Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Rennes
Thématique : Conflit professionnel et réorganisation : enjeux de la santé au travail et du harcèlement moral
→ RésuméMonsieur [E] [U] [Y], agent d’exploitation puis chef de poste, a dénoncé une dégradation de ses conditions de travail suite à une réorganisation imposée par la société ANSP. Après un arrêt de travail, un médecin a déclaré son inaptitude, entraînant un licenciement pour inaptitude. Contestant cette décision, il a saisi le conseil de prud’hommes, qui a jugé le licenciement fondé. En appel, la cour a confirmé ce jugement, mais a reconnu un manquement à l’obligation de sécurité, condamnant ANSP à verser 5 000 euros à Monsieur [U] pour préjudice.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Rennes
RG n°
21/04104
ARRÊT N°427
N° RG 21/04104 –
N° Portalis DBVL-V-B7F-RZWA
M. [E] [U] [Y]
C/
S.A.R.L. AGENCE NOUVELLE DE SECURITE PRIVEE (A.N.S.P.)
Sur appel du jugement du conseil de Prud’hommes de NANTES du 03/06/2021 – RG F19/00888
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le : 24-10-24
à :
-Me Franck-olivier ARDOUIN
-Me Dominique LE COULS-BOUVET
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 OCTOBRE 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Nadège BOSSARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Mme Anne-Laure DELACOUR, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 05 Septembre 2024
En présence de Madame [D] [A], médiatrice judiciaire,
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 23 Octobre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
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APPELANT :
Monsieur [E] [U] [Y]
né le 25 Janvier 1981 à [Localité 7] (CAMEROUN)
demeurant [Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représenté par Me Franck-olivier ARDOUIN de la SELARL ARKAJURIS, Avocat au Barreau de NANTES
INTIMÉE :
La S.A.R.L. AGENCE NOUVELLE DE SECURITE PRIVEE (A.N.S.P.) prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 1]
[Localité 3]
En présence de M. [G] [R], Gérant, ayant Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Avocat au Barreau de RENNES, pour postulant et représentée à l’audience par Me Sophie CORNEVIN-COLLET, Avocat plaidant du Barreau de VAL-DE-MARNE
M. [E] [U] [Y] a été engagé le 24 novembre 2006 par la société A3S selon contrat de travail à durée indéterminée en qualité d’agent d’exploitation, niveau 2, échelon 2, coefficient 120.
Par avenant du 30 juin 2008, il a été promu en qualité de chef de poste sur le site du magasin Leclerc [Adresse 4] à [Localité 5] avec versement en contrepartie de son activité de chef de poste d’une prime de 160 euros bruts par mois.
Par avenant du 8 mars 2010, le contrat de travail de M. [E] [U] [Y] été repris par la société Agence nouvelle de sécurité privée (ANSP) qui l’a engagé en qualité d’agent de maîtrise, niveau 1, échelon 1, coefficient 150 avec un salaire mensuel brut de 1 609,98 euros pour 151H67 outre une prime d’habillage et de déshabillage et une prime de panier. L’avenant stipulait que le salarié acceptait de travailler les samedi, dimanche et jours fériés, d’être employé de jour, de nuit, ou alternativement de nuit ou de jour.
La convention collective nationale applicable à la relation de travail est la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité (IDCC 1351).
La société ANSP emploie plus de dix salariés.
Le 1er février 2018, la direction de la société ANSP a modifié l’organisation des plannings du site du magasin Leclerc [Adresse 4] à [Localité 5] indiquant que chacun des salariés occupera à tour de rôle et sans distinction de catégories les différents postes confiés par le client, que chacun sera notamment amené à être affecté au poste de sécurité, à travailler de jour, de nuit ou le week-end.
Le 12 mars 2018, M. [U] a dénoncé la dégradation de ses conditions de travail depuis quelques mois ainsi que la privation de certaines de ses fonctions.
Le 16 mars 2018, la société ANSP a adressé à M. [U] [Y] une lettre de rappel à l’ordre lui reprochant des’ comportements agressifs’ et une perturbation du bon fonctionnement de la société par son ‘arrogance’ et ses ‘visions expansionnistes’ pour avoir enjoint à M. [R] de surseoir à l’embauche d’un agent de sécurité, d’avoir menacé de ‘faire jouer (son) droit de retrait et de (se) mettre en grève générale (s’il) persist(ait) à le recruter’ et ‘d’essayer d’imposer avec force et arrogance sa façon d’organisation le travail au sein de l’entreprise’.
Le 17 mars 2018, M. [U] [Y] a dénoncé auprès du dirigeant de la société avoir été privé de ses attributions d’organisation du travail des équipes de sécurité du site.
Le 16 avril 2018, M. [U] [Y] a été placé en arrêt de travail.
Le 26 juin 2018, le salarié a été déclaré inapte par le médecin du travail lequel a précisé que «l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l’entreprise. »
Le 18 juillet 2018, la société ANSP a écrit à M. [U] [Y] qu’elle était dans l’impossibilité de le reclasser à un poste adapté à son état de santé.
Par courrier du 3 août 2018 le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, entretien prévu le 27 août 2018.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 17 septembre 2018, la société lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 16 septembre 2019, M. [U] [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Nantes aux fins de :
‘ Déclarer le licenciement de M. [U] [Y] nul sur le fondement des dispositions de l’article L.1152-3 du code du travail,
‘ Condamner la S.A.R.L. Agence Nouvelle de Sécurité Privée au paiement des sommes suivantes :
– 48 000 € nets de dommages et intérêts à raison du caractère illicite du licenciement,
– 10 000 € nets de dommages et intérêts à raison du préjudice moral distinct,
– 5 000 € nets de dommages et intérêts au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat,
– 6 944,03 € nets de rappel d’indemnité spéciale de licenciement,
– 4 231,68 € bruts d’indemnité compensatrice équivalente de préavis,
– 423,17 € bruts de congés payés afférents,
– 2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens,
‘ Fixer le salaire brut moyen mensuel à la somme de 2 115,84 €,
‘ Remise de documents conformes sous astreinte de 80 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
‘ Intérêts au taux légal outre anatocisme,
‘ Exécution provisoire nonobstant appel et sans caution.
Par jugement du 3 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Nantes a :
‘ dit que :
– le licenciement pour inaptitude médicale, sans possibilité de reclassement au sein de l’entreprise, de M. [U] [Y] était bien fondé,
– le caractère professionnel de la maladie de M. [U] [Y] n’avait pas été retenu par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie,
‘ débouté M. [U] [Y] de l’intégralité de ses demandes,
‘ débouté la S.A.R.L. Agence Nouvelle de Sécurité Privée de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
‘ laissé les éventuels dépens à la charge de M. [U] [Y].
M. [U] [Y] a interjeté appel le 5 juillet 2021.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 1er juin 2024 suivant lesquelles M. [U] [Y] demande à la cour de :
‘ Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nantes du 3 juin 2021 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
‘ Déclarer le licenciement de M. [U] [Y] nul sur le fondement des dispositions de l’article L.1152-3 du Code du travail,
‘ Condamner la S.A.R.L. Agence Nouvelle de Sécurité Privée au paiement des sommes suivantes :
– 48 000 € nets de dommages et intérêts à raison du caractère illicite du licenciement,
– 10 000 € nets de dommages et intérêts à raison du préjudice moral distinct,
– 5 000 € nets de dommages et intérêts au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat,
– 6 944,03 € nets de rappel d’indemnité spéciale de licenciement,
– 4 231,68 € bruts d’indemnité compensatrice équivalente de préavis,
– 423,17 € bruts de congés payés afférents,
– 5 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens,
‘ Fixer le salaire brut moyen mensuel à la somme de 2 115,84 €,
‘ Ordonner à la S.A.R.L. Agence Nouvelle de Sécurité Privée à remettre à M. [U] [Y] des documents conformes (bulletins de salaire, certificat de travail, attestation Pôle Emploi) sous astreinte de 80 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
‘ Dire et juger que les sommes auxquelles sera condamnée la S.A.R.L. Agence Nouvelle de Sécurité Privée porteront intérêts au taux légal,
‘ Ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du Code civil.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 5 juin 2024, suivant lesquelles la S.A.R.L. Agence Nouvelle de Sécurité Privée demande à la cour de :
‘ Dire et juger M. [U] [Y] mal fondé en son appel et l’en débouter,
‘ Confirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 3 juin 2021 par le conseil de prud’hommes de Nantes,
En conséquence,
‘ Condamner M. [U] [Y] au paiement de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
‘ Condamner M. [U] [Y] aux dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 6 juin 2024.
Par application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS :
Sur le lien entre l’inaptitude et une maladie professionnelle ou un accident du travail :
Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement. L’application de l’article L. 1226-10 du code du travail n’est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d’assurance maladie du lien de causalité entre cet accident ou cette maladie et l’inaptitude.
En l’espèce, l’arrêt de travail prescrit à M. [U] [Y] le 16 avril 2018 et qui a été prolongé jusqu’à la déclaration d’inaptitude l’a été pour maladie simple et non pour maladie professionnelle ou accident du travail.
M. [U] [Y] n’a pas procédé à une quelconque déclaration d’accident du travail ou de reconnaissance de maladie professionnelle.
Dès lors, l’inaptitude est sans lien avec un accident du travail ou une maladie professionnelle.
Les règles applicables au licenciement pour inaptitude sont celles des articles L.1226-2 et suivants du code du travail et non celles des articles L.1226-10 et suivants qui sont relatives à l’inaptitude en lien avec un accident du travail ou une maladie professionnelle. La demande d’indemnité spéciale de licenciement prévu par l’article L. 1226-14 du code du travail est en conséquence rejetée.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur le harcèlement moral :
Selon l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En vertu de l’article L.1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Le salarié expose avoir été privé de ses attributions de chef de poste notamment d’organisation du travail des SIAPP 2 placés sous son autorité et de formation des nouveaux SIAPP affectés sur site, avoir été mis à l’écart (n’étant plus ni associé aux recrutements, ni mis en copie des échanges avec le client, ni informé des décisions de la société vis-à-vis de ses collègues), avoir été accusé de vol par un salarié, avoir reçu une lettre de rappel à l’ordre après avoir dénoncé le retrait de ses fonctions et avoir vu son casier ouvert de force par l’employeur.
L’avenant au contrat de travail de M. [U] [Y] signé le 8 mars 2020 avec la société ANSP stipulait qu’en application de l’accord du 5 mars 2002 de la CC des entreprises de prévention et de sécurité et suite à la reprise par la SARL ANSP sécurité privée du marché du centre Leclerc [Adresse 4] [Localité 5], il était proposé à M. [U] [Y] ‘la reprise de son contrat de travail’.
Le précédent contrat de travail stipulait que M. [U] [Y] exerçait les fonctions de chefs de poste.
L’avenant du 8 mars 2020 l’engage en qualité d’agent de maîtrise sans préciser expressément ses fonctions mais mentionne qu’au titre de la reprise de son salaire et de ses primes, il percevra une prime de chef de poste de 150 euros nets.
Selon l’annexe 2 de la convention collective relative à la classification des emplois, l’agent de maîtrise a les qualités humaines et les capacités professionnelles nécessaires pour assumer des responsabilités d’encadrement (connaissances techniques et de gestion, aptitude au commandement) dans les limites de la délégation qu’il a reçue. Cette délégation sera attribuée à des salariés ayant des connaissances ou une expérience professionnelle au moins équivalentes à celles des personnels encadrés.
Niveau I
L’agent de maîtrise de niveau I encadre un groupe de salariés. Il dispose d’instructions précises et détaillées, un programme et des objectifs lui sont fixés, les moyens adaptés lui sont fournis.
Il prend notamment la responsabilité :
‘ d’accueillir les nouveaux embauchés et d’aider à leur adaptation ;
‘ de répartir et affecter les tâches, donner les instructions utiles, conseiller et faire toutes observations appropriées ;
‘ d’assurer les liaisons nécessaires à l’exécution du travail, contrôler la réalisation ;
‘ de participer à l’appréciation des compétences du personnel et au choix des mesures susceptibles d’apporter un perfectionnement individuel ainsi qu’aux promotions ;
‘ de veiller à l’application correcte des règles d’hygiène et de sécurité, participer à leur amélioration ainsi qu’à celle des conditions de travail, prendre des décisions immédiates dans les situations dangereuses ;
‘ de transmettre et expliquer les informations professionnelles ascendantes et descendantes.
Le niveau de connaissances, qui peut être acquis par l’expérience professionnelle, correspond au niveau V de l’éducation nationale.
1er échelon :
Agent de maîtrise responsable de la conduite de travaux dont la nature répond aux définitions des échelons des niveaux I et II du personnel d’exécution.
L’avenant au contrat de travail précisait ainsi que M. [U] [Y] ‘accepte, de par sa fonction d’être garant :
– du respect de l’hygiène et de la sécurité du travail en matière de sécurité incendie,
– du management de l’équipe de surveillance et de sécurité,
– de la formation du personnel en matière de sécurité contre l’incendie,
– de la formation de nouvelles embauches,
– de la lecture et de la manipulation des tableaux de signalisation,
– de la délivrance des permis de feux,
– de l’entretien élémentaire des moyens concourrant à la sécurité incendie,
– de l’assistance à personne au sein des sites où il exerce,
– de l’exploitation du poste de sécurité lors des sinistres,
– de l’établissement des plannings de travail.
Il est constant que jusqu’au 1er février 2018, M. [U] [Y] exerçait exclusivement les fonctions de chef de poste de jour. Les emplois du temps communiqués mentionnent que M. [U] [Y] était chef de poste, que lorsqu’il était en repos ou en congés, ces fonctions étaient exercées par M. [Y] [P] (SSIAP 2) et que la nuit le poste était occupé par un autre agent SSIAP 2.
Si à ce titre, le salarié n’était pas en charge de l’établissement des plannings, il disposait en revanche d’une certaine autonomie pour procéder à des réajustements en cas de demande de changement de jour ou d’horaires de travail entre les membres de l’équipe, comme cela résulte des courriels de diffusion des plannings qui lui étaient adressés par la société.
M. [U] [Y] était également informé des rappels à l’ordre adressés aux membres de son équipe, comme cela résulte des courriels de rappel à l’ordre adressés à deux salariés le 14 février 2011 dont il est mis en copie par l’employeur.
Il signait également les attestations de remise de badge, en tant que représentant de la société ANSP.
La note de service du 1er février 2018 a mis un terme à l’exclusivité de l’exercice des fonctions de chef de poste de M. [U] [Y] en décidant que ‘chacun de vous occupera à tour de rôle et sans distinction de catégorie les différents postes (..) confiés par le client. En conséquence de quoi, chacun de vous sera notamment amené à être affecté au poste de sécurité à travailler de jour, de nuit, ou le week-end (art.5 – rémunérations et horaires) de votre contrat de travail’.
Les plannings communiqués confirment la mise en oeuvre de cette décision à compter de février 2018. M. [U] [Y] n’était alors plus seul chef de poste et n’exerçait pas exclusivement cette fonction mais en alternance avec quatre autres collègues SSIAP 2 (c’est-à-dire chef d’équipe de sécurité incendie) de sorte qu’il était susceptible d’être placé au cours de certaines journées de travail sous l’autorité d’un salarié qui était préalablement sous la sienne. Tel a été le cas le deuxième mardi du mois de mars 2018, M. [U] [Y] étant affecté à la surveillance de la galerie tandis qu’un autre salarié SSIAP 2 était affecté au poste de sécurité. En outre, son nom n’apparaissait plus en premier dans la liste des salariés mais en deuxième à la suite de celui de M. [T] [N], SSIAP 2.
Le fait invoqué de privation des attributions antérieures est ainsi établi.
En revanche, il n’est pas établi que M.[U] [Y] ait été affecté de nuit ou de week-end.
Par courriel du 12 mars 2018, M. [U] a dénoncé la dégradation de ses conditions de travail depuis quelques mois ainsi que la privation de ses fonctions de chef de poste.
Le 16 mars 2018, la société ANSP a adressé à M. [U] [Y] une lettre de rappel à l’ordre lui reprochant des’ comportements agressifs’ et une perturbation du bon fonctionnement de la société.
Le rappel à l’ordre a été ainsi été notifié quatre jours après la dénonciation d’une privation de fonctions.
Le 16 avril 2018, M. [U] [Y] a été placé en arrêt de travail pour maladie.
Le 25 avril 2018, M. [U] [Y] a de nouveau dénoncé auprès de son employeur le fait d’être privé de ses attributions dans le cadre de la nouvelle organisation imposée par celui-ci et lui a reproché de procéder de la sorte afin de le pousser à quitter la société.
Il résulte par ailleurs de l’attestation de M. [K] que celui-ci a procédé à l’ouverture le 26 avril 2018 d’un casier bleu se trouvant au PC sécurité, à la demande de son employeur lequel a récupéré un classeur s’y trouvant et sur lequel figurait le logo ANSP. Cet élément ne suffit pas à démontrer que le casier personnel de M. [U] [Y] aurait été forcé. Cet élément de fait n’est pas établi.
Par ailleurs, M. [U] [Y] ne communique pas la plainte qu’il indique avoir déposée pour dénonciation calomnieuse à l’encontre de M. [W], ancien salarié réembauché, qui l’avait accusé de procéder à des vols sur la surface de vente du site surveillé.
Pour autant, pris dans leur ensemble, les faits établis laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Il incombe à l’employeur de démontrer que ses décisions et agissements ont une justification objective étrangère à tout harcèlement.
Si l’employeur soutient que la société avait six chefs de poste sur le site [Adresse 4] Leclerc, il ne communique pas leurs contrats de travail de sorte que seule leur qualité de SSIAP 2 est constante. Toutefois, celle-ci leur conférait qualification de chef d’équipe et habilitation pour assurer la présence requise au poste de sécurité et en assurer les missions.
Il est établi par le contrat de travail, les bulletins de paie de M. [U] [Y] et les emplois du temps qu’il était chef de poste et non chef de site.
L’emploi du temps de février 2018 affectait M. [U] [Y] comme chef de poste en journée de sorte que la réorganisation décidée par l’employeur n’a eu d’impact sur les conditions de travail de M. [U] [Y] qu’au cours d’une seule journée avant son placement en arrêt de travail. Cet agissement n’a pas été répété.
La société communique la plainte de l’un des salariés qui constitue le fondement du rappel à l’ordre notifié à M. [U] [Y] et apporte ainsi une justification objective à cette décision.
Par ailleurs, le pouvoir de direction de l’employeur l’autorisait à ouvrir le casier situé dans le poste de sécurité dans lequel se trouvaient les documents de l’entreprise.
Au regard des justifications ainsi apportées par l’employeur et de l’ensemble des éléments débattus, la cour a la conviction que M. [U] [Y] n’a pas subi d’agissements répétés constitutifs d’un harcèlement moral.
La demande de dommages-intérêts pour préjudice moral de ce chef est en conséquence rejetée.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande de nullité du licenciement :
Au soutien de sa demande de nullité du licenciement, M. [U] [Y] invoque l’existence d’un harcèlement moral comme étant à l’origine de son inaptitude.
L’existence d’un tel harcèlement moral n’ayant pas été retenue, la demande de nullité du licenciement est rejetée.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande d’indemnité pour manquement à l’obligation de sécurité :
Selon l’article L4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1°) des actions de prévention des risques professionnels ;
2°) des actions d’information et de formation ;
3°) la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
M. [U] [Y] rattache sa demande indemnitaire, d’une part, au non respect des dispositions générales de protection, d’autre part, au fait allégué d’avoir subi un harcèlement moral et invoque les dispositions relatives à la prévention du harcèlement moral.
Il communique un certificat médical du 5 mai 2018 de son médecin traitant qui relate avoir reçu M. [U] [Y] en consultation le 16 avril 2018 lequel lui a rapporté depuis ‘quelques semaines un état d’anxiété sévère se manifestant par une sensation d’oppression épigastrique, une asthénie psychogène, une aboulie, une tristesse, des troubles du sommeil’.
Si l’existence d’un harcèlement moral n’a pas été retenue par la cour, l’employeur n’en demeure pas moins tenu à une obligation de sécurité notamment dans l’accompagnement au changement dans le cadre de la réorganisation mise en oeuvre, ce qu’il ne démontre pas avoir accompli.
Faute pour la société ANSP d’avoir pris des mesures de prévention, la dégradation de l’état de santé de M. [U] [Y] contemporaine de la réorganisation caractérise le préjudice qu’il invoque et justifie que lui soit allouée la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
En vertu de l’article 1231-7 du code civil, les dommages et intérêts alloués sont assortis d’intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
En vertu de l’article 1343-2 du code civil, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise.
Il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts échus sur une année entière.
Sur la remise de documents conformes :
En l’absence de condamnation relative à une créance salariale, cette demande est sans objet.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
La société ANSP est condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
* * *
*
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
L’infirme de ce chef,
statuant à nouveau,
Condamne la société ANSP à payer à M. [E] [U] [Y] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
Dit que les dommages et intérêts alloués sont assortis d’intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Ordonne la capitalisation des intérêts échus sur une année entière,
Condamne la société ANSP à payer à M. [E] [U] [Y] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société ANSP aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.
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