Cour d’appel d’Amiens, 24 octobre 2024, RG n° 23/02080
Cour d’appel d’Amiens, 24 octobre 2024, RG n° 23/02080

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel d’Amiens

Thématique : Reconnaissance de l’imputabilité d’un incident professionnel et ses implications financières pour l’employeur

 

Résumé

La reconnaissance de l’imputabilité d’un incident professionnel a des implications financières significatives pour l’employeur. Dans le cas de Mme [L] [N], agent de fabrication, la société [7] a contesté la déclaration d’accident survenue le 27 juin 2022, arguant que la lésion était due à un état antérieur. Cependant, la CPAM a confirmé la prise en charge, soutenue par un certificat médical établissant un lien entre l’accident et l’activité professionnelle. Le tribunal a rejeté les arguments de l’employeur, affirmant que la présomption d’imputabilité s’appliquait, entraînant des conséquences financières pour la société, condamnée aux dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

24 octobre 2024
Cour d’appel d’Amiens
RG n°
23/02080

ARRET

S.A.S. [7]

C/

CPAM DE [Localité 6] – [Localité 2]

COUR D’APPEL D’AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 24 OCTOBRE 2024

*************************************************************

N° RG 23/02080 – N° Portalis DBV4-V-B7H-IYHX – N° registre 1ère instance : 22/2135

Jugement du tribunal judiciaire de Lille (pôle social) en date du 11 avril 2023

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S. [7]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée et plaidant par Me Emilie DENYS, avocat au barreau d’AMIENS, substituant Me Franck DERBISE de la SCP LEBEGUE DERBISE, avocat au barreau d’AMIENS

ET :

INTIMEE

CPAM DE [Localité 6] – [Localité 2]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée et plaidant par Mme [I] [G], munie d’un pouvoir régulier

DECISION

Le 28 juin 2022, la société [7] a complété une déclaration d’accident du travail survenu le 27 juin 2022 concernant Mme [L] [N], sa salariée, mise à disposition de la société [5] en qualité d’agent de fabrication, en relatant les circonstances suivantes : « Mme [N] vidait une poubelle. Elle aurait ressenti une douleur au bras droit ».

Le certificat médical initial du 28 juin 2022 fait état d’une « épicondylite coude droit ».

La caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 6]-[Localité 2] (ci-après la CPAM) a pris en charge l’accident déclaré au titre de la législation sur les risques professionnels, par décision du 19 juillet 2022.

Contestant la matérialité de l’accident, la société [7] a saisi la commission de recours amiable, puis a contesté la décision de rejet de cette dernière en date du 26 octobre 2022 en saisissant le pôle social du tribunal judiciaire de Lille lequel, par jugement en date du 11 avril 2023, a :

déclaré opposable à la société [7] la décision de la CPAM de [Localité 6]-[Localité 2] du 19 juillet 2022 de prise en charge de l’accident du travail du 27 juin 2022 à 16 heures de Mme [L] [N],

condamné la société [7] aux dépens de l’instance.

La société [7] a relevé appel de cette décision le 10 mai 2023, suivant notification intervenue le 9 mai précédent.

Les parties ont été convoquées à l’audience du 27 juin 2024.

Par conclusions visées par le greffe le 25 mars 2024 et soutenues oralement à l’audience, la société [7] demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris,

juger que la matérialité de l’accident du travail du 27 juin 2022 n’est pas établie,

déclarer inopposable à la société [7] la décision de prise en charge de l’accident du travail de Mme [N], ainsi que les conséquences médicales et financières qui en découlent,

condamner la caisse aux entiers dépens.

Elle fait essentiellement valoir que l’assurée n’a pas mentionné de fait accidentel brusque et soudain, qu’il n’y a eu ni heurt ni choc, que le certificat médical initial n’a été établi que le lendemain des faits, que rien ne permet de confirmer que les lésions constatées sont imputables à un accident survenu au temps et au lieu de travail, que l’assurée aurait pu se blesser en dehors de son temps de travail, que la lésion constatée ne constitue pas un fait isolé mais est due à une répétition d’un geste ou d’un mouvement de sorte qu’elle s’apparente à un état pathologique antérieur, qu’aucun témoin n’était présent et que le médecin contrôleur qui s’est rendu au domicile de l’assuré le 11 août 2022 n’a obtenu aucune réponse à ses sollicitations.

Par conclusions visées par le greffe le 18 juin 2024 et soutenues oralement à l’audience la CPAM de [Localité 6]-[Localité 2] demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris,

déclarer opposable à l’employeur la décision de prise en charge de l’accident,

débouter la société [7] de l’ensemble de ses demandes,

condamner la société [7] aux dépens.

Elle soutient que la présomption d’imputabilité doit jouer dès lors qu’est établie la brusque apparition d’une lésion au temps et au lieu de travail sans qu’il soit nécessaire de caractériser l’action d’un quelconque fait générateur, que l’assurée a été victime d’un accident alors qu’elle se trouvait sur son lieu de travail, pendant ses horaires de travail et qu’elle a informé son employeur le lendemain, que la déclaration n’était assortie d’aucune réserve, que le certificat médical établi le lendemain confirme la lésion décrite par l’assurée, que l’information faite à l’employeur ne peut être considérée comme tardive et que l’absence de témoin ne suffit pas à renverser la présomption.

Motifs

Sur l’imputabilité et la matérialité de l’accident

Aux termes de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.

Constitue un accident du travail un événement ou une série d’évènements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci.

Il résulte de ces dispositions une présomption d’imputabilité pour tout accident survenu au temps et au lieu de travail, ayant pour effet de dispenser la caisse, substituée dans les droits de la victime, d’établir la preuve du lien de causalité entre l’accident et le contexte professionnel.

Pour renverser cette présomption, l’employeur doit nécessairement démontrer que l’accident a une cause totalement étrangère à l’activité professionnelle de la victime.

Dans ses rapports avec l’employeur, il appartient à la caisse d’apporter la preuve de la matérialité de l’accident dont elle a admis le caractère professionnel.

La preuve de la réalité de l’accident survenu au temps et au lieu de travail peut être établie par tout moyen et notamment, en l’absence de témoins, par la démonstration d’un faisceau d’éléments suffisamment précis, graves et concordants.

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier et notamment de la déclaration d’accident du travail remplie le 28 juin 2022 par l’employeur, lequel n’a émis aucune réserve, que l’assurée aurait ressenti une douleur au bras droit en vidant une poubelle, le 27 juin 2022, à 16h, pendant ses horaires de travail, de 13h30 à 21h30, et que l’employeur en a eu connaissance le 28 juin 2022 à 11h15.

La lésion étant constituée par une douleur d’origine non traumatique, par essence, susceptible d’une amélioration comme d’une aggravation après un délai de latence, il est parfaitement commun que la salariée ait attendu quelques heures avant de la signaler à son employeur et au demeurant, elle a prévenu son employeur dans le délai de 24 heures.

A cet égard, l’absence de heurt ou de choc n’est pas exclusive d’une lésion constitutive d’un fait accidentel.

Puis il ressort du certificat médical initial du 28 juin 2022 que celui-ci fait état d’une épicondylite du coude droit, laquelle correspond à la nature et au siège de la lésion déclarée.

Enfin et ainsi que l’ont relevé avec pertinence les premiers juges, les circonstances de l’accident, à savoir le fait de vider une poubelle, sont compatibles avec l’activité professionnelle de la salariée, agent de fabrication.

Par la nature de l’activité déployée par la salariée au temps et au lieu de son travail au moment de l’accident qu’elle n’a pas tardé à signaler à son médecin traitant et à son employeur, il est ainsi suffisamment rapporté, nonobstant l’absence de témoin direct ou indirect des faits, un faisceau d’indices suffisamment précis, graves et concordants permettant de démontrer la matérialité du fait accidentel.

Au regard de cette démonstration, aucun élément du dossier n’établit l’existence d’un éventuel état antérieur interférant allégué par l’employeur ni, a fortiori, que l’activité professionnelle déployée par la salariée n’a joué aucun rôle dans la décompensation de cet état antérieur.

L’employeur ne conteste d’ailleurs pas qu’une épicondylite peut résulter d’un fait accidentel en cas d’effort intensif et de faux mouvement, mais affirme que selon les dires de la salariée consignés dans la déclaration d’accident du travail, celle-ci ne fournissait aucun effort intensif et n’a pas fait de faux mouvement.

Pourtant, Mme [N] était en train de vider une poubelle au moment de la survenue de la lésion, activité qui en soi n’exclut ni l’éventualité d’un effort intensif, selon le volume et le poids des déchets, ni un faux mouvement.

Quant au fait que selon un courrier adressé à la société [7] le 22 août 2022, la société [8] se soit présentée au domicile de la salariée à la demande de l’employeur aux fins de contre-visite médicale le 11 août 2022, et que le médecin-contrôleur qui s’est présenté « n’a obtenu aucune réponse à ses sollicitations », il ne peut strictement rien être déduit de cette circonstance isolée dans le cadre du débat relatif à la matérialité d’une cause totalement étrangère au travail.

Eu égard à l’ensemble de ces éléments, la matérialité de l’accident étant établie sans que la preuve contraire soit rapportée par l’employeur, il y lieu de confirmer le jugement déféré et de débouter en conséquence la société [7] de ses demandes.

Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

La société [7] succombant intégralement en ses prétentions, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée aux dépens de première instance, et de la condamner aux dépens de l’instance d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute la SAS [7] de ses demandes,

Condamne la SAS [7] aux dépens de l’instance d’appel.


 


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