Concurrence et téléphonie : l’effet Tribu

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Concurrence et téléphonie : l’effet Tribu

Amendes record de SFR et Orange

On se souvient que l’Autorité de la concurrence (décision n° 12-D-24 du 13 décembre 2012) avait infligé aux sociétés France Télécom et Orange France une sanction pécuniaire de plus de 117 millions d’euros et à l’opérateur SFR, une sanction pécuniaire de plus de 65 millions d’euros. La Cour d’appel de Paris a confirmé la décision de l’Autorité mais a « sensiblement » réduit le montant des sanctions (environ 15 millions en moins).

Pour déterminer le montant des sanctions pécuniaires, l’Autorité a retenu comme assiette de calcul la moyenne de la valeur des ventes des offres commerciales en cause. L’Autorité a ensuite, au vu de la gravité des faits et du dommage à l’économie, retenu une proportion de 5 % de la valeur de ces ventes et elle a appliqué un coefficient multiplicateur de 2, compte tenu de la durée de l’infraction.

L’Autorité n’est pas tenue de chiffrer avec précision le dommage à l’économie, mais il lui appartient d’en apprécier l’existence et l’importance en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier, et en  » recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l’économie engendrée par les pratiques en cause « .

Pratique en cause : amplification de l’effet tribu

En l’occurrence a été sanctionné un abus de « l’effet tribu ». Le marché de détail de la téléphonie mobile est caractérisé par le jeu d’un mécanisme de prescription naturelle, résultant de ce que le client d’un opérateur est souvent amené à recommander aux personnes de son entourage de s’abonner chez le même opérateur. Cette prescription conduit alors à la constitution de « tribus » de proches, abonnés auprès du même opérateur. Cet « effet tribu » n’est, en lui-même, pas  anticoncurrentiel.

Au cas d’espèce, les abonnés ayant souscrit les offres commerciales en cause, avaient, pour profiter de ces avantages, une forte incitation financière à recommander à leurs proches de migrer sur le même réseau qu’eux, afin que les communications entre eux ne soient par décomptées du forfait. La différenciation tarifaire produisait, au-delà du mécanisme de prescription naturelle, une amplification de l’ »effet tribu » et était de nature à favoriser artificiellement la conquête et la fidélisation des « tribus » de proches.

L’offre commerciale tendait donc à « verrouiller » les groupes de proches auprès d’un même opérateur, dans la mesure où le changement d’opérateur entrainait des coûts de sortie supérieurs à ceux encourus en l’absence de différenciation tarifaire. Une fois qu’un « club » est formé et qu’un consommateur est client du même opérateur que ses correspondants les plus fréquents, le changement d’opérateur est pour lui d’autant plus coûteux qu’il lui ferait perdre le bénéfice des tarifs préférentiels offerts pour les appels on net vers ces correspondants (Décision n° 2010-1149 du 2 novembre 2010). Ce surcoût lié au changement d’opérateur procèderait également de l’élévation des dépenses en résultant pour les proches de ce client disposant d’une abondance on net, puisque leurs appels en direction de ce client deviennent des appels off net.

Cette différenciation tarifaire tend à faire obstacle au changement d’opérateur des membres d’une tribu déjà constituée auprès d’un opérateur et était « de nature à créer » un effet de verrouillage des tribus en élevant les coûts de changement d’opérateur pour les membres du groupe.

Appels on net et off net

Les sociétés Orange et SFR ont été sanctionnées par l’Autorité pour avoir abusé, sur le marché de détail de la téléphonie mobile, de leur position dominante en mettant en oeuvre une différenciation tarifaire entre appels on net et appels off net au travers de la commercialisation de leurs offres. Les pratiques de différenciation tarifaire consistent à appliquer à des produits ou services identiques ou comparables des tarifs différents ; elles ne sont pas, en elles-mêmes, anticoncurrentielles, mais peuvent le devenir, en particulier si la différence de tarif ne correspond pas, au moins dans une mesure raisonnable, à la différence des coûts en cause.  En l’occurrence, en moyenne et toutes communications confondues, le prix des appels on net était moins élevé que celui des appels off net.

Preuve de pratiques potentiellement anticoncurrentielles

L’effet anticoncurrentiel d’une pratique reprochée à une entreprise en position dominante ne doit pas être nécessairement concret, étant suffisante la démonstration d’un effet anticoncurrentiel potentiel de nature à évincer les concurrents au moins aussi efficaces que l’entreprise en position dominante.

Conformément aux décisions TPUE, British Airways plc et CJUE, TeliaSonera Sverige AB : « aux fins de l’établissement d’une violation de l’article 82 CE / l’article 102 TFUE, il n’est pas nécessaire de démontrer que l’abus considéré a eu un effet concret sur les marchés concernés. Il suffit à cet égard de démontrer que le comportement abusif de l’entreprise en position dominante tend à restreindre la concurrence ou, en d’autres termes, que le comportement est de nature ou susceptible d’avoir un tel effet ».

En ce qui concerne le standard de preuve, il n’est pas nécessaire de démontrer que les pratiques en cause ont eu un effet anticoncurrentiel concret sur les marchés concernés, qui tiendrait, par exemple, à une détérioration effective quantifiable de la position concurrentielle des opérateurs de téléphonie mobile concurrents. Il suffit de démontrer l’existence d’un effet anticoncurrentiel au moins potentiel.

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Questions / Réponses juridiques

Quelles sanctions ont été infligées à SFR et Orange par l’Autorité de la concurrence ?

Les sociétés France Télécom et Orange France ont reçu une amende de plus de 117 millions d’euros, tandis que SFR a été sanctionné à hauteur de 65 millions d’euros.

La Cour d’appel de Paris a confirmé ces sanctions, mais a réduit le montant total d’environ 15 millions d’euros.

Cette décision a été prise dans le cadre d’une analyse approfondie des pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la téléphonie mobile.

Comment l’Autorité de la concurrence a-t-elle déterminé le montant des amendes ?

L’Autorité de la concurrence a calculé les amendes en se basant sur la moyenne de la valeur des ventes des offres commerciales concernées.

Elle a appliqué une proportion de 5 % de cette valeur, en tenant compte de la gravité des faits et du dommage à l’économie.

Un coefficient multiplicateur de 2 a également été utilisé, en raison de la durée de l’infraction.

Qu’est-ce que l’effet tribu et comment a-t-il été sanctionné ?

L’effet tribu se réfère à la tendance des clients d’un opérateur à recommander ce même opérateur à leurs proches, créant ainsi des groupes d’abonnés.

Dans ce cas, les abonnés étaient incités financièrement à recommander leur opérateur pour bénéficier d’avantages tarifaires, ce qui a amplifié l’effet tribu.

Cette pratique a été jugée anticoncurrentielle car elle favorisait la fidélisation des clients et compliquait le changement d’opérateur.

Quelle est la différence entre les appels on net et off net ?

Les appels on net sont ceux effectués entre abonnés du même opérateur, tandis que les appels off net sont ceux passés vers des abonnés d’autres opérateurs.

Orange et SFR ont été sanctionnés pour avoir appliqué une différenciation tarifaire entre ces deux types d’appels, rendant les appels on net moins coûteux.

Cette stratégie a été considérée comme potentiellement anticoncurrentielle, car elle ne reflétait pas nécessairement les différences de coûts.

Quelle est la preuve requise pour établir des pratiques anticoncurrentielles ?

Il n’est pas nécessaire de prouver un effet anticoncurrentiel concret pour établir une violation des règles de concurrence.

Il suffit de démontrer un effet potentiel qui pourrait nuire à la concurrence, même sans preuve d’une détérioration mesurable de la position des concurrents.

Cette approche est soutenue par des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne, qui stipulent que le comportement d’une entreprise en position dominante peut être jugé abusif s’il restreint la concurrence.


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