Rendre compte d’une affaire judiciaireRendre compte d’une affaire judiciaire en cours peut-il être considéré comme une diffamation vis-à-vis de l’accusé ? Si le délit de diffamation, institué par la loi du 29 juillet 1881, vise la protection de l’honneur et de la considération d’une personne, le principe de la présomption d’innocence, institué à l’article 9-1 du code civil et garanti par l’article 6 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, vise quant à lui une valeur sociale distincte : le droit de la personne à un procès équitable, étant rappelé que l’atteinte à ce droit n’est sanctionnée, aux termes de l’article 9-1 du code civil, que dans le cas où les faits en cause font l’objet d’une enquête ou d’une instruction. Cumul de qualifications juridiquesEn conséquence, l’imputation de faits précis n’est pas exclusive pour autant que ces faits font l’objet d’une procédure pénale en cours, du droit, pour la personne visée, d’agir sur le fondement des dispositions de l’article 9-1 du code civil, en sorte que les dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 n’ont pas lieu de s’appliquer. Articulation entre présomption d’innocence et liberté d’expressionL’article 9-1 du code civil dispose que chacun a droit au respect de la présomption d’innocence et que lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du préjudice subi, prescrire toutes mesures, telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte. La protection instituée par ces dispositions légales (garantie aussi par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme) ne saurait être comprise comme un droit absolu, mais doit être mise en rapport avec le principe de la liberté d’expression consacré par l’article 10 de la même Convention. Il s’en évince que l’article 9-1 du code civil ne saurait avoir pour objet d’interdire qu’il soit rendu compte des affaires judiciaires, et l’atteinte à la présomption d’innocence n’est constituée que lorsque la publication litigieuse manifeste clairement, avant toute condamnation devenue irrévocable prononcée par la juridiction compétente, la conviction de son auteur quant à la culpabilité de la personne en cause, dans des conditions de nature à persuader les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs, de cette culpabilité, conditions dans lesquelles l’équilibre entre la protection des droits personnels du mis en cause et celle de la liberté d’informer, n’est plus assuré. Diffusion d’une vidéo violente | Affaire du GUDEn l’espèce, le site Mediapart a été poursuivi (en vain) pour atteinte à la présomption d’innocence. Le site s’était procuré neuf vidéos où l’on voit le chef du GUD à Paris, agresser et violenter l’un des anciens responsables de ce groupuscule extrémiste. Les juges ont rappelé que la diffusion au public d’un élément de preuve des faits en cause, fût-elle accablante pour celui qui revendique la protection de sa présomption d’innocence, n’est pas en elle-même de nature à porter atteinte à cette protection légale, dès lors que cet élément de preuve est rapporté de manière objective et sans conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité, étant au demeurant observé que si le demandeur conteste la relation publique des vidéos dans l’article poursuivi, il ne conteste toutefois ni l’authenticité de ces enregistrements, ni son identification comme auteur de ceux-ci. Même si les journalistes emploient dans l’article des termes forts, évoquant notamment « une véritable séance d’humiliation, d’une violence inouïe », la sévérité de ces termes n’est pas emphatique mais à la mesure de la brutalité des scènes filmées, de même que l’emploi, dans le titre, du mot « sauvagerie » qui, pour être éminemment dépréciatif, ne fait que décrire l’atrocité des faits dont les vidéos constituent autant de preuves objectives. En estimant que ces actes peuvent être qualifiés de « traitements inhumains et dégradants, tels que définis par la Convention européenne des droits de l’Homme», les auteurs de l’article ne font qu’invoquer la protection d’un droit fondamental sans formuler, là non plus, aucun préjugé sur la culpabilité du demandeur. Dans ces conditions, les journalistes de Mediapart se sont bien attachés à faire la relation objective d’un élément de preuve matériel dont la diffusion, aussi accablante soit-elle pour le chef du GUD, n’en a pas moins été justifiée par le droit d’informer le public sur un sujet d’intérêt général (pas d’atteinte à sa présomption d’innocence). |
→ Questions / Réponses juridiques
Rendre compte d’une affaire judiciaire peut-il être considéré comme une diffamation vis-à-vis de l’accusé ?Il est important de distinguer entre la diffamation et la présomption d’innocence dans le cadre d’une affaire judiciaire. La diffamation, selon la loi du 29 juillet 1881, vise à protéger l’honneur et la réputation d’une personne. En revanche, la présomption d’innocence, garantie par l’article 9-1 du code civil et l’article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme, assure à toute personne le droit à un procès équitable. Ainsi, rendre compte d’une affaire judiciaire en cours n’est pas en soi une diffamation, tant que cela ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence. La loi précise que l’atteinte à ce droit n’est sanctionnée que si les faits sont en cours d’enquête ou d’instruction. Quelles sont les implications du cumul de qualifications juridiques dans une affaire judiciaire ?Le cumul de qualifications juridiques signifie que plusieurs aspects juridiques peuvent s’appliquer à une même situation. Dans le contexte d’une affaire judiciaire, cela implique que l’imputation de faits précis n’exclut pas le droit de la personne visée d’agir en justice. L’article 9-1 du code civil permet à une personne de défendre sa présomption d’innocence, même si des faits sont en cours de procédure pénale. Cela signifie que les dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qui concernent la diffamation, ne s’appliquent pas nécessairement dans ce contexte. Ainsi, une personne accusée peut toujours contester la manière dont les faits sont rapportés, tout en étant soumise à une procédure pénale. Comment s’articulent la présomption d’innocence et la liberté d’expression ?L’article 9-1 du code civil stipule que chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. Cela signifie qu’une personne ne peut pas être présentée comme coupable avant une condamnation définitive. Cependant, la liberté d’expression, protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, doit également être prise en compte. Il en résulte que rendre compte d’affaires judiciaires est permis, tant que cela ne manifeste pas une conviction de culpabilité avant une décision de justice. L’atteinte à la présomption d’innocence n’est constituée que si la publication suggère clairement la culpabilité de l’accusé, ce qui compromet l’équilibre entre le droit à l’information et la protection des droits personnels. Quelle a été la décision concernant la diffusion d’une vidéo violente dans l’affaire du GUD ?Dans l’affaire du GUD, le site Mediapart a été poursuivi pour atteinte à la présomption d’innocence après avoir diffusé des vidéos montrant des actes de violence. Les juges ont statué que la diffusion d’éléments de preuve, même accablants, ne constitue pas en soi une atteinte à la présomption d’innocence, à condition que ces éléments soient rapportés de manière objective. Il a été souligné que les termes utilisés dans l’article, bien que forts, étaient proportionnels à la gravité des actes filmés. Les juges ont également noté que les journalistes n’avaient pas formulé de préjugés sur la culpabilité de l’accusé, mais avaient simplement rapporté des faits. Ainsi, la diffusion des vidéos a été jugée justifiée par le droit d’informer le public sur un sujet d’intérêt général, sans porter atteinte à la présomption d’innocence. |
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