Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Colmar
Thématique : Exercice d’un droit de réponse en ligne
→ RésuméLe droit de réponse en ligne, en tant que prolongement de la liberté d’expression, ne doit pas constituer une ingérence disproportionnée dans ce droit fondamental. Dans cette affaire, la cour a jugé que l’astreinte imposée pour la publication d’un droit de réponse n’était pas excessive, car elle résultait de la carence des appelants à s’exécuter dans le délai imparti. Les appelants n’ont pas démontré de difficultés d’exécution, et leur demande de nullité des assignations a été rejetée. La cour a confirmé la décision du premier juge, soulignant que le respect du droit de réponse est essentiel dans un débat d’intérêt général.
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Le droit de réponse en ligne est le corollaire de la liberté d’expression, il ne peut en lui-même, notamment dans le cadre d’un débat d’intérêt général, constituer une ingérence disproportionnée dans ce droit fondamental, sauf lorsqu’il résulte des circonstances dans lesquelles il doit s’exercer l’existence d’une contrainte de nature à permettre à un tiers d’intervenir directement sur le contenu du journal.
Tel n’était pas le cas en l’espèce. En effet, le seul fait d’assortir d’une astreinte une décision de justice ordonnant la publication d’un droit de réponse ne saurait constituer une contrainte excessive portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, dès lors que l’introduction de la procédure résulte de la propre carence des appelants dans la publication du droit de réponse et qu’ils avaient parfaitement la possibilité de s’exécuter spontanément dans le délai imparti ce qu’ils n’ont pas fait. De la même manière, les frais de la procédure sont la conséquence de leur défaillance.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 29 OCTOBRE 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/01191 – N° Portalis DBVW-V-B7F-HQSC
Décision déférée à la cour : 12 février 2021 par le président du tribunal judiciaire de STRASBOURG
APPELANTS :
1) Monsieur Z Y
demeurant […]
[…]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale numéro 2021/001154 du 09/03/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de COLMAR)
2) S.A.R.L. DE PRESSE HEBDI
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social […]
[…]
représentés par Me B C, avocat à la cour.
INTIME :
Monsieur D-E X
demeurant […]
[…]
représenté par la SCP CAHN G./CAHN T./BORGHI, avocat à la cour.
avocat plaidant : Me CHAILLOU, avocat à Paris
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 10 Septembre 2021, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre
Madame Catherine GARCZYNSKI, Conseiller
Madame Myriam DENORT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Dominique DONATH, faisant fonction
ARRET contradictoire
— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
— signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Mme Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES
Le 3 décembre 2018, le site www.hebdi.com a publié un article intitulé ‘Schiltigheim : D-E X recasé et histoire de gros sous’ signé TH, à savoir Z Y, directeur de la publication.
M. X ayant vainement demandé la publication d’un droit de réponse, a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Strasbourg, selon exploit du 22 mai 2019, d’une demande dirigée contre la société de presse Hebdi et M. Y aux fins de les voir condamnés à publier le texte de son droit de réponse.
Par ordonnance du 14 juin 2019 (RG19/00440) le juge des référés a ordonné la publication du droit de réponse sur le site internet www.hebdi.com sous astreinte provisoire de 1 000 euros par mois, à compter du huitième jour suivant la signification de l’ordonnance, et s’est réservé la liquidation de l’astreinte.
Cette ordonnance a été signifiée le 9 juillet 2019 à la société de presse Hebdi et le 10 juillet 2019 à M. Y.
Prétendant que la décision n’avait pas été exécutée, M. X a fait citer la société de presse Hebdi et M. Y, selon exploits délivrés le 6 janvier 2020, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Strasbourg, aux fins de liquidation de l’astreinte et de condamnation solidaire de la société de presse Hebdi et de M. Y au versement d’une astreinte définitive.
Par ordonnance du 7 juillet 2020, le juge des référés a sursis à statuer invitant les requis à constituer avocat et les parties à se prononcer sur la compétence du juge des référés pour connaître de la demande de prononcé d’une astreinte définitive.
Par ordonnance du 12 février 2021, le juge des référés a :
— rejeté l’exception de nullité des assignations,
— constaté le désistement de M. X de ses demandes de fixation d’une astreinte définitive,
— condamné in solidum la société de presse Hebdi et M. Y au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de la liquidation de l’astreinte provisoire fixée par l’ordonnance de référé n°19-440 du 14 juin 2019,
— rejeté tous autres chefs de demandes des parties et les demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné in solidum les requis aux dépens.
Le premier juge a considéré que, si les assignations ne mentionnaient pas que la représentation était obligatoire, la nullité n’était pas encourue en l’absence de grief, puisque suite à la réouverture des débats les requis avaient pu constituer avocat et se défendre.
Au fond, le premier juge après avoir rappelé le texte de la publication, a considéré que la société de presse Hebdi et M. Y ne démontraient pas avoir publié de manière intégrale et parfaite ce droit de réponse sans faire la démonstration d’une difficulté d’exécution particulière.
Pour écarter le moyen tiré d’une atteinte excessive portée à la liberté d’expression du journal, le juge des référés a retenu que le droit de réponse ne peut caractériser une ingérence dans le droit fondamental de la liberté d’expression supposant un contrôle de proportionnalité du juge que dans l’hypothèse où les circonstances dans lesquelles ce droit doit s’exercer font peser une certaine contrainte de nature à permettre à un tiers d’intervenir directement sur le contenu du journal, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, et ce d’autant que les requis n’ont pas estimé devoir interjeter appel de l’ordonnance du 14 juin 2019. Il a en outre souligné que dans une décision récente la Cour européenne des droits de l’homme avait considéré que la garantie offerte aux journalistes par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce qui concerne les compte rendus sur des questions d’intérêt général était subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi et dans le respect de la déontologie journalistique ; or le fait de ne pas exécuter une décision de justice ayant ordonné la publication d’un droit de réponse dans un délai raisonnable, ne répond pas à ces exigences de bonne foi et de comportement déontologique et abouti à priver M. X de la possibilité de donner son point de vue sur les accusations dont il fait l’objet.
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La société de presse Hebdi et M. Y ont interjeté appel de cette ordonnance le 20 février 2021, en tous ses chefs.
Par ordonnance de la présidente de la chambre du 6 avril 2021, l’affaire a été fixée à bref délai, en application de l’article 905 du code de procédure civile.
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Par conclusions reçues au greffe le 6 mai 2021, la société de presse Hebdi et M. Y demandent à la cour de :
— déclarer les demandes de l’intimé irrecevables, en tous cas mal fondées,
— débouter l’intimé de l’ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions, y compris s’agissant d’un éventuel appel incident.
Corrélativement,
— infirmer l’ordonnance entreprise,
Et, statuant à nouveau,
In limine litis
Vu les articles 752 et 760 du code de procédure civile,
— prononcer la nullité des assignations délivrées à la SARL Presse Hebdi et M. Y.
Sur le fond,
A titre principal,
— juger et constater que, suite à l’ordonnance du 14 juin 2019, en juillet 2019 la SARL de Presse Hebdi et M. Y ont bien publié sur le site internet www.hebdi.com le droit de réponse demandé,
— débouter l’intimé de l’ensemble de ses demandes, fins, moyens et prétentions,
Subsidiairement,
— prononcer rétroactivement la suppression de l’astreinte provisoire, à tout le moins, la réduire à une plus juste mesure,
En tout état de cause,
— condamner l’intimé à régler à régler à la SARL Presse Hebdi et M. Y une somme de 4 000 euros à titre de dommage intérêt procédure abusive (sic),
— condamner l’intimé à verser un montant de 1 200 euros à Maître B C, conseil de M. Z Y sur le fondement de l’article 700, alinéa 2 du code de procédure civile,
— condamner l’intimé à verser un montant de 1 200 euros à la S.A.R.L. de Presse Hebdi sur le fondement de l’article 700, alinéa 1 du code de procédure civile,
— condamner l’intimé aux entiers frais et dépens de 1re instance et d’appel.
Les appelants reprennent le moyen tiré de la nullité des assignations, sans toutefois critiquer la motivation du premier juge et font valoir au fond que la décision a été exécutée dans les délais, le droit de réponse ayant été mis en ligne le 20 juin 2019 puis à nouveau le 1er octobre 2019.
Ils considèrent que M. X serait de mauvaise foi, l’erreur figurant dans l’intitulé de l’article publié le 20 juin 2019 dont il se prévaut, étant une simple erreur de plume, consécutive aux multiples procédures initiées par M. X, alors que le contenu même du droit de réponse démontre à l’évidence à quel article il est répondu.
Ils estiment la procédure abusive d’une part car M. X savait, dès octobre 2019, que la décision était exécutée et d’autre part car n’ignorant pas les difficultés financières de la société de presse Hebdi, qui fait l’objet d’un plan de redressement, il multiplie les procédures pour lui nuire.
Subsidiairement, ils invoquent une atteinte disproportionnée à leur droit à la liberté d’expression pour demander la suppression rétroactive ou la réduction de l’astreinte, considérant que l’obligation de déférer à un tel droit de réponse, ainsi que les conséquences civiles encourues en cas de retard de publication, tant en ce qui concerne la liquidation de l’astreinte demandée que les frais de procédure à rembourser, sont de nature à avoir sur l’exercice de la liberté d’expression des défendeurs un effet dissuasif.
Les appelants considèrent donc que l’intimé doit être débouté de sa demande en liquidation de l’astreinte provisoire, ainsi que des sommes sollicitées au titre des frais irrépétibles, lesquelles constitueraient, s’il y était fait droit, une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.
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Par conclusions reçues au greffe le 7 juin 2021, M. X demande à la cour de rejeter l’appel, confirmer l’ordonnance entreprise et condamner la société de presse Hebdi et M. Y solidairement au paiement d’une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
S’agissant de la nullité des assignations, il objecte que la preuve d’un grief n’est pas rapportée.
Au fond, il fait valoir que le droit de réponse est prévu par article 6 – IV de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, et que le directeur de publication est tenu de l’insérer dans les 3 jours sous peine d’amende ou de dommages et intérêts ; or la société de presse Hebdi ne s’est pas exécutée spontanément.
Il soutient que l’ordonnance du 14 juin 2019 n’a toujours pas été exécutée sans que soient invoquées des difficultés ou une cause étrangère. Il conteste toute mauvaise foi soulignant qu’il a fait l’objet de trois articles différents ayant donné lieu à trois droits de réponse et que la publication du 1er octobre 2019 est une réponse à un article paru le 30 mai 2019, faisant suite à une nouvelle assignation, et ne correspond pas au texte exigé par l’ordonnance du 14 juin 2019.
M. X conteste toute atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, soulignant qu’une, exécution en temps utile n’aurait été source d’aucun frais pour les appelants. Il considère qu’en ne publiant pas son droit de réponse la société de presse Hebdi a privé ses lecteurs d’une information complète ce qui exclut toute bonne foi, le respect du contradictoire étant un élément essentiel de la liberté d’expression.
Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.
MOTIFS
– la nullité des assignations
La société de presse Hebdi et M. Y reprennent le moyen de nullité des assignations tiré du défaut d’indication de la représentation obligatoire, sans toutefois soulever aucun moyen pour critiquer les motifs du premier juge qui a exactement retenu qu’il n’existait aucun grief puisque les requis avaient eu la possibilité de constituer avocat et de présenter leurs moyens de défense.
– la liquidation de l’astreinte
Ainsi que l’a exactement relevé le premier juge, les appelants ne peuvent prétendre avoir exécuté l’obligation mise à leur charge dans le délai imparti par l’ordonnance du 14 juin 2019, alors que, d’une part, le texte mis en ligne le 20 juin 2019 fait référence à un article mis en ligne le 22 mars 2019 intitulé ‘Schiltigheim, D-E X tente de se faire une virginité en vue des élections de 2020 », différent de celui du 3 décembre 2018 auquel se rapportait le droit de réponse, d’autre part, le texte mis en ligne le 1er octobre 2019 n’est pas celui mentionné dans l’ordonnance et fait référence à un autre article mis en ligne le 30 mai 2019 intitulé : ‘Schiltigheim Vilogia : conflits d’intérêts sous l’ère X ».
Les appelants soutiennent vainement que seul l’intitulé de l’article publié le 20 juin 2019 serait erroné et qu’il s’agirait d’une simple erreur de plume, le texte de l’article étant bien celui du droit de réponse qui devait être publié, alors qu’il est de l’essence même du droit de réponse, qui n’a pas une portée générale mais se rapporte à un article précis, qu’il soit fait exactement référence audit article afin qu’il puisse être parfaitement identifié par le lecteur. C’est donc à bon droit que le premier juge a retenu que l’erreur affectant l’intitulé de l’article auquel se rapportait le droit de réponse était une erreur substantielle. Il ne peut dès lors être soutenu que M. X serait de mauvaise foi.
Les appelants n’invoquent pas de difficultés particulières pour exécuter la décision ni l’existence d’une cause étrangère qui aurait fait obstacle à cette exécution.
Ils ne peuvent se prévaloir d’une atteinte excessive portée à la liberté d’expression du journal, alors d’une part qu’ils n’ont pas interjeté appel de l’ordonnance du 14 juin 2019 et d’autre part que le droit de réponse, qui est le corollaire de la liberté d’expression, ne peut en lui-même, notamment dans le cadre d’un débat d’intérêt général, constituer une ingérence disproportionnée dans ce droit fondamental, sauf lorsqu’il résulte des circonstances dans lesquelles il doit s’exercer l’existence d’une contrainte de nature à permettre à un tiers d’intervenir directement sur le contenu du journal. Tel n’est pas le cas en l’espèce, ainsi que l’a exactement retenu le premier juge. En effet, le seul fait d’assortir d’une astreinte une décision de justice ordonnant la publication d’un droit de réponse ne saurait constituer une contrainte excessive portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, dès lors que l’introduction de la procédure résulte de la propre carence des appelants dans la publication du droit de réponse et qu’ils avaient parfaitement la possibilité de s’exécuter spontanément dans le délai imparti ce qu’ils n’ont pas fait. De la même manière, les frais de la procédure sont la conséquence de leur défaillance.
C’est donc à bon droit que le premier juge a accueilli la demande liquidation de l’astreinte formée par M. X, la situation financière du débiteur de l’obligation n’ayant pas à être prise en considération pour en réduire le montant.
– sur la procédure abusive
La demande de M. X ayant été accueillie, la procédure ne saurait revêtir un caractère abusif.
– sur les dépens et les frais exclus des dépens
La décision entreprise étant confirmée, elle le sera également en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles. La société de presse Hebdi et M. Y qui succombent en leur appel supporteront la charge des dépens d’appel ainsi que d’une indemnité de procédure de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, leur propre demande de ce chef étant rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DEBOUTE la société de presse Hebdi et M. Y de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
CONDAMNE la société de presse Hebdi et M. Z Y in solidum aux entiers dépens d’appel ainsi qu’à payer à M. X la somme de 1 500 ‘ (mille cinq cents euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, La présidente de chambre,
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