Cour d’appel de Versailles, 14 novembre 2024, n° RG 24/00570
Cour d’appel de Versailles, 14 novembre 2024, n° RG 24/00570

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Versailles

Thématique : Consultation et Expertise : Les Défis de l’Information au Sein des Comités Sociaux et Économiques

 

Résumé

La société Thales AVS France, créée en 2018, a connu des évolutions significatives dans la mise en place de ses comités sociaux et économiques (CSE). En mars 2023, la direction a initié une consultation sur le projet Sigma, visant à transférer certaines fonctions vers Trixell. Le CSE central a émis un avis défavorable, tandis que le CSE d’établissement a également voté pour recourir à une expertise. Cependant, des contentieux ont émergé concernant la validité de la consultation et l’accès à des informations essentielles, entraînant des décisions judiciaires qui ont confirmé l’irrecevabilité des demandes du CSE d’établissement MIS.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

14 novembre 2024
Cour d’appel de Versailles
RG n°
24/00570

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 82E

Chambre sociale 4-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 NOVEMBRE 2024

N° RG 24/00570 – N° Portalis DBV3-V-B7I-WLNU

AFFAIRE :

CSE DE L’ETABLISSEMENT MIS DE THALES AVS FRANCE

C/

S.A.S. THALES AVS FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 décembre 2023 par le Pole social du TJ de VERSAILLES

N° RG : 23/01411

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’irrecevabilité des demandes du CSE au motif de la tardiveté de la saisine, telle que retenue par le premier juge, sera examinée en premier lieu, les autres moyens de même que l’exception d’incompétence du président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée pour statuer sur la demande de dommages-intérêts pour entrave et celle relative à la suspension du projet, dépendant de la solution donnée au moyen d’irrecevabilité des demandes du CSE à raison de la tardiveté de la saisine.

1- Sur la recevabilité des demandes du CSE

Le CSE de l’établissement MIS de la société Thales AVS France soutient que la consultation n’était soumise à aucun délai, à tout le moins que le délai de consultation de trois mois a fait l’objet d’une prorogation avec l’accord de la direction de la société Thales AVS France, qu’il ne disposait pas des informations nécessaires pour rendre un avis éclairé et, en conséquence, que la saisine de la juridiction selon la procédure accélérée au fond pour obtenir des informations complémentaires a été réalisée dans le respect du délai de consultation, ses demandes étant ainsi recevables.

La société Thales AVS France répond que les demandes du CSE d’établissement MIS sont irrecevables en raison de l’expiration du délai de consultation au moment de l’assignation, le délai de consultation n’ayant pas fait l’objet d’une prorogation par accord entre la direction et le CSE.

L’article L. 2312-15 du code du travail prévoit que ‘le comité social et économique émet des avis et des v’ux dans l’exercice de ses attributions consultatives. Il dispose à cette fin d’un délai d’examen suffisant et d’informations précises et écrites transmises ou mises à disposition par l’employeur, et de la réponse motivée de l’employeur à ses propres observations. Il a également accès à l’information utile détenue par les administrations publiques et les organismes agissant pour leur compte, conformément aux dispositions légales relatives à l’accès aux documents administratifs. Le comité peut, s’il estime ne pas disposer d’éléments suffisants, saisir le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants. Cette saisine n’a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis. Toutefois, en cas de difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis motivé du comité, le juge peut décider la prolongation du délai prévu au deuxième alinéa. L’employeur rend compte, en la motivant, de la suite donnée aux avis et v’ux du comité.’

L’article R. 2312-5 dudit code dispose que ‘pour l’ensemble des consultations mentionnées au présent code pour lesquelles la loi n’a pas fixé de délai spécifique, le délai de consultation du comité social et économique court à compter de la communication par l’employeur des informations prévues par le code du travail pour la consultation ou de l’information par l’employeur de leur mise à disposition dans la base de données économiques et sociales dans les conditions prévues aux articles R. 2312-7 et suivants.’

L’article R. 2312-6 du même code dispose :

‘I.-Pour les consultations mentionnées à l’article R. 2312-5, à défaut d’accord, le comité social et économique est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date prévue à cet article. En cas d’intervention d’un expert, le délai mentionné au premier alinéa est porté à deux mois. Ce délai est porté à trois mois en cas d’intervention d’une ou plusieurs expertises dans le cadre de consultation se déroulant à la fois au niveau du comité social et économique central et d’un ou plusieurs comités sociaux économiques d’établissement. II.-Lorsqu’il y a lieu de consulter à la fois le comité social et économique central et un ou plusieurs comités d’établissement en application du second alinéa de l’article L. 2316-22, les délais prévus au I s’appliquent au comité social et économique central. Dans ce cas, l’avis de chaque comité d’établissement est rendu et transmis au comité social et économique central au plus tard sept jours avant la date à laquelle ce dernier est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif en application du I. A défaut, l’avis du comité d’établissement est réputé négatif.’

Le délai de consultation court à compter de la date à laquelle le CSE a reçu une information le mettant en mesure d’apprécier l’importance de l’opération envisagée et de saisir le président du tribunal judiciaire s’il estime que l’information communiquée est insuffisante.

Lorsque le CSE a reçu au moins un début d’information, mais ne saisit le juge qu’après l’expiration des délais de consultation, il ne peut plus solliciter le constat de l’insuffisance de l’information reçue et la prorogation des délais.

En cas de difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis motivé du CSE, le juge peut décider de la prolongation du délai de consultation, mais aucune disposition légale ne l’autorise à accorder un nouveau délai après l’expiration du délai initial.

– sur le délai de consultation applicable

Le CSE soutient que la procédure de consultation n’était soumise à aucun délai de consultation légal et réglementaire puisque le CSE central de la société Thales AVS France a été consulté avant le CSE de l’établissement [Localité 5] RAD.

La société Thales AVS France répond que le CSE a été informé le 10 mars 2023 du projet, date à laquelle le CSE central n’avait pas rendu son avis et qu’en tout état de cause, le délai de consultation est de deux mois en cas d’intervention d’un expert, le point de départ étant fixé au 9 juin 2023, date de la réunion de consultation du CSE d’établissement [Localité 5] RAD sur le projet Sigma.

En l’espèce, la société Thales AVS France a engagé une consultation au niveau du CSE central les 8 et 9 mars 2023 pour laquelle un expert, le cabinet Syndex, a été désigné et a établi un rapport, le CSE central ayant rendu un avis négatif sur le projet Sigma le 1er juin 2023 (pièces n°5 appelant et n°10, 11, 16 et 18 intimée).

La société Thales AVS France a engagé en parallèle une information du CSE d’établissement [Localité 5] RAD les 8 et 9 mars 2023, puis une consultation le 9 juin 2023 dans le cadre de laquelle un expert a également été désigné (pièces n°3 appelant et n°13 intimée).

Dans ces conditions, les dispositions de l’article R. 2312-6 I alinéa 3 trouvent à s’appliquer et le délai de consultation du CSE d’établissement [Localité 5] RAD devenu CSE d’établissement MIS est de trois mois à compter du 9 juin 2023, expirant le 9 septembre 2023.

– sur la prorogation du délai de consultation

Le CSE soutient que le délai de consultation de trois mois applicable à compter du 9 juin 2023 a été prorogé d’un commun accord avec la société Thales AVS France jusqu’aux 26 et 27 octobre 2023 puisque la consultation était inscrite à l’ordre du jour de la réunion prévue à ces dates, l’ordre du jour étant fixé d’un commun accord entre la direction et le CSE.

La société Thales AVS France répond que le délai de consultation du CSE a expiré le 9 septembre 2023 puisqu’elle n’a conclu aucun accord de prorogation du délai.

Pour affirmer que les délais ont été prorogés implicitement du fait des réunions postérieures à l’expiration du délai, le CSE s’appuie sur une décision de la Cour de cassation [Soc. 8 juillet 2020 n°19-10.987], qui a approuvé par motifs propres et adoptés l’arrêt d’une cour d’appel ayant retenu la prolongation du délai de consultation en raison de l’absence d’informations utiles à la date du début du délai de consultation et en a déduit que les délais n’ont pas couru à cette date.

Or, il a été retenu supra qu’il convenait de fixer au 9 juin 2023 la date de début de consultation, en raison des informations utiles fournies à cette date.

En effet, selon la chronologie des consultations, il est établi que :

– le CSE a été informé, lors de sa séance des 8 et 9 mars 2023 sur le projet Sigma avec transmission d’une note d’information identique à celle remise au CSE central dans le cadre de sa consultation sur ce projet (pièces n°3 appelant, n°11 et n°13 intimée),

– le 10 mars 2023, le CSE d’établissement [Localité 5] RAD a voté à l’unanimité de ses membres le recours à une expertise concernant l’impact du projet ‘sur les conditions de travail’ (pièce n°14 intimée pages 53 et 56),

– le recours à l’expertise a été autorisé par le tribunal judiciaire de Grenoble le 1er juin 2023,

– les 8 et 9 juin 2023, la société Thales AVS France a engagé la consultation du CSE sur ce projet (pièce n°21 intimée). Dans ce cadre, la direction a transmis aux membres du comité, le rapport d’expertise du cabinet Syndex, expert désigné par le CSE central (pièce n°7 appelant et n°16 intimée). Ce rapport a été présenté aux membres du CSE d’établissement [Localité 5] RAD et des échanges à ce sujet ont eu lieu en séance (pièces n°23 et 24 intimée).

– le 9 juin 2023, le CSE a voté le recours à un expert dans le cadre du projet Sigma et mandaté un cabinet d’expertise.

Il s’en déduit que le CSE d’établissement [Localité 5] RAD devenu CSE d’établissement MIS détenait les informations nécessaires dès la première réunion de consultation le 9 juin 2023, point de départ du délai.

En conséquence, il disposait d’un délai de 3 mois pour saisir le président du tribunal judiciaire pour demander les pièces complémentaires qu’il jugeait utiles dans le cadre de la consultation.

Le fait que le CSE se soit réuni à deux reprises les 26 et 27 septembre 2023 et les 26 et 27 octobre 2023 n’est pas de nature à proroger le délai de consultation d’autant que le thème de la prorogation n’a pas été abordé lors de ces réunions comme en attestent les procès-verbaux (pièces n°26 et 30 intimée).

Le jugement sera confirmé en ce que le premier juge a constaté, qu’à la date du 9 juin 2023, le CSE était en mesure de déterminer si l’information dont il disposait lui permettait de rendre un avis, que son action tendant à obtenir communication de documents et éléments manquants introduite le 25 octobre 2023 après l’expiration du délai de consultation était tardive et l’a déclaré irrecevable, sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’exception d’incompétence et les autres moyens soulevés par les parties.

2- sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera confirmé de ces chefs.

Le CSE d’établissement MIS sera condamné aux dépens d’appel et à payer à la société Thales AVS France la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d’appel.

Il sera débouté de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 21 décembre 2023 par le tribunal judiciaire de Versailles en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne le comité social et économique d’établissement MIS de la société Thales AVS France aux dépens d’appel,

Condamne le comité social et économique d’établissement MIS de la société Thales AVS France à payer à la société Thales AVS France la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,

Déboute le comité social et économique d’établissement MIS de la société Thales AVS France de sa demande à ce titre.


 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon