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Un rédacteur-auteur, employé en qualité de pigiste, son activité consistant à rédiger des articles sur le site d’information en ligne caradisiac.com (Groupe La Centrale), a obtenu la requalification de sa collaboration en CDI.
Présomption de contrat de travail
La rédaction d’articles pour le compte de la société constituait l’activité principale du pigiste, cette activité étant régulière et rétribuée (en moyenne 85 articles par mois), cette activité était sa principale source de revenus.
Dès lors, en vertu de l’article L 7111-3 alinéa 1er du Code du travail la collaboration a reçu la qualification de journaliste professionnel. En outre, le contrat qui le liait la société au pigiste, peu important ses stipulations, était présumé être un contrat de travail. Il appartenait donc à la société Groupe La Centrale, qui soutenait que l’existence d’un tel contrat n’était pas caractérisée, de rapporter la preuve de l’absence de lien de subordination.
Exercice du lien de subordination
Or les pièces de la procédure démontraient que le pigiste pouvait recevoir des instructions quant à la forme ou au contenu de ses articles. Il s’ensuit qu’il ne jouissait pas d’une totale liberté dans l’exécution de son travail. En outre, ce travail de rédaction était organisé, et réalisé en équipe. Ainsi, il participait à un travail en équipe au sein d’un service organisé, et de manière exclusive, puisqu’il n’était pas établi qu’il ait rédigé des articles pour un autre organe de presse.
La requalification en contrat de travail
Il résulte des articles L 1221-1 et suivants du code du travail, que le contrat de travail est la convention par laquelle une personne s’engage, moyennant rémunération, à mettre son activité à la disposition d’une autre sous la subordination de laquelle elle se place. Le lien de subordination se caractérise classiquement par le pouvoir qu’a l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son salarié. En outre, le fait que le travail soit effectué au sein d’un service organisé peut constituer un indice de l’existence d’un lien de subordination lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.
L’existence d’un contrat de travail dépend, non de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.
Statut de journaliste
Selon l’article L 7111-3 alinéa 1er du code du travail, ‘est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources’. L’article L 7112-1 précise que ‘toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties’.
____________________________________________________________________________________________
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-5
ARRÊT DU 07 AVRIL 2022
Rôle N°21/03145
N° Portalis DBVB-V-B7F-BHBCW
S.A.S. GROUPE LA CENTRALE venant aux droits de la Société CAR & BOAT MEDIA
C/
E C-D
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NICE en date du 02 Février 2021 enregistré au répertoire général sous le n° F 19/01100.
APPELANTE
S.A.S. GROUPE LA CENTRALE venant aux droits de la Société CAR & BOAT MEDIA, sise […]
représentée par Me Emmanuel NEVIERE, avocat au Z de PARIS
et par Me Olivier ROMANI de la SELARL ARTYSOCIAL, avocat au Z de NICE,
INTIME
Monsieur E C-D, demeurant […]
représenté par Me Frédéric CHAMBONNAUD de la SELARL CHAMBONNAUD BAGNOLI SECHER, avocat au Z de NICE *-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 04 Janvier 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Michelle SALVAN, Président de chambre, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Madame Mariane ALVARADE, Conseiller
Monsieur Antoine LEPERCHEY, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Pascale ROCK.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Avril 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Avril 2022,
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Karen VANNUCCI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
FAITS ET PROCEDURE
Du 15 avril 2008 au 30 juin 2010, M. E C-D a travaillé en tant qu’auteur, pour la société Car & Boat Media, puis, du 1er juillet 2010 au 17 septembre 2019, en qualité de pigiste, son activité consistant à rédiger des articles sur le site d’information en ligne caradisiac.com. La société Groupe La Centrale, venant aux droits de la société Car & Boat Media, a changé de ligne éditoriale, à compter du 11 juin 2019, et il a cessé d’écrire des articles pour elle le 14 septembre 2019.
Estimant que cette relation contractuelle s’analysait en réalité en un contrat de travail, M. E C-D a saisi le conseil de prud’hommes de Nice, par lettre reçue au greffe le 12 décembre 2019, à l’effet d’obtenir le paiement de diverses indemnités et rappels de salaires.
Par jugement du 2 février 2021, le conseil de prud’hommes de Nice s’est déclaré compétent pour statuer, a requalifié la relation entre les parties en contrat de travail, et la prise d’acte de la rupture de ce contrat par M. C-D en licenciement sans cause réelle et sérieuse. En outre, la société Groupe La Centrale a été condamnée à verser à ce dernier les sommes suivantes :
– 4 306 euros à titre d’indemnité de préavis,
– 430 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis,
– 6 459 euros à titre de rappel de prime de treizième mois,
– 2 153 euros à titre d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
– 5 670 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 22 680 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Enfin, le conseil a condamné la société Groupe La Centrale à délivrer à M. C-D un certificat de travail, un solde de tout compte et une attestation Pôle Emploi, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement, la juridiction se réservant la faculté de liquider cette astreinte.
La société Groupe La Centrale a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 1er mars 2021.
La mise en état de l’affaire a été clôturée par ordonnance du 23 décembre 2021.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Au soutien de son recours, la société Groupe La Centrale expose, dans ses conclusions notifiées le 5 mai 2021 :
– en droit, que l’article L 7111-3 alinéa 1er du code du travail définit le journaliste professionnel comme ‘toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources’,
– que l’article L 7112-1 institue une présomption de salariat, en ce qu’il dispose que ‘toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail’,
– que, toutefois, le journaliste pigiste ne bénéficie plus de cette présomption de contrat de travail et exerce son activité en qualité de travailleur indépendant si ce lien de subordination n’est pas établi,
– que la délivrance de bulletins de paye ne constitue pas une preuve de l’existence d’un contrat de travail, dès lors que l’entreprise de presse est soumise à cotisations,
– qu’un salarié engagé en qualité de pigiste, entièrement libre de son travail et rémunéré à la pige, ne peut se prévaloir du statut de salarié,
– qu’il en va de même lorsque le journaliste ne reçoit ni instructions, ni orientations, ni directives,
– en fait, que M. C-D ne prouve pas la réunion des conditions exigées par l’article L 7111-3 susvisé,
– que, du 15 avril 2008 au 30 juin 2010, il a déclaré percevoir des droits d’auteur,
– que l’absence de lien de subordination résulte des clauses du contrat de fourniture de contenu signé par l’intimé,
– que ce contrat stipule qu’il ‘exerce sa prestation à titre libéral indépendamment de tout lien hiérarchique ou salarial avec la société Car & Boat Media’,
– que ses revenus n’étaient pas réguliers,
– qu’aucun nombre minimal d’articles n’était exigé de lui,
– que le prix des articles ne lui était pas imposé, de même que les sujets de ses articles,
– qu’il n’a participé à aucun comité de rédaction,
– que seul un contrôle de conformité restreint était exercé par la société,
– que M. C-D travaillait avec ses propres moyens, et ne disposait pas d’un bureau dans les locaux de l’entreprise,
– qu’il ne détenait pas le badge d’accès à ces locaux,
– que sa carte de visite portait la mention ‘pigiste indépendant’,
– qu’il n’avait pas de carte de presse,
– qu’il n’avait pas d’obligation en termes d’horaires, de planning ou de congé,
– que le contrat de fourniture de contenu a été résilié moyennant un préavis de quatre mois, alors qu’il ne stipulait qu’un préavis de sept jours,
– que le contrat de fourniture de contenu de M. C-D a été résilié le 10 octobre 2019,
– que, dès lors, la prétendue prise d’acte du 12 novembre 2019 est sans effet, en vertu du principe selon lequel rupture sur rupture ne vaut.
Par ces motifs, la société Groupe La Centrale conclut à l’infirmation du jugement entrepris et au rejet des prétentions adverses ; elle sollicite la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et celle de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
En réponse, M. E C-D fait valoir, dans ses conclusions communiquées le 3 août 2021 :
– en droit, que l’existence d’un contrat de travail est caractérisée par la réunion des conditions de l’article L 7112-1,
– que le fait, pour une société de presse, d’interrompre la prestation de travail d’un journaliste pigiste occasionnel devenu journaliste permanent et régulier s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– en fait, que la société Car & Boat Media a pour activité l’édition de journaux,
– qu’il a écrit plus de 12 000 articles pour cette société, soit une centaine par mois, ce qui représente une activité à temps plein,
– qu’il tirait la totalité de ses revenus de cette activité, ainsi qu’il ressort de ses avis d’imposition,
– que les sujets de ses articles étaient commandés par l’employeur,
– que son contrat de fourniture de service a été résilié le 1er juillet 2010, lorsqu’il a été embauché comme pigiste,
– qu’il a reçu des bulletins de salaire mentionnant cette date d’embauche,
– qu’il produit un formulaire d’entrée du 2 juillet 2010, le désignant comme salarié,
– que la carte de visite dont se prévaut la société appelante a été établie par cette dernière, sans son approbation,
– qu’il appartenait à l’équipe de rédacteurs de la société Car & Boat Media,
– qu’il recevait des instructions sur les délais de rédaction de ses articles,
– qu’à plusieurs reprises, les 15 mars, 18 juin et 3 juillet 2019, M. X, de la société appelante, a apporté des corrections à ses articles,
– qu’il participait à des réunions de rédaction en ligne,
– qu’il s’est rendu, à la demande de son employeur, qui réglait ses frais, à plusieurs salons consacrés à la moto,
– que ses déplacements étaient également pris en charge,
– qu’il disposait d’une boîte de courrier électronique au nom de la société,
– qu’il devait communiquer ses dates de vacances,
– que les prix de ses articles lui étaient imposés,
– qu’il a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 12 novembre 2019, la société Car & Boat Media ne lui commandant plus d’articles,
– que son salaire de référence brut était de 2 153 euros.
En conséquence, M. C-D conclut à la confirmation du jugement entrepris, et sollicite la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de défense.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’existence d’un contrat de travail
Il résulte des articles L 1221-1 et suivants du code du travail, que le contrat de travail est la convention par laquelle une personne s’engage, moyennant rémunération, à mettre son activité à la disposition d’une autre sous la subordination de laquelle elle se place. Le lien de subordination se caractérise classiquement par le pouvoir qu’a l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son salarié. En outre, le fait que le travail soit effectué au sein d’un service organisé peut constituer un indice de l’existence d’un lien de subordination lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.
L’existence d’un contrat de travail dépend, non de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.
Selon l’article L 7111-3 alinéa 1er du code du travail, ‘est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources’. L’article L 7112-1 précise que ‘toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties’.
En l’espèce, M. C-D produit :
– une attestation de M. Y Z, rédacteur en chef du site d’information automobile caradisiac.com (pièce 1), qui ‘confirme que M. E C-D est un collaborateur de Caradisiac’, et qui ajoute que ce dernier ‘rédige régulièrement des articles pour la rubrique moto’ de ce site,
– un ensemble de bulletins de salaire, relatifs à la période du 1er octobre 2017 au 30 septembre 2019 (pièces 4),
– une capture d’écran du site caradisiac.com (pièce 5), qui fait apparaître que M. C-D a rédigé 12 014 articles pour ce site, soit une moyenne mensuelle de 84,78 articles, et une moyenne journalière de 3,85 articles,
– une capture d’écran du site nibelis.com (pièce 6), logiciel de paye auquel M. C-D avait accès en tant que salarié,
– un document intitulé ‘formulaire d’entrée’ du 20 juillet 2010 (pièce 11), dans lequel l’intimé donne diverses informations sur sa situation personnelle à la société Car & Boat Media,
– divers documents relatifs aux articles qu’il a écrits pour le compte de cette société (pièces 13, 14, 21 à 25, 33 à 52),
– des courriers électroniques reçus de salariés de la société Car & Boat Media, relatifs à des réunions organisées par celle-ci, ou à sa rémunération (pièces 15 à 20)
– ses avis d’imposition des années 2012 à 2018 (pièces 26 à 32),
– divers courriers électroniques échangés avec des salariés de la société Car & Boat Media, relatifs à la rédaction de ses articles (pièces 53 à 74), parmi lesquels :
– un courrier électronique du 15 mars 2019 (pièce 56), qui mentionne que le titre de l’article avait été changé par M. X, salarié et rédacteur en chef de la société Car & Boat Media,
– un autre courrier électronique du 18 juin 2019 (pièce 57), qui contient des instructions de M. X quant au contenu d’un article (‘dans le chapeau, rappelle que ce sera effectif dès juillet’, et ‘ensuite, ce serait bien de mettre des exemples de motos qui ne peuvent plus rouler à partir de cette date’)
– d’autres courriers électroniques, qui font état de corrections apportées par M. X ou d’autres salariés de la société Car & Boat Media aux articles proposés par M. C-D (pièces 58 à 61),
– des courriers électroniques relatifs à ses déplacements professionnels, réalisés aux frais de la société Car & Boat Media (pièces 74 à 80), ainsi qu’une note de frais adressée à celle-ci au moyen du site nibelis (pièce 81),
– un courrier électronique de Mme A B, responsable du site caradisiac.com demandant à M. C-D de lui communiquer ses dates de vacances (pièce 83).
En réponse, la société appelante se prévaut du contrat de fourniture de contenu conclu avec l’intimé le 15 avril 2008 (pièce 1), qui stipule, en son article 1, que ‘ de convention expresse entre les parties, le contrat a pour objet unique la fourniture de prestations. Le fournisseur exerce aussi sa prestation à titre libéral indépendamment de tout lien hiérarchique ou salarial avec la Société Car & Boat media ce que celui-ci accepte. Il résulte de ce qui précède, le fait que le fournisseur ne saurait exercer la moindre revendication d’un lien salarial quelconque, ce qu’il accepte expressément’.
Il ressort de ces pièces, d’une part, que la rédaction d’articles pour le compte de la société Car & Boat Media constituait l’activité principale de M. C-D, d’autre part, que cette activité était régulière et rétribuée, M. C-D ayant écrit en moyenne 84,78 articles par mois pour celle-ci, enfin, que cette activité était sa principale source de revenus. Dès lors, en vertu de l’article L 7111-3 alinéa 1er précité, M. C-D doit recevoir la qualification de journaliste professionnel. En outre, le contrat qui le lie à la société Car & Boat Media, peu important ses stipulations, est présumé être un contrat de travail. Il appartient donc à la société Groupe La Centrale, qui soutient que l’existence d’un tel contrat n’est pas caractérisée, de rapporter la preuve de l’absence de lien de subordination. Or les pièces susdites démontrent que M. C-D pouvait recevoir des instructions quant à la forme ou au contenu de ses articles. Il s’ensuit qu’il ne jouissait pas d’une totale liberté dans l’exécution de son travail. En outre, ce travail de rédaction était organisé, et réalisé en équipe, M. C-D produisant la liste des rédacteurs du site (pièce 21). Ainsi, il participait à un travail en équipe au sein d’un service organisé, et de manière exclusive, puisqu’il n’est pas établi qu’il ait rédigé des articles pour un autre organe de presse. Enfin, le courrier électronique du 18 décembre 2013 versé aux débats par l’intimé (pièce 17) démontre que ses tarifs étaient décidés par la société Car & Boat Media, ce courrier mentionnant : ‘on fait évoluer la tarification des articles d’E (…)’. En conséquence, la preuve de l’absence de lien de subordination n’est pas rapportée par la société appelante. Il convient donc de retenir l’existence d’un contrat de travail. Le jugement entrepris sera ainsi confirmé sur ce point.
La relation entre les parties a été rompue, le 10 octobre 2019, à l’initiative de l’employeur, celui-ci ayant mis un terme au contrat dit de ‘fourniture de contenu’ qui le liait à M. C-D. Cette rupture doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les indemnités de rupture
M. E C-D était âgé de 48 ans à la date de rupture de la relation de travail ; son salaire mensuel brut était de 2 153 euros et son ancienneté dans l’entreprise de neuf années. Au vu de ces éléments, et par application de l’article L 1235-3 du code du travail, la somme de 19 000 euros doit être allouée à M. C-D à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.
M. C-D sollicite également une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement. Toutefois, par application de l’article L 1235-2 alinéa 5 du code du travail, cette indemnité ne se cumule par avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La demande de ce chef doit donc être rejetée. Le jugement entrepris sera également infirmé sur ce point.
En revanche, ledit jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Groupe La Centrale au paiement de la somme de 4 306 euros à titre d’indemnité de préavis, de celle de 430 à titre d’indemnité de préavis, et de celle de 5 670 euros à titre d’indemnité de licenciement, comme en ce qu’il a accordé à M. C-D la somme de 6 459 euros à titre de rappel de la prime de treizième mois prévue par l’article 25 de la convention collective nationale des journalistes. Le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu’il a ordonné la délivrance d’un certificat de travail, d’un solde de tout compte et d’une attestation Pôle Emploi. Toutefois, il sera infirmé en ce qu’il a assorti cette condamnation d’une astreinte.
Sur les demandes accessoires
La société Groupe La Centrale, qui succombe, doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, et condamnée aux dépens de première instance et d’appel. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point, comme en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. C-D la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile
Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de l’intimé les frais irrépétibles exposés en cause d’appel. La société Groupe La Centrale sera donc condamnée à lui verser la somme de 2 500 euros de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale, ,
Confirme le jugement entrepris, rendu le 2 février 2021 par le conseil de prud’hommes de Nice, sauf en ce qu’il a :
– condamné la société Groupe La Centrale à verser à M. E C-D les sommes suivantes :
– 2 153 euros à titre d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
– 22 680 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– assorti d’une astreinte la condamnation de la société Groupe La Centrale à délivrer à M. C-D un certificat de travail, un solde de tout compte et une attestation Pôle Emploi,
Et, statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés,
Condamne la société Groupe La Centrale à verser à M. E C-D la somme de 19 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Rejette la demande de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, et la demande d’astreinte présentées par M. E C-D,
Y ajoutant,
Condamne la société Groupe La Centrale aux dépens de la procédure d’appel,
Condamne la société Groupe La Centrale à verser à M. E C-D la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe les jour, mois et an susdits.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Type de juridiction : Cour d’appel Juridiction : Cour d’appel d’Aix-en-Provence Thématique : Vous collaborez avec des pigistes ? Attention à la présomption de salariat
→ RésuméLa collaboration d’un pigiste avec une entreprise peut être requalifiée en contrat de travail si des éléments de subordination sont établis. Dans une affaire récente, un rédacteur a obtenu la requalification de sa collaboration en CDI, car il rédigeait en moyenne 85 articles par mois, ce qui constituait sa principale source de revenus. La société employeuse devait prouver l’absence de lien de subordination, mais les preuves démontraient que le pigiste recevait des instructions sur ses articles, indiquant ainsi un lien de subordination. Cette décision souligne l’importance de bien définir les relations de travail avec les pigistes pour éviter des requalifications. |
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Un rédacteur-auteur, employé en qualité de pigiste, son activité consistant à rédiger des articles sur le site d’information en ligne caradisiac.com (Groupe La Centrale), a obtenu la requalification de sa collaboration en CDI.
Présomption de contrat de travail
La rédaction d’articles pour le compte de la société constituait l’activité principale du pigiste, cette activité étant régulière et rétribuée (en moyenne 85 articles par mois), cette activité était sa principale source de revenus.
Dès lors, en vertu de l’article L 7111-3 alinéa 1er du Code du travail la collaboration a reçu la qualification de journaliste professionnel. En outre, le contrat qui le liait la société au pigiste, peu important ses stipulations, était présumé être un contrat de travail. Il appartenait donc à la société Groupe La Centrale, qui soutenait que l’existence d’un tel contrat n’était pas caractérisée, de rapporter la preuve de l’absence de lien de subordination.
Exercice du lien de subordination
Or les pièces de la procédure démontraient que le pigiste pouvait recevoir des instructions quant à la forme ou au contenu de ses articles. Il s’ensuit qu’il ne jouissait pas d’une totale liberté dans l’exécution de son travail. En outre, ce travail de rédaction était organisé, et réalisé en équipe. Ainsi, il participait à un travail en équipe au sein d’un service organisé, et de manière exclusive, puisqu’il n’était pas établi qu’il ait rédigé des articles pour un autre organe de presse.
La requalification en contrat de travail
Il résulte des articles L 1221-1 et suivants du code du travail, que le contrat de travail est la convention par laquelle une personne s’engage, moyennant rémunération, à mettre son activité à la disposition d’une autre sous la subordination de laquelle elle se place. Le lien de subordination se caractérise classiquement par le pouvoir qu’a l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son salarié. En outre, le fait que le travail soit effectué au sein d’un service organisé peut constituer un indice de l’existence d’un lien de subordination lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.
L’existence d’un contrat de travail dépend, non de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.
Statut de journaliste
Selon l’article L 7111-3 alinéa 1er du code du travail, ‘est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources’. L’article L 7112-1 précise que ‘toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties’.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-5
ARRÊT DU 07 AVRIL 2022
Rôle N°21/03145
N° Portalis DBVB-V-B7F-BHBCW
S.A.S. GROUPE LA CENTRALE venant aux droits de la Société CAR & BOAT MEDIA
C/
E C-D
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NICE en date du 02 Février 2021 enregistré au répertoire général sous le n° F 19/01100.
APPELANTE
S.A.S. GROUPE LA CENTRALE venant aux droits de la Société CAR & BOAT MEDIA, sise […]
représentée par Me Emmanuel NEVIERE, avocat au Z de PARIS
et par Me Olivier ROMANI de la SELARL ARTYSOCIAL, avocat au Z de NICE,
INTIME
Monsieur E C-D, demeurant […]
représenté par Me Frédéric CHAMBONNAUD de la SELARL CHAMBONNAUD BAGNOLI SECHER, avocat au Z de NICE *-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 04 Janvier 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Michelle SALVAN, Président de chambre, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Madame Mariane ALVARADE, Conseiller
Monsieur Antoine LEPERCHEY, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Pascale ROCK.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Avril 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Avril 2022,
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Karen VANNUCCI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCEDURE
Du 15 avril 2008 au 30 juin 2010, M. E C-D a travaillé en tant qu’auteur, pour la société Car & Boat Media, puis, du 1er juillet 2010 au 17 septembre 2019, en qualité de pigiste, son activité consistant à rédiger des articles sur le site d’information en ligne caradisiac.com. La société Groupe La Centrale, venant aux droits de la société Car & Boat Media, a changé de ligne éditoriale, à compter du 11 juin 2019, et il a cessé d’écrire des articles pour elle le 14 septembre 2019.
Estimant que cette relation contractuelle s’analysait en réalité en un contrat de travail, M. E C-D a saisi le conseil de prud’hommes de Nice, par lettre reçue au greffe le 12 décembre 2019, à l’effet d’obtenir le paiement de diverses indemnités et rappels de salaires.
Par jugement du 2 février 2021, le conseil de prud’hommes de Nice s’est déclaré compétent pour statuer, a requalifié la relation entre les parties en contrat de travail, et la prise d’acte de la rupture de ce contrat par M. C-D en licenciement sans cause réelle et sérieuse. En outre, la société Groupe La Centrale a été condamnée à verser à ce dernier les sommes suivantes :
– 4 306 euros à titre d’indemnité de préavis,
– 430 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis,
– 6 459 euros à titre de rappel de prime de treizième mois,
– 2 153 euros à titre d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
– 5 670 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 22 680 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Enfin, le conseil a condamné la société Groupe La Centrale à délivrer à M. C-D un certificat de travail, un solde de tout compte et une attestation Pôle Emploi, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement, la juridiction se réservant la faculté de liquider cette astreinte.
La société Groupe La Centrale a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 1er mars 2021.
La mise en état de l’affaire a été clôturée par ordonnance du 23 décembre 2021.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Au soutien de son recours, la société Groupe La Centrale expose, dans ses conclusions notifiées le 5 mai 2021 :
– en droit, que l’article L 7111-3 alinéa 1er du code du travail définit le journaliste professionnel comme ‘toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources’,
– que l’article L 7112-1 institue une présomption de salariat, en ce qu’il dispose que ‘toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail’,
– que, toutefois, le journaliste pigiste ne bénéficie plus de cette présomption de contrat de travail et exerce son activité en qualité de travailleur indépendant si ce lien de subordination n’est pas établi,
– que la délivrance de bulletins de paye ne constitue pas une preuve de l’existence d’un contrat de travail, dès lors que l’entreprise de presse est soumise à cotisations,
– qu’un salarié engagé en qualité de pigiste, entièrement libre de son travail et rémunéré à la pige, ne peut se prévaloir du statut de salarié,
– qu’il en va de même lorsque le journaliste ne reçoit ni instructions, ni orientations, ni directives,
– en fait, que M. C-D ne prouve pas la réunion des conditions exigées par l’article L 7111-3 susvisé,
– que, du 15 avril 2008 au 30 juin 2010, il a déclaré percevoir des droits d’auteur,
– que l’absence de lien de subordination résulte des clauses du contrat de fourniture de contenu signé par l’intimé,
– que ce contrat stipule qu’il ‘exerce sa prestation à titre libéral indépendamment de tout lien hiérarchique ou salarial avec la société Car & Boat Media’,
– que ses revenus n’étaient pas réguliers,
– qu’aucun nombre minimal d’articles n’était exigé de lui,
– que le prix des articles ne lui était pas imposé, de même que les sujets de ses articles,
– qu’il n’a participé à aucun comité de rédaction,
– que seul un contrôle de conformité restreint était exercé par la société,
– que M. C-D travaillait avec ses propres moyens, et ne disposait pas d’un bureau dans les locaux de l’entreprise,
– qu’il ne détenait pas le badge d’accès à ces locaux,
– que sa carte de visite portait la mention ‘pigiste indépendant’,
– qu’il n’avait pas de carte de presse,
– qu’il n’avait pas d’obligation en termes d’horaires, de planning ou de congé,
– que le contrat de fourniture de contenu a été résilié moyennant un préavis de quatre mois, alors qu’il ne stipulait qu’un préavis de sept jours,
– que le contrat de fourniture de contenu de M. C-D a été résilié le 10 octobre 2019,
– que, dès lors, la prétendue prise d’acte du 12 novembre 2019 est sans effet, en vertu du principe selon lequel rupture sur rupture ne vaut.
Par ces motifs, la société Groupe La Centrale conclut à l’infirmation du jugement entrepris et au rejet des prétentions adverses ; elle sollicite la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et celle de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
En réponse, M. E C-D fait valoir, dans ses conclusions communiquées le 3 août 2021 :
– en droit, que l’existence d’un contrat de travail est caractérisée par la réunion des conditions de l’article L 7112-1,
– que le fait, pour une société de presse, d’interrompre la prestation de travail d’un journaliste pigiste occasionnel devenu journaliste permanent et régulier s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– en fait, que la société Car & Boat Media a pour activité l’édition de journaux,
– qu’il a écrit plus de 12 000 articles pour cette société, soit une centaine par mois, ce qui représente une activité à temps plein,
– qu’il tirait la totalité de ses revenus de cette activité, ainsi qu’il ressort de ses avis d’imposition,
– que les sujets de ses articles étaient commandés par l’employeur,
– que son contrat de fourniture de service a été résilié le 1er juillet 2010, lorsqu’il a été embauché comme pigiste,
– qu’il a reçu des bulletins de salaire mentionnant cette date d’embauche,
– qu’il produit un formulaire d’entrée du 2 juillet 2010, le désignant comme salarié,
– que la carte de visite dont se prévaut la société appelante a été établie par cette dernière, sans son approbation,
– qu’il appartenait à l’équipe de rédacteurs de la société Car & Boat Media,
– qu’il recevait des instructions sur les délais de rédaction de ses articles,
– qu’à plusieurs reprises, les 15 mars, 18 juin et 3 juillet 2019, M. X, de la société appelante, a apporté des corrections à ses articles,
– qu’il participait à des réunions de rédaction en ligne,
– qu’il s’est rendu, à la demande de son employeur, qui réglait ses frais, à plusieurs salons consacrés à la moto,
– que ses déplacements étaient également pris en charge,
– qu’il disposait d’une boîte de courrier électronique au nom de la société,
– qu’il devait communiquer ses dates de vacances,
– que les prix de ses articles lui étaient imposés,
– qu’il a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 12 novembre 2019, la société Car & Boat Media ne lui commandant plus d’articles,
– que son salaire de référence brut était de 2 153 euros.
En conséquence, M. C-D conclut à la confirmation du jugement entrepris, et sollicite la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de défense.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’existence d’un contrat de travail
Il résulte des articles L 1221-1 et suivants du code du travail, que le contrat de travail est la convention par laquelle une personne s’engage, moyennant rémunération, à mettre son activité à la disposition d’une autre sous la subordination de laquelle elle se place. Le lien de subordination se caractérise classiquement par le pouvoir qu’a l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son salarié. En outre, le fait que le travail soit effectué au sein d’un service organisé peut constituer un indice de l’existence d’un lien de subordination lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.
L’existence d’un contrat de travail dépend, non de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.
Selon l’article L 7111-3 alinéa 1er du code du travail, ‘est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources’. L’article L 7112-1 précise que ‘toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties’.
En l’espèce, M. C-D produit :
– une attestation de M. Y Z, rédacteur en chef du site d’information automobile caradisiac.com (pièce 1), qui ‘confirme que M. E C-D est un collaborateur de Caradisiac’, et qui ajoute que ce dernier ‘rédige régulièrement des articles pour la rubrique moto’ de ce site,
– un ensemble de bulletins de salaire, relatifs à la période du 1er octobre 2017 au 30 septembre 2019 (pièces 4),
– une capture d’écran du site caradisiac.com (pièce 5), qui fait apparaître que M. C-D a rédigé 12 014 articles pour ce site, soit une moyenne mensuelle de 84,78 articles, et une moyenne journalière de 3,85 articles,
– une capture d’écran du site nibelis.com (pièce 6), logiciel de paye auquel M. C-D avait accès en tant que salarié,
– un document intitulé ‘formulaire d’entrée’ du 20 juillet 2010 (pièce 11), dans lequel l’intimé donne diverses informations sur sa situation personnelle à la société Car & Boat Media,
– divers documents relatifs aux articles qu’il a écrits pour le compte de cette société (pièces 13, 14, 21 à 25, 33 à 52),
– des courriers électroniques reçus de salariés de la société Car & Boat Media, relatifs à des réunions organisées par celle-ci, ou à sa rémunération (pièces 15 à 20)
– ses avis d’imposition des années 2012 à 2018 (pièces 26 à 32),
– divers courriers électroniques échangés avec des salariés de la société Car & Boat Media, relatifs à la rédaction de ses articles (pièces 53 à 74), parmi lesquels :
– un courrier électronique du 15 mars 2019 (pièce 56), qui mentionne que le titre de l’article avait été changé par M. X, salarié et rédacteur en chef de la société Car & Boat Media,
– un autre courrier électronique du 18 juin 2019 (pièce 57), qui contient des instructions de M. X quant au contenu d’un article (‘dans le chapeau, rappelle que ce sera effectif dès juillet’, et ‘ensuite, ce serait bien de mettre des exemples de motos qui ne peuvent plus rouler à partir de cette date’)
– d’autres courriers électroniques, qui font état de corrections apportées par M. X ou d’autres salariés de la société Car & Boat Media aux articles proposés par M. C-D (pièces 58 à 61),
– des courriers électroniques relatifs à ses déplacements professionnels, réalisés aux frais de la société Car & Boat Media (pièces 74 à 80), ainsi qu’une note de frais adressée à celle-ci au moyen du site nibelis (pièce 81),
– un courrier électronique de Mme A B, responsable du site caradisiac.com demandant à M. C-D de lui communiquer ses dates de vacances (pièce 83).
En réponse, la société appelante se prévaut du contrat de fourniture de contenu conclu avec l’intimé le 15 avril 2008 (pièce 1), qui stipule, en son article 1, que ‘ de convention expresse entre les parties, le contrat a pour objet unique la fourniture de prestations. Le fournisseur exerce aussi sa prestation à titre libéral indépendamment de tout lien hiérarchique ou salarial avec la Société Car & Boat media ce que celui-ci accepte. Il résulte de ce qui précède, le fait que le fournisseur ne saurait exercer la moindre revendication d’un lien salarial quelconque, ce qu’il accepte expressément’.
Il ressort de ces pièces, d’une part, que la rédaction d’articles pour le compte de la société Car & Boat Media constituait l’activité principale de M. C-D, d’autre part, que cette activité était régulière et rétribuée, M. C-D ayant écrit en moyenne 84,78 articles par mois pour celle-ci, enfin, que cette activité était sa principale source de revenus. Dès lors, en vertu de l’article L 7111-3 alinéa 1er précité, M. C-D doit recevoir la qualification de journaliste professionnel. En outre, le contrat qui le lie à la société Car & Boat Media, peu important ses stipulations, est présumé être un contrat de travail. Il appartient donc à la société Groupe La Centrale, qui soutient que l’existence d’un tel contrat n’est pas caractérisée, de rapporter la preuve de l’absence de lien de subordination. Or les pièces susdites démontrent que M. C-D pouvait recevoir des instructions quant à la forme ou au contenu de ses articles. Il s’ensuit qu’il ne jouissait pas d’une totale liberté dans l’exécution de son travail. En outre, ce travail de rédaction était organisé, et réalisé en équipe, M. C-D produisant la liste des rédacteurs du site (pièce 21). Ainsi, il participait à un travail en équipe au sein d’un service organisé, et de manière exclusive, puisqu’il n’est pas établi qu’il ait rédigé des articles pour un autre organe de presse. Enfin, le courrier électronique du 18 décembre 2013 versé aux débats par l’intimé (pièce 17) démontre que ses tarifs étaient décidés par la société Car & Boat Media, ce courrier mentionnant : ‘on fait évoluer la tarification des articles d’E (…)’. En conséquence, la preuve de l’absence de lien de subordination n’est pas rapportée par la société appelante. Il convient donc de retenir l’existence d’un contrat de travail. Le jugement entrepris sera ainsi confirmé sur ce point.
La relation entre les parties a été rompue, le 10 octobre 2019, à l’initiative de l’employeur, celui-ci ayant mis un terme au contrat dit de ‘fourniture de contenu’ qui le liait à M. C-D. Cette rupture doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les indemnités de rupture
M. E C-D était âgé de 48 ans à la date de rupture de la relation de travail ; son salaire mensuel brut était de 2 153 euros et son ancienneté dans l’entreprise de neuf années. Au vu de ces éléments, et par application de l’article L 1235-3 du code du travail, la somme de 19 000 euros doit être allouée à M. C-D à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.
M. C-D sollicite également une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement. Toutefois, par application de l’article L 1235-2 alinéa 5 du code du travail, cette indemnité ne se cumule par avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La demande de ce chef doit donc être rejetée. Le jugement entrepris sera également infirmé sur ce point.
En revanche, ledit jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Groupe La Centrale au paiement de la somme de 4 306 euros à titre d’indemnité de préavis, de celle de 430 à titre d’indemnité de préavis, et de celle de 5 670 euros à titre d’indemnité de licenciement, comme en ce qu’il a accordé à M. C-D la somme de 6 459 euros à titre de rappel de la prime de treizième mois prévue par l’article 25 de la convention collective nationale des journalistes. Le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu’il a ordonné la délivrance d’un certificat de travail, d’un solde de tout compte et d’une attestation Pôle Emploi. Toutefois, il sera infirmé en ce qu’il a assorti cette condamnation d’une astreinte.
Sur les demandes accessoires
La société Groupe La Centrale, qui succombe, doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, et condamnée aux dépens de première instance et d’appel. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point, comme en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. C-D la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile
Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de l’intimé les frais irrépétibles exposés en cause d’appel. La société Groupe La Centrale sera donc condamnée à lui verser la somme de 2 500 euros de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale, ,
Confirme le jugement entrepris, rendu le 2 février 2021 par le conseil de prud’hommes de Nice, sauf en ce qu’il a :
– condamné la société Groupe La Centrale à verser à M. E C-D les sommes suivantes :
– 2 153 euros à titre d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
– 22 680 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– assorti d’une astreinte la condamnation de la société Groupe La Centrale à délivrer à M. C-D un certificat de travail, un solde de tout compte et une attestation Pôle Emploi,
Et, statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés,
Condamne la société Groupe La Centrale à verser à M. E C-D la somme de 19 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Rejette la demande de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, et la demande d’astreinte présentées par M. E C-D,
Y ajoutant,
Condamne la société Groupe La Centrale aux dépens de la procédure d’appel,
Condamne la société Groupe La Centrale à verser à M. E C-D la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe les jour, mois et an susdits.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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