du code du travail., dont le siège social est […]
représentée par Me Abel-henri PLEINEVERT, avocat au barreau de LIMOGES
2. – S.C.P. BTSG² Représentée par Me Marc SENECHAL, domicilié audit siège, en qualité de mandataire liquidateur de la SARL SNEM, dont le siège social est […]
LIMOGES, RCS LIMOGES 405 377 987, désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce de LIMOGES en date du 08 novembre 2019, domiciliée […] […]
représentée par Me Delphine DUDOGNON de la SELARL DUDOGNON BOYER, avocat au barreau de LIMOGES
INTIMEES
L’affaire a été fixée à l’audience du 08 Novembre 2021, après ordonnance de clôture rendue le 6 octobre 2021.
Conformément aux dispositions de l’article 786 du Code de Procédure Civile, Monsieur Jean-N COLOMER, conseiller, magistrat rapporteur, assisté de Monsieur L M, Greffier, a tenu seul l’audience au cours de laquelle il a été entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients et ont donné leur accord à l’adoption de cette procédure.
Après quoi, Monsieur Jean-N COLOMER, conseiller, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 15 Décembre 2021, par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la Loi.
Au cours de ce délibéré Monsieur Jean-N COLOMER, conseiller, a rendu compte à la cour composée de Monsieur N-O P, Président de Chambre, de lui-même et de Madame Géraldine VOISIN, Conseiller.
A l’issue de leur délibéré commun a été rendu à la date fixée, l’arrêt dont la teneur suit par mise à disposition au greffe.
LA COUR
EXPOSE DU LITIGE :
La SARL Société Nouvelle l’Echo La Marseillaise (SNEM) est spécialisée dans le secteur d’activité de l’édition de journaux.
Elle a engagé Mme Y en qualité de photographe-reporter dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée ayant pris effet le 02 mai 2007. Mme Y a ensuite occupé un poste de rédactrice avant d’être affectée sur un poste de secrétaire technique de rédaction (employée de presse) à compter du 06 juin 2017 dans le cadre d’un reclassement pour motif médical.
Les bulletins de salaire mentionnent qu’elle exerce des fonctions de secrétaire technique.
Par jugement du 7 novembre 2012, le tribunal de commerce de Limoges a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société SNEM. Il a ensuite homologué un plan de redressement par continuation le 24 septembre 2013 avant de prononcer sa résolution et la liquidation judiciaire de la société le 8 novembre 2019. La SCP BTSG a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.
Le 18 novembre 2019, le mandataire liquidateur a notifié à Mme Y son licenciement pour motif économique.
Par requête en date du 7 février 2020, Mme Y a saisi le conseil de prud’hommes de Limoges de demandes relatives à l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail par l’employeur et à la reclassification de son emploi au coefficient 120 de la convention collective.
Par jugement du 3 novembre 2020, le conseil de prud’hommes de Limoges a :
— donné acte au CGEA de Bordeaux de ce qu’il est appelé en déclaration de jugement commun ;
— débouté Mme Y de l’ensemble de ses demandes ;
— rejeté les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;
— condamné Mme Y aux entiers dépens.
Mme Y a interjeté appel de la décision le 3 décembre 2020. Son recours porte sur l’ensemble des chefs de jugement.
Aux termes de ses écritures déposées le 16 février 2021, Mme Y demande à la cour de :
— l’accueillir dans toutes ses demandes, de les déclarer fondées et d’y faire droit et de rejeter toute demande contraire ;
— réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;
— dire que l’employeur a manqué à la bonne foi contractuelle ;
— dire qu’elle doit bénéficier du coefficient 120 de la convention collective nationale des journalistes ;
— fixer sa créance aux sommes de :
• 12 985,92 € brut de rappel de salaire en considération du coefficient 120 de la convention collective applicable ;
• 1 298,59 € brut de rappel de prime d’ancienneté en considération du coefficient 120 ;
• 1 190,38 € brut de rappel de prime de 13ème mois en considération du coefficient 120 ;
• 1 547,49 € brut d’indemnité de congés payés afférente aux rappels de salaire ;
• 577,45 € brut de rappel de salaire concernant les heures de nuit effectuées et 57,74 € brut d’indemnité de congés payés afférente ;
• 26 008,99 € net de rappel d’indemnité de licenciement conventionnelle ;
• 5 000 € net de dommages-intérêts pour défaut de respect de l’article L. 1222-1 du code du travail ;
— enjoindre au mandataire liquidateur de faire figurer ces créances sur le bordereau ad hoc ;
— enjoindre au mandataire liquidateur d’établir les bulletins de salaire correspondant au rappel de rémunération ordonné ainsi qu’une attestation Pôle Emploi rectifiée et conforme à la décision à intervenir ;
— dire que ces sommes doivent bénéficier de la garantie de l’AGS en application de l’article L. 3253-8, 1° du code du travail ;
— prescrire au CGEA de faire l’avance des fonds nécessaires entre les mains du mandataire judiciaire de l’entreprise en l’absence de fonds dans le patrimoine de la liquidation en application du principe de subsidiarité.
A l’appui de son recours, Mme Y fait valoir qu’elle exerce des fonctions de secrétaire de rédaction bien que les bulletins de salaire fassent mention de l’emploi de secrétaire technique, poste qui n’existe pas dans la convention collective.
Elle conteste la qualification qui était la sienne et indique que les fonctions qu’elle exerçait, étaient bien celles d’une secrétaire de rédaction soumise à la convention collective des journalistes, 1er échelon, coefficient 120. Considérant que l’employeur a manqué à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, elle demande réparation du préjudice subi.
Aux termes de ses écritures déposées le 11 mai 2021, la SCP BTSG, ès qualités, demande à la Cour de :
— déclarer Mme Y recevable en son appel, mais l’en débouter comme étant non fondé ;
— confirmer en toutes les dispositions le jugement dont appel ;
— débouter Mme Y de l’ensemble de ses demandes, fins ou prétentions, plus amples ou contraires ;
Ajoutant au jugement de première instance, de :
— condamner Mme Y à lui verser, ès qualités, une somme de 1 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
En réponse, la SCP BTSG, ès qualités, fait valoir que Mme Y ne relève pas de la convention collective des journalistes mais de la convention collective des ouvriers et employés de la presse quotidienne régionale et départementale. Elle ajoute qu’au vu de la description de son poste de travail telle que figurant dans son contrat, Mme Y n’est pas journaliste.
Aux termes de ses écritures déposées le 7 mai 2021, le CGEA de Bordeaux demande à la Cour de :
— lui donner acte de ce qu’il est appelé en déclaration d’arrêt commun, conformément aux dispositions de l’article L. 625-3 du code de commerce ;
— en tirer toutes conséquences de droit ;
— lui donner acte de ce qu’il ne peut être condamné au paiement d’une somme quelle qu’elle soit ;
— lui donner acte de ce qu’il ne peut être tenu au-delà des limites légales de sa garantie, conformément aux dispositions des articles L. 3253-6, L. 3253-8, L. 3253-13 et suivants, L. 3253-17 et D. 3253-1 à D. 3253-5 du code du travail ;
— lui donner acte de ce qu’il ne peut être amené à avancer le montant principal des créances, constatées et fixées, appréciées éventuellement avec des intérêts de droit obligatoirement arrêtés au jour du jugement d’ouverture, qu’entre les mains du mandataire liquidateur et dans la limite des articles L. 3253-6, L. 3253-8 et suivants, L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail ;
— dire que la garantie de l’AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte des salariés, à un des 3 plafonds définis à l’article D. 3253-5 du Code du travail, étant précisé en l’espèce qu’il s’agit du plafond 6 ;
Sur le fond, de :
— déclarer Mme Y mal fondée en son appel ;
— confirmer le jugement attaqué ;
— débouter Mme Y de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire :
— exclure de sa garantie les dommages-intérêts sollicités au visa de l’article 1222-1 du code du travail, sauf à en minorer le quantum ;
— condamner reconventionnellement Mme Y à lui payer la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à tous les dépens.
Le CGEA indique que rien ne justifie la reclassification de Mme Y au regard des éléments présentés par cette dernière.
L’ordonnance de clôture a été rendue en date du 6 octobre 2021.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.
SUR CE,
Sur la demande de reclassification :
Mme Y exerçait en dernier lieu des fonctions de secrétaire technique de rédaction (employée de presse) selon l’avenant conclu le 06 juin 2017. Elle a été rémunérée sur la base d’un emploi de secrétaire technique de rédaction au coefficient III, catégorie non cadre.
Elle sollicite la reclassification de son emploi en un emploi de secrétaire de rédaction ou d’édition 1er échelon définit comme suit :
« Secrétaire de rédaction ou d’édition 1er échelon : est le journaliste qui au centre d’édition ou dans une agence dotée de moyens de télécomposition donne une forme journalistique aux communiqués et informations de correspondants ou aux dépêches d’agences de presse. Il est placé sous l’autorité d’un secrétaire de rédaction ou d’édition 2ème échelon. Il peut être appelé dans les mêmes conditions à participer à des travaux de maquettisation ou de mise en page ».
Il lui incombe donc de rapporter la preuve que les tâches qu’elle accomplissait, relèvent de la classification demandée.
En l’espèce, Mme Y a donc été recrutée en qualité de secrétaire technique de rédaction. L’avenant à son contrat de travail conclu le 06 juin 2017 précise qu’elle devra exécuter les attributions énoncées dans la fiche de fonction annexée au contrat. Cette annexe n’est pas produite.
Les témoignages qu’elle produit font apparaître que Mme Y effectuait les taches suivantes :
— collecte et préparation des articles, photos, dessins,…, définition de leur emplacement lors de la mise en page, rédaction des titres et légendes (témoignage de Mme Z) ;
— la réception des correspondances sous forme de fichiers texte qu’elle corrigeait, mettait en page, illustrait et titrait (témoignage de Mme A)
— la mise en page des articles en utilisant le logiciel « lndesign » et traitement des photos avec le logiciel « Photoshop » (témoignage de Mme B).
Les témoignages de M. C et de M. D confirment son travail au niveau de la mise en page pour rendre les articles plus lisibles.
M. D précise qu’elle modifiait les pages « France Monde » reçues de « La Marseillaise » dans un souci d’homogénéisation du journal.
La reclassification demandée par Mme Y correspond à un emploi de journaliste selon la définition de l’emploi. Le travail du journaliste consiste principalement à recueillir des informations puis à rédiger un article ou mettre en forme un reportage afin de présenter des faits qui contribuent à l’actualité et à l’information du public. Or, il apparaît que les tâches accomplies par Mme Y telles que précisées ci-dessus, ne relèvent pas de cette catégorie.
De plus, le simple travail de mise en page qui peut aller jusqu’à la recherche d’une meilleure lisibilité ne peut être assimilé au fait de donner une forme journalistique aux communiqués et informations de correspondants ou aux dépêches d’agences de presse.
Au regard de ces éléments, il apparaît que Mme Y ne rapporte pas la preuve que les tâches qu’elle accomplissait relèvent de la classification demandée. La décision des premiers juges sera confirmée en ce qu’ils l’ont déboutée de sa demande.
Sur le manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail :
Mme Y fait valoir que la SARL SNEM a manqué à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail car elle a stigmatisé, par des déclarations affichées dans l’entreprise, les salariés qui osaient faire valoir leurs droits, en les accusant de représenter une charge qui menaçait la survie de l’entreprise.
Cette affirmation est confirmée par le contenu d’une note publiée par l’employeur concernant un litige prud’homale l’ayant opposé à l’un de ses salariés, M. E.
La diffusion de cette note n’a pas empêché Mme Y de faire valoir ses droits en justice et elle ne rapporte pas la preuve que cette attitude de l’employeur lui a causé un préjudice.
La décision des premiers juges sera donc confirmée en ce qu’ils l’ont déboutée de ce chef de demande.
Sur les autres demandes :
A la suite de la présente procédure, le mandataire liquidateur de la SARL SNEM a exposé des frais non compris dans les dépens. L’équité commande de l’en indemniser. Mme Y sera condamnée à lui payer la somme de 200 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Limoges en date du 03 novembre 2020 en toutes ses dispositions ;
Condamne Mme Y aux dépens de l’appel et à payer à la SCP BTSG, ès qualités de mandataire judiciaire de la SARL SNEM la somme de 200 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT
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