Dénoncer les pratiques d’une société en des termes dégradants et mensongers afin de discréditer la tête de réseau auprès de ses membres, sont des propos qui ne dénigrent pas un produit ou un service commercialisé par la société mais visent des faits imputables à une personne morale clairement identifiée qui portent atteinte à la considération ou à l’honneur de celle-ci. La demande de la société victime d’être indemnisée en raison de ces agissements s’analyse comme une demande de réparation de l’atteinte à son honneur ou à sa considération et donc comme une action en diffamation au sens de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, demande pour laquelle le tribunal judiciaire est exclusivement compétent en application de l’article R.211-3-26 (13°) du code de l’organisation judiciaire. REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS COUR D’APPEL DE PARIS Pôle 2 – Chambre 7 ARRET DU 25 JANVIER 2023 (n° 3/2023, 6 pages) Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/04537 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFMES Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 10 Février 2022 – Juge de la mise en état de TJ de PARIS RG n° 21/02054 APPELANTE S.A.S.U. BM EST FRANCE représentée par son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité [Adresse 1] [Localité 3] N° SIRET : 353 458 085 Représentée par Maître Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L20, avocat postulant INTIMEE Madame [E] [S] [Adresse 2] [Localité 4] Représentée par Maître Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L34, avocat postulant COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 novembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de : M. Jean-Michel AUBAC, Président de chambre Mme Anne RIVIERE, Assesseur un rapport a été présenté à l’audience par Mme RIVIERE dans les conditions prévues par les articles 804 et 805 du code de procédure civile. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : M. Jean-Michel AUBAC, Président de chambre Mme Anne RIVIERE, Assesseur Mme Anne CHAPLY, Assesseur Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA ARRET : — CONTRADICTOIRE — par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile. — signé par Jean-Michel AUBAC, Président, et par Margaux MORA, Greffier, présente lors de la mise à disposition. 1. Vu l’assignation devant le tribunal judiciaire de Paris du 4’février 2021 de la société BM EST FRANCE à [E] [S] en vue d’obtenir sa condamnation à mettre un terme aux actes de dénigrement et à réparer les préjudices qui en découlent, 2. Vu les conclusions d’incident notifiées le 28’décembre 2021 par lesquelles [E] [S] demande au juge de la mise en état, au visa notamment de l’article L.721-3 du code de commerce et des articles’29 et’53 de la loi du 29’juillet 1881, de’: À titre principal, — prononcer l’incompétence matérielle du tribunal judiciaire de Paris au profit du tribunal de commerce de Paris, — prononcer la nullité de l’assignation qui lui a été délivrée le 4’février 2021, À titre subsidiaire, — juger irrecevable l’action de la société BM EST FRANCE pour défaut d’intérêt à agir à son encontre, À titre encore plus subsidiaire, — ordonner aux parties de conclure au fond dans le présent litige, En tout état de cause, — condamner la société BM EST FRANCE à lui payer la somme de 8’000’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens, 3. Vu l’ordonnance du 10’février 2022 du juge de la mise en état qui a’: — dit que l’action intentée par la société BM EST FRANCE est une action civile pour diffamation au sens de la loi du 29’juillet 1881 sur la liberté de la presse, — rejeté l’exception d’incompétence au profit du tribunal de commerce de Paris, — déclaré nulle l’assignation du 4’février 2021, — condamné la société BM EST FRANCE aux dépens, — condamné la société BM EST FRANCE à payer à [E] [S] la somme de 1’500’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, — rejeté le surplus des demandes formées en application de l’article 700 du code de procédure civile, 4. Vu l’appel interjeté le 25’février 2022 par la société BM EST FRANCE, 5. Vu les conclusions de l’appelante signifiées le 25’octobre 2022, selon lesquelles elle demande à la cour de’: — réformer la décision entreprise en ce qu’elle a dit que l’action intentée par la société BM EST FRANCE est une action civile pour diffamation au sens de la loi du29’juillet 1881 sur la liberté de la presse, déclaré nulle l’assignation du 4’février 2021, condamné la société BM EST FRANCE aux dépens et condamné la société BM EST FRANCE à payer à [E] [S] la somme de 1’500’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, — confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence au profit du tribunal de commerce de Paris, — débouter [E] [S] de sa demande en nullité de l’assignation qui lui a été délivrée par la société BM EST FRANCE le 4’février 2021, — débouter [E] [S] de sa demande subsidiaire visant à faire juger le tribunal judiciaire de Paris matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris, — débouter [E] [S] de sa demande subsidiaire visant à faire juger irrecevable l’action de la société BM EST FRANCE pour défaut d’intérêt à agir à l’encontre d'[E] [S], — débouter [E] [S] de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, — condamner [E] [S] aux entiers dépens et à payer à la société BM EST FRANCE, au titre des frais irrépétibles exposés, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 5’000’euros, 6. Vu les dernières conclusions signifiées du 19’octobre 2022 par [E] [S] aux termes desquelles l’intimée demande à la cour de’: À titre principal, — confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, À titre subsidiaire, — dire que l’action intentée par la société BM EST FRANCE est une action civile pour diffamation au sens de la loi du 29’juillet 1881 sur la liberté de la presse, — déclarer nulle l’assignation du 4’février 2021, — juger que le tribunal judiciaire de Paris est matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris, À titre très très subsidiaire, — dire que l’action intentée par la société BM EST FRANCE est une action civile pour diffamation au sens de la loi du 29’juillet 1881 sur la liberté de la presse, — déclarer nulle l’assignation du 4’février 2021, — mais confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence au profit du tribunal de commerce de Paris, — juger irrecevable l’action de la société BM EST FRANCE pour défaut d’intérêt à agir à l’encontre d'[E] [S], — débouter l’appelante de ses demandes, fins et conclusions, — condamner en tout état de cause la société BM EST FRANCE à payer à [E] [S] la somme de 14’000’euros en appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, 7. Vu l’ordonnance de clôture du 30’novembre 2022, 8. Vu l’article 455 du code de procédure civile, MOTIFS DE LA DÉCISION Exposé du litige 9. La société BM EST FRANCE anime un réseau de franchise sous l’enseigne ‘Rivalis’ en vue de commercialiser un progiciel développé par la SA GROUPE RIVALIS et destiné à optimiser la gestion des petites entreprises. 10. Le 22’septembre 2017, elle a conclu un contrat de partenariat avec [E] [S], agissant pour le compte de la société en formation Copil75 afin de lui concéder le droit d’exploiter ce progiciel. 11. Suite à la survenance d’un litige entre les parties, [E] [S] et la société Copil75 ont assigné la société BM EST FRANCE et la société GROUPE RIVALIS devant le tribunal judiciaire de Paris à fin d’obtenir la nullité du contrat de partenariat. 12. Le juge de la mise en état a déclaré la juridiction incompétente au profit du tribunal de commerce de Paris. 13. Dans ce contexte, la société BM EST FRANCE a fait assigner [E] [S] pour actes de dénigrements devant le tribunal judiciaire de Paris. 14. Elle soutient que son action n’entre pas dans les cas visés aux articles L.721-l et suivants du code de commerce. Selon l’appelante, il ne s’agit ni de contestations relatives aux engagements entre commerçants ni de contestations relatives aux sociétés commerciales ni de contestations relatives aux actes de commerce et les agissements de l’intimée sont manifestement détachés de la gestion de la société Copil75. 15. Selon la société BM EST FRANCE, [E] [S] a commis une faute séparable de ses fonctions dont elle doit répondre personnellement envers la tête du réseau et le tribunal judiciaire de Paris est donc compétent pour connaître de l’action en responsabilité qu’elle intente. 16. Elle ajoute qu’elle poursuit exclusivement la sanction des actes de dénigrement et de déstabilisation du réseau Rivalis par [E] [S] et qu’elle entend circonscrire son action à la sanction des agissements qu’elle vise expressément. Elle demande que l’intimée cesse les actes visant soit à déstabiliser la société ou le groupe soit à solliciter des avis ou propos dénigrant les actions ou le comportement de ces derniers. Son action étant fondée sur le dénigrement et la déstabilisation, et non sur la diffamation, le moyen tiré de la nullité de l’assignation n’est pas fondé selon l’appelante. 17. Elle fait enfin valoir que la fin de non-recevoir est soulevée à titre subsidiaire par [E] [S] de sorte qu’elle ne sera examinée que si la juridiction saisie se déclare compétente. En tout état de cause, le dénigrement des services et la déstabilisation du réseau qui en résulte constituent des agissements purement détachables des fonctions sociales de l’intimée. 18. Cette dernière, au soutien de ses prétentions, fait essentiellement valoir que les faits de dénigrement qui lui sont reprochés se rattachent incontestablement par un lien direct à la gestion de la société Copil75 dont elle est la dirigeante. En effet, si elle a pris contact par courriel avec certains conseillers du réseau Rivalis, c’est uniquement en sa qualité de dirigeante de ladite société afin de collecter des témoignages à produire dans le cadre de l’action en annulation du contrat de partenariat. 19. Elle soutient que les faits dénoncés sont intimement liés au contentieux actuellement pendant devant le tribunal de commerce de Paris et que le tribunal judiciaire de Paris doit donc se déclarer incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris. 20. Elle ajoute que la lecture de l’assignation et des pièces révèle que la société BM EST FRANCE se plaint en réalité, non pas d’un dénigrement de ses produits et services, mais d’une atteinte portée à son honneur et à sa considération relevant du délit de diffamation et qu’il appartenait en conséquence à l’appelante de respecter les dispositions de l’article 53 de la loi du 29’juillet 1881 selon lesquelles la citation doit notamment qualifier le fait incriminé, contenir élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et être notifiée au ministère public. Selon l’intimée, l’assignation encourt en conséquence la nullité. 21. Elle expose à titre subsidiaire que l’action est dirigée exclusivement à son encontre en qualité de dirigeante de la société Copil75 alors que la responsabilité d’un dirigeant ne peut être exceptionnellement mise en ‘uvre qu’à la condition d’apporter la preuve que celui-ci aurait commis une faute intentionnelle d’une particulière gravité et incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions directoriales. Une telle démonstration n’étant pas apportée par la société BM EST FRANCE dans son assignation, la présente action est irrecevable pour défaut d’intérêt à agir. Sur la compétence du tribunal judiciaire 22. Par des motifs pertinents, le premier juge a retenu la compétence du tribunal judiciaire aux motifs «’qu’il est reproché à Mme'[S], aux termes de l’assignation, de dénoncer les pratiques de la société BM Est France en des termes dégradants et mensongers afin de discréditer la tête de réseau auprès de ses membres de sorte que les propos litigieux ne dénigrent pas un produit ou un service commercialisé par la demanderesse mais visent des faits imputables à une personne morale clairement identifiée qui portent atteinte à la considération ou à l’honneur de celle-ci ». 23. Il est en effet rappelé dans l’ordonnance du juge de la mise en état que la société BM EST FRANCE indique que «’les termes utilisés par Madame [S] sont à la fois calomnieux et diffamatoires ». 24. La demande de la société BM EST FRANCE s’analyse comme une demande de réparation de l’atteinte à son honneur ou à sa considération et donc comme une action en diffamation au sens de la loi du 29’juillet 1881 sur la liberté de la presse, demande pour laquelle le tribunal judiciaire est exclusivement compétent en application de l’article R.211-3-26 (13°) du code de l’organisation judiciaire. 25. La décision entreprise sera confirmée de ce chef. Sur la nullité de l’assignation 26. Le premier juge a justement relevé qu’en l’espèce, aucune pièce de la procédure ne permet d’établir que l’assignation délivrée à [E] [S] le 4’février 2021 a été dénoncée au ministère public alors que l’action constitue une action civile pour diffamation. 27. En conséquence, et sans avoir à statuer sur les autres moyens, il y a lieu de confirmer la nullité de l’acte introductif d’instance. Sur les autres demandes 28. Il serait inéquitable de laisser à la charge de l’intimée les frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer et la somme de mille euros (1’000’euros) lui sera octroyée en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la présente instance. PAR CES MOTIFS Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement entrepris’; Y ajoutant, Condamne l’appelante au paiement à l’intimée de la somme de mille euros (1’000’euros) en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ainsi qu’aux entiers dépens. LE PRÉSIDENT LE GREFFIER |
→ Questions / Réponses juridiques
Quels sont les faits reprochés à la société BM EST FRANCE ?La société BM EST FRANCE reproche à [E] [S] d’avoir tenu des propos dégradants et mensongers dans le but de discréditer la tête de réseau auprès de ses membres. Ces propos ne visent pas directement les produits ou services commercialisés par BM EST FRANCE, mais portent atteinte à l’honneur et à la considération de la société en tant que personne morale. Ces accusations de dénigrement sont considérées comme des actes qui nuisent à la réputation de la société, ce qui peut entraîner des conséquences juridiques, notamment en matière de diffamation. La société BM EST FRANCE a donc décidé d’agir en justice pour obtenir réparation de cette atteinte à son honneur. Quelle est la nature de l’action intentée par BM EST FRANCE ?L’action intentée par BM EST FRANCE est qualifiée de demande de réparation pour atteinte à son honneur et à sa considération, ce qui la classe dans le cadre d’une action en diffamation selon la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cette loi stipule que les propos diffamatoires peuvent donner lieu à des poursuites judiciaires, et le tribunal judiciaire est compétent pour traiter ce type d’affaire. La société BM EST FRANCE cherche donc à faire reconnaître le caractère diffamatoire des propos tenus par [E] [S] et à obtenir une indemnisation pour le préjudice subi. Quelles ont été les décisions du tribunal concernant l’assignation ?Le tribunal a déclaré nulle l’assignation délivrée à [E] [S] le 4 février 2021. Cette nullité est fondée sur le fait que l’assignation n’a pas été dénoncée au ministère public, ce qui est requis dans le cadre d’une action civile pour diffamation. Le tribunal a également rejeté l’exception d’incompétence au profit du tribunal de commerce, affirmant que les propos reprochés à [E] [S] ne relèvent pas des contestations commerciales, mais d’une atteinte à l’honneur de BM EST FRANCE. Ainsi, la compétence du tribunal judiciaire a été confirmée pour traiter cette affaire. Quels sont les arguments de [E] [S] pour contester l’action de BM EST FRANCE ?[E] [S] conteste l’action de BM EST FRANCE en soutenant que les faits de dénigrement qui lui sont reprochés sont directement liés à la gestion de la société Copil75, dont elle est la dirigeante. Elle affirme que ses actions étaient motivées par la nécessité de recueillir des témoignages pour une action en nullité du contrat de partenariat avec BM EST FRANCE. Elle argue également que l’action de BM EST FRANCE est en réalité une action pour diffamation, et non pour dénigrement, ce qui nécessiterait le respect de certaines formalités légales, notamment la qualification des faits incriminés. [E] [S] soutient que la responsabilité d’un dirigeant ne peut être engagée que si une faute intentionnelle d’une particulière gravité est prouvée, ce qui n’est pas le cas ici. Quelles sont les conséquences de la décision du tribunal pour BM EST FRANCE ?La décision du tribunal a des conséquences significatives pour BM EST FRANCE. En plus de la nullité de l’assignation, la société a été condamnée à payer à [E] [S] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, qui concerne les frais irrépétibles. Cette décision souligne l’importance de respecter les procédures légales lors de l’introduction d’une action en justice, notamment en matière de diffamation. La société BM EST FRANCE doit également assumer les dépens de la procédure, ce qui peut représenter un coût supplémentaire pour elle. |
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