26 mai 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
19/11792
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-6
ARRÊT AU FOND
DU 26 MAI 2023
N° 2023/ 150
Rôle N° RG 19/11792 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BEUJD
[P] [U]
C/
S.A.S. OSEAN
Copie exécutoire délivrée
le : 26/05/2023
à :
Me Claire BRUNA, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Me Laetitia LUNARDELLI, avocat au barreau de TOULON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULON en date du 21 Juin 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 17/00957.
APPELANT
Monsieur [P] [U], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Claire BRUNA, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
S.A.S. OSEAN, [Adresse 2]
représentée par Me Laetitia LUNARDELLI, avocat au barreau de TOULON substitué à l’audience par Me Jennifer CONSTANT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe SILVAN, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des demandes des parties dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Philippe SILVAN, Président de chambre
Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre
Madame Estelle de REVEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Mai 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Mai 2023
Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Selon contrat à durée indéterminée du 2 janvier 2006, M.[U] a été recruté par la SAS Osean en qualité d’ingénieur d’études, société d’ingénierie spécialisée dans l’étude et la réalisation de systèmes électroniques sous-marins pour la défense et les scientifiques.
Le 24 février 2017, M.[U] a été sanctionné d’un avertissement. Il s’est emporté verbalement lors de la notification de cette sanction. Le 27 février 2017, il a fait l’objet d’une mise à pied conservatoire. Le 28 février, il a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement prévu le 10 mars 2017. Il a été licencié pour faute grave le 24 mars 2017.
Le 28 décembre 2017, M.[U] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulon d’une contestation de son licenciement.
Par jugement du 21 juin 2019, le conseil de prud’hommes a :
-dit que le licenciement pour faute grave et la mise à pied conservatoire de M.[U] étaient bien justifié par les faits commis’;
-débouté M.[U] de l’ensemble de ses demandes’;
-condamné M.[U] à payer à la SAS Osean la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
M.[U] a fait appel de ce jugement le 18 juillet 2019.
A l’issue de ses conclusions du 15 février 2023, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions, M.[U] demande de’:
– réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Toulon en date du 21 juin 2019′;
– dire et juger que son comportement le 24 février 2017 n’est pas constitutif d’une faute grave eu égard à son ancienneté dans l’entreprise et au comportement provocateur de l’employeur’;
en conséquence’;
– dire et juger son licenciement injustifié’;
en conséquence’;
– condamner la SAS Osean à lui régler les sommes suivantes :
– indemnités compensatrices de préavis (3 mois du 24 mars 2017 au 24 juin 2017) : 11.166,24 euros bruts’;
– indemnités compensatrice de congés payés sur préavis : 1116,62 euros bruts’;
– indemnités conventionnelles de licenciement : 13.027,27 euros bruts’;
– rappel de salaire pendant la période mise à pied (du 27 février 2017 au 24 mars 2017) : 3435,70 euros bruts’;
– congés payés sur rappel de salaire : 343,57 euros bruts’;
– indemnités pour licenciement injustifié : 33 498,72 euros’;
– heures supplémentaires : 5399 € bruts’;
– dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 7000 euros’;
– restitution des affaires du salarié listées dans la pièce 12, sous astreinte de 100 € par jour de retard’;
– ordonner la rectification de l’attestation Pôle Emploi’;
– très subsidiairement, si la cour devait considérer qu’elle a le pouvoir de requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, elle devra condamner la SAS Osean à lui régler:
– indemnités compensatrices de préavis (3 mois du 24 mars 2017 au 24 juin 2017) : 11.166,24 euros bruts’;
– indemnités compensatrice de congés payés sur préavis : 1116,62 euros bruts’;
– indemnités conventionnelles de licenciement : 13.027,27 euros bruts’;
– rappel de salaire pendant la période mise à pied (du 27 février 2017 au 24 mars 2017) : 3435,70 euros bruts’;
– congés payés sur rappel de salaire : 343,57 euros bruts’;
– heures supplémentaires : 5399 € bruts’;
– dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 7000 euros’;
– restitution des affaires du salarié listées dans la pièce 12, sous astreinte de 100 € par jour de retard’;
en tout état de cause :
– condamner la SAS Osean à lui régler la somme de 30 000 € en réparation du préjudice subi du fait de la brusque rupture’;
– condamner la SAS Osean à lui régler la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens pour la procédure de première instance et d’appel.
M.[U] conteste son licenciement pour faute grave aux motifs qu’il avait onze ans d’ancienneté sans antécédents disciplinaires, que son employeur, qu’il connaissait bien avant son embauche, savait son franc-parler, qu’il a réagi à un avertissement dont la SAS Osean connaissait le caractère infondé, qu’en effet, c’est la première fois qu’un retard dans la réalisation d’un projet avait été sanctionné, qu’il n’était pas le seul responsable de ce projet, qu’il existait depuis plusieurs années des tensions dans l’entreprise en raison d’un management inapproprié (pression morale, humiliations, non paiement des heures supplémentaires), que les secondes insultes qui lui sont reprochées, proférées après sa mise à pied conservatoire, ne peuvent servir de fondement à son licenciement, que compte tenu de l’ancienneté de ses relations avec le gérant, il existait une liberté de ton et qu’il n’a pas menacé d’effacer les données du serveur de l’entreprise, qu’en effet il n’a pas la possibilité de procéder à une telle man’uvre puisqu’il existe une sauvegarde des données à laquelle seul le directeur de la SAS Osean à accès.
Il indique en outre qu’il n’a pas été réglé des heures supplémentaires qu’il a réalisé pour le compte de l’entreprise le soir et le week-end.
Il reproche à la SAS Osean une exécution déloyale du contrat de travail caractérisée par le non paiement des heures supplémentaires, le prononcé d’un avertissement et d’une mise à pied conservatoire injustifiés, son licenciement pour faute grave à raison d’un motif erroné et d’un motif provoqué et la restitution partielle et avec retard de ses effets personnels et indique que ces manquements ont eu des conséquences sur son état de santé.
Il s’estime en outre fondé à solliciter, sous peine d’astreinte, la restitution d’effets personnels restés en possession de la SAS Osean.
Enfin, il reproche à la SAS Osean une brusque rupture de son contrat de travail aux motifs qu’il s’est vu refuser l’accès de la société du jour au lendemain, que la SAS Osean n’a pas examiné la possibilité de procéder à un règlement amiable de la situation, qu’il a été privé d’indemnité pour faire face à ses charges et n’a pas été en mesure de disposer du temps nécessaire à la recherche d’un emploi et que cette situation a été source de stress.
Selon ses conclusions du 16 février 2023, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions, la SAS Osean demande de’:
– déclarer, dire et juger que l’avertissement du 24 février 2017 est parfaitement justifié’;
– déclarer, dire et juger que le licenciement dont a fait l’objet M.[U] est valablement fondé sur des fautes graves’;
– déclarer, dire et juger qu’aucune heure supplémentaire n’est due à M.[U]’;’
– déclarer, dire et juger que l’ensemble des effets personnels de M.[U] qui se trouvaient dans la société lui ont été rendus’;
– déclarer, dire et juger qu’elle a été parfaitement loyale dans l’exécution du contrat de travail’;
– déclarer, dire et juger que M.[U] ne démontre pas l’existence d’un préjudice distinct qui lui permettrait de revendiquer des dommages intérêts autres que ceux revendiqués au titre du caractère sans cause réelle et sérieuse du licenciement’;
– déclarer irrecevable la demande de dommages intérêts pour brusque rupture car non fondée juridiquement’;
en conséquence’;
– débouter M.[U] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions’;
– condamner M.[U] à lui payer la somme de 3’000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
– condamner M.[U] aux entiers dépens de l’instance.
la SAS Osean soutient qu’elle était fondée à procéder au licenciement pour faute grave de M.[U] aux motifs que l’avertissement prononcé à son encontre était justifié dans la mesure où ce dernier avait mis plus de cinq mois à réaliser un projet dont il avait évalué la durée à un mois, que le logiciel en question a fait l’objet d’un refus de réception par le client et que ce projet s’est avéré déficitaire, qu’après le prononcé de cet avertissement disciplinaire, M.[U] a insulté et menacé son dirigeant, qu’il a de nouveau proféré des insultes lors de la signification de sa mise à pied conservatoire, que M.[U] avait une communication difficile caractérisée par de l’agressivité et des insultes et, à l’inverse, qu’il n’existait pas de management inapproprié au sein de la société.
Elle affirme en outre que l’intégralité des effets personnels de M.[U] lui ont été restitués après la rupture du contrat de travail.
Elle conclut au rejet de la demande de M.[U] à titre de rappel sur les heures supplémentaires aux motifs qu’il n’étaye pas celle-ci, qu’il n’a pas informé de réclamation durant la relation de travail, que son décompte n’est pas corroboré et qu’il organisait son temps de travail comme il le souhaitait.
Elle conteste en conséquence toute déloyauté dans l’exécution du contrat de travail.
Enfin, elle s’oppose aux dommages et intérêts distincts réclamés par M.[U] au titre de la brusque rupture au motif qu’il ne caractérise pas d’un préjudice distinct de celui subi au titre de la rupture contrat de travail.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 17 février 2023. Pour un plus ample exposé de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère expressément à la décision déférée et aux dernières conclusions déposées par les parties.
SUR CE’:
sur les heures supplémentaires’:
Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Enfin, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre’d’heures’de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des’heures’de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre’d’heures’de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux’heures’non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des’heures’de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence’d’heures’supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
M.[U] verse aux débats un tableau récapitulant, de manière quotidienne, les heures supplémentaires qu’il soutient avoir réalisées pour le compte de la SAS Osean entre le 7 mars 2014 et le 21 octobre 2015, outre des heures qu’il estime avoir accomplies pendant ses astreintes.
Ce faisant, M.[U] présente des éléments suffisamment précis quant aux’heures’non rémunérées dont le paiement est réclamé permettant à son ex-employeur, chargé d’assurer le contrôle des’heures’de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Il produit en outre à l’instance’:
– le témoignage de M.[O], ancien ingénieur électronicien au sein de la SAS Osean entre décembre 2010 et mai 2014 qui atteste, de manière générale, d’un temps de travail chez les salariés cadres de la société largement supérieur aux heures prévues par les contrats de travail, sans aucune rémunération des heures supplémentaires et, concernant M.[U], que ce dernier ne comptait pas ses heures et fermait régulièrement le soir,
– le témoignage de Mme [Y], ayant travaillé au sein de la société entre janvier 2012 et janvier 2015 dans le cadre d’un contrat de salariée- doctorante, qui relate que M.[U] était l’un des derniers employés à quitter la société le soir et qu’il s’octroyait une courte pause méridienne,
– une copie de diverses courriels qu’il a adressés à son employeur, dans leur majorité en avril 2015, en début de soirée voire tardivement le soir.
La SAS Osean produit de son côté les témoignages de’:
– Mme [D], assistante de direction, qui expose que M.[U] arrivait sur le lieu de travail avec plusieurs heures de retard à plusieurs reprises, que M.[U], qui avait fait l’acquisition d’un immeuble à des fins de mise en location, s’occupait de ses affaires privées pendant ses heures de travail, qu’elle avait ainsi trouvé à plusieurs reprises, dans la photocopieuse, des documents de notaire, crédit bancaire ou devis d’entrepreneur et que M.[U] avait reçu pendant son temps de travail des appels téléphoniques liés à la gestion de ses affaires,
– M.[L], ingénieur chez la SAS Osean de juin 2015 à mai 2017, qui atteste que la SAS Osean leur laissait beaucoup d’autonomie dans leur travail d’ingénieur,
– M.[G], ingénieur, qui relate que la SAS Osean n’avait jamais été regardante sur les horaires, tant qu’ils étaient respectés, qu’elle était plutôt conciliante lorsqu’un impondérable se présentait et que les horaires pouvaient être modulés pour leur permettre de pratiquer une activité sportive,
– M.[N], électronicien, qui indique que les dirigeants étaient arrangeant pour moduler le travail afin de permettre la pratique d’activités sportives ou de gérer des affaires personnelles.
Ces derniers témoignages, démontrent une certaine souplesse de la part de l’employeur dans les horaires de travail de ses employés. Il ne peut donc être soutenu par la SAS Osean que M.[U] était soumis à un horaire collectif de travail.
La SAS Osean ne justifie pas du respect de son obligation d’établissement des documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour M.[U].
Cependant, en l’état des éléments de preuve versés aux débats par les deux parties, notamment en tenant compte de la circonstance que les courriels invoqués par M.[U] ont majoritairement été envoyés par ce dernier en avril 2015, qu’il ne verse aucun élément probant sur ses heures de prise de poste, que les salariés d’entreprise témoignent d’une grande latitude dans l’organisation des horaires de travail et qu’il ressort d’une partie des témoignages que M.[U] consacrait une partie de son temps de travail à des tâches personnelles, que le temps de travail allégué par ce dernier n’a pas été exclusivement consacré à l’accomplissement d’une prestation de travail au profit de la SAS Osean et qu’il n’apparaît donc pas qu’il a réalisé pour le compte de la SAS Osean des heures supplémentaires impayées.
Le jugement déféré, qui a débouté M.[U] de ses demandes de ce chef, sera en conséquence confirmé.
sur le licenciement pour faute grave’:
Il est de jurisprudence constante que la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise. Il est de principe que la charge de la preuve incombe à l’employeur, le salarié n’ayant rien à prouver.
En l’espèce, le 24 février 2017, M.[U] a été sanctionné d’un avertissement selon les terme suivants’:
« Le 18 janvier dernier, nous nous sommes entretenus concernant le bilan des travaux que vous avez réalisés sur le projet 460 LT Système d’écoute acoustique de fuites hydrauliques pour l’EDF.
Lors de rédaction de la réponse à appel d’offres, après avoir analysé le dossier vous m’avez indiqué par e-mail en juin 2016, une charge de travail de 1 mois pour pouvoir réaliser ces travaux. J’ai utilisé votre chiffrage pour bâtir mon devis.
Le projet a débuté en août 2016. En octobre 2016, votre temps passé sur ce projet dépassant le mois, je vous ai demandé votre état d’avancement. Vous m’avez répondu que lors de votre chiffrage vous aviez estimé 2 mois de travail mais que dans votre mail vous aviez fait une faute de frappe.
Début décembre 2016, votre temps passé sur ce projet dépassait trois mois, je vous ai demandé votre état d’avancement. Vous m’avez répondu que toutes les fonctionnalités étaient réalisées mais qu’il restait pas mal de petits détails à régler mais que tout serait terminé pour l’acceptation client avant les fêtes de fin d’année.
Lors de cette réunion du 18 janvier, vos travaux n’étant toujours pas terminés, je vous ai donc fait constater que les objectifs calendaires que vous m’aviez annoncés ont été très largement dépassés et que cela rendait cette affaire déficitaire et mettait en péril l’équilibre financier de la société.
A cela vous m’avez répondu que ce type de travail n’était pas votre spécialité et que je me devais de le savoir. Et pour conclure vous m’avez déclaré que cela vous importait peu.
Or, vous n’êtes pas sans savoir qu’en tant qu’ingénieur confirmé vous êtes tenu de remplir les tâches pour lesquelles vous êtes rémunéré dans les délais impartis surtout lorsque ces délais ont été fixés par vous-même.
Ces faits sont inacceptables et constituent un manquement à vos obligations et vos compétences’».
La lettre de licenciement qui lui a été adressée le 24 mars 2017 est rédigée dans les termes suivants’:
«’Je suis contraint de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, pour les motifs exposés au cours de cet entretien, et que vous trouverez rappelés ci-après.
«’Vous avez été embauché par la SAS Osean le 2 janvier 2006 en qualité d’ingénieur d’étude.
Au mois d’août 2016, vous avez été affecté sur le projet 460 LT système d’écoute acoustique de fuites hydrauliques pour EDF.
Suite aux larges retards accumulés dans la réalisation de ce projet, vous avez fait l’objet d’un avertissement que je vous ai remis en main propre le vendredi 24 février 2017.
Vous m’avez alors expressément traité « d’enculé » de manière agressive.
Je vous ai rappelé que vous n’aviez pas à me parler comme ça, ce à quoi vous m’avez répondu, toujours sur le même ton agressif : « T’es pas mon père », « je te conseille de changer très rapidement les codes d’accès au serveur car en appuyant sur une touche je peux effacer les données du serveur de la société ».
M.[X] , qui se rendait au local des imprimantes, et M.[C], dont le bureau jouxte le mien, ont tous deux été témoins de vos propos.
C’est suite à ces insultes et menaces que j’ai décidé de vous notifier une mise à pied à titre conservatoire et de vous convoquer à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
Etant en déplacement professionnel le lundi 27 février 2017, j’ai demandé à
M.[X] de vous notifier à votre arrivée la mesure de mise à pied à titre conservatoire, une lettre de convocation à un entretien préalable vous étant par ailleurs adressée par courrier RAR le 28 février 2017.
M.[X] vous a donc reçu dans son bureau le 27 février 2017 à votre arrivée en présence de M.[C], pour vous notifier la mesure de mise à pied à titre conservatoire.
M.[X] atteste que vous lui avez alors dit : « Rien à foutre de ton torche-cul, je vais me torcher le cul avec ! », ce que M.[C] confirme.
Vous avez en outre à cette occasion réitérer vos menaces d’effacer le serveur de la société en indiquant : « Avec mon clavier, sans faire exprès, je peux effacer le serveur de la société en appuyant sur une touche ».
Puis, vous avez conclu avant de partir par : « Saloperie de patron ».
Votre comportement est parfaitement intolérable.
D’une part, je vous rappelle que votre liberté d’expression n’est pas sans limite, et qu’il est inadmissible que vous profériez de telles insultes à mon égard et de surcroît en présence d’autres salariés de la société.
D’autre part, les menaces que vous avez proférées à plusieurs reprises sont également inacceptables.
Je vous rappelle à ce titre’ que la SAS Osean est une société d’ingénierie spécialisée dans un savoir-faire très particulier, à savoir l’étude et la réalisation de systèmes innovants capables d’évoluer en milieux hostiles.’
Il est donc évident que tous les documents, études et plans dont elle dispose sur son support informatique sont de la plus haute importance pour la poursuite de son activité.
La destruction de telles données mettrait ainsi directement en péril l’intégrité et la pérennité de la société.
En outre, le marché principal de la SAS Osean étant celui de la défense, la société fait l’objet d’une habilitation particulière « confidentiel défense » compte tenu des informations dont elle dispose et dont la divulgation serait de nature à nuire gravement à la défense nationale.
Vous êtes d’ailleurs vous-mêmes titulaire à titre personnel de cette habilitation compte tenu de la confidentialité des informations auxquelles vous avez accès dans le cadre de l’exécution de vos fonctions.
Ce qui rend vos menaces de destruction de données d’autant plus intolérables.
Au cours de l’entretien préalable du 10 mars 2017, vous avez indiqué que vos propos avaient été mal interprétés, et que vous souhaitiez simplement m’informer d’un manque de sécurité puisqu’une erreur de manipulation informatique, comme un appui sur une mauvaise touche, pouvait entraîner la destruction de toutes les données.
Que c’est pour cette raison que vous m’avez fait remarquer le 24 février 2017 que je devrais changer les codes d’accès au serveur, que vous avez vous-même créés, afin que je sois désormais le seul à les connaitre.
Vous avez en outre tenté de vous couvrir en m’adressant le 3 mars 2017, alors que vous étiez en mise à pied conservatoire, un courrier RAR m’alertant de certains points de sécurité à améliorer au sein de la société.
Or, je ne suis pas dupe de vos tentatives pour essayer de transformer vos menaces en recommandations afin de rétablir une situation conforme à vos obligations contractuelles.’
En effet, la société devrait pouvoir avoir toute confiance en vous sans qu’il soit besoin de modifier les codes d’accès dont vous avez connaissance.’
D’autant qu’il est évident que plusieurs manipulations sont nécessaires pour effacer intégralement le serveur, ce qui ne peut en conséquence résulter d’une simple erreur comme vous le prétendez.
Par ailleurs, il est manifeste que vos propos n’ont pas été mal interprétés et constituaient bien des menaces au regard du contexte et des insultes qui les accompagnaient, et de leur réitération devant MM.[X] et [C].
La gravité de votre comportement ne me permet pas de vous conserver plus longtemps au sein des effectifs de la société. Celle-ci ne peut en effet pas prendre le risque de conserver un salarié qui a menacé à plusieurs reprises d’effacer les données du serveur informatique, et de mettre par la même en péril la continuité de son activité.
De surcroît, ce n’est pas la première sanction dont vous faites l’objet puisque j’ai été contraint de vous notifier un avertissement le 24 février 2017 en raison de la mauvaise exécution de vos fonctions.
J’ai en conséquence décidé de vous licencier pour faute grave, en raison de la gravité des insultes et menaces que vous avez proférées à plusieurs reprises à l’égard de la société’».
Il n’est pas contesté par M.[U] qu’il s’est emporté verbalement lors de la notification par l’employeur de l’avertissement du 24 février 2017.
Ainsi, MM.[C] et [X], qui se trouvaient à proximité de M.[U] lors de la notification de l’avertissement du 24 février 2017 attestent notamment que M.[U] s’est emporté verbalement à cette occasion traitant son supérieur ‘d’enculé’ et expliquant qu’en appuyant sur une touche, il pouvait effacer toutes les données du serveur.
M.[U] a fait l’objet d’une mise à pied conservatoire qui lui a été notifiée le 27 février 2017 par M.[X], mandaté à cet effet par la direction de la SAS Osean.
Selon les témoignages de MM.[C] et [X], il s’est de nouveau emporté à cette occasion déclarant à propos de la lettre de mise à pied qui lui avait été remise, qu’il «’n’avait rien à foutre des torche-culs’» et qu’il «’allait se torcher le cul avec’», qu’il pouvait effacer les données du serveur de la société en appuyant sur une touche, qu’il avait déclaré «’saloperie de patron’» et qu’il était parti, très en colère.
La SAS Osean produit en outre divers témoignages qui établissent chez M.[U] un comportement inapproprié à l’égard de ses collègues de travail.
Ainsi, Mme [D], relate que M.[U] avait une attitude singulière, voire agressive envers elle ou certains collègues, si l’on avait un avis différent du sien, que le ton de ses propos montait rapidement pour les intimider et devenir agressif, que la communication était difficile avec M.[U], et plus particulièrement les deux dernières années, où il voulait toujours avoir raison et supportait mal la contradiction.
M.[L], ayant exercé des fonctions d’ingénieur chez la SAS Osean de juin 2015 à mai 2017, expose qu’il avait des relations tendues avec M.[U] qui avait du mal à accepter les erreurs relevées dans son travail.
M.[C], indique qu’il avait toujours été difficile de travailler avec M.[U] qui ne tenait pas compte des conseils et des ordres et que, depuis deux ans environ, son comportement avait changé et qu’il passait une partie de son temps à consulter Internet à propos de sujets personnels.
Mme [J], assistante de direction, relate qu’elle avait constaté à plusieurs reprises le comportement inadéquat de M.[U]’: propos élevés et ton menaçant à l’égard de la direction, vocabulaire injurieux et sautes d’humeur.
Il en ressort en conséquence que le comportement de M.[U] à l’égard de ses collègues de travail, de la direction de l’entreprise, caractérisé par des sautes d’humeur ou des propos injurieux, n’était pas exceptionnel. Par ailleurs, il n’est pas établi par M.[U] que ces agissements faisaient l’objet de la part de la SAS Osean d’une tolérance de la part de son employeur.
Il en résulte que, les 24 et 27 février 2017, M.[U] a adopté des propos extrêmement grossiers à l’égard de sa direction et menacé implicitement d’effacer les données de la société. Par ce comportement agressif et menaçant, peu important que, dans la réalité, il n’était pas possible de porter atteinte à l’intégrité de ces données, il a gravement porté atteinte au lien hiérarchique existant avec la direction de l’entreprise et mis en péril la relation de confiance avec celle-ci. Ces faits, par leur gravité, rendaient impossible son maintien dans l’entreprise et justifiaient par conséquent son licenciement pour faute grave. M.[U] sera en conséquence débouté de sa contestation de ce chef.
sur les autres demandes’:
sur l’exécution déloyale du contrat de travail’:
Selon l’avertissement notifié à M.[U], le 24 février 2017, il est reproché à M.[U], qui s’était engagé à réaliser une mission relevant de son domaine de compétence dans un délai d’un mois, de ne pas avoir mené à son terme ce projet qui avait commencé en août 2016.
La SAS Osean produit aux débats des courriels échangés avec M.[U] relatifs à la réalisation d’un logiciel pour une proposition EDF entre le 10 juin 2016 et le 6 décembre 2016 dont il ressort que M.[U] avait estimé la durée de réalisation à un mois, que M.[U], relancé par son employeur en octobre 2016, avait répondu qu’il avait commis une faute de frappe et que ce projet nécessitait deux mois de travail et que la SAS Osean avait demandé à plusieurs reprises à M.[U] des informations sur l’avancement de ce projet.
Il ne ressort aucunement des réponses apportées par M.[U] à la SAS Osean dans ces courriels ni des autres éléments de preuve versés à l’instance par M.[U] que ce retard peut être imputable à d’autres salariés de l’entreprise ou à des tensions existantes au sein de l’entreprise.
En conséquence que M.[U], qui s’était engagé à réaliser dans un délai déterminé une prestation relevant de son domaine de compétence, n’a pas accompli sa mission dans les délais fixés, sans motif légitime. Le prononcé à son encontre d’un avertissement à raison de ces manquements apparaît en conséquence justifié.
D’autre part, il a été retenu que M.[U] n’était pas fondée en sa demande en rappels sur heures supplémentaires.
M.[U] sera en conséquence débouté de sa demande en dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
sur la restitution des effets personnels’:
La seule production par M.[U] d’une liste qu’il a établie recensant des effets personnels restés en possession de la SAS Osean selon ses dires, qui n’est corroborée par aucun élément de preuve extérieur, ne peut suffire, en application du principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même, à démontrer qu’il demeure au sein de l’entreprise des affaires lui appartenant dont il serait fondé à solliciter la restitution. La demande qu’il forme de ce chef sera en conséquence rejetée.
Sur les mesures accessoires’:
Enfin M.[U], partie perdante qui sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, devra verser à la SAS Osean la somme de 2000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS’;
LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement’;
DECLARE M.[U] recevable en son appel’;
CONFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Toulon du 21 juin 2019′;
CONDAMNE M.[U] à payer à la SAS Osean la somme de 2’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes’;
CONDAMNE la SAS Osean aux dépens.
Le Greffier Le Président
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