Cour d’appel de Bordeaux
CHAMBRE SOCIALE SECTION B 6 avril 2023, 20/01548 ARRÊT : – contradictoire – prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile. Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour. Exposé du litige Selon un contrat de travail à durée indéterminée du 6 janvier 2014, l’association As-Afac qui exploite une activité d’expertise comptable a engagé M.[I] en qualité de comptable. Le même jour, les parties signaient une clause de dédit formation par laquelle l’employeur s’engageait à financer la formation du salarié en tant qu’expert comptable stagiaire en contrepartie de laquelle ce dernier s’engageait à demeurer au service de l’entreprise pendant 5 ans. Le 21 septembre 2017, M. [I] est élu à la délégation unique du personnel de l’entreprise. Par courrier du 30 janvier 2018, l’employeur a convoqué M. [I] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 8 février 2018. Par courrier du 27 avril 2018, l’inspection du travail a refusé le licenciement pour faute grave de M. [I] en raison de la prescription des faits reprochés au salarié. Le 7 juin 2018, M. [I] est placé en arrêt maladie par son médecin traitant. Le 23 juillet 2018, suite à une visite de reprise, le médecin du travail a émis un avis d’inaptitude avec dispense d’obligation de reclassement à l’égard de M. [I]. Le 24 juillet 2018, M. [I] est à nouveau placé en arrêt maladie. Par courrier du 25 juillet 2018, l’employeur a convoqué M. [I] à un entretien préalable suite à l’avis d’inaptitude du médecin du travail. M. [I] a informé que son état de santé ne lui permettait pas d’assister à l’entretien préalable. Le 7 août 2018, l’employeur a demandé à l’inspection du travail l’autorisation de licencier M. [I] en raison de l’avis d’inaptitude avec absence d’obligation de reclassement. Par courrier du 20 septembre 2018, l’inspection du travail a autorisé le licenciement de M. [I]. Le 25 septembre 2018, M. [I] a été licencié pour inaptitude. Le 14 décembre 2018, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes d’Angoulême aux fins de d’obtenir un rappel de salaire au titre de la période 2015 à 2018 et la condamnation de l’employeur au paiement de diverses indemnités, notamment pour harcèlement moral et perte injustifiée de son emploi. Par jugement du 27 février 2020, le conseil de prud’hommes d’Angoulême a : – prononcé la nullité du licenciement de M. [I], – débouté M. [I] de ses demandes relatives aux rappels de salaires correspondant aux engagements écrits du directeur pour les années 2015 à 2018, – condamné l’association As-Afac à verser à M. [I], en ce qui concerne les demandes relatives aux rappels de salaires correspondant aux missions spécifiques de M. [I] faisant l’objet par la convention d’établissement d’attribution de points supplémentaires dénommés dans la présente décision comme « prime de mission », les sommes suivantes : 386,52 euros brut à titre de prime de mission pour l’année 2015 et 38,65 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférents, 4.647,72 euros brut à titre de prime de mission pour l’année 2016 et 464,77 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférents, 4.657,02 euros brut à titre de prime de mission pour l’année 2017, 139,71 euros brut à titre de prime d’ancienneté et 479,67 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférents, 1.954 euros brut à titre de prime de mission pour l’année 2018, 78,16 euros brut à titre de prime d’ancienneté et 203,21 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférents, – condamné l’association As-Afac à verser à M. [I] les sommes suivantes : 11.000 euros à titre de dommages et intérêt pour harcèlement moral, 8.652 euros à titre de dommages et intérêts pour perte injustifiée d’emploi, 5.768 euros brut à tire d’indemnité compensatrice de préavis et 576,80 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférents, 864,55 euros à titre de rappel d’indemnité de licenciement, 1.800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, – débouté M. [I] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et refus de régularisation des salaires au titre des années 2014 à 2018. – rappellé que les présentes condamnations relevant des rémunérations, sont assorties de plein droit de l’exécution provisoire conformément à l’article R 1454-28 du code du travail, – fixé la moyenne des salaires de juin à août 2018 à la somme de 5.594,61 euros bruts, – ordonné l’exécution provisoire pour le surplus des condamnations, – dit que les sommes allouées par la présente décision porteront intérêts au taux légal à compter du 21/12/2018, pour les sommes ayant une origine contractuelle, et à compter de ce jour pour les sommes ayant un caractère indemnitaire, – rappelé que, sur présentation d’une copie exécutoire de la présente décision, les frais éventuels d’exécution forcée seront à la charge du débiteur dans les limites des dispositions de l’article L118 alinéa 1 du code des procédures civiles d’exécution, ce qui exclut l’application de l’article A444-32, 2° du code de commerce, – débouté l’As-Afac de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles, – condamné I’As-Afac aux entiers dépens de l’instance. Par déclaration du 24 mars 2020, l’association As-Afac a relevé appel du jugement. Par ses dernières conclusions du 9 janvier 2023, l’association As-Afac sollicite de la cour qu’elle : Sur l’appel principal : – réforme le jugement du 27 février 2020 en ces points critiqués, En conséquence : – déboute M. [I] de ses entières prétentions, fins et réclamations comme infondées en fait et en droit concernant : son prétendu « harcèlement moral », la nullité de son licenciement, ses demandes de rappels de salaires relatives aux prétendues missions spécifiques, sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral, sa demande de dommages et intérêts pour perte d’emploi, sa demande d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférents, sa demande d’indemnité de licenciement, – condamne M. [I] à payer à l’association As-Afac la somme de 3.000,00 euros sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile pour procédure abusive, – condamne M. [I] à payer à l’association As-Afac, outre les dépens, les sommes suivantes : – 10.000,00 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil pour dénonciation calomnieuse, – 5.000,00 euros sur le fondement de l’article 1231 et suivants du code civil pour inexécution déloyale du contrat de travail, – 30.000,00 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil pour concurrence déloyale, – 6.500,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, Sur l’appel incident : – déboute M. [I] de ses entières prétentions, fins et allégations comme irrecevables ou infondées en fait et en droit. Aux termes de ses dernières conclusions du 12 janvier 2023, M. [I] demande à la cour de confirmer le jugement sauf en qui concerne le montant des sommes ci-après : En conséquence, condamner l’association As-Afac à lui verser les sommes suivantes : 701,40 euros bruts à titre de rappel de salaire et de 70,14 euros bruts à titre de congés payés y afférents pour décembre 2015, 9121,80 euros bruts à titre de rappel de salaire et de 912,17 euros bruts à titre de congés payés y afférents pour l’année 2016, 6 118,70 euros bruts à titre de rappel de salaire et de 611,87 euros bruts à titre de congés payés y afférents pour l’année 2017, 2 694.59 euros bruts à titre de rappel de salaire et de 269,46 euros bruts à titre de congés payés y afférents pour 2018, 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et non régularisation des salaires des années 2014 et 2015, 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, 29 309,22 euros nettes à titre de dommages et intérêts pour perte injustifiée d’emploi, 9777,74 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 977,77 euros bruts à titre de congés payés y afférents, 864,55 euros à titre de rappel d’indemnité de licenciement, 3 500 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. – condamner l’association As-Afac aux entiers dépens. La clôture a été fixée au 2 février 2023, jour des plaidoiries. Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées. Motifs de la décisionSur la demande de rappel de salaires M. [I] a été embauché le 6 janvier 2014 en qualité de comptable ; il bénéficiait également du statut d’expert comptable stagiaire en vertu d’une clause de dédit formation signée le même jour. Sa rémunération contractuelle était fixée à 2080 euros par mois pour une durée de travail hebdomadaire de 35 heures ce qui, selon la clause de dédit formation, portait la rémunération annuelle à 27.000 euros compte tenu du versement d’un 13ème mois. Il réclame des rappels de salaire pour les années 2015 à 2017 au regard des dispositions de la convention d’établissement, de la charte des experts comptables stagiaires et de son contrat de travail sur la fixation de la rémunération. L’employeur soutient que les demandes de rappels de salaires de M. [I] s’appuient sur des chiffrages fantaisistes, incohérents et inexacts et qu’il a perçu des augmentations régulières de salaires entre 2014 et 2017 selon des modalités conformes aux lettres d’engagement de la direction. Selon la convention d’établissement, la rémunération des salariés se décompose en trois éléments : – le salaire de base correspondant à l’indice de la grille de salaire d’emploi et de fonction jointe en annexe de la convention, – la prime d’ancienneté égale à 1% de salaire brut par année de présence effective versée dés le premier de la quatrième année, – la gratification de fin d’année égale au montant du dernier salaire mensuel versée au terme d’un an de présence. Le contrat de travail prévoit que ‘ le salarié est rémunéré sur la base de 303.42 points (6,8564 euros : valeur du point au 01/01/2014) = 2080 euros pour une durée hebdomadaire de travail de 35 heures’; La clause de dédit formation stipule que pendant la formation le salaire annuel brut s’élève à 27.000 euros. Sur la demande de rappel de salaires pour 2015 La demande ne porte que sur un rappel de salaires pour le mois de décembre 2015 du fait de la prescription acquise pour la période précédente. Par courrier du 3 février 2015 le directeur de l’association a informé le salarié qu’en application de la convention d’établissement en date du 5 novembre 2014, sa rémunération annuelle est portée à la somme de 28.843,50 euros à compter du 1er janvier 2015, soit 2218,71 euros par mois sur 13 mois représentant une augmentation de 6,5%. M.[I] admet avoir perçu cette rémunération en 2015. Il conteste, cependant, deux points. D’une part, ce courrier d’engagement a modifié le nombre de points servant de base au calcul du salaire qui est passé de 303,42 points à 287 ; d’autre part, la rémunération a été calculée sur 13 mois alors que la convention d’établissement distingue le salaire de base de la prime de 13ème mois qualifiée de gratification de fin d’année. La cour retient d’abord, qu’il résulte du contrat de travail, de la clause de dédit formation et du courrier sus-visé de l’employeur que la rémunération annuelle de référence de M. [I] est déterminée sur 13 mois et non sur 12 mois. Le versement de la prime de 13ème mois visée à la convention d’établissement n’est soumis à aucun critère d’octroi sauf une année de présence dans l’entreprise ; il s’agit donc d’un élément du salaire au même titre que la prime d’ancienneté. Ensuite, s’agissant du nombre de points servant de base au calcul du salaire mensuel, l’employeur justifie que, par application de la convention d’établissement du 5 novembre 2014, la classification de l’emploi du salarié a été fixée à 287 points. En tout état de cause, le salaire mensuel de base tel que fixé au contrat de travail n’a pas été modifié à la baisse mais à la hausse puisque M. [I] a bénéficié en 2015 d’une augmentation salariale de 6,5% ; l’examen des bulletins de paie établit, en effet, un salaire mensuel de 2218,71 euros au lieu de 2080,36 euros en 2014. Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu’il a constaté que la rémunération versée en 2015 était conforme aux dispositions contractuelles et a rejeté la demande de rappel de salaires. Sur la demande de rappel de salaires sur les années 2016 à 2018 En 2016, le salaire mensuel de M. [I] s’est élevé à 2540,75 euros sur la base de 328 points, soit une rémunération annuelle de 33.029,80 euros. Ces chiffres sont conformes à la lettre d’engagement de l’employeur en date du 7 janvier 2016 prévoyant une augmentation de 14,51%. En 2017, le salaire mensuel de M. [I] s’est élevé à 2685,55 euros. Le nombre de points a augmenté à partir de mars 2017, passant de 328 à 346 points conformément à la convention d’établissement. Il a perçu, par ailleurs, une prime d’ancienneté de 80,57 euros par mois portant ainsi la rémunération annuelle à 35.959,56 euros, somme conforme à l’engagement de l’employeur pris lors de l’entretien annuel de porter à 36.000 euros la rémunération annuelle du salarié. Compte tenu de ces éléments et pour les motifs précédemment développés, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de rappel de salaires sur cet exercice. En 2018, le montant du salaire mensuel a été maintenu sur la base de 346 points. En l’absence d’engagement d’augmentation de la rémunération pour cet exercice, M. [I] ne peut prétendre, compte tenu des développements ci-dessus, à un rappel de salaires sur cette période. Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef. Sur les demandes de rappel de salaire pour des missions spécifiques Selon la convention d’établissement, la participation d’un salarié à des missions occasionnelles, à des groupes de travail ou impliquant des prises de responsabilité ouvre droit à l’attribution de 25 points supplémentaires par mois. Faisant valoir qu’à partir du mois de janvier 2015, il a réalisé des missions spécifiques dans le domaine juridique et comptable et a participé à des groupes de travail, M.[I] sollicite des rappels de salaires au titre des 25 points supplémentaires pour les années 2015, 2016, 2017 et 2018. L’employeur s’y oppose en soutenant que le salarié n’était pas seul lors de la réalisation de ces missions et qu’il a participé aux groupes de travail comme stagiaire. M. [I] verse aux débats la liste des entreprises auprès desquelles il a effectué des missions ainsi que le contenu de ces missions entre 2015 et 2018. La réalité des missions n’est pas discutée par l’employeur. Il résulte, par ailleurs, des échanges de courriels produits au dossier que M. [I] était l’interlocuteur principal de ces entreprises sans intermédiaire hiérarchique de sorte que celui-ci rapporte la preuve qu’il accomplissait ces missions avec une autonomie suffisante pour justifier le versement des points supplémentaires. Deux clients de l’association attestent, d’ailleurs, en ce sens. La preuve de la participation de M. [I] au groupe de travail ‘ qualité et méthodes’ est, outre, confirmée par des écrits du directeur de l’association. L’employeur ne peut valablement opposer au salarié son statut d’expert comptable stagiaire pour refuser le paiement des points supplémentaires dés lors que l’intéressé bénéficie d’un contrat de travail en tant que comptable et que les dispositions de la convention d’établissement lui sont toutes applicables. Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu’il a reconnu le droit du salarié à un rappel de salaires de ce chef dont les montants ne sont pas contestés par l’employeur. Sur la demande de dommages et intérêts du fait de l’absence de paiement des salaires Le préjudice résultant de l’absence de paiement d’une rémunération au titre des points supplémentaires a été indemnisé par le rappel de salaires alloué à M. [I] qui ne rapporte pas la preuve d’un préjudice distinct. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande. Sur le harcèlement moral Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Selon l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. M. [I] expose qu’à partir du moment où il a sollicité des rappels de salaire, le directeur de l’association, M. [Z], l’a constamment et publiquement dénigré et a engagé à son encontre une procédure de licenciement injustifiée, faits constituant des agissements répétés de harcèlement moral qui ont altéré son état de santé et ont causé son inaptitude à tout poste de travail dans l’association. Au soutien de sa demande, il présente les éléments suivants : 1° Par lettre circulaire adressée en octobre 2017 aux membres du conseil d’administration de l’association, M. [I] s’est plaint de ses conditions de rémunération non conformes aux engagements de la direction. Le conseil d’administration a renvoyé le salarié devant la direction compétente pour régler la question sans que les revendications du salarié n’aboutissent. La matérialité de ces fais n’est pas discutée. 2° M. [Z] a déclaré lors d’une réunion du personnel à une salariée qui lui posait une question que M. [I] avait aussi posée lors d’une précédente réunion: ‘ moi les serpents, je les écrase…’. Ce propos est rapporté par une salariée, Mme [U] [P], par attestation, 3° M. [Z] a déclaré à Mme [N], gestionnaire de paye, que M. [I] était un manipulateur, un jaloux et qu’il faisait tout pour lui voler sa place de directeur. Mme [N] rapporte cette déclaration par attestation, 4° M. [Z] a annoncé le départ de M. [I] lors d’une réunion de la délégation unique du personnel le 26 février 2018 dans le cadre d’une rupture conventionnelle ou d’un licenciement. Le procès-verbal de la réunion produit aux débats confirme que cette réunion exceptionnelle de la délégation unique du personnel avait pour ordre du jour le licenciement de M. [I]. A l’issue de cette réunion, la délégation unique du personnel a émis un avis défavorable au projet de licenciement de ce dernier, 5° l’inspection du travail a refusé le licenciement de M. [I] en ne reconnaissant pas le caractère fautif des griefs énoncés dans la lettre de licenciement. Aux termes de la décision de l’inspecteur du travail, le licenciement a été refusé au motif d’une part, de la prescription du premier grief tiré de la création d’une structure de conseil et d’assistance aux prestations de commissariat aux comptes par M. [I] concurrente de l’association et d’autre part, de l’absence de sérieux du deuxième grief tiré du manquement à l’obligation de loyauté et de détournement de clientèle de la part du salarié dés lors que l’employeur avait eu connaissance de la création de cette structure et que M. [I] n’avait pas effectué des missions dans le cadre de son activité personnelle pour des clients de l’association, 6° le comportement de l’employeur l’a déstabilisé et a altéré son état de santé au point de devoir consulter un psychologue à partir du mois d’août 2017 et d’être placé en arrêt de travail à partir du 7 juin 2018 jusqu’à l’avis d’inaptitude rendu le 23 juillet 2018 par le médecin du travail. Les pièces du dossier établissent la réalité des consultations et des arrêts de travail. Il résulte de ces éléments qu’un litige sur la rémunération du salarié a crispé les relations entre l’intéressé devenu, en outre, délégué du personnel, et M. [Z], le directeur qui a, en effet, tenté de le décrédibiliser et de le licencier pour des faits, certes matériellement établis, mais jugés non fautifs par l’inspection du travail. Les arrêts de travail ayant abouti à une déclaration d’inaptitude sont manifestement consécutifs à la tentative de licenciement non fondée. Pris ensemble, ces faits laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral. L’employeur conteste le bien fondé des attestations des salariés reprises ci-dessus en faisant valoir d’une part, que les propos de M. [Z] rapportés par Mme [U] [P] ne désignaient personne en particulier et ne s’adressaient pas à M. [I] et d’autre part, que le témoignage de Mme [N] qui est contesté par M. [Z] s’inscrit dans un contexte où M. [I] s’est effectivement comporté comme un manipulateur. Ces explications ne sont toutefois pas de nature à exonérer M. [Z] d’une attitude dénigrante envers M. [I] ainsi que l’ont interprété sans équivoque les deux témoins. S’agissant de la procédure de licenciement, l’employeur soutient : – qu’il a pris la décision d’engager cette procédure après avoir constaté que le salarié avait créé sa propre entreprise de conseil et d’assistance aux prestations de commissariat aux comptes et violé l’article 10 de son contrat de travail aux termes duquel il s’est engagé à consacrer professionnellement toute son activité et tous ses soins à l’entreprise, l’exercice de toute activité entrant dans le cadre de ce contrat, soit pour son propre compte, soit pour le compte de tiers, étant en conséquence interdit, – que contrairement à ce que l’inspection du travail a retenu, il n’a pris connaissance de la création de l’entreprise de M.[I] qu’en janvier 2018 de sorte que les faits ne sont pas prescrits, – qu’il a contesté vigoureusement la décision de l’inspection du travail et a renoncé à exercer une voie de recours pour des raisons de coût notamment, – qu’il a signalé à l’inspection du travail la création d’une association par M. [I] que celui-ci avait dissimulé à l’employeur. Il ressort, toutefois, de la décision de l’inspection du travail que l’inspectrice chargée de l’enquête s’est déplacée dans l’entreprise et a entendu 11 salariés dont plusieurs d’entre eux ont déclaré que M. [Z] était informé de la création de l’entreprise de M. [I] depuis le mois de mars 2017. Un salarié en aurait même parlé à M. [Z] qui a répondu : ‘ ce n’est pas important, cela ne va pas durer, c’est à moindre coût, ça ne me rapporte rien…’. Des échanges de courriels et M. [I] et M. [Z] confirment, par ailleurs, que ce dernier avait avalisé cette activité. L’inspectrice a, en outre, relevé que depuis la création de son entreprise, M. [I] avait réalisé seulement 3 missions pour un montant total de 3000 euros sous le contrôle d’un commissaire aux comptes pour des clients sans lien avec l’association As Afac, étant observé qu’il avait besoin d’effectuer des missions de commissariat aux comptes pour passer son diplôme d’expertise comptable, ce que ne faisait pas l’association As-Afac. Dés lors, l’employeur qui prétend de mauvaise foi avoir découvert l’activité parallèle de M. [I] ne justifie pas que la décision de licencier M. [Z] soit justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Les attestations d’administrateurs et de salariés indiquant que M. [I] avaient créé une ambiance malsaine au sein de l’agence d'[Localité 3] en s’en prenant à M. [Z] pour des raisons personnelles rendent compte du litige autour de la rémunération du salarié sur lequel la cour a statué ; mais, outre le fait que ces témoignages sont contredits par les déclarations d’autres salariés faisant état de conditions générales de travail dégradées au sein de l’association et du rôle positif de M. [I] en tant que délégué du personnel dont l’action contrariait M. [Z] qui se comparait alors à une victime de la Shoa devant les autres salariés, ils ne peuvent, en soi, justifier des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. En ce qui concerne l’état de santé de M. [I], l’employeur réfute le lien entre les arrêts de travail et une dégradation des conditions de travail du salarié et critique les allégations du médecin traitant qui a indiqué sur un certificat médical ‘ procédure harcèlement moral au travail-inaptitude en cours’ alors qu’il n’avait pas constaté personnellement les conditions de travail du salarié. La cour retient, cependant, que les arrêts de travail postérieurs à la procédure de licenciement ont été délivrés sans interruption jusqu’à l’avis d’inaptitude du médecin du travail qui a été rendu avec la mention que l’état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement du salarié dans l’entreprise ; le certificat médical du médecin traitant qui n’avait, certes pas le pouvoir de se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral confirme, néanmoins, l’origine professionnelle de l’inaptitude comme l’indique implicitement le médecin du travail en concluant à l’absence de possibilité de reclassement. En considération de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a reconnu l’existence de faits de harcèlement moral. Le préjudice en résultant sera indemnisé par une somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts. Sur ce point, le jugement sera réformé. Sur le licenciement Le jugement sera confirmé en ce qu’il a prononcé à bon droit la nullité du licenciement par application des dispositions de l’article L 1152-3 du code du travail. La nullité du licenciement ouvre droit pour le salarié qui n’a pas sollicité sa réintégration à une indemnité pour perte injustifiée de son emploi dont le montant est au moins égal à six mois de salaires. Il sera, en conséquence, alloué à ce titre à M. [I] la somme de 18.000 euros. Le jugement sera réformé sur ce point. Le salarié peut prétendre du fait de la nullité du licenciement à une indemnité compensatrice de préavis d’une durée de deux mois telle que prévue au contrat de travail, soit la somme de 5768 euros et les congés payés afférents. Sur ce point, le jugement sera confirmé. C’est, en revanche, à tort que les premiers juges ont alloué un solde d’indemnité de licenciement doublée sur le fondement de l’article L 1226-14, texte dont l’application n’était pas réclamée par le salarié. Le montant de cette indemnité sera, en conséquence, ramené à 432,27 euros. Le jugement sera réformé en ce sens. Sur les demandes reconventionnelles de la société As-Afac Faisant valoir que M. [I] a créée une entreprise intervenant dans le même secteur d’activité qu’elle, en violation des dispositions de son contrat de travail, l’association sollicite des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. Cette demande sera rejetée dans la mesure où la cour a écarté, au vu des constatations de l’inspection du travail, le caractère fautif de l’initiative du salarié et retenu l’absence de préjudice subi par l’association. Le jugement sera donc confirmé sur ce point. L’association réclame également des dommages et intérêts pour concurrence déloyale au motif que M. [I] a débauché des clients lorsqu’il est parti travailler pour un autre cabinet d’expertise comptable. Pour justifier la réalité des détournements dont elle a estimé le montant à 261.844 euros, l’association produit un courrier en date du 18 octobre 2018 par lequel elle a saisi la commission ‘ devoirs et intérêts professionnels’ de l’ordre des experts comptables de la situation provoquée, selon elle, par M. [I] ainsi qu’un courrier du cabinet d’expertise comptable qui a recruté M. [I] faisant une proposition d’indemnisation concernant la reprise de clientèle. Ces éléments demeurent, toutefois, insuffisants pour caractériser le manquement imputable à M. [I] et l’étendue du préjudice subi, étant observé que ce dernier n’était pas lié par une clause de non concurrence. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande. L’association a formalisé, en outre, des demandes de dommages et intérêts pour dénonciation calomnieuse et procédure abusive, considérant que les accusations de M. [I] ont porté atteinte à son image et à sa réputation. Ces deux demandes sont dénuées de fondement au regard de la décision de la Cour de faire droit, à titre principal, aux demandes de M. [I]. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté l’association de ces chefs. Sur les autres demandes L’équité commande d’allouer à M. [I] la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. L’association, partie perdante, supportera la charge des dépens. PAR CES MOTIFSLa Cour, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne les sommes allouées au titre du harcèlement moral, de la perte injustifiée de l’emploi consécutive au licenciement nul et de solde de l’indemnité de licenciement statuant à nouveau sur les points infirmés Condamne l’association AS-Afac à payer à M. [I] les sommes suivantes : – 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, -18.000 euros à titre d’indemnité en réparation de la perte injustifiée de l’emploi consécutive au licenciement nul, – 432,27 euros à titre de solde d’indemnité de licenciement y ajoutant Condamne l’association AS-Afac à payer à M. [I] la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile Condamne l’association AS-Afac aux dépens. Signé par Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. S. Déchamps E. Veyssière |
→ Questions / Réponses juridiques
Quel est le contexte de l’affaire jugée par la Cour d’appel de Paris ?L’affaire jugée par la Cour d’appel de Paris concerne un litige entre la société SAS Massyquoise de Distribution, exploitant le centre Leclerc de Massy, et un ancien employé, Monsieur [U]. Monsieur [U] a été engagé en tant qu’employé commercial, d’abord sous un contrat à durée déterminée, puis sous un contrat à durée indéterminée. Il a été licencié pour faute grave après avoir été mis à pied conservatoire. Ce licenciement a été contesté par Monsieur [U], qui a invoqué des faits de harcèlement moral et a saisi le Conseil de Prud’hommes. Quelles ont été les décisions du Conseil de Prud’hommes concernant le licenciement de Monsieur [U] ?Le Conseil de Prud’hommes de Longjumeau a rendu un jugement le 4 mars 2020, déclarant le licenciement de Monsieur [U] nul. Il a également condamné la société Massyquoise de Distribution à verser plusieurs indemnités à Monsieur [U], incluant des dommages-intérêts pour harcèlement moral, licenciement nul, ainsi que des indemnités de licenciement et de préavis. Le tribunal a également ordonné la remise de documents administratifs sous astreinte, soulignant ainsi la gravité des manquements de l’employeur. Quels étaient les arguments de la société Massyquoise de Distribution lors de l’appel ?La société Massyquoise de Distribution a interjeté appel du jugement, soutenant que le licenciement de Monsieur [U] était justifié par une faute grave. Elle a contesté les allégations de harcèlement moral, affirmant que c’était Monsieur [U] qui avait un comportement agressif envers ses collègues. L’employeur a demandé à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de débouter Monsieur [U] de ses demandes. Comment la Cour d’appel a-t-elle évalué les faits de harcèlement moral ?La Cour d’appel a examiné les éléments de preuve présentés par Monsieur [U], y compris des déclarations de témoins et des documents attestant de violences verbales et physiques subies. Elle a noté que l’employeur n’avait pas prouvé que les agissements de Monsieur [U] n’étaient pas constitutifs de harcèlement moral. La cour a conclu que les faits de harcèlement moral étaient avérés, ce qui a conduit à la confirmation de la nullité du licenciement. Quelles indemnités ont été accordées à Monsieur [U] par la Cour d’appel ?La Cour d’appel a accordé plusieurs indemnités à Monsieur [U], incluant : – 2 000 euros pour manquement à l’obligation de sécurité en matière de harcèlement moral. Ces montants reflètent la reconnaissance du préjudice subi par Monsieur [U] en raison des agissements de son employeur. Quelles ont été les conséquences de la décision de la Cour d’appel pour la société Massyquoise de Distribution ?La décision de la Cour d’appel a eu des conséquences financières significatives pour la société Massyquoise de Distribution. Elle a été condamnée à verser un total d’indemnités à Monsieur [U], en plus de supporter les dépens d’appel. La cour a également ordonné la capitalisation des intérêts sur les sommes dues, augmentant ainsi le coût total de la décision pour l’employeur. Cette affaire souligne l’importance pour les employeurs de respecter les obligations légales en matière de sécurité et de prévention du harcèlement au travail. |
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