Cour d’appel de Nîmes, 21 octobre 2024, n° RG 20/01776
Cour d’appel de Nîmes, 21 octobre 2024, n° RG 20/01776

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Nîmes

Thématique : Responsabilité de l’employeur en matière de sécurité au travail : le licenciement pour inaptitude

 

Résumé

La cour d’appel a jugé que le licenciement de M. [I] [T] était dépourvu de cause réelle et sérieuse, en raison des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité. M. [I] [T] avait été déclaré inapte suite à des accidents de travail, et la société Bourgey n’avait pas respecté les préconisations du médecin du travail concernant ses restrictions. La cour a condamné l’employeur à verser 25.000 euros à M. [I] [T] pour licenciement abusif, ainsi qu’à rembourser les indemnités de chômage et à payer des frais de justice, soulignant l’importance de la sécurité au travail.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

21 octobre 2024
Cour d’appel de Nîmes
RG n°
20/01776

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 20/01776 – N° Portalis DBVH-V-B7E-HYES

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AVIGNON

27 mai 2020

RG :18/517

[T]

C/

S.A.S. BOURGEY [Localité 5] PROVENCE

Grosse délivrée le 21 OCTOBRE 2024 à :

– Me YEHEZKIELY

– Me LANOY

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2024

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AVIGNON en date du 27 Mai 2020, N°18/517

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, a entendu les plaidoiries, en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

GREFFIER :

Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 5ème chambre sociale, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l’audience publique du 18 Septembre 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 21 Octobre 2024.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

APPELANT :

Monsieur [I] [T]

né en à

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Natacha YEHEZKIELY, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMÉE :

S.A.S. BOURGEY [Localité 5] PROVENCE

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentée par Me Patrick LANOY de la SELARL CAPSTAN – PYTHEAS, avocat au barreau de NIMES

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 21 Octobre 2024, par mise à disposition au greffe de la cour.

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

M. [I] [T] a été engagé par la société Bourgey [Localité 5] Provence à compter du 10 décembre 2006, suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en qualité de conducteur poids lourds, catégorie ouvrier, emploi dépendant de la convention collective nationale des transports et activités auxiliaires.

En mars 2013, M. [I] [T] a été victime d’un accident du travail et ainsi placé à plusieurs reprises en arrêt de travail.

Lors de sa visite de reprise le 07 janvier 2016, le médecin du travail a déclaré M. [I] [T] apte à son poste de travail sans travail de nuit et sans manutention. La SAS Bourgey [Localité 5] Provence a alors proposé à M. [I] [T] un emploi uq’elle estimait conforme à ces restrictions médicales.

M. [I] [T] a ensuite été placé à nouveau en arrêt de travail pour rechute d’accident du travail, puis pour maladie simple.

Lors de sa visite de reprise du 11 juillet 2018, la médecine du travail concluait à son inaptitude avec impossibilité de reclassement.

M. [I] [T] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’une mesure de licenciement, auquel il ne s’est pas rendu, puis licencié pour inaptitude par courrier en date du 31 juillet 2018.

Contestant son licenciement et formulant divers griefs à l’encontre de l’employeur, M. [I] [T] a saisi le conseil de prud’hommes d’Avignon, par requête reçue le 23 octobre 2018, afin de voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner l’employeur à lui payer plusieurs sommes à caractère salarial et indemnitaire.

Par jugement contradictoire du 27 mai 2020, le conseil de prud’hommes d’Avignon :

– Déboute M. [T] de l’ensemble de ses demandes.

– Dit qu’il n’y a pas lieu à article 700 du code de procédure civile.

– Déboute la SAS Bourgey [Localité 5] Provence de sa demande reconventionnelle.

Par acte du 22 juillet 2020, M. [I] [T] a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 22 janvier 2021, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de l’appel formé par M. [I] [T] le 22 juillet 2020 et l’a condamné aux dépens de la procédure d’incident.

Par arrêt du 22 juin 2023, la chambre sociale de la cour d’appel de Nîmes :

– Déclare recevable la requête en déféré.

– Infirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

– Rejette les demandes de la SAS BM Provence-Bourgey-[Localité 5] Provence relatives à la caducité de l’appel formé par [I] [T] à l’encontre du jugement du conseil de prud’hommes d’Avignon du 27 mai 2020;

– Condamne La SAS BM Provence-Bourgey-[Localité 5] Provence à payer à [I] [T] la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’instance de l’incident et du déféré.

– Condamne La SAS BM Provence-Bourgey-[Localité 5] Provence aux dépens de l’incident et du déféré.

– Renvoie l’affaire à l’audience de mise en état du 17 septembre 2021 pour le dépôt des conclusions au fond

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 05 juillet 2024, M. [I] [T] demande à la cour de :

– Dire et juger l’appel de M. [T] recevable et bien fondé,

– Réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Avignon le 27 mai 2020 en son entier,

Et statuant à nouveau,

– Dire et juger le licenciement de M. [T] dépourvu de cause réelle et sérieuse

– Condamner la SAS BM Provence à payer à M. [I] [T] les montants suivants, étant précisé que les condamnations indemnitaires seront fixées nettes de CSG CRDS :

*30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif

– Condamner la SAS BM Provence à verser à M. [T] la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens

– La débouter de toute demande reconventionnelle comme juste et mal fondée.

Il soutient que :

– ce sont les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité qui ont conduit à la déclaration d’inaptitude, en effet la défectuosité du matériel mis à disposition est à l’origine de la rechute de l’ accident du travail, en outre la société n’a pas respecté les préconisations du médecin du travail qui indiquait le 13 décembre 2016 : « Pas d’avis Envisager une affectation à un poste : sans manutention (ex : débachage et rebachage). Sans travail de nuit. », or il a repris son travail dès le lendemain ce qui explique qu’il a été arrêté par son médecin en rechute de son accident de travail dès le 29 décembre 2016, de même tout au long de l’année 2017 il a été maintenu à son poste malgré les restrictions du médecin du travail, du reste dans son avis du 16 mai 2018, le médecin du travail réitère exactement les mêmes restrictions qu’en décembre 2016,

– il relève que contrairement à ce qu’a écrit la société le 23 mai 2018 dans son courrier aucun avis de la médecine du travail n’a été rendu le 23 mai 2018,

– la reconnaissance par la société dans son courrier du 3 février 2017 de ce que tout poste de chauffeur poids lourds dans son entreprise et dans toutes les entreprises du groupe nécessite des manutentions, suffit à conclure, en l’absence de visa du médecin du travail le 16 mai 2018, que le nouveau poste auquel il était affecté d’autorité par la société le 23 mai 2018, a constitué encore un manquement de la société à son obligation de sécurité,

– son licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse, puisqu’il résulte de l’inaptitude définitive prononcée le 11 juillet 2018, qui est le résultat des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité.

En l’état de ses dernières écritures en date du 30 juillet 2024, la SAS Geodis RT Provence venant aux droits de la société Bourgey [Localité 5] Provence, demande à la cour de :

– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 mai 2020 par le conseil de Prud’hommes d’Avignon,

En conséquence,

– Dire et juger que le licenciement de M. [T] repose sur une cause réelle et sérieuse,

Par suite,

– Débouter M. [T] de l’ensemble de ses demandes,

– Condamner M. [T] au paiement de la somme de 2 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Elle fait valoir que :

– l’appelant n’a connu de contre-indication à la manutention qu’à compter du mois de janvier 2016, avant cette date, il était apte avec une restriction au travail de nuit à compter de mai 2007,

et sans « manutention répétitive du membre supérieur droit » à raison d’un mois en mars 2013,

ce n’est ainsi que le 7 janvier 2016 que M. [I] [T] était déclaré apte sans travail de nuit et sans manutention, il était alors affecté à un poste correspondant à ces préconisations,

– sans émettre le moindre avis à cette date, le médecin du travail signalait, le 13 décembre 2016, qu’une affectation exclusive de toute opération de «bâchage /débâchage» était à «envisager» (confirmant ainsi qu’elle n’était, à cette date, pas d’actualité mais qu’elle pourrait s’avérer nécessaire pour l’avenir), s’en suivait un échange avec le médecin du travail concluant à la possibilité de maintenir le salarié à son poste dans l’attente des comptes-rendus de consultation spécialisée,

– M. [I] [T] a refusé de se rendre aux visites médicales du travail ce qui a justifié un avertissement le 19 septembre 2017, jour à compter duquel il a été placé en arrêt de travail,

– contrairement à ce que soutient l’appelant, son contrat de travail n’a pas été suspendu entre le 7 janvier et le 13 décembre 2016, durant cette période il a été affecté à un poste adapté aux préconisations du médecin du travail (pas de travail de nuit ni de manutention), la visite du 13 décembre 2016 n’était, ainsi, ni une visite de reprise, ni une visite de pré-reprise mais une simple visite à la demande du salarié, lequel avait alors anticipé sur sa visite périodique du 7 février 2017,

– le 16 mai 2018 le médecin du travail rendait, pour la première fois, un avis d’aptitude avec réserve excluant les activités de «bâchage/débâchage» (lequel emportait obligation de réintégration à un poste aménagé et non obligation de reclassement, raison pour laquelle les bulletins remis au salarié ont toujours visé un emploi de « conducteur PL»,

– elle a aussitôt proposé à M. [I] [T] un poste correspondant à ces restrictions, ne faisant l’objet d’aucune réserve de la part du médecin du travail, or attendu à son nouveau poste le 28 mai 2018, M. [I] [T] était, le jour-même, placé en arrêt maladie avant d’être déclaré inapte,

– ainsi, dès qu’une réserve portant sur le «bâchage/débâchage» a été émise par le médecin du travail, elle a proposé un poste compatible avec cette contre-indication, mais M. [I] [T] ne l’a, toutefois, jamais occupé dès lors qu’il était placé en arrêt maladie le jour même où il devait assurer sa première prise de service aménagée,

– concernant l’état du matériel, il n’est nullement à l’origine de la déclaration d’accident du travail en date du 19 septembre 2017, M. [I] [T] a déclaré avoir «forcé avec la barre servant au débâchage chez le client » ce qui dénote un effort trop marqué mais pas un dysfonctionnement, ce matériel utilisé avait fait l’objet de récentes opérations d’entretien (contrôle préventif le 17 août 2017 et remplacement de la bâche et des rideaux latéraux en mai et juin 2017), le prétendu défaut d’entretien est exclu de l’analyse des causes opérée le 28 novembre 2017 et M. [I] [T] ne justifie pas avoir sollicité d’intervention sur ce matériel.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

Par ordonnance en date du 13 juin 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 19 août 2024. L’affaire a été fixée à l’audience du 18 septembre 2024.

MOTIFS

L’article L. 4121-1 du code du travail édicte que :

« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »

et l’article L. 4121-2 du même code prévoit que :

« L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le

fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs ».

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité. Cette obligation lui impose d’adopter les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et lui interdit en conséquence de prendre, dans l’exercice de son pouvoir de direction et dans l’organisation du travail, des mesures qui auraient

pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés.

Ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Selon l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

L’obligation de sécurité pesant sur l’employeur comporte deux volets : le premier consistant à tout faire pour prévenir la réalisation du risque, le second à prendre les mesures appropriées lorsque celui-ci survient.

L’employeur qui n’a pas pris les mesures de prévention nécessaires ne peut s’exonérer de sa responsabilité au seul motif qu’il a pris des mesures lorsque la difficulté a été portée à sa connaissance.

En l’espèce, la chronologie s’établit ainsi que suit selon les déclarations des parties :

– M. [I] [T] a été victime d’un accident du travail survenu le 21 mars 2013 ( aucune pièce n’est versée par les parties sur ce point),

– il a été placé en arrêt de travail du 7 février 2015 au 4 janvier 2016 ( aucun justificatif n’est versé),

– le 7 janvier 2016, M. [I] [T] était déclaré apte à son poste sans travail de nuit et sans manutention,

– à la demande du salarié le médecin du travail établissait une fiche d’aptitude médicale le 13 décembre 2016 mentionnant : « Pas d’avis. Envisager une affectation à un poste : sans manutention (ex : débachage et rebachage). Sans travail de nuit. Revoir avec comptes-rendus de consultation spécialisée» et le médecin du travail indiquait ‘à revoir en février 2017 pour périodique »,

– M. [I] [T] a fait l’objet d’un arrêt de travail à compter du 29 décembre 2016 en raison d’une rechute d’un accident du travail du 27 décembre 2012 (aucun élément n’est versé par les parties sur cet accident), le terme initial de cet arrêt était le 28 février 2017,

– le salarié faisait également l’objet d’un arrêt de travail à compter du 9 janvier 2017 toujours en raison d’une rechute de l’accident du travail du 27 décembre 2012, le terme initial de cet arrêt était le 9 janvier 2017 (sic) puis prolongé jusqu’au 24 janvier 2017, ensuite jusqu’au 7 février 2017,

– le 19 juillet 2017, M. [I] [T] bénéficiait d’un arrêt de travail pour maladie jusqu’au 26 juillet 2017,

– M. [I] [T] faisait à nouveau l’objet d’un arrêt de travail pour accident du travail du 19 septembre 2017 jusqu’au 22 septembre 2017, prorogé successivement au 6 octobre, 3 novembre, 8 décembre 2017, 1er janvier 2018, prorogé pour maladie jusqu’au 27 avril 2018, puis au 18 mai 2018,

– un avis d’arrêt de travail initial était délivré le 28 mai 2018 jusqu’au 3 juin 2018, prorogé au 1er juillet 2018, puis au 10 juillet 2018 et 8 août 2018

– M. [I] [T] était convoqué à une visite de la médecine du travail fixée le 28 mars 2017 puis à une seconde fixée au 9 août 2017 auxquelles le salarié ne se rendait pas justifiant un avertissement, non contesté, le 19 septembre 2017, jour à compter duquel il a été placé en arrêt de travail ,

– par avis en date du 16 mai 2018, M. [I] [T] était déclaré apte à la reprise sans manutention (ex : débâchage et rabâchage) et sans travail de nuit,

– en accord avec le médecin du travail, l’employeur proposait à M. [I] [T] un poste de conducteur de jour à l’Intermarché de [Localité 4] avec utilisation d’un transpalette électrique,

– par avis du 11 juillet 2018 M. [I] [T] était déclaré inapte à tous postes dans l’entreprise avec impossibilité de reclassement.

M. [I] [T] soutient que ce sont les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité qui ont conduit à la déclaration d’inaptitude.

Il met en cause la défectuosité du matériel mis à disposition à l’origine de la rechute de l’accident du travail du 19 septembre 2017 et verse le courrier de M. [F], délégué syndical CFDT, adressé à la direction de la société le 21 novembre 2017 :

« Je me permets d’attirer votre attention sur le fait que moi et mes collègues travaillons au quotidien avec du matériel mal entretenu.

En effet, dernièrement notre collègue [I] [T] a eu un accident de travail à cause d’une remorque non entretenue ; sachant qu’il avait prévenu l’atelier ainsi que la hiérarchie du matériel défectueux’

Je vous serais reconnaissant’ de remédier à ce problème afin que mes collègues de travail et moi puissions réaliser nos tâches dans des conditions de confort et de sécurité optimale’ ».

Or, outre que ce courrier est postérieur à l’accident du travail, il résulte de la déclaration de cet accident que selon le salarié « en débachant il aurait ressenti une douleur à l’épaule droite, forcé avec la barre servant au débâchage chez le client…».

Il ressort des propres déclarations du salarié que l’état du matériel mis à disposition n’est nullement impliqué dans la survenance de cet accident qui provient d’un geste accentué exercé par M. [I] [T] sans que l’origine de cet effort soit identifiée.

Au reste, M. [F] fait état d’une remorque non entretenue, sans préciser la nature du défaut de l’entretien alors que la société intimée produit aux débats le tableau récapitulatif des interventions atelier pratiquées sur le matériel n°99228 en cause duquel il résulte qu’un contrôle préventif a eu lieu le 17 août 2017 et que le remplacement de la bâche et des rideaux latéraux a été effectué en mai et juin 2017. En outre, le rapport d’incident produit par la salarié ne mentionne aucune anomalie du matériel, le salarié se bornant à dénoncer un ‘matériel défectueux’ sans plus de précision.

Il n’est pas discuté que l’employeur a respecté les restrictions mentionnées dans l’avis du 7 janvier 2016 à savoir l’exclusion du travail de nuit et de toute manutention.

M. [I] [T] soutient par ailleurs que la société n’a pas respecté les préconisations du médecin du travail qui indiquait le 13 décembre 2016 : « Pas d’avis Envisager une affectation à un poste : sans manutention (ex : débachage et rebachage). Sans travail de nuit. Revoir avec comptes-rendus de consultation spécialisée ». M. [I] [T] relate qu’il a repris son travail dès le lendemain ce qui explique qu’il a été arrêté par son médecin en rechute de son accident de travail dès le 29 décembre 2016.

Or si le médecin du travail n’a pas expressément formulé d’avis sur l’aptitude ou non de M. [I] [T] à poursuivre son emploi, il attire cependant l’attention de l’employeur sur le risque encouru par le salarié à poursuivre les opérations de débachages et rabâchages que l’employeur ne considère pas comme des opérations de manutention se référant à l’extrait de la documentation INRS relative au transport routier de marchandises (édition novembre 2013)censé établir une distinction entre les opérations de bâchage/débâchage et la manutention alors qu’au contraire cette plaquette énonce : «Les opérations de bâchage et debâchage sont encore l’occasion d’accidents graves et mortels. Outre les chutes de hauteur qui occasionnent des blessures souvent très graves, la mise en place des bâches peut être à l’origine de douleurs lombaires et de lumbagos».

D’ailleurs la société intimée a pris contact avec le médecin du travail lui écrivant le 3 février 2017 « Compte tenu de la mention : ‘sans manutention (ex : bâchage, débâchage) », nous souhaiterions savoir si notre salarié peut poursuivre son activité dans notre entreprise, dans l’attente des examens complémentaires.

En effet, nous vous précisons qu’il n’existe pas au sein de notre société BM Provence de poste de conducteur PL compatible avec les restrictions envisagées : sans manutention de marchandise, sans bâchage et débâchage (cela fait partie intégrante des tâches d’un conducteur).

De telles restrictions rendraient le salarié inapte à son poste de conducteur PL. ».

La société intimée indique que Le médecin répondait favorablement de sorte que le salarié était maintenu dans son emploi. Or il n’est justifié d’aucune réponse du médecin du travail alors que la société employeur avait parfaitement identifié le risque encouru par le salarié pour s’en entretenir avec le médecin du travail.

La société intimée ne s’explique d’ailleurs pas sur la rechute de l’accident du travail dès le 29 décembre 2016.

Certes M. [I] [T] ne s’est pas rendu aux visites médicales programmées les 28 mars 2017 et 9 août 2017, pour autant il n’est pas soutenu ni démontré que M. [I] [T] ait été soustrait aux risques identifiés que représentaient les opérations de débâchages et rabâchages alors que dans son avis du 16 mai 2018, le médecin du travail réitérait exactement les mêmes restrictions qu’en décembre 2016.

Il résulte de ce qui précède que l’inaptitude de M. [I] [T] est due à la violation par l’employeur de son obligation de sécurité.

Il en découle que le licenciement prononcé en raison de l’inaptitude et de l’impossibilité de reclasser M. [I] [T] est dénué de cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l’article L.1235-3 telles qu’issues de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 tenant compte du montant de la rémunération de M. [I] [T] ( 2.002,68 euros en moyenne) et de son ancienneté en années complètes ( 11 années complètes), dans une entreprise comptant au moins onze salariés, la cour retient que l’indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de M. [I] [T] doit être évaluée à la somme de 25.000,00 euros.

L’entreprise employant habituellement au moins onze salariés et le salarié présentant une ancienneté de plus de deux ans, il sera fait application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail.

L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner la SAS Bourgey [Localité 5] Provence à payer à M. [I] [T] la somme de 1.500,00 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

Condamne la SAS Geodis RT Provence venant aux droits de la société Bourgey [Localité 5] Provence à payer à M. [I] [T] la somme de 25.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

Ordonne le remboursement par l’employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, et dit qu’une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes conformément aux dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail,

Condamne la SAS Geodis RT Provence venant aux droits de la société Bourgey [Localité 5] Provence à payer M. [I] [T] la somme de 1.500,00 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS Geodis RT Provence venant aux droits de la société Bourgey [Localité 5] Provence aux dépens de première instance et d’appel.

Arrêt signé par le président et par le greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


 


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