Cour d’appel de Toulouse, 25 octobre 2024, RG n° 22/04355
Cour d’appel de Toulouse, 25 octobre 2024, RG n° 22/04355

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Toulouse

Thématique : Conflit professionnel et manquement à l’obligation de sécurité : enjeux de la protection des salariés face à l’inaptitude et au harcèlement moral.

 

Résumé

Le cas de M. [H] illustre les enjeux cruciaux liés à la protection des salariés face à l’inaptitude et au harcèlement moral. Embauché en 1999, il a été licencié pour inaptitude après un accident de travail. La cour a reconnu que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, soulignant le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Les comportements de son supérieur hiérarchique, notamment des humiliations et des menaces, ont contribué à son état d’anxiété, justifiant ainsi la décision de la cour d’accorder des dommages et intérêts pour préjudice moral et licenciement abusif.

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

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COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

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ARRÊT DU VINGT CINQ OCTOBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE

***

APPELANT

Monsieur [U] [H]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représenté par Me Laure LEONI, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

SAS COMPTOIR COMMERCIAL DU LANGUEDOC

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Dominique BESSE de la SELARL B2B AVOCATS, avocat au barreau D’ALBI

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 Octobre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C.PARANT, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport. Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. BRISSET, présidente

M. DARIES, conseillère

C. PARANT, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffière, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par C. BRISSET, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre

EXPOSE DU LITIGE

M. [U] [H] a été embauché le 1er octobre 1999 par la société Comptoir Commercial du Languedoc (ci-après désignée société CCL) en qualité de chauffeur- livreur suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des commerces de quincailleries, fournitures industrielles, fers, métaux et équipements de la maison.

Au dernier état de la relation, M. [H] occupait le poste de magasinier chauffeur.

Par lettre du 24 juin 2020, la société CCL a convoqué M. [H] à un entretien préalable à une éventuelle sanction fixé au 3 juillet 2020.

Aucune suite disciplinaire n’a été donnée à cet entretien.

Le médecin traitant de M. [H] a placé ce dernier en arrêt de travail le 25 juin 2020 pour accident du travail. Cet arrêt de travail a été plusieurs fois prolongé jusqu’en novembre 2020.

Par lettre du 23 octobre 2020, la caisse primaire d’assurance maladie a notifié à M. [H] le refus de prendre en charge l’accident du 23 juin 2020 au titre de la législation sur les accidents du travail.

À l’issue de la période de suspension du contrat de travail, lors de la visite de reprise du 9 novembre 2020, le médecin du travail a déclaré M. [H] : ‘inapte à tous les postes de l’établissement. Absence de proposition d’aménagement de poste ou de reclassement’.

La société CCL a formulé une proposition de reclassement temporaire à M. [H] au sein du site d'[Localité 3] par courrier du 12 novembre 2020. Ce dernier l’a acceptée.

La société CCL a proposé par nouvelle lettre du même jour une offre de reclassement définitif sur le site de [Localité 7] que M. [H] a refusée.

Par courrier du 8 janvier 2021, la société CCL a convoqué M. [H] à un entretien préalable à licenciement.

M. [H] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 12 janvier 2021.

M. [H] a saisi le conseil de prud’hommes d’Albi le 20 août 2021 pour demander le versement de diverses sommes.

Par jugement du 7 décembre 2022, le conseil de prud’hommes d’Albi a :

– débouté M. [H] de ses demandes formulées à titre principal,

– débouté M. [H] de ses demandes subsidiaires,

– débouté les parties de leurs plus amples demandes,

– débouté les parties de leurs demandes d’application d’article 700 du code de procédure civile,

– condamné les parties à conserver la charge de leurs propres dépens.

Par déclaration du 18 décembre 2022, M. [H] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 10 décembre 2022, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.

Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 18 septembre 2024, auxquelles il est expressément fait référence, M. [H] demande à la cour de :

– déclarer son appel recevable.

– infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

A titre principal :

– demander à la société CCL de produire aux débats le compte rendu de l’entretien du 3 juillet 2020,

– juger que son inaptitude est due à la faute de la société CCL,

– juger en conséquence que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société CCL à lui payer les sommes suivantes :

34 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

3110 € au titre de l’indemnité de préavis et 311 € à titre d’indemnité de congés payés,

A titre subsidiaire :

– juger que la société CCL a manqué à son obligation de reclassement,

– juger en conséquence que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société CCL à lui payer les sommes suivantes :

34 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

3110 € au titre de l’indemnité de préavis et 311 € d’indemnité de congés payés

En tout état de cause :

– condamner la société CCL à lui payer les sommes suivantes :

10 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

10 000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

861,36 € au titre des congés payés pendant son arrêt maladie du 25 juin 2020 au 14 janvier 2021,

– lui allouer la somme de 2 500 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.

– condamner la société CCL aux entiers dépens.

Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 18 septembre 2024, auxquelles il est expressément fait référence la société Comptoir Commercial du Languedoc demande à la cour de :

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté M. [H] de toutes ses demandes,

A titre subsidiaire :

– limiter la condamnation de la société CCL à la somme de 4 665 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouter M. [H] de ses autres demandes,

– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

* débouté les parties de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamné les parties à conserver la charge de leurs propres dépens.

statuant à nouveau :

– condamner M. [H] aux dépens,

– condamner M. [H] à lui verser une somme de 3 500 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 20 septembre 2024.

MOTIFS

Sur le licenciement

M. [H] demande, à titre préliminaire, à la cour, comme il en avait fait la demande auprès du conseil de prud’hommes, d’enjoindre à la société CCL de produire aux débats le compte-rendu de l’entretien préalable à sanction intervenu le 3 juillet 2020 entre M. [H], M. [V], responsable hygiène et sécurité, et M. [B], directeur de région.

La difficulté vient du fait que la société CCL conteste qu’un compte-rendu de cet entretien préalable ait été réalisé et que, dans ses conclusions, M. [H] fait valoir qu’aucun compte-rendu n’a été établi lors ou à l’issue de cet entretien préalable de sorte qu’il sera débouté de sa demande de production de pièce par ajout au jugement entrepris qui n’a pas statué sur cette demande.

À titre principal, M. [H] soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse en raison du fait que son inaptitude résulte du manquement de la société CCL à son obligation de sécurité.

La cour examinera ce moyen longuement développé dans les conclusions de M. [H] auquel s’oppose la société CCL qui conteste la réalité du manquement prétendu et le lien de causalité entre ce prétendu manquement et l’inaptitude constatée par le médecin du travail.

Il est rappelé qu’en application de l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et que, lorsque l’inaptitude du salarié trouve son origine dans un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, M. [H] soutient que le manquement de l’employeur à son obligation est ainsi caractérisé :

1) le comportement déplacé de M. [C], son supérieur hiérarchique qui a demandé à M. [H] et à son collègue M. [T] de porter un tee-shirt moqueur, en relevant M. [H] de sa fonction de responsable occupée pendant 3 ans sans revalorisation de salaire et en ne lui donnant pas de badge pour accéder à la machine à café comme à ses autres collègues.

Face aux dénégations de l’employeur, la cour constate que la seule production par M. [H] de la photographie d’un tee-shirt sur lequel au dos est indiquée la mention :’C’EST PAS MOI’ n’établit pas la prétention de M. [H] relative à l’injonction de son supérieur et qu’aucune pièce ne soutient la prétention relative à la discrimination dans l’obtention du badge permettant l’accès à la machine à café.

Les conditions de l’évolution de carrière de M. [H] en 2008 et 2012 sont indéterminées ; est seul établi son passage par avenant du 1er septembre 2008 sur le poste de responsable des réceptions et expéditions sur le site de [Localité 6] et la modification de ses attributions en décembre 2012 sur un poste de magasinier sans avenant. Aucune pièce ne permet de retenir de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité lors du retrait de ses attributions de responsable dont la cour ignore les motifs, étant ajouté que n’est pas plus démontrée une quelconque intervention de M. [C] lors de ces changements de fonction.

2) l’agression par M. [C], supérieur hiérarchique de M. [H], d’autres collègues de travail, M. [A] [T] et M. [G] [X] qui, selon M. [H], en font état, le premier dans un sms et, le second, lors du dépôt d’une main courante à la gendarmerie de [Localité 6].

L’examen de la pièce 19 de M. [H] ne permet nullement d’identifier l’identité de l’auteur des propos y figurant, aucune copie d’écran n’étant produite, et M. [H] qui a tenté de joindre M. [X] pour qu’il confirme ses difficultés avec M. [C] ne verse aucune pièce confirmant que son collègue aurait déposé une main-courante dénonçant les agissements de M. [C].

3) la convocation à un entretien préalable pour une éventuelle sanction disciplinaire le 3 juillet 2020.

M. [H] soutient que cette convocation confirme le fait qu’il a bien été agressé le 19 juin 2020 par son supérieur M. [C] à la suite d’un problème de livraison et que le responsable de l’entreprise M. [B] n’a donné aucune suite à l’incident car il a cru la version de M. [H] selon laquelle l’agression était bien le fait de M. [C].

La société CCL rétorque que cette convocation avait pour objet d’entendre M. [H] sur le différend ayant opposé M. [C] à M. [H] à propos de la livraison d’un carrelage et que les explications de M. [H] ont convaincu l’employeur qu’il n’y avait pas matière à sanction.

La cour constate qu’aucune pièce ne permet de déterminer le contenu de l’entretien préalable du 3 juillet 2020 ; elle fait encore le constat qu’aucune suite n’a été donnée par l’employeur à cet entretien et qu’aucune attestation de témoin du différend survenu le 19 juin entre M. [H] et M. [C] n’a été délivrée aux parties pas plus que n’est fournie de pièce relative à des difficultés sur une livraison de carrelage.

En l’état, elle ne peut tirer d’une convocation à entretien préalable à sanction disciplinaire non suivie de sanction l’établissement d’un manquement de l’employeur à son obligation de garantir la sécurité et de protéger la santé de son salarié.

4) les faits des 19 et 23 juin 2020.

M. [H] verse aux débats une attestation régulière en la forme et circonstanciée d’un de ses anciens collègues de travail, M. [T], qui écrit :

‘ j’atteste que le mardi 23 juin 2020 il y a bien eu une réunion de service au cours de laquelle M. [C] notre responsable a humilié M. [H] [U] devant tous les salariés de l’agence. M. [C] a dit qu’il s’était passé quelque chose avec M. [H] [U] le vendredi d’avant, en précisant qu’il n’avait pas agressé M. [H] mais l’avait juste poussé. La situation était très humiliante pour M. [H]. M. [C] a même dit à M. [H] qu’ils pourraient aller se battre sur le parking. Après, M. [C] nous a tous interdit de parler de cette histoire et de ne répondre à aucune question si nous étions interrogés. C’est pour cela que j’ai dit à l’huissier que je ne souhaitais pas répondre à ses questions. Moi aussi lors de cette réunion j’ai été humilié et pris à partie par M. [C] car je m’étais plaint qu’il m’avait moi aussi déjà bousculé. M. [C] a déjà été violent avec moi aussi bien physiquement que verbalement et aussi avec d’autres collègues. Je précise que j’ai été licencié en janvier 2024 et c’est pour çà que je n’ai pas peur de témoigner maintenant. Même si j’ai été licencié j’atteste pas pour me venger mais pour dire la vérité sur ce que M. [H] a vécu’.

S’il a déjà été indiqué qu’aucun témoin n’était présent lors de l’altercation du 19 juin 2020 entre M. [C] et M. [H], cette attestation régulière en la forme confirme en tout cas la réalité d’une altercation entre ces deux protagonistes le 19 juin 2020 et le fait que, lors de la réunion du 23 juin au cours de laquelle plusieurs collègues étaient présents, M. [C] a, a minima, reconnu avoir poussé M. [H] et évoqué la possibilité d’aller se battre avec lui sur le parking. L’humiliation rapportée n’est en revanche pas caractérisée par le témoin [T].

Si la société CCL démontre que le témoin [T] a été licencié notamment en raison de conduites addictives entraînant des troubles du comportement, pour autant, elle ne verse aux débats aucun élément contredisant le contenu de l’attestation critiquée et notamment la tenue de la réunion du 23 juin 2020, étant précisé qu’en réponse à la sommation interpellative délivrée à trois salariés à la requête de M. [H] sur leur présence à la réunion et sur le contenu de cette dernière, ces derniers n’ont pas nié leur présence à cette réunion mais ont indiqué à l’huissier qu’ils ne souhaitaient pas répondre à ses questions.

La cour constate la réalité de la déstabilisation psychologique de M. [H] à la suite de l’altercation du 19 juin et de la réunion du 23 juin, caractérisée, d’une part, par l’arrêt de travail du 25 juin du médecin traitant de M. [H] qui mentionne sur le certificat médical du 25 juin l’existence de troubles anxieux et, d’autre part, par les mentions manuscrites du médecin du travail figurant dans le dossier dudit médecin qui fait état, le 24 juin 2020, d’un appel téléphonique de M. [H] se plaignant d’une altercation avec son chef qui l’aurait bousculé, de la menace de violences physiques de la part de son chef au cours d’une réunion du personnel deux jours après, ajoutant qu’il ne pouvait se rendre à son poste depuis, par peur ; le médecin du travail rapporte qu’il a conseillé à M. [H] d’aller consulter son médecin traitant pour prise en charge et prévention d’un éventuel stress post traumatique, l’informant de la possibilité de déclarer un accident du travail puisqu’il lui rapportait un fait accidentel ayant entraîné des séquelles psychiques, lui recommandant de saisir les représentants du personnel si les faits rapportés étaient exacts.

La société CCL qui conteste la réalité de l’altercation du 19 juin et de la réunion du 23 juin, critiquant les pièces produites par M. [H], ne verse aux débats aucune pièce démontrant qu’elle a, à cette occasion, effectué des démarches pour assurer la sécurité et protéger la santé de M. [H] qui comptabilisait au sein de la société CCL une ancienneté de plus de 20 ans sans incident disciplinaire.

À la suite des faits de juin 2020, l’arrêt de travail de M. [H] a été prolongé sans interruption jusqu’à la visite de reprise du 9 novembre 2020 le médecin de l’appelant faisant état de la persistance de troubles anxieux et lui prescrivant un traitement anxiolytique. M. [H] a maintenu lors de l’enquête de l’assurance maladie sur l’accident du travail sa version sur l’altercation du 19 juin et sur la réunion du 23 juin.

Le médecin du travail a reçu en consultation le 14 septembre 2020 M. [H] qui lui a expliqué avoir été reçu par le directeur régional qui lui aurait recommandé de reprendre le travail ; il écrit que M. [H] manifeste une crainte importante vis à vis de ce chef qu’il décrit comme impulsif, imprévisible et violent au moins verbalement ; qu’il retrouve des manifestations d’anxiété au cours de son récit à l’évocation de son chef : tremblements, sueurs, attitude défensive, manifestations qui se majorent à l’évocation d’une éventuelle reprise du travail. Le médecin du travail ajoute avoir pris contact avec le médecin traitant de M. [H] qui lui a demandé son avis sur une éventuelle inaptitude et lui a confirmé l’état d’anxiété de son patient qui ne s’améliorait pas.

Le 28 septembre 2020, le médecin du travail note dans le dossier médical un appel du médecin traitant de M. [H] qui lui rapporte l’état de panique de M. [H] après avoir vu le véhicule de l’entreprise alors qu’il faisait ses courses, état confirmé au téléphone par M. [H] le même jour.

Le dossier médical de la médecine du travail se termine par une mention du 9 novembre 2020 : ‘état d’anxiété réel et chronique pouvant évoluer en état de panique lors de contacts indirects avec l’entreprise’, notant une absence d’amélioration ne permettant pas d’envisager le retour de M. [H] à son poste de travail sur lequel il exprime des craintes pour sa sécurité mentale et physique de sorte que le médecin du travail a préconisé une décision d’inaptitude.

La cour estime qu’est démontré par l’ensemble des pièces versées aux débats le manquement de la société CCL à son obligation de sécurité en n’intervenant en aucune façon entre juin et novembre 2020 pour garantir la sécurité de M. [H] alors qu’elle ne pouvait ignorer les incidents de juin 2020 et la tenue d’une réunion en son sein au cours de laquelle M. [H] a été malmené par son supérieur hiérarchique et qu’elle avait connaissance des arrêts de travail prescrits dès le lendemain de la réunion par le médecin de M. [H] et de la procédure d’accident du travail engagée qu’après enquête la caisse de sécurité sociale n’a pas reconnu.

Elle ne donne aucune explication dans ses conclusions sur la réunion avec le directeur régional évoquée par M. [H] devant le médecin du travail le 14 septembre 2020 au cours de laquelle il lui aurait été proposé de reprendre le travail alors que le médecin du travail fait clairement état de la grande anxiété de M. [H] à l’évocation de la reprise du travail et de son chef et elle ne démontre pas avoir mené d’enquête pour faire la lumière sur les incidents dénoncés par M. [H].

Le lien de causalité entre ce manquement et l’inaptitude au poste de travail résulte clairement du dossier de la médecine du travail qui permet de constater la persistance entre juin et novembre 2020 d’un état d’anxiété réel et chronique du salarié pouvant évoluer en état de panique du salarié à l’évocation de son supérieur hiérarchique en lien avec l’absence de démarche de l’employeur destinée à apaiser les relations difficiles entre M. [H] et son supérieur hiérarchique.

Il en résulte que le licenciement pour inaptitude de M. [H] sera déclaré sans cause réelle et sérieuse par infirmation du jugement entrepris.

M. [H] qui comptabilisait 21 ans d’ancienneté au sein de la société CCL est bien fondé à solliciter en application de l’article L.1235-3 du code du travail des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en réparation du préjudice résultant du licenciement. Il était âgé de 50 ans et percevait un salaire moyen de 1 555 €. Il ne fournit aucune pièce sur sa situation au regard de l’emploi postérieurement au licenciement, indiquant qu’il a retrouvé à une date qu’il ne précise pas, un emploi de chauffeur ambulancier dont la rémunération n’est pas précisée.

Le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse auxquels il peut prétendre est compris entre 3 et 16 mois de salaire brut.

La société CCL sera condamnée au paiement de la somme de 18 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

M. [H] peut également prétendre en raison de l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement et compte tenu de son ancienneté à l’allocation de 3 110 € au titre de l’indemnité de préavis et 311 € à titre d’indemnité de congés payés y afférente.

La cour fera d’office application de l’article L.1235-4 du code du travail à hauteur de 6 mois d’indemnités de chômage.

Sur les demandes de dommages et intérêts en réparation du manquement à l’obligation de sécurité et du harcèlement moral

Le manquement à l’obligation de sécurité de la société CCL a été caractérisé dans le paragraphe sur le licenciement.

Il a occasionné à M. [H] un préjudice moral dont il est en droit de solliciter l’indemnisation à hauteur de 2 000 €.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

M. [H] soutient encore avoir été victime de faits de harcèlement moral.

En application de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; lorsque survient un litige relatif à des faits de harcèlement au sens de l’article L. 1152 -1 du code du travail, le salarié présente, conformément à l’article L. 1154-1 du code du travail, des faits qui permettent de supposer l’existence d’un harcèlement ; au vu de ces éléments, il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

M. [H] présente à la cour au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral les mêmes faits que ceux dénoncés au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

La cour renvoie au paragraphe précédent sur l’absence d’établissement des faits de rétrogradation, de non délivrance de badge et de port de tee-shirt moqueur et retient comme présentés comme des faits laissant supposer, dans leur ensemble, l’existence d’un harcèlement le fait d’avoir été poussé par son supérieur le 19 juin 2020 et la violence du comportement de M. [C] lors de la réunion du 23 juin suivant invitant M. [H] à sortir pour aller se battre avec lui sur le parking, ces faits ayant altéré la santé de l’appelant, comme il a été indiqué précédemment.

La société CCL qui conteste tout harcèlement se contente de nier les faits des 19 juin et 23 juin 2020 sans produire d’élément objectif sur les faits dénoncés.

La cour estime en conséquence que, pris dans leur ensemble, les agissements répétés de harcèlement moral sont établis.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

En revanche, M. [H] est mal fondé à solliciter l’indemnisation du préjudice résultant des faits de harcèlement moral dans la mesure où il ne caractérise pas de préjudice distinct de celui résultant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, lequel vient d’être indemnisé de sorte que sa demande de dommages et intérêts sera rejetée par confirmation du jugement dont appel.

Sur le surplus des demandes

La société CCL qui conclut à la prescription de la demande en paiement d’une indemnité de congés payés pendant l’arrêt de travail pour maladie de M. [H] et à son irrecevabilité s’agissant d’une demande nouvelle n’a pas demandé à la cour dans le dispositif de ses conclusions qu’elle soit déclarée irrecevable de sorte que la cour n’est pas valablement saisie de ces fins de non recevoir.

M. [H] est bien fondé à solliciter le bénéfice des dispositions de la loi du 22 avril 2024 rétroactive jusqu’au 1er décembre 2019 pour se voir octroyer une indemnité de congés payés afférente à sa période d’arrêt de travail pour maladie du 25 juin 2020 au 14 janvier 2021 à hauteur de 861,36 €.

La société CCL qui perd le procès sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, le jugement entrepris étant infirmé sur les dépens et confirmé sur les frais irrépétibles de première instance et condamnée à payer à M. [H] la somme de 2 500 € en remboursement des frais irrépétibles exposés pendant l’instance d’appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris à l’exception du rejet de la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de ses dispositions sur l’article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau des chefs infirmés, et, y ajoutant,

Rejette la demande de production de pièce formée par M. [U] [H],

Dit que le licenciement de M. [U] [H] est dénué de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Comptoir Commercial du Languedoc à payer à M. [H] les sommes suivantes :

– 18 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3 110 € au titre de l’indemnité de préavis et 311 € à titre d’indemnité de congés payés y afférente,

– 2 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du manquement de la société CCL à son obligation de sécurité,

– 861,36 € à titre d’indemnité de congés payés,

– 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Ordonne le remboursement par la société Comptoir Commercial du Languedoc à Pôle Emploi ou France Travail des indemnités de chômage éventuellement perçues par M. [H] du jour du licenciement au jour du jugement dans la limite de 6 mois d’indemnités,

Condamne la société Comptoir Commercial du Languedoc aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par C. BRISSET, présidente, et par C. DELVER, greffière.


 


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