Cour d’appel de Paris, 23 octobre 2024, RG n° 22/02605
Cour d’appel de Paris, 23 octobre 2024, RG n° 22/02605

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Solde de tout compte : les effets juridiques

 

Résumé

Le solde de tout compte, établi par l’employeur, fait l’inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail. Selon l’article L.1234-20 du code du travail, ce reçu peut être contesté dans les six mois suivant sa signature, après quoi il devient libératoire pour l’employeur. Dans l’affaire de Madame [K] [T], la cour a jugé recevable sa demande de rappel de salaires, car le solde de tout compte ne mentionnait pas les salaires des mois précédents. La cour a également accordé une indemnité de transport et confirmé d’autres décisions du conseil de prud’hommes.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

23 octobre 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/02605

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRET DU 23 OCTOBRE 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/02605 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFIDD

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Janvier 2022 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/03989

APPELANTS

Monsieur [U] [J] venant aux droits de Monsieur [B] [J], ès qualités d’ayant droit de Madame [V] [J]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Véronique REHBACH, avocat au barreau de PARIS, toque : C1786

Madame [W] [J] venant aux droits de Monsieur [B] [J], ès qualités d’ayant droit de Madame [V] [J]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Véronique REHBACH, avocat au barreau de PARIS, toque : C1786

Monsieur [O] [J] venant aux droits de Monsieur [B] [J], ès qualités d’ayant droit de Madame [V] [J]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Véronique REHBACH, avocat au barreau de PARIS, toque : C1786

Monsieur [G] [J], ès qualités d’ayant droit de Madame [V] [J]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Véronique REHBACH, avocat au barreau de PARIS, toque : C1786

INTIMEE

Madame [N] [K] [T]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Claire DI CRESCENZO, avocat au barreau de PARIS, toque : C1738

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre

Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller

Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE

ARRET :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Madame Marika WOHLSCHIES, greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [N] [K] [T] a été engagée par Madame [V] [J] le 1er octobre 2011 par contrat à durée indéterminée pour un emploi de femme de ménage à raison de 5 heures par semaine.

Par lettre remise en mains propres le 9 février 2018, Madame [K] [T] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement devant se tenir le 17 février 2018.

Elle a été licenciée par courrier recommandé avec avis de réception du 3 mars 2018, aux motifs de l’admission de Madame [V] [J] en maison de soins prolongés, puis en maison de retraite.

Madame [V] [J] est décédée en mars 2019.

Madame [K] [T] a saisi le conseil de prud’hommes le 13 mai 2019 afin de solliciter la condamnation solidaire des ayants-droits de Madame [V] [J] à lui verser les sommes suivantes :

-3.624,46 € à titre de rappel de salaires,

-277,14 € à titre d’indemnités de transport,

-2.800 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct causé par l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail,

-1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

outre la remise des documents afférents au contrat de travail sous astreinte, et la condamnation des ayants-droits aux dépens.

Par jugement du 11 janvier 2022, le conseil de prud’hommes de Paris a :

-fixé le salaire brut moyen de Madame [N] [K] [T] à la somme de 417,09 €,

-condamné solidairement Messieurs [G] [J], [U] [J], [O] [J] et Madame [W] [J] es qualités d’ayant droit de Madame [V] [E] nom d’usage [J] à payer à Madame [K] [T] la somme de 3.624,46 € à titre de rappel de salaires,

-ordonné en la remise des documents conformes à la décision,

-débouté Madame [K] [T] de ses autres demandes,

-condamné solidairement les consorts [J] aux dépens.

Les consorts [J] ont régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 18 février 2022, en visant expressément les dispositions critiquées.

Par écritures récapitulatives notifiées électroniquement le 14 juin 2024, les consorts [J] demandent à la cour de :

-Réformer le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté la salariée de ses demandes au titre de l’exécution du contrat de travail de mauvaise foi et des frais des procédure,

Statuant de nouveau,

-Juger Madame [K] [T] irrecevable en ses demandes dirigées contre Monsieur [G] [J], Monsieur [O] [J], Mademoiselle [W] [J] et Monsieur [U] [J],

Subsidiairement :

-Débouter Madame [K] [T] de l’ensemble de ses demandes,

-La condamner au paiement d’une somme de 3.000 € au titre des frais de procédure, et aux entiers dépens.

Par écritures récapitulatives notifiées électroniquement le 25 août 2022, Madame [K] [T] demande à la cour de :

-Confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

-fixé son salaire brut moyen à la somme de 417,09 €,

-condamné les héritiers, ayants-droits de l’employeur, à lui verser la somme de 3.624,46€ à titre de rappel de salaire,

-ordonné la remise des documents conformes au jugement,

Statuant à nouveau pour le surplus :

-La dire recevable en ses demandes et actions,

-Condamner les héritiers, ayants droits de l’employeur à lui verser les sommes de :

– 110,85 € à titre d’indemnité de transport,

-1.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct subi en raison de la mauvaise foi dans le cadre de l’exécution du contrat de travail et de l’appel abusif,

-2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-Condamner l’employeur sous astreinte de 50 € par jour à remettre les bulletins de salaires conformes, la fiche pôle emploi et ce à compter du 24 janvier 2022 date de la notification de la décision dont appel, soit à la somme de 12.300 € au 25 octobre 2022, à parfaire,

-Condamner les ayants droits de l’employeur en tous les dépens.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 18 juin 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

Sur la demande de rappel de salaires

-Sur la recevabilité de la demande

L’article L.1234-20 du code du travail dispose que  » le solde de tout compte, établi par l’employeur et dont le salarié lui donne reçu, fait l’inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail.

Le reçu pour solde de tout compte peut être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l’employeur pour les sommes qui y sont mentionnées.  »

L’article D.1234-8 du code du travail précise que le reçu est dénoncé par lettre recommandée.

Le solde de tout compte non-contesté dans le délai de six mois n’a valeur libératoire que pour les sommes qui y sont mentionnées. Passé ce délai, le salarié ne peut plus contester le reçu et son action devient forclose.

En l’espèce, les consorts [J] font valoir que le solde de tout compte signé par la salariée le 17 mai 2018 n’a pas été contesté dans le délai de six mois, de sorte qu’il avait un effet libératoire et que celle-ci est irrecevable en ses demandes au titre des rappels de salaires.

La cour relève cependant que le solde de tout compte ne fait mention que du salaire du mois de mai 2018 (225 €) et de l’indemnité de licenciement (1.000 €), mais aucunement des salaires des mois de février 2016 à avril 2018, sur lesquels porte la demande de rappels de salaire de Madame [K] [T].

Dès lors, la demande de rappels de salaires portant sur cette période, non mentionnée au solde de tout compte, est recevable, et il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a déclarée recevable.

-Sur le bien-fondé de la demande

Aux termes de l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

La fourniture d’un travail et le paiement de la rémunération qui en constitue la contrepartie constituant des obligations essentielles de l’employeur, ce dernier n’est fondé à s’abstenir de payer le salaire convenu que s’il prouve que le salarié a cessé de se tenir à sa disposition pour travailler, dès lors que le contrat de travail n’a pas été rompu.

En l’espèce, Madame [K] [T] sollicite des rappels de salaires sur la base de 5 heures de travail par semaine, de février 2016 à avril 2018.

Les consorts [J] s’y opposent et font valoir que la salariée ne travaillait en réalité pas 5 heures par semaine, comme mentionné au contrat, mais qu’elle effectuait des heures de façon variable, à sa convenance, et transmettait à son employeur le relevé de ses heures chaque mois. Ils ajoutent qu’elle avait de nombreux autres employeurs, ce qui ne lui aurait pas permis de réaliser autant d’heures que ce qu’elle revendique avoir travaillé dans le cadre de l’instance.

Alors que la salariée sollicite l’application des dispositions de son contrat de travail, les ayants-droits de Madame [V] [J] ne démontrent pas au vu des pièces produites que celle-ci aurait travaillé moins que la durée prévue au contrat, ou ne se serait pas tenue à la disposition de son employeur. Le seul fait qu’elle ait pu avoir d’autres contrats en dehors de celui-ci ne suffit pas à l’établir.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné les ayants-droits de l’employeur à lui verser la somme de 3.624,46 € à titre de rappel de salaires.

Sur la demande au titre de l’indemnité de transport

Aux termes de l’article L.3261-2 du code du travail, l’employeur prend en charge, dans une proportion et des conditions déterminées par voie réglementaire, le prix des titres d’abonnements souscrits par ses salariés pour leurs déplacements entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail accomplis au moyen de transports publics de personnes ou de services publics de location de vélos.

Si le nombre d’heures travaillées est inférieur à la moitié de la durée du travail à temps plein, la prise en charge se calcule au prorata du nombre d’heures travaillées par rapport à la moitié de la durée du travail à temps complet, compte tenu de la période de validité du titre.

En l’espèce, la salariée justifie de frais de carte  » Navigo  » à hauteur de 1.426,75 € entre le 1er août 2016 et le 30 avril 2018. Elle a travaillé à temps partiel 5 heures par semaine, et pouvait donc prétendre au remboursement de ses frais de transport sur cette période à hauteur de (1.426,75 /2) x (5/17,5) = 203,82 €.

La demande de la salariée s’élevant à un montant inférieur à ses droits, soit 110,85 €, il y a lieu d’y faire droit, et donc d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée et de condamner solidairement les consorts [J] à lui verser la somme de 110,85 €.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail et de l’appel abusif

-Sur l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail

En application de l’article L.1222-1du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Madame [K] [T] soutient qu’elle a subi un préjudice distinct du fait de l’inobservation des règles dans le cadre de la relation de travail, caractérisé par la précarité de ses conditions de vie.

Toutefois, au regard de ses avis d’impôts sur le revenu, elle avait avec tous ses contrats cumulés une rémunération oscillant entre 1.200 et 1.600 € par mois, et ne démontre pas qu’elle aurait subi un préjudice qui ne serait pas réparé par la condamnation des ayants-droits de l’employeur à lui verser les heures impayées.

-Sur le caractère abusif de la procédure

La salariée ne démontre pas l’abus du droit d’agir des ayants-droits de l’employeur.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté Madame [K] [T] de sa demande d’indemnisation.

Sur la remise des documents

Il convient d’ordonner la remise d’un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d’un certificat de travail et d’une attestation destinée à Pôle emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans qu’il soit nécessaire de prononcer une astreinte.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu de confirmer la décision du conseil de prud’hommes sur ces points, et y ajoutant, de condamner solidairement les consorts [J] aux dépens de l’appel ainsi qu’à verser à Madame [K] [T] la somme de 1.500 € au titre des frais de procédure engagés en appel.

Les consorts [J] seront déboutés de leur demande au titre des frais de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté Madame [K] [T] de sa demande au titre de l’indemnité de transport,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

Condamne solidairement Messieurs [G], [U], et [O] [J] et Mademoiselle [W] [J] à verser à Madame [K] [T] :

-110,85 € au titre de l’indemnité de transport,

-1.500 € au titre des frais de procédure engagés en cause d’appel,

Ordonne la remise d’un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d’un certificat de travail et d’une attestation destinée à Pôle emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans qu’il soit nécessaire de prononcer une astreinte,

Condamne solidairement Messieurs [G], [U], et [O] [J] et Mademoiselle [W] [J] aux dépens de la procédure d’appel,

Déboute Messieurs [G], [U], et [O] [J] et Mademoiselle [W], [J] de leur demande au titre des frais de procédure.


 


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