Tribunal judiciaire de Lyon, 22 octobre 2024, n° RG 20/01016.
Tribunal judiciaire de Lyon, 22 octobre 2024, n° RG 20/01016.

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Lyon

Thématique : Responsabilité et Imputabilité : Éclaircissements sur la Reconnaissance d’un Accident du Travail et ses Conséquences

 

Résumé

Le tribunal judiciaire de Lyon a statué sur la reconnaissance d’un accident du travail survenu le 1er juillet 2019, impliquant Monsieur [R], employé de la société [7] [Localité 6]. Malgré la contestation de l’employeur, le tribunal a confirmé la présomption d’imputabilité de l’accident, survenu pendant les heures de travail. La caisse primaire d’assurance maladie a respecté les délais de notification et n’était pas tenue de diligenter une enquête en l’absence de réserves de l’employeur. La société a été déboutée de ses demandes, et la prise en charge des soins et arrêts de travail a été maintenue.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

22 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Lyon
RG n°
20/01016

MINUTE N° :
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

POLE SOCIAL – CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS :

DÉBATS :

PRONONCE :

AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :

22 Octobre 2024

Julien FERRAND, président

Stéphanie DE MOURGUES, assesseur collège employeur
Claude NOEL, assesseur collège salarié

assistés lors des débats par Sophie PONTVIENNE, greffière

tenus en audience publique le 18 Juin 2024

jugement contradictoire, rendu en premier ressort, prononcé en audience publique le 22 Octobre 2024 par le même magistrat, assisté de Anne DESHAYES, greffière

Société [7] [Localité 6] C/ CPAM DE L’AIN

N° RG 20/01016 – N° Portalis DB2H-W-B7E-U4HS

DEMANDERESSE

Société [7] [Localité 6]
dont le siège social est sis [Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par la SELARL CEOS AVOCATS, avocats au barreau de LYON, vestiaire : 1025

DÉFENDERESSE

CPAM DE L’AIN
dont le siège social est sis [Adresse 2]
[Localité 1]
non comparante – moyens exposés par écrit (article R.142-10-4 du code de la sécurité sociale)

Notification le :
Une copie certifiée conforme à :

Société [7] [Localité 6]
CPAM DE L’AIN
la SELARL [5], vestiaire : 1025
Une copie certifiée conforme au dossier

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Monsieur [O] [R], employé par la société [7] [Localité 6] depuis le 1er janvier 2014 en qualité de conducteur de véhicules et d’engins lourds de levage et de manoeuvres a déclaré avoir été victime d’un accident le 1er juillet 2019.

La société [7] [Localité 6] a établi la déclaration d’accident du travail le 2 juillet 2019 sans formuler de réserves, en décrivant les circonstances de l’accident comme suit :
« Activité de la victime lors de l’accident : Garait son véhicule sur le parking de la société à la fin de son service ;
Nature de l’accident : Monsieur [R] a eu un malaise alors qu’il finissait de garer son véhicule sur le parking ;
Objet dont le contact a blessé la victime : Aucun ;
Siège des lésions : Inconnu ;
Nature des lésions : Inconscient. »

Le certificat médical initial établi le 8 juillet 2019 par le Docteur [H], médecin spécialisé en réanimation au Centre hospitalier [8] à [Localité 6] fait état des constatations suivantes :
 » coup de chaleur compliqué de plusieurs atteintes d’organe : rhabdomyolyse, défaillance hépatique, et encéphalopathie. »

Par courrier daté du 29 octobre 2019, la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain a notifié à la société [7] [Localité 6] une décision de prise en charge d’emblée de l’accident au titre de la législation professionnelle.

Après saisine de la commission de recours amiable, la société [7] LYON a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 avril 2020.

Aux termes de ses conclusions développées oralement à l’audience du 18 juin 2024, la société [7] [Localité 6] sollicite :

– à titre principal, que la décision de prise en charge de l’accident lui soit déclarée inopposable ;

– à titre subsidiaire, que les soins et arrêts prescrits au titre de l’accident lui soient déclarés inopposables ;

– que la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain soit déboutée de l’ensemble de ses demandes et qu’elle soit condamnée à payer à la société [7] [Localité 6] une indemnité de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir :

– que la caisse était tenue même en l’absence de réserves de diligenter une enquête au regard de la complexité du malaise déclaré dans la mesure où il ne s’agissait pas d’un malaise bénin ;

– que la caisse ne pouvait s’en tenir à la présomption d’imputabilité et devait établir le caractère professionnel du malaise en diligentant une enquête approfondie comportant l’avis du médecin conseil ;
– que la caisse n’a pas pris de décision dans le délai de 30 jours à compter du certificat médical initial ;

– que la caisse a violé le principe du contradictoire en notifiant la décision de prise en charge au delà du délai de 30 jours prévu par l’article R. 441-10 du code de la sécurité sociale sans notifier le recours à un délai supplémentaire prévu par l’article R. 441-14 lorsqu’il y a nécessité d’examen ou d’enquête complémentaire ;

– que les conditions de travail de Monsieur [R] le jour de l’accident étaient normales, qu’aucun effort inhabituel n’a été relevé, que son véhicule disposait de l’air conditionné, et que l’hyperthermie qu’il a présentée du fait d’une forte chaleur ambiante n’est pas en lien avec le travail ;

– que la preuve d’un lien direct entre les arrêts prescrits et l’événement survenu le 1 juillet 2019 n’est pas rapportée ;

– que l’absence de transmission des certificats médicaux descriptifs des lésions lui fait grief ;

– qu’aux termes de l’avis de son médecin conseil, au vu du diagnostic final d’un épisode d’hyperthermie maligne sans franc facteur déclenchant, l’origine professionnelle du malaise ne peut être retenue.

La caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain n’a pas comparu à l’audience du 18 juin 2024. Elle a adressé ses conclusions et pièces à la juridiction et à la partie adverse conformément aux dispositions de l’article R.142-10-4 du code de la sécurité sociale.

Elle conclut au rejet des demandes en faisant valoir :

– que le délai de trente jours n’a commencé à courir qu’à compter de la date de réception du certificat médical initial, soit le 28 octobre 2019, que la décision de prise en charge est intervenue le 29 octobre 2019, et qu’en tout état de cause, l’inobservation du délai de trente jours n’entraîne pas l’inopposabilité mais est sanctionnée uniquement par la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ;

– qu’en l’absence de réserves motivées de l’employeur et en présence d’éléments suffisants découlant de la déclaration d’accident du travail et du certificat médical initial, la caisse n’avait pas à recourir à une procédure d’instruction et pouvait prendre en charge d’emblée l’accident en cause ;

– que le malaise présenté par Monsieur [R] survenu aux temps et lieu du travail présente un caractère accidentel compte tenu de son caractère soudain et bénéficie de la présomption d’imputabilité au travail ;

– que la démonstration de conditions normales de travail ne permet pas d’écarter la présomption et que la société [7] [Localité 6] n’établit pas l’existence d’un état pathologique antérieur qui constituerait la cause exclusive du malaise ;

– que la continuité des soins et arrêts de travail est établie par la production d’un relevé des indemnités journalières versées, qu’ils bénéficient d’une présomption d’imputabilité à l’accident jusqu’à la consolidation sans qu’il soit nécessaire de produire les certificats médicaux de prolongation, et que le médecin conseil de la caisse a confirmé leur imputabilité à l’accident ;

– que le médecin conseil de l’employeur émet des doutes sans justification et sans examen de la victime et qu’il n’est pas justifié d’un commencement de preuve de l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.

La caisse sollicite enfin la condamnation de la société [7] [Localité 6] au paiement d’une indemnité de 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DU TRIBUNAL

Sur la régularité de la procédure :

Selon l’article R. 441-10 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au présent litige, la caisse primaire d’assurance maladie dispose d’un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration d’accident et le certificat médical initial ou de trois mois à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration de la maladie professionnelle et le certificat médical initial pour statuer sur le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie.

Sous réserves des dispositions de l’article R. 441-14, en l’absence de décision de la caisse dans le délai prévu au premier alinéa, le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie est reconnu.

En l’espèce, la caisse a réceptionné la déclaration d’accident du travail le 8 juillet 2019 mais n’a été destinataire du certificat médical initial établi le 8 juillet 2019 que le 28 octobre 2019, après l’avoir réclamé à Monsieur [R] par lettre du 26 août 2019. La caisse a notifié par courrier daté du 29 octobre 2019 une décision de prise en charge d’emblée, dans le délai fixé par le texte susvisé.

En tout état de cause, l’inobservation de ce délai a pour seule conséquence la reconnaissance implicite du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie au bénéfice de la victime et n’a pas pour effet de rendre la décision inopposable à l’employeur.

Aux termes des dispositions de l’article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige,  » en cas de réserves motivées ou si elle l’estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l’employeur et à la victime d’un accident du travail un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident ou procède à une enquête auprès des intéressés. »

En l’absence de réserves formulées par la société [7] [Localité 6], et quelle que soit la gravité de l’accident dès lors que la victime n’est pas décédée, la caisse n’était pas tenue de diligenter une enquête.

Sur la matérialité de l’accident :

Il résulte des dispositions de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelque soit la date d’apparition de celle-ci.

S’il n’est pas nécessaire qu’il soit violent ou anormal, l’accident doit présenter un caractère soudain.

Dès lors qu’est établie la survenance d’un malaise dont il est résulté une lésion au temps et lieu du travail, celle-ci est présumée imputable au travail, à défaut de rapporter la preuve qu’elle provient d’une cause totalement étrangère au travail.

Le salarié ou la caisse dans le cadre de l’inopposabilité à l’employeur, doit établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l’accident et son caractère professionnel, qui doivent être corroborés par d’autres éléments.

Le caractère professionnel d’un accident peut être reconnu dès lors qu’un faisceau d’indices graves, précis et concordants permet d’établir l’existence d’un accident survenu aux temps et lieu du travail.

La déclaration tardive d’un accident ne fait pas en soi perdre le bénéfice de la présomption d’imputabilité, mais il importe que la matérialité de l’accident au temps et au lieu du travail soit établie.

Il résulte de la déclaration d’accident du travail établie par la société [7] [Localité 6] que Monsieur [R] a déclaré avoir eu un malaise alors qu’il finissait de garer son véhicule sur le parking de la société à la fin de son service, le 1er juillet 2019 à 17h15, soit durant ses horaires de travail fixés ce jour-là de 6h45 à 17h10. L’employeur en a été avisé immédiatement.

Les horaires de travail de Monsieur [R] ce jour-là étaient fixés de 6h45 à 17h10. La survenance du malaise aux temps et lieu du travail n’étant pas contestée, la matérialité de l’accident est établie.

Les conditions normales de travail, la présence de l’air conditionné dans la cabinet du camion, ou encore les températures élevées ne permettent pas de caractériser un commencement de preuve d’une cause totalement étrangère au travail.

Sur la prise en charge des soins et arrêts de travail et la demande d’expertise :

Aux termes de l’article L. 433-1 du code de la sécurité sociale, une indemnité journalière est payée à la victime par la caisse primaire, à partir du premier jour qui suit l’arrêt du travail consécutif à l’accident pendant toute la période d’incapacité de travail qui précède soit la guérison complète, soit la consolidation de la blessure ou le décès ainsi que dans le cas de rechute ou d’aggravation.

La présomption d’imputabilité au travail d’un accident survenu au temps et au lieu du travail s’étend aux soins et arrêts délivrés pendant toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime.

Elle s’applique lorsque l’accident constitue la cause partielle ou occasionnelle des lésions et lorsqu’il révèle ou aggrave un état pathologique préexistant.

La caisse n’a pas à justifier de la continuité des soins et des symptômes pour l’application de la présomption d’imputabilité, celle-ci s’appliquant pendant toute la durée d’incapacité de travail précédant la guérison ou la consolidation dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d’un arrêt de travail. L’absence de continuité de symptômes et soins jusqu’à la date de consolidation ou de guérison ne suffit pas à écarter la présomption d’imputabilité.

Cette présomption ne fait pas obstacle à ce que l’employeur conteste l’imputabilité de tout ou partie des soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse au titre de l’accident du travail, à charge pour lui de rapporter la preuve que ces arrêts et soins résultent d’une cause totalement étrangère au travail.

Une relation causale partielle suffit pour que l’arrêt de travail soit pris en charge au titre de l’accident du travail et seuls les arrêts de travail dont la cause est exclusivement étrangère à l’accident du travail ne bénéficient pas de la prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.

Une mesure d’expertise n’a lieu d’être ordonnée que si l’employeur apporte des éléments de nature à accréditer l’existence d’une cause totalement étrangère au travail qui serait à l’origine exclusive des arrêts de travail contestés. Elle n’a pas vocation à pallier la carence d’une partie dans l’administration de la preuve.

La référence à la durée excessive des arrêts de travail, à la supposée bénignité de la lésion initialement constatée ou à l’existence supposée d’un état pathologique antérieur n’est pas de nature à établir de manière suffisante l’existence d’un litige d’ordre médical, susceptible de justifier une demande d’expertise.

Monsieur [O] [R] a bénéficié de prescriptions de repos et de soins continues jusqu’au 15 octobre 2021, date de consolidation de son état de santé fixée par le médecin conseil de la caisse.

La caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain a justifié de la continuité de soins en produisant la déclaration d’accident du travail, le certificat médical initial ainsi que l’attestation de paiement des indemnités journalières couvrant l’intégralité de la période d’arrêt, du 1er juillet 2017 au 15 octobre 2021.

Le médecin conseil a confirmé par deux avis rendus les 11 septembre 2020 et 28 avril 2021 que la poursuite des arrêts de travail prescrits au titre de l’accident du 1er juillet 2019 était justifiée.

La consolidation a été fixée au 15 octobre 2021 et le médecin conseil a retenu un taux d’incapacité permanente de 60 % au titre des séquelles suivantes : »encéphalopathie séquellaire, marquée par un syndrome cérébelleux, qui affecte la parole, la marche et l’agilité manuelle et par une altération cognitivo-comportementale discrète, de type dysexécutif. »

Aux termes de son avis sollicité par la société [7] [Localité 6], le Docteur [Y] conclut : « […] il semble que le diagnostic retenu ait été celui d’une hyperthermie maligne sans que l’on ait retrouvé de facteur déclenchant particulier.
Il semble donc difficile, dans ce dossier, de considérer que l’activité professionnelle exercée le 1er juillet 2019, dans des conditions habituelles, soit à l’origine du malaise présenté par Monsieur [R].
Il n’existe aucune origine professionnelle au malaise présenté par Monsieur [R] le 1er juillet 2019 ».

Cet avis, établi sans examen de Monsieur [R], est formulé sous forme d’hypothèse à l’exception de sa conclusion qui n’est pas davantage explicitée.

En l’état, la société [7] [Localité 6] ne justifie d’aucun commencement de preuve susceptible d’établir l’existence d’une cause totalement étrangère au travail permettant d’écarter la présomption d’imputabilité des soins et arrêts prescrits au titre de l’accident survenu le 1er juillet 2019 jusqu’à la consolidation.

Au vu de ces éléments, il convient de débouter la société [7] [Localité 6] de ses demandes.

Il apparaît conforme à l’équité de laisser aux parties la charge des frais exposés non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déboute la société [7] [Localité 6] de ses demandes ;

Laisse aux parties la charge des frais exposés non compris dans les dépens ;

Condamne la société [7] [Localité 6] aux dépens.

Ainsi jugé et prononcé en audience publique le 22 octobre 2024, et signé par le président et la greffière.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


 


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