Tribunal judiciaire de Paris, 25 septembre 2019
Tribunal judiciaire de Paris, 25 septembre 2019

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris

Thématique : #Balancetonporc sur Twitter : diffamation applicable

Résumé

Le #Balancetonporc a mis en lumière la possibilité d’agir en diffamation sur les réseaux sociaux. Un exemple marquant est celui d’une journaliste condamnée pour avoir tweeté des propos diffamatoires à l’encontre d’un dirigeant, l’accusant de harcèlement sexuel. Selon la loi, la diffamation implique une allégation portant atteinte à l’honneur d’une personne, nécessitant des preuves solides. Dans ce cas, l’absence de jugement pénal définitif a conduit à la non-reconnaissance de la bonne foi de la journaliste, soulignant les enjeux juridiques entourant la liberté d’expression et la protection de la réputation.

Les victimes du #Balancetonporc peuvent également agir en diffamation, y compris sur les réseaux sociaux. Un titre de presse et l’une de ses journalistes ont été condamnés pour diffamation publique envers un dirigeant de société audiovisuelle, à 15.000 euros.

Tweet diffamant

La
journaliste avait diffusé le Tweet suivant «Tu as des gros seins. Tu es
mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit.” Y Z ex patron de
Equidia #balancetonporc”» relayant des propos dont elle avait été victime.
Le tweet litigieux imputait au dirigeant d’avoir commis au préjudice de la
journaliste un fait de harcèlement sexuel au travail.

Diffamation sur Twitter

L’article
29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme “toute
allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la
considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé” ; il doit
s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire
sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part,
de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par “toute
expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme
l’imputation d’aucun fait”- et, d’autre part, de l’expression subjective d’une
opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement
discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être
prouvée.

L’honneur
et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les
conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de
critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation
litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement
contraire aux règles morales communément admises.

La diffamation,
qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être
appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support
en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel
ils s’inscrivent.

Faits de harcèlement sexuel

Le
tweet litigieux imputait au dirigeant d’avoir harcelé sexuellement la journaliste.
Il s’agissait d’un fait précis, susceptible d’un débat contradictoire sur la
preuve de sa vérité, et réprimé par l’article 222-33 du code pénal, qui, dans
sa version en vigueur au moment du tweet, réprime le fait d’imposer à une
personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle
qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou
humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou
offensante, le fait, même non répété, assimilé au harcèlement sexuel, d’user de
toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de
nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou
au profit d’un tiers. Les propos litigieux présentaient donc un caractère
diffamatoire envers le particulier, étant précisé que l’injure constituée par
l’emploi du terme porc est absorbée par le caractère diffamatoire des propos.

Bonne foi et preuve de la vérité

Pour
produire l’effet absolutoire prévu par l’article 35 de la loi du 29 juillet
1881, la preuve de la vérité des faits diffamatoires doit être parfaite,
complète et corrélative aux imputations dans toute leur portée et leur
signification diffamatoire. Or, l’offre de preuve ne comportait aucun jugement
pénal définitif condamnant l’auteur pour harcèlement sexuel. Par conséquent,
elle n’était pas parfaite, complète et corrélative à l’imputation diffamatoire.

Sur
la bonne foi, les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites
avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur
établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à
toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre
d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans
l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits
postérieurs à la diffusion des propos.

Ces
critères s’apprécient également à la lumière des notions « d’intérêt général »
s’attachant au sujet de l’information, susceptible de légitimer les propos au
regard de la proportionnalité et de la nécessité que doit revêtir toute
restriction à la liberté d’expression en application de l’article 10 de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales et de « base factuelle » suffisante à établir la bonne foi de
leur auteur, supposant que l’auteur des propos incriminés détienne au moment de
les proférer des éléments suffisamment sérieux pour croire en la vérité de ses
allégations et pour engager l’honneur ou la réputation d’autrui et que les
propos n’aient pas dégénéré en des attaques personnelles excédant les limites
de la liberté d’expression, la prudence dans l’expression étant estimée à
l’aune de la consistance de cette base factuelle et de l’intensité de l’intérêt
général.

Ces
critères s’apprécient différemment selon le genre de l’écrit en cause et la
qualité de la personne qui s’y exprime et, notamment, avec une moindre rigueur
lorsque l’auteur des propos diffamatoires n’est pas un journaliste qui fait
profession d’informer, mais une personne elle-même impliquée dans les faits
dont elle témoigne.

En
l’espèce, si la victime est journaliste, elle témoignait de son expérience
personnelle et les critères de la bonne foi ont été examinés avec plus de
souplesse (sans que la bonne foi n’ait été retenue).

S’agissant
du premier critère de la bonne foi, en pleine affaire WEINSTEIN, médiatisée
internationalement et ayant permis la libération de la parole de femmes
victimes, et dans une société française où les femmes ont eu le droit de vote
en 1944, les maris ont cessé d’être appelés “chefs de famille” dans le code
civil en 1970, l’égalité salariale entre hommes et femmes n’est pas atteinte,
le viol conjugal a été reconnu par la jurisprudence à partir de 1990 et
plusieurs plans interministériels de lutte contre les violences faites aux
femmes ont été adoptés, la question des rapports entre hommes et femmes, et
plus particulièrement des violences sous toutes leurs formes infligées aux
femmes par des hommes, constitue à l’évidence un sujet d’intérêt général.

S’agissant
du critère de l’animosité personnelle, si le demandeur versait des éléments
ayant trait à la déception voire à la colère de la journaliste en raison du
refus de s’abonner à sa lettre, ces pièces ne démontraient pas une animosité
personnelle au sens du droit de la presse, qui s’entend d’un mobile dissimulé
ou de considérations extérieures au sujet traité, ces attestations évoquant des
faits anciens et sans commune mesure avec l’imputation diffamatoire.

S’agissant des critères de base factuelle et de prudence dans les propos, la juridiction a considéré que l’emploi du terme harcèlement évoque une répétition ou une pression grave, les pièces produites en défense n’établissaient pas cette répétition.  En conséquence, la journaliste n’a pu bénéficier de l’excuse de bonne foi. Télécharger la décision

 


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