Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Amiens
Thématique : Protection des droits des salariées en période de maternité : enjeux et conséquences d’un licenciement contesté
→ RésuméLa protection des droits des salariées en période de maternité est cruciale, notamment en cas de licenciement. Dans l’affaire opposant la Société PHARMACIE DE [5] à Mme [G], le Conseil de Prud’hommes a déclaré nul le licenciement de cette dernière, survenu alors qu’elle bénéficiait d’une protection absolue liée à sa grossesse. La pharmacie a contesté cette décision, arguant des fautes graves justifiant le licenciement. Cependant, la cour a confirmé la réintégration de Mme [G], soulignant que son licenciement intervenait durant une période protégée par la loi, rendant ainsi la mesure nulle de plein droit.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel d’Amiens
RG n°
24/00080
N°
COUR D’APPEL D’AMIENS
RÉFÉRÉS
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE DU 24 OCTOBRE 2024
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A l’audience publique des référés tenue le 26 Septembre 2024 par Mme Chantal MANTION, Présidente de chambre déléguée par ordonnance de Mme la Première Présidente de la Cour d’Appel d’AMIENS en date du 09 Juillet 2024,
Assistée de Madame Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
ENTRE :
La Société PHARMACIE DE [5], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me DE BAILLIENCOURT substituant Me Hélène CAMIER, avocat au barreau d’AMIENS, vestiaire : 101, postulant et ayant pour avocat Me Raphaël ARBIB, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire : 222
Assignant en référé suivant exploit de la SELARL GARNIER TOUZE-GARNIER, Huissiers de Justice à [Localité 4] en date du 08 Juillet 2024, d’un jugement rendu le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CREIL, en date du 28 Mai 2024, enregistré sous le n° 23/00071.
ET :
Madame [B] [G]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Bibi hanifa MALIK FAZAL, avocat au barreau d’AMIENS, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Arthur COEUDEVEZ, avocat au barreau de PARIS
DEFENDERESSE au référé.
Madame la Présidente après avoir constaté qu’il s’était écoulé un temps suffisant depuis l’assignation pour que la partie assignée puisse se défendre.
Après avoir entendu :
– Me De Bailliencourt, conseil de la Pharmacie de [5] qui déclare s’en rapporter aux moyens et prétentions développés dans ses conclusions et déposer son dossier
– Me Coeudevez, conseil de Mme [G] qui déclare s’en rapporter aux moyens et prétentions développés dans ses conclusions et déposer son dossier
L’affaire a été mise en délibéré au 24 Octobre 2024 pour rendre l’ordonnance par mise à disposition au Greffe.
Vu le jugement en date du 28 mai 2024 du conseil de prud’hommes de Creil saisi à la requête de Mme [G] qui a :
– jugé que le licenciement de Mme [G] intervenu pour faute grave est nul ;
– ordonné la réintégration de Mme [G] ;
– fixé le salaire moyen à 3 650 euros brut ;
– condamné la société La Pharmacie de [5], prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [G] les sommes suivantes :
– 17 100 euros au titre de provision sur salaires ;
– 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
– ordonné l’exécution provisoire sur l’intégralité du jugement ;
– condamné la société La Pharmacie de [5], prise en la personne de son représentant légal, aux entiers dépens y compris les éventuels frais d’exécution.
La société La Pharmacie de [5] a formé appel de ce jugement par déclaration reçue le 11 juin 2024 au greffe de la cour.
Par acte de commissaire de justice en date du 8 juillet 2024, la société La Pharmacie de [5] a fait assigner Mme [G], à comparaître à l’audience du 12 juillet 2024 devant la juridiction du premier président de la cour d’appel d’Amiens et demande, au visa de l’article 517-1 du Code de procédure civile de :
– la recevoir en ses demandes, fins et conclusions ;
– constater que le conseil de prud’hommes a violé le principe du contradictoire en se saisissant d’office du moyen relatif au principe non bis idem sans le soumettre aux observations des parties ;
– constater que la société La Pharmacie de [5] justifie d’un moyen sérieux d’annulation du jugement ;
– constater que la société La Pharmacie de [5] démontre que l’avertissement du 13 septembre 2022 et la lettre de licenciement reposent sur des arguments de fait et de droit différents ;
– constater que la société La Pharmacie de [5] apporte des éléments de nature à démontrer la réalité des griefs figurant à la lettre de licenciement ;
– constater dès lors que la société La Pharmacie de [5] justifie d’un moyen sérieux de réformation du jugement ;
– constater enfin que l’exécution du jugement risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives au regard notamment de la gravité des manquements de Mme [G] ;
– en conséquence, ordonner l’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement du conseil de prud’hommes de Creil du 28 mai 2024 ;
– condamner Mme [G] à verser à la société La Pharmacie de [5], la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code procédure civile, outre les entiers dépens d’instance.
À l’audience du 12 juillet 2024, l’affaire a été renvoyée au 26 septembre 2024.
À l’audience du 26 septembre 2024, la société La Pharmacie de [5] a développé oralement les conclusions notifiées le 3 septembre 2024 auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens de fait et de droit.
Elle soutient pour l’essentiel qu’il existe des moyens sérieux d’annulation ou de réformation du jugement dans la mesure où le conseil de prud’hommes s’est dispensé d’envisager les très nombreux éléments versés aux débats par la concluante, portant démonstration de la faute grave de Mme [G] ; il a statué ultra petita et sans soumettre le moyen à la discussion des parties quant aux conséquences de l’avertissement du 13 septembre 2022 dont il n’a pas non plus été débattu à l’audience, et ce en violation du principe du contradictoire ; de ce seul fait le jugement est frappé de nullité ; dans tous les cas, elle justifie d’un moyen sérieux de réformation en ce que Mme [G] a été licenciée le 17 octobre 2022 avant le début de son congé maternité au 1er novembre 2022 ; ainsi, conformément au 2e alinéa de L.1225-4 du Code du travail, le licenciement de Mme [G] était possible avant la suspension du contrat de travail au 1er novembre 2022, à condition qu’il repose bien sur une faute grave ; en effet, Mme [G] bénéficiait à la date de licenciement, d’une protection relative liée à son état de grossesse, cette dernière étant alors susceptible d’être licenciée pour faute grave sans encourir la nullité de la mesure ; il est largement établi que l’intéressée a pu déstocker de nombreux médicaments tant pour elle même que pour ses proches et a cherché à masquer ses méfaits au moyen de diverses manoeuvres gravement illicites ; il en résulte que le lien de causalité entre ce comportement et le redressement infligé par les services de l’assurance maladie est clairement démontré ;
– enfin, l’exécution du jugement entrepris entraîne des conséquences manifestement excessives dans la mesure où les agissements de Mme [G] ont déjà eu des conséquences absolument considérables sur sa situation, au regard notamment des redressements et pénalités infligés par la Caisse Primaire d’assurance maladie ;
– l’exécution des condamnations financières figurant au jugement alourdirait encore ces conséquences ;
– il est constant que la réintégration de Mme [G] est susceptible d’exposer la concluante à de nouveaux faits tout aussi graves et dommageables, outre la dégradation évidente des relations entre les parties, totalement incompatible avec la bonne tenue de toute relation de travail.
Le conseil de Mme [G] a développé oralement à l’audience ses conclusions notifiées le 29 août 2024 auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens de fait et de droit aux termes desquelles, elle demande de débouter la société La Pharmacie de [5] de sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire du jugement du conseil des Prud’hommes de Creil et de la condamner au paiement de la somme de 3000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir pour l’essentiel qu’il n’existe pas de moyen sérieux d’annulation ou de réformation du jugement dans la mesure où la violation grave du principe du contradictoire ne suffit pas à démontrer que le licenciement n’est pas nul de plein droit. En l’espèce elle a parfaitement respecté l’article 6 de son contrat de travail qui précise dans l’intitulé ‘absences’ que la salariée devra fournir un certificat médical justifiant son absence dans les 48 heures. En effet, elle a adressé à la société son arrêt pour congé pathologique par courrier avec demande d’avis de réception le 17 octobre 2023 lequel a été receptionné par l’employeur le 18 octobre 2023. De plus cet arrêt du 17 au 30 novembre 2022 intervient juste avant le début de son congé de maternité fixé au 1er novembre 2022. Il en résulte qu’elle bénéficie d’une protection absolue pendant cette période par la combinaison des articles L1225-4 et L1225-21 du Code du travail. Il convient d’observer que l’employeur passe sous silence l’inobservation de la protection absolue résultant de la période pathologique liée à l’état de grossesse de la salariée (du 17 au 31 octobre 2022) suivie immédiatement du congé de maternité qui commence à courir le 1er novembre 2022. Le licenciement est donc intervenu durant la période où elle bénéficiait d’une protection absolue.
Elle estime en outre que l’exécution du jugement n’entraînerait pas de conséquences manifestement excessives dans la mesure où elle n’a jamais été entendue par la gendarmerie ou les services de police dans le cadre d’une plainte déposée par la gérante de la pharmacie, aucun élément ne permettant d’affirmer qu’elle s’est rendue coupable des faits reprochés par son employeur qui ignore parfaitement la présomption d’innocence. Ainsi, l’employeur n’apporte aucunement la preuve de conséquences manifestement excessives dans sa réintégration au sein de son officine de pharmacie.
L’article 517-1 du code de procédure civile dispose: ‘ Lorsque l’exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée, en cas d’appel, que par le premier président et dans les cas suivants :
1°- Si elle est interdite par la loi ;
2°- Lorsqu’il existe un moyen, sérieux d’annulation ou de réformation de la décision et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives ; dans ce dernier cas, le premier président peut aussi prendre les mesures prévues aux articles 517 et 518 à 522.’
Les jugements des conseils de prud’hommes ont toujours été soumis à un régime spécial, que l’on retrouve à l’article R. 1454-28 du Code du travail dont il ressort qu’à moins que la loi ou le règlement n’en dispose autrement, les décisions du conseil de prud’hommes ne sont pas exécutoires de droit à titre provisoire, sauf s’agissant notamment du jugement qui ordonne le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l’article R. 1454-14, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire.
En l’espèce, il ressort des pièces produites et des débats que Mme [G] a été engagée en qualité de préparatrice en pharmacie par la société La Pharmacie de [5] par un contrat à durée indéterminée à temps plein pour un salaire mensuel de 1 919, 90 euros.
Enceinte, elle bénéficiait d’un congé maternité commençant le 1er novembre 2022 pour se terminer le 20 février 2023, ainsi qu’il ressort de la lettre adressée par l’assurance maladie en date du 24 août 2022.
Le 13 septembre 2022, par lettre recommandée avec accusé de réception la société La Pharmacie de [5] a notifié à Mme [G] un avertissement lui reprochant des anomalies de facturation sur des quantités de médicaments faisant suite à une notification de ‘la Sécurité Sociale de l’Oise du 28 juillet 2022″.
Le 28 septembre 2022, par lettre recommandée avec accusé de réception la société La Pharmacie de [5] a convoqué Mme [G] à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement pour faute grave fixé au 11 octobre 2022 avec mise à pied conservatoire.
Le 4 octobre 2022, à la demande de Mme [G], le docteur [K] a constaté que son état de santé lui imposait ‘de garder la chambre pendant 30 jours à compter d’aujourd’hui’.
Le 17 octobre 2022, par lettre recommandée avec accusé de réception, la société La Pharmacie de [5] a notifié à Mme [G] son licenciement pour faute grave.
Or, le même jour, le médecin traitant de Mme [G] lui avait prescrit un arrêt de travail en rapport avec l’état pathologique résultant de la grossesse, qui a été adressé à l’employeur par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 octobre 2022.
Il est notable que l’exécution provisoire dont la suspension est demandée porte sur l’intégralité des dispositions du jugement du conseil des Prud’hommes de Creil s’agissant d’une part de la réintégration de Mme [G] et d’autre part de la condamnation de la société La Pharmacie de [5] au paiement de la somme de 17.100 euros à titre de provision sur salaire s’agissant de sommes expréssément visées par l’article R.1454-14 du code du travail, pour lesquelles l’exécution provisoire est de droit, sans avoir à être ordonnée.
Par ailleurs, le conseil des Prud’hommes a rappelé les dispositions de l’article L.1225-4 du code du travail qui institue au bénéfice des salariées deux catégories de protection à savoir une protection relative qui s’applique dès le constat de grossesse jusqu’au départ en congé de maternité, puis pendant les quatre semaines suivant ce congé, périodes au cours desquelles le licenciement peut intervenir dans les cas limitativement prévus par la loi, et une protection absolue couvrant le congé de maternité au cours duquel le contrat de travail est suspendu et le licenciement interdit. La période de protection absolue s’entend de la période de suspension du contrat de travail, la période de protection relative correspondant à celle suivant la déclaration de grossesse jusqu’au départ en congé de maternité, et à celle suivant le retour dans l’entreprise.
Si la société La Pharmacie de [5] fait justement valoir que le conseil des Prud’hommes a annulé le licenciement pour un motif qui n’a pas fait l’objet de débats à savoir l’existence d’un avertissement empêchant de se prévaloir des mêmes faits pour justifier un licenciement, Mme [G] réplique que lors de son licenciement en date du 17 octobre 2022, elle se trouvait dans le cadre d’un congé pathologique lié à son état de grossesse et qu’elle bénéficiait à ce titre de la protection absolue de l’article L.1225-4 du code du travail, la période de protection étant augmentée de la durée du congé pathologique précédant le congé maternité dans les limites fixées par l’article R.1225-1 du code du travail.
Dès lors, la cour ayant la possibilité d’évoquer pourra répondre sur ces différents points aux moyens des parties, le fait pour l’employeur de procéder au licenciement pour faute sur une période pendant laquelle la protection absolue instituée au bénéfice de la femme enceinte est applicable empêchant de voir dans la réintégration ordonnée un risque de conséquences manifestement excessives alors que les faits qui ont justifiés le licenciement de Mme [G] pour faute grave sont en outre contestés.
En conséquence, il y a lieu de débouter la société La Pharmacie de [5] de sa demande fondée sur l’article 517-1 du code de procédure civile tendant à la suspension de l’exécution provisoire attachée au jugement du conseil des Prud’hommes de Creil en date du 28 mai 2024.
Il paraît inéquitable de laisser à la charge de Mme [G] la totalité des sommes qu’elle a dû exposer non comprises dans les dépens. Il y a donc lieu de condamner la société La Pharmacie de [5] à lui payer la somme de 1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Enfin, la société La Pharmacie de [5] qui succombe sera condamnée aux dépens de la présente instance en référé.
Déboutons la société La Pharmacie de [5] de sa demande fondée sur l’article 517-1 du code de procédure civile tendant à la suspension de l’exécution provisoire attachée au jugement du conseil des Prud’hommes de Creil en date du 28 mai 2024,
Condamnons la société La Pharmacie de [5] à payer à Mme [G] la somme de 1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamnons la société La Pharmacie de [5] aux dépens de la présente instance en référé.
A l’audience du 24 Octobre 2024, l’ordonnance a été rendue par mise à disposition au Greffe et la minute a été signée par Mme MANTION, Présidente et Mme CHAPON, Greffier.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,
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