Tribunal judiciaire de Paris, 28 mars 2024
Tribunal judiciaire de Paris, 28 mars 2024

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris

Thématique : Message Gmail anonyme et diffamant : voici la procédure à suivre

Résumé

La société STEVE a engagé une procédure contre GOOGLE IRELAND LIMITED pour obtenir l’identification d’un compte Gmail ayant envoyé des courriels diffamatoires. Après avoir retiré ses demandes contre GOOGLE FRANCE, STEVE a justifié sa demande par des accusations de harcèlement moral et sexuel, soutenant que les messages anonymes étaient susceptibles de qualifications pénales. Le tribunal a reconnu un motif légitime pour la communication des données d’identification, ordonnant à GOOGLE IRELAND de fournir les informations nécessaires dans un délai de quinze jours. Les autres demandes ont été rejetées, chaque partie supportant ses propres frais.

Pour identifier l’auteur d’un email diffamant, la première étape est d’obtenir l’adresse IP avec laquelle le titulaire a créé son compte et celle avec laquelle il a envoyé ses message.

Pour ce faire, l’article 145 du CPC est le moyen à privilégier. Une demande de mesure d’instruction ne peut légitimement porter que sur des faits déterminés, d’une part, pertinents, d’autre part. Le juge doit ainsi caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction, non pas au regard de la loi susceptible d’être appliquée à l’action au fond qui sera éventuellement engagée, mais en considération de l’utilité de la mesure pour réunir des éléments susceptibles de commander la solution d’un litige potentiel.

Sont légalement admissibles, au sens de l’article 145 du CPC, des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge saisi d’une contestation à cet égard, de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec, la mesure devant être de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

Sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et dans le respect des dispositions précitées qui déterminent les cas dans lesquels peuvent être prescrites les mesures sollicitées, s’agissant de demandes tendant à la communication de données conservées par les hébergeurs ou fournisseurs d’accès à internet, le juge saisi peut prescrire à toute personne susceptible de contribuer à un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne de communiquer les données d’identification ayant servi à la diffusion des propos incriminés, à condition que ceux-ci soient pénalement répréhensibles si les faits devaient être considérés comme constitués et qu’une telle mesure soit légitime et proportionnée au but poursuivi.

Pour justifier du motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, il peut être avancé que les propos tenus contre une société ou une personne sont susceptibles de qualifications pénales, que le demandeur se réservera d’invoquer devant les juridictions pénales notamment au titre des délits de diffamation, de menaces, tel que prévu à l’article 222-17 du code pénal, et de chantage prévu à l’article 312-10 du code pénal.

Les messages peuvent potentiellement constituer le délit d’envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques, sanctionné par l’article 222-16 du code pénal.

Une action pénale engagée sur le fondement de la diffamation publique envers particulier, réprimée par les articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 envers un particulier et également de chantage, réprimés par l’article 312-10 du code pénal ne serait pas manifestement vouée à l’échec.

Dans la mesure où les propos litigieux sont susceptibles de constituer les délits de diffamation publique envers particulier et de chantage, un procès pénal est envisageable, une fois identifiée la personne à l’origine des courriers électroniques en cause.

Les faits litigieux, en ce que la qualification pénale de chantage est envisageable, ressortent de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, s’agissant d’un délit puni d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, de sorte qu’est proportionnée à l’atteinte alléguée et légalement admissible, la communication des données d’identification correspondant aux 1°, 2° et 3° de l’article précité.

Google (Gmail) a le statut d’hébergeur, tel que défini à l’article 6. I. 2 de la LCEN (“personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services”) s’agissant des propos envoyés depuis une adresse électronique Gmail. La société Google est donc astreinte à ce titre à l’obligation de conservation des données d’identification dans les conditions rappelées ci-dessous.

L’article 6 II de la LCEN prévoit que, dans les conditions fixées aux II bis, III et III bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I du présent article détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires.

L’article L34-1 précité prévoit que les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver :

1° Pour les besoins des procédures pénales, de la prévention des menaces contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur, jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la fin de validité de son contrat ;

2° Pour les mêmes finalités que celles énoncées au 1° du présent II bis, les autres informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou de la création d’un compte ainsi que les informations relatives au paiement, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la fin de validité de son contrat ou de la clôture de son compte ;
3° Pour les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la connexion ou de l’utilisation des équipements terminaux.”.

La nature des données mentionnées ci-avant, comme la durée et les modalités de leur conservation, sont précisées par le décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu en ligne, pris en application de l’article 6-II sus mentionné. Ce texte précise en particulier, dans ses articles 2 à 5, les données mentionnées dans l’article L34-1 du code des postes et des communications électroniques, évoqué ci dessus :

– les informations prévues au 1° sont les suivantes : les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ; la ou les adresses postales associées ; la ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ; le ou les numéros de téléphone.

– les informations prévues au 2° sont les suivantes : l’identifiant utilisé ; le ou les pseudonymes utilisés ; les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernière version mise à jour, outre le type de paiement utilisé ; la référence du paiement ; le montant ; la date, l’heure et le lieu en cas de transaction physique.

– les informations prévues au 3° sont les suivantes, pour les hébergeurs : l’identifiant de la connexion à l’origine de la communication ; et les types de protocoles utilisés pour la connexion au service et pour le transfert des contenus.

La société STEVE a assigné les sociétés GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED en référé pour obtenir la communication d’éléments d’identification liés à un compte Gmail. La société STEVE a ensuite retiré ses demandes contre la société GOOGLE FRANCE et a demandé à la société GOOGLE IRELAND LIMITED de communiquer les données demandées. Les sociétés GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED ont accepté les désistements et se sont rapportées à la décision du juge. La décision sera rendue le 29 mars 2024.

Les points essentiels

Les faits de l’affaire

La société STEVE, une agence créative spécialisée en publicité et social média, a été impliquée dans une affaire de harcèlement moral et sexuel. Entre le 13 et le 16 janvier 2024, plusieurs témoignages ont été publiés sur Instagram accusant un manager de la société STEVE. Le 16 janvier 2024, des courriels anonymes ont été envoyés à plusieurs clients de STEVE, dénonçant ces faits et incitant les clients à réagir.

La réaction de la société STEVE

En réponse aux courriels anonymes, la société STEVE a déposé une main courante au commissariat le 17 janvier 2024. Par la suite, le 25 janvier 2024, STEVE a mis en demeure la société GOOGLE FRANCE de lui communiquer les informations relatives au compte Gmail ayant envoyé les courriels incriminés.

Le désistement de STEVE à l’encontre de GOOGLE FRANCE

La société STEVE a décidé de se désister de ses demandes à l’encontre de GOOGLE FRANCE. Ce désistement a été accepté par GOOGLE FRANCE, conformément aux articles 394 et 395 du code de procédure civile.

La demande de communication de données

STEVE a invoqué un motif légitime pour demander une mesure d’instruction afin d’obtenir les données d’identification du compte Gmail ayant envoyé les courriels. Le juge a considéré que les courriels anonymes étaient susceptibles de qualifications pénales telles que la diffamation, les menaces et le chantage, justifiant ainsi la demande de STEVE.

La nature des données à communiquer

Selon l’article 6 II de la LCEN et l’article L34-1 du code des postes et des communications électroniques, les opérateurs doivent conserver certaines données permettant d’identifier les utilisateurs. Ces données incluent les informations d’identité, les informations fournies lors de la création du compte, et les données techniques de connexion.

Le statut de GOOGLE IRELAND LIMITED

GOOGLE IRELAND LIMITED, en tant qu’hébergeur, est tenu de conserver les données d’identification des utilisateurs de Gmail. Le juge a ordonné la communication de ces données à STEVE, en limitant les adresses IP aux moments de la création du compte et de l’envoi des courriels litigieux.

Les autres demandes et les frais de justice

Les autres demandes de STEVE ont été rejetées. En application de l’article 696 du code de procédure civile, chaque partie conservera la charge des frais qu’elle a engagés au titre des dépens.

Les montants alloués dans cette affaire: – La société STEVE : aucune somme allouée
– La société GOOGLE FRANCE : aucune somme allouée
– La société GOOGLE IRELAND LIMITED : aucune somme allouée
– Frais de dépens : à la charge de chaque partie

Réglementation applicable

– Code de procédure civile
– Code pénal
– Code des postes et des communications électroniques
– Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

Article du Code de procédure civile cité :
Article 394 : « Le désistement d’instance est l’acte par lequel le demandeur renonce à son action. Il peut intervenir à tout moment de l’instance, même en cause d’appel. »
Article 395 : « Le désistement d’instance emporte désistement d’appel. »

Article du Code pénal cité :
Article 222-17 : « Le chantage est le fait d’obtenir, en menaçant de révéler ou d’imputer des faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque. Le chantage est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
Article 222-16 : « Le fait de harceler autrui en usant d’installations de télécommunications est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

Article du Code des postes et des communications électroniques cité :
Article L34-1 : « Les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur, les autres informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou de la création d’un compte ainsi que les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, dans les conditions et pour les durées prévues par la loi. »

Article de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse cité :
Article 29 : « La diffamation commise envers les particuliers par l’un des moyens énoncés en l’article 23 sera punie d’une amende de 12 000 euros. »
Article 32 : « La diffamation envers les particuliers sera punie d’une amende de 12 000 euros lorsqu’elle aura été faite publiquement par l’un des moyens énoncés en l’article 23. »

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Armelle FOURLON de la SELEURL FOURLON AVOCATS
– Maître Aurélie BREGOU de la SELARL DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES

Mots clefs associés & définitions

– publicité
– social média
– PARC ASTERIX
– BIEN ICI
– BFORBANK
– GOOGLE IRELAND LIMITED
– Gmail
– Google Workspace
– GOOGLE FRANCE
– Instagram
– harcèlement moral
– harcèlement sexuel
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– hébergeurs
– LCEN
– diffamation
– chantage
– identification
– adresse mail
– adresse IP
– procès pénal
– communication des données
– dépens

– publicité: communication commerciale visant à promouvoir un produit ou un service
– social média: plateformes en ligne permettant le partage de contenu et l’interaction sociale
– PARC ASTERIX: un parc d’attractions en France
– BIEN ICI: un site web d’annonces immobilières
– BFORBANK: une banque en ligne
– GOOGLE IRELAND LIMITED: une filiale de Google basée en Irlande
– Gmail: un service de messagerie électronique de Google
– Google Workspace: une suite d’outils de productivité en ligne de Google
– GOOGLE FRANCE: la filiale française de Google
– Instagram: un réseau social de partage de photos et de vidéos
– harcèlement moral: comportements répétés visant à dégrader les conditions de travail d’une personne
– harcèlement sexuel: comportements à connotation sexuelle non désirés et répétés
– manager salarié: un employé occupant un poste de management
– témoignages: déclarations écrites ou orales apportant des informations sur un événement
– courriers électroniques: messages envoyés par voie électronique
– confidentialité: protection des informations confidentielles
– désistement: renoncement à une action en justice
– mesure d’instruction: procédure permettant de recueillir des preuves
– motif légitime: raison valable justifiant une action
– preuve: élément permettant d’établir la véracité d’un fait
– données: informations enregistrées et stockées
– hébergeurs: entreprises fournissant des services d’hébergement de données en ligne
– LCEN: Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique
– diffamation: fait de tenir des propos portant atteinte à la réputation d’une personne
– chantage: fait de faire pression sur quelqu’un en menaçant de révéler des informations compromettantes
– identification: action d’identifier une personne ou une entité
– adresse mail: adresse électronique permettant d’envoyer et de recevoir des messages
– adresse IP: identifiant numérique attribué à un appareil connecté à un réseau
– procès pénal: procédure judiciaire visant à juger des infractions pénales
– communication des données: transmission d’informations à des tiers
– dépens: frais engagés dans le cadre d’une procédure judiciaire

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

28 mars 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
24/51026
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 24/51026 – N° Portalis 352J-W-B7I-C36QT

N° : 1/MM

Assignation du :
02,05 Février 2024

[1]

[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 28 mars 2024

par Amicie JULLIAND, Vice-présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSE

Société STEVE
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Maître Armelle FOURLON de la SELEURL FOURLON AVOCATS, avocats au barreau de PARIS – #C0277

DEFENDERESSES

S.A.R.L. GOOGLE FRANCE
[Adresse 5]
[Localité 3]

représentée par Maître Aurélie BREGOU de la SELARL DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS – #P0221

Société GOOGLE IRELAND LIMITED
[Adresse 8]
[Localité 6] – IRLANDE

représentée par Maître Aurélie BREGOU de la SELARL DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS – #P0221

DÉBATS

A l’audience du 01 Mars 2024, tenue publiquement, présidée par Amicie JULLIAND, Vice-présidente, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,
Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

Par assignations en date des 2 et 5 février 2024, la société STEVE a attrait les sociétés GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED et à comparaître devant le présent tribunal, statuant en référé, auquel est demandé, au visa des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, de :
– ordonner aux défenderesses de lui communiquer, dans un délai dans un délai de cinq jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, des éléments d’identification suivants se rapportant au compte Gmail dont l’adresse mail est [Courriel 9] et au compte Google rattaché à cette adresse mail : 
•    les noms et prénoms et l’intégralité de l’état civil s’il s’agit d’une personne physique du titulaire de l’adresse mail et du compte Gmail précité et le cas échéant tout pseudonyme utilisé  ;
•    la raison sociale et tous éléments d’identification s’il s’agit d’une personne morale, du titulaire de l’adresse mail et du compte Gmail précité  ;
•    la ou les adresses postales associées à l’adresse mail et au compte Gmail précité;
•    le ou les numéros de téléphone associés à l’adresse mail et au compte Gmail précité ;
•    les données et identifiants de connexion du compte Gmail précité ;
•    la ou les autres adresses mails associées au compte Gmail précité ;
•    les données et identifiants de connexion, en particulier la ou les adresses IP utilisées lors de la création du compte Gmail précité et à l’occasion de toutes les connexions par le biais de l’adresse mail [Courriel 9] et notamment lors de la connexion du 16 janvier 2024 à 3h06 et 3h10, ainsi que dans le cas où il s’agirait d’adresses IP dynamiques, la ou les plages de ports source desdites adresses ;
•     les informations relatives au paiement visées au 2° de l’article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques dont notamment les coordonnées bancaires de la personne titulaire de l’adresse électronique [Courriel 9], 
•    les autres informations fournies par le titulaire du compte gmail précité lors de la souscription d’un contrat ou de la création du compte gmail précité ;
– juger, en tant que de besoin qu’à défaut pour les sociétés GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED de justifier de l’exécution des mesures ordonnées, dans un délai de trente jours suivant la signification de l’ordonnance à intervenir, les mesures demandées seront assorties d’une astreinte de 200 euros par infraction constatée et par jour de retard ;
– se déclarer compétent pour la liquidation des astreintes ;
– réserver les dépens de l’instance.  
 
Dans ses conclusions écrites déposées à l’audience du 1er mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des motifs et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, la société STEVE demande au juge des référés :
– de lui donner acte de son désistement des demandes formées à l’encontre de la société GOOGLE FRANCE,
– de condamner la société GOOGLE IRELAND LIMITED, dans un délai de 15  jours ouvrés à compter de la signification, à son siège social en Irlande, de l’ordonnance à intervenir  , de communiquer les données suivantes se rapportant au compte Gmail dont l’adresse mail est [Courriel 9] et au compte Google rattaché à l’adresse mail [Courriel 9], à condition qu’elles aient bien été renseignées par le titulaire du compte Gmail rattaché à l’adresse mail précitée : 
•       les noms et prénoms et l’intégralité de l’état civil s’il s’agit d’une personne physique du titulaire du compte Gmail rattaché à l’adresse mail [Courriel 9] et le cas échéant tout pseudonyme utilisé ;
•       la raison sociale et tous éléments d’identification s’il s’agit d’une personne morale, du titulaire du compte Gmail rattaché à l’adresse mail [Courriel 9] ;
•       la ou les adresses postales associées au compte Gmail rattaché à l’adresse mail [Courriel 9];
•       le ou les numéros de téléphone associés au compte Gmail rattaché à l’adresse mail [Courriel 9] ;
•       la ou les autres adresses mails associées au compte Gmail rattaché à l’adresse mail [Courriel 9] ;
•       les IP logs depuis la création du compte Gmail rattaché à l’adresse mail [Courriel 9] et jusqu’au jour du prononcé de l’ordonnance.
–   d’enjoindre à la société GOOGLE IRELAND LIMITED de ne pas informer le titulaire du compte Gmail associé à l’adresse mail [Courriel 9] de la communication des données susvisées à la société STEVE,
–   juger en tant que de besoin que les parties à la présente instance conservent chacune à leur charge l’intégralité des frais, honoraires et dépens et sommes de quelque nature que ce soit qu’elles ont pu engager à l’occasion de la présente procédure.
 
Au terme de ses conclusions déposées à l’audience du 1er mars 2024, auxquelles il est également renvoyé pour plus ample exposé des motifs et prétentions, les sociétés GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED demandent au juge des référés de :
–   donner acte à la société STEVE de ce qu’elle se désiste de ses demandes à l’encontre de la société GOOGLE FRANCE selon les termes de l’assignation qu’elle lui a faite délivrer le 2 février 2024 ;
–   donner acte à la société GOOGLE FRANCE de ce qu’elle accepte le désistement de la société STEVE de ses demandes formées à son encontre selon les termes de l’assignation qu’elle lui a faite délivrer le 2 février 2024 ; 
–   de donner acte la société GOOGLE IRELAND LIMITED de ce qu’elle s’en rapporte à justice sur la demande de la société STEVE de communication des données d’identification du titulaire du compte de messagerie Gmail informations.en.off@gmail.com dans les termes de ses conclusions régularisées le 28 février 2024 ;
–   de juger que chacune des parties conservera à sa charge l’intégralité des frais, honoraires et dépens et sommes de quelque nature que ce soit qu’elles ont pu engager à l’occasion de la présente instance.
 
Les conseils des parties ont été entendus en leurs observations à l’audience du 1er mars 2024, à l’issue de laquelle, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 29 mars 2024 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS
 
Sur les faits :
 
La société STEVE est une agence indépendante créative spécialisée en publicité et social média. Elle mentionne sur son site internet https://www.steve.paris certains de ses clients dont les sociétés PARC ASTERIX, BIEN ICI et BFORBANK (pièces n°1 à 5 en demande).
 
La société de droit irlandais GOOGLE IRELAND LIMITED exploite le service de messagerie électronique Gmail, qui fait partie du service Google Workspace, pour les utilisateurs situés dans l’Espace Economique Européen (EEE) et la Suisse.
 
La société GOOGLE FRANCE est une filiale française du Groupe ALPHABET, qui exerce une activité de conseil et de marketing sur certains services payants en France et n’a aucun rôle de contrôle ou d’exploitation du service Google Workspace.
 
Entre le 13 et le 16 janvier 2024, ont été publiés sur le compte Instagram [01] plusieurs témoignages portant notamment sur des accusations de harcèlement moral et sexuel à l’encontre d’un manager salarié de la société STEVE dans le cadre de ses fonctions.
 
Le 16 janvier 2024, des dirigeants et salariés de plusieurs clients de la société STEVE, dont les sociétés PARC ASTERIX (mail envoyé à 03h10), BIEN ICI (mail envoyé à 03h06) et, selon la demanderesse, BFORBANK ont été rendus destinataires de courriers électroniques envoyés depuis l’adresse [Courriel 9]. Ces messages ont été envoyé en mode « confidentiel » avec une date d’expiration fixée au 23 janvier 2024 (pièces n°8, 9, 12 et 14 en demande).

Le message envoyé à des membres de la société BIEN ICI mentionne : « Votre agence de pub Steve a été dénoncée sur Instagram par [07] et ce n’est que le début. Vous y découvrirez des témoignages d’agressions sexuelles, harcèlements, misogynie, incitations à la drogue, emprise sur les salariés, patriarcat, etc. [N] [Z], Directeur de la Création a servi de fusible pour masquer des dérives encore plus graves de l’entreprise. En tant que client de cette agence, vous avez le pouvoir de faire évoluer les pratiques en démontrant votre soutien aux victimes. A moins que vous le cautionniez et auquel cas nous lancerons un appel à témoignages concernant les pratiques de Bien Ici. La libération de la parole est en marche. Les clients de cette agence toxique ne pourront plus dire qu’ils ne savaient pas. To trust or not trust Steve… vous êtes libres de choisir.».
 
La société a déposé une main courante au commissariat du [Localité 4] le 17 janvier 2024 (sa pièce n°13).
 
Par courrier du 25 janvier 2024, son conseil a mis en demeure la société GOOGLE FRANCE de lui communiquer dans un délai de 24 heures les informations se rapportant au compte Gmail précité (sa pièce n°15).
 
Sur le désistement de la société STEVE de ses demandes à l’encontre de la société GOOGLE FRANCE
 
En application des articles 394 et 395 du code de procédure civile, il y a lieu de constater le désistement d’instance de la société STEVE à l’égard de la société GOOGLE FRANCE, accepté par cette dernière.
 
Sur la demande de communication de données
 
Sur le motif légitime invoqué :
Une demande de mesure d’instruction ne peut légitimement porter que sur des faits déterminés, d’une part, pertinents, d’autre part. Le juge doit ainsi caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction, non pas au regard de la loi susceptible d’être appliquée à l’action au fond qui sera éventuellement engagée, mais en considération de l’utilité de la mesure pour réunir des éléments susceptibles de commander la solution d’un litige potentiel.
Sont légalement admissibles, au sens de ce même texte, des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge saisi d’une contestation à cet égard, de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.
Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec, la mesure devant être de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.
Sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et dans le respect des dispositions précitées qui déterminent les cas dans lesquels peuvent être prescrites les mesures sollicitées, s’agissant de demandes tendant à la communication de données conservées par les hébergeurs ou fournisseurs d’accès à internet, le juge saisi peut prescrire à toute personne susceptible de contribuer à un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne de communiquer les données d’identification ayant servi à la diffusion des propos incriminés, à condition que ceux-ci soient pénalement répréhensibles si les faits devaient être considérés comme constitués et qu’une telle mesure soit légitime et proportionnée au but poursuivi.
Pour justifier du motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, il est ici avancé que les propos tenus à l’encontre de la société STEVE sont susceptibles de qualifications pénales, qu’elle se réservera d’invoquer devant les juridictions pénales notamment au titre des délits de diffamation, de menaces, tel que prévu à l’article 222-17 du code pénal, et de chantage prévu à l’article 312-10 du code pénal. Elle ajoute que les messages peuvent potentiellement constituer le délit d’envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques, sanctionné par l’article 222-16 du code pénal.
En défense, la société GOOGLE IRELAND LIMITED ne formule pas d’opposition quant au motif légitime invoqué.

En l’espèce, il est manifeste que les courriers électroniques envoyés depuis le compte [Courriel 9] à des clients de la société STEVE, renvoient aux publications réalisées sur le compte Instagram [01] dénonçant des faits illicites et des infractions commis au sein de la société qu’elle aurait « masqués ». Ils appellent également ces sociétés à réagir « en démontrant votre soutien aux victimes » sous peine d’être considérées comme cautionnant les pratiques dénoncées et subir un « appel à témoignage » sur leurs propres pratiques.
Les pièces versées aux débats démontrent que la même adresse électronique a servi à l’envoi de messages de teneur identique à trois clients de la société STEVE, qui se trouve incontestablement, même si indirectement, visée par ces manœuvres.
Il peut être considéré, en l’état des éléments fournis aux débats tels que mentionnés ci-dessus, non contestés dans leur matérialité en défense, que la demanderesse démontre suffisamment qu’une action pénale engagée sur le fondement de la diffamation publique envers particulier, réprimée par les articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 envers un particulier et également de chantage, réprimés par l’article 312-10 du code pénal ne serait pas manifestement vouée à l’échec.
Ainsi, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres qualifications avancées, le demandeur justifie d’un motif légitime de nature à autoriser la levée de l’anonymat de l’adresse mail et partant la communication de données d’identification afférentes.

Sur la nature des données susceptibles d’être communiquées
Il sera rappelé que l’article 6 II de la LCEN prévoit que, dans les conditions fixées aux II bis, III et III bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I du présent article détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires.

L’article L34-1 précité prévoit que les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver :
“1° Pour les besoins des procédures pénales, de la prévention des menaces contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur, jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la fin de validité de son contrat ;
2° Pour les mêmes finalités que celles énoncées au 1° du présent II bis, les autres informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou de la création d’un compte ainsi que les informations relatives au paiement, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la fin de validité de son contrat ou de la clôture de son compte ;
3° Pour les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la connexion ou de l’utilisation des équipements terminaux.”.
La nature des données mentionnées ci-avant, comme la durée et les modalités de leur conservation, sont précisées par le décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu en ligne, pris en application de l’article 6-II sus mentionné. Ce texte précise en particulier, dans ses articles 2 à 5, les données mentionnées dans l’article L34-1 du code des postes et des communications électroniques, évoqué ci dessus :
– les informations prévues au 1° sont les suivantes : les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ; la  ou les adresses postales associées ; la ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ; le ou les numéros de téléphone.
– les informations prévues au 2° sont les suivantes : l’identifiant utilisé ; le ou les pseudonymes utilisés ; les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernière version mise à jour, outre le type de paiement utilisé ; la référence du paiement ; le montant ; la date, l’heure et le lieu en cas de transaction physique.
– les informations prévues au 3° sont les suivantes, pour les hébergeurs : l’identifiant de la connexion à l’origine de la communication ; et les types de protocoles utilisés pour la connexion au service et pour le transfert des contenus.

Il n’est pas contesté en l’espèce que la société défenderesse a le statut d’hébergeur, tel que défini à l’article 6. I. 2 de la LCEN (“personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services”) s’agissant des propos envoyés depuis une adresse électronique Gmail.
Elle est donc astreinte à ce titre à l’obligation de conservation des données d’identification dans les conditions rappelées ci-dessous.

Dans la mesure où les propos litigieux sont susceptibles de constituer les délits de diffamation publique envers particulier et de chantage, un procès pénal est envisageable, une fois identifiée la personne à l’origine des courriers électroniques en cause. 
Les faits litigieux, en ce que la qualification pénale de chantage est envisageable, ressortent de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, s’agissant d’un délit puni d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, de sorte qu’est proportionnée à l’atteinte alléguée et légalement admissible, la communication des données d’identification correspondant aux 1°, 2° et 3° de l’article précité.
Compte tenu de ces éléments, il convient de faire droit, selon les termes du dispositif ci-après, à la communication des données d’identification sollicitée par la société STEVE, en cantonnant toutefois les adresses I.P sollicitées à celles utilisées lors de la création de l’adresse électronique et du compte Google associé et de l’envoi de chacun des messages litigieux.
Il n’y a pas lieu de faire injonction à la société GOOGLE IRELAND LIMITED de s’abstenir d’informer la personne concernée de la présente décision, celle-ci n’apparaissant pas nécessaire dès lors qu’aucun élément ne permet de supposer qu’elle compte y procéder.
Sur les autres demandes
En application de l’article 696 du code de procédure civile, les parties conserveront chacune la charge des frais qu’elles ont engagés au titre des dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
Constate le désistement d’instance de la société STEVE de ses demandes formées à l’encontre de la société GOOGLE FRANCE ;
Enjoignons à la société GOOGLE IRELAND LIMITED de communiquer à la société STEVE, dans le délai de quinze jours à compter de la signification de la présente ordonnance, celles des données suivantes qui sont en sa possession, permettant d’identifier nominativement la personne physique ou morale correspondant à l’adresse électronique [Courriel 9] et au compte Google associé, soit :
•  les noms, prénoms, domicile, adresse de courrier électronique et numéro de téléphone du titulaire de l’adresse [Courriel 9] et du compte Google associé s’il s’agit d’une personne physique,
• la dénomination ou la raison sociale, le numéro de téléphone, l’adresse de courrier électronique, l’adresse du siège social ainsi que le numéro d’enregistrement au registre du commerce et des sociétés du titulaire de la dite adresse et du dit compte Google, s’il s’agit d’une personne morale,
• les pseudonymes utilisés par l’utilisateur de l’adresse électronique et du compte Google associé,
•  les identifiants de connexion à l’origine de la création du compte et de l’envoi des courriers électroniques litigieux, envoyés le 16 janvier 2024 à 03h06 et à 03h10.
Rejetons les autres demandes ;
Disons que chacune des parties conservera à sa charge les frais qu’elles ont engagés au titre des dépens.
Fait à Paris le 28 mars 2024

Le Greffier,Le Président,

Minas MAKRISAmicie JULLIAND

 


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