COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 01 JUIN 2023
N° RG 21/01747 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MARK
S.A.R.L. AREN-ART
c/
Monsieur [J] [O]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 mars 2021 (R.G. 2020001147) par le Tribunal de Commerce d’ANGOULEME suivant déclaration d’appel du 23 mars 2021
APPELANTE :
S.A.R.L. AREN-ART, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 2]
représentée par Maître Christophe POUZIEUX de la SCP CMCP, avocat au barreau de CHARENTE
INTIMÉ :
Monsieur [J] [O], né le 17 Octobre 1980 à [Localité 5]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représenté par Maître Michèle BAUER, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 04 avril 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
La société Aren-Art, dont le dirigeant est M. [V], a pour activité principale l’organisation de spectacles et d’événements festifs sur le territoire français.
Elle a embauché M. [O] en qualité de directeur dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée le 2 janvier 2015.
Le 7 mai 2018, M. [O] a pris acte de la rupture de son contrat de travail en invoquant le non-paiement de son salaire depuis le mois de janvier 2018. Il a ensuite saisi le conseil des prud’hommes aux fins de voir requalifier sa prise d’acte de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse et afin d’obtenir le versement de diverses indemnités. Le conseil des prud’hommes a fait droit à sa demande en requalification et a condamné son employeur à lui verser diverses sommes, décision confirmée sur le principe de la requalification par la cour d’appel de Bordeaux et infirmé sur certains montants.
Le 23 mai 2018, la société Aren-Art a levé la clause de non-concurrence de son ancien salarié.
Le 10 décembre 2018, M. [O] a créé la société Novagency dont il a été nommé président. Cette dernière a pour objet social, l’ingénierie culturelle, la communication événementielle et le conseil en système d’information.
Par courrier recommandé du 08 février 2019, la société Aren-Art a mis en demeure M. [O] de lui restituer un ordinateur portable, un téléphone portable, un appareil photographique ainsi que des clefs appartenant à la société.
Par courrier du 04 avril 2019, la société Aren-Art a déposé plainte contre M. [O] auprès du procureur de la République d’Angoulême dénonçant la non restitution du matériel lui appartenant et la suppression du logiciel de paie.
Par acte d’huissier de justice du 17 février 2020, la société Aren-Art a assigné M. [O] devant le tribunal de commerce d’Angoulême aux fins de :
– voir constater que ce dernier se rendait coupable d’actes de concurrence déloyale, de le voir condamner à cesser toute action de ce type sous astreinte de 10 000 euros par infraction,
– d’obtenir sa condamnation à lui verser 300 000 euros de dommages et intérêts sur le fondement de la concurrence déloyale et 150 000 euros en indemnisation de la destruction volontaire de l’ensemble de ses données informatiques.
Par jugement contradictoire du 18 mars 2021, le tribunal de commerce d’Angoulême a:
– rejeté la demande de la société Aren-Art en cessation d’action de concurrence déloyale, et ce, sous astreinte, formulée contre M. [O],
– rejeté les demandes d’indemnisation de la société Aren-Art dirigées contre M. [O],
– rejeté la demande de restitution de matériels de la société Aren-Art,
– condamné la société Aren-Art à payer à M. [O] la somme de 1 500 euros,
– condamné la société Aren-Art à tous les dépens,
– dit que l’exécution provisoire de la décision est de droit,
– débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.
En substance, le tribunal a jugé que la société Arent Art :
– n’établissait pas que M. [O] avait supprimé le logiciel de paie, trafiqué le site internet de la société Aren-Art et de manière générale désorganisé l’entreprise,
– ne démontrait pas les actes de dénigrement allégués ni le risque de confusion, ni le détournement de sa clientèle.
Elle a en outre rejeté la demande de restitution des ordinateurs.
Par déclaration du 23 mars 2021, la société Aren-Art a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant M. [O].
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières écritures notifiées par RPVA le 20 décembre 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Aren-Art, demande à la cour de :
– vu les dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil,
– la dire et juger bien fondée en son appel
– en conséquence,
– réformer le jugement en date du 18 mars 2021 en ce qu’il a :
– rejeté sa demande en cessation d’action de concurrence déloyale et ce, sous astreinte, formulée contre M. [O],
– rejeté ses demandes d’indemnisation dirigées contre M. [O],
– rejeté sa demande de restitution de matériels,
– l’a condamné à payer à M. [O] la somme de 1 500 euros,
– l’a condamné aux entiers dépens,
– et statuant à nouveau,
– constater l’existence d’une situation de concurrence déloyale de la part de M. [O] à son égard,
– en conséquence,
– condamner M. [O] à cesser toute action de concurrence déloyale, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée,
– condamner M. [O] à lui verser, la somme de 300 000 euros, en indemnisation du préjudice de réputation commerciale résultant de la concurrence déloyale,
– condamner M. [O] à lui verser la somme de 150 000 euros au titre du préjudice provenant de la destruction volontaire de l’ensemble de ses données informatiques,
– condamner M. [O] à restituer les deux ordinateurs détournés sous astreinte de 1 000 euros par jour à compter de la signification du jugement à intervenir,
– débouter M. [O] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– condamner M. [O] à lui verser, la somme de 5 000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [O] aux entiers dépens.
Par dernières écritures notifiées par RPVA le 03 janvier 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [O], demande à la cour de :
– à titre principal,
– ordonner la nullité de la déclaration d’appel,
– par conséquent,
– ordonner l’irrecevabilité de l’appel de la société Aren-Art du 24 mars 2021,
– à titre subsidiaire,
– confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce le 18 mars 2021,
– condamner la société Aren-Art à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de l’instance.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 21 mars 2023 et le dossier a été fixé à l’audience du 04 avril 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS
sur la demande visant à voir constater la nullité de la déclaration d’appel :
1- L’article 901 du code de procédure civile dispose que la déclaration d’appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité :
1° La constitution de l’avocat de l’appelant ;
2° L’indication de la décision attaquée ;
3° L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;
4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
Elle est signée par l’avocat constitué. Elle est accompagnée d’une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d’inscription au rôle.
2- L’intimée soutient, que si la déclaration d’appel comprend bien les chefs de la décision expressément critiqués, elle ne mentionne pas l’objet de sa demande, à savoir la réformation de la décision. Elle ajoute qu’il n’est pas justifié que la pièce 10 produite par l’appelante et présentée comme une annexe à la déclaration d’appel a bien été jointe à la déclaration d’appel.
3- Il ressort de la consultation du réseau ‘RPVA’ que l’annexe produite en pièce 10 par l’appelante et comprenant explicitement la mention infirmation de la décision du 18 mars 2021 a bien été adressée au greffe en même temps que la déclaration d’appel et fait corps ainsi avec celle-ci.
4- La demande visant à voir prononcer la nullité de la déclaration d’appel sera rejetée.
Sur l’action en concurrence déloyale :
5- La société Aren-Art soutient que M. [O] a commis des actes de concurrence déloyale à son encontre lui occasionnant un préjudice qu’elle chiffre à 300 000 euros en la désorganisant, la dénigrant et en entretenant un risque de confusion entre l’activité de la société Aren-art et la sienne. Elle sollicite également le versement de la somme de 150 000 euros au titre du préjudice résultant de la destruction de ses données commerciales.
* sur la désorganisation interne :
6- L’appelante reproche à son ancien salarié d’avoir :
-supprimé le logiciel de paie, les liens avec diverses caisses et divers autres outils et documents entre le 15 mai 2018 et le 18 juin 2018,
– conservé le téléphone professionnel, l’ordinateur portable professionnel, un appareil photo et ses clés,
– rendu impossible l’accès au site de la société en ne communiquant pas ses codes,
– continué à utiliser le ‘google drive arenart’ qu’il avait créé tout en refusant l’accès de celui-ci à la société avant de le supprimer,
– conservé l’entière recette de la dernière soirée organisée sous sa responsabilité et d’avoir fait acquérir deux ordinateurs par la société pour son frère, M. [P] [O] et M. [X], désorganisant les finances de la société.
7- L’intimé conteste l’ensemble de ces griefs à l’exception de celui relatif à la conservation du téléphone professionnel et de l’ordinateur portable, arguant de l’utilité de leur contenu dans l’instance prud’homale l’opposant à son ancien employeur.
8- L’appelante n’a pas fait constater la suppression du logiciel de paie et des liens avec diverses caisses et divers autres outils dont elle fait état. L’attestation de la fille du gérant, [W] [V], qui expose que M. [O] a ‘écrasé’ le logiciel de paie à distance au moyen de l’ordinateur portable qu’il avait conservé n’est pas suffisamment probante pour établir une action malveillante de ce dernier.
9-S’agissant de l’accès aux différents sites et ‘google drive’ de la société, les juges de première instance ont à juste titre relevé qu’il appartenait à la société d’instaurer des règles de partage de l’accès aux différents sites et qu’elle ne peut reprocher à M. [O], dont l’adresse mail professionnelle avait été désactivée suite à son départ, de ne pas avoir prévu d’autres accès pour ses collaborateurs. Il apparaît en réalité que la désorganisation interne de l’entreprise n’est pas due à M. [O] mais au fait que celle-ci n’a pas su prendre rapidement les mesures adéquates suite au départ de son directeur. La société prestataire spécialisée en informatique chargée de modifier les accès témoigne d’ailleurs du fait que personne dans l’entreprise ne connaissait les mots de passe administrateur et que la réinitialisation du mot de passe ne pouvait être effectuée que grâce à l’adresse mail professionnelle de M. [O] (à l’exception du site summersound.fr) qui avait été supprimée.
10- En outre, la société appelante ne fournit aucune explication sur les raisons pour lesquelles M. [O] réglait lui-même l’abonnement de son téléphone professionnel et les mensualités d’hébergement du ‘google drive’ de la société.
11- Les premiers juges ont en outre à juste titre retenu que le mail adressé par M. [O] le 9 mai 2018 ( soit le surlendemain de son départ) à [W] ( [W] [V]) indiquait à celle-ci la marche à suivre suite à son départ, la personne à contacter pour l’hébergement des sites internet et mails, l’emplacement des codes (sur le drive) pour consulter les mails de la société à l’adresse [Courriel 3], l’emplacement du logiciel du paie etc… Le mail précisait qu’il payait l’hébergement du drive de la société et qu’elle pouvait prendre les documents et les mettre sur un autre cloud.
12- Aucune pièce ne vient étayer l’allégation de vol de numéraires. Il ne peut en outre être argué que l’achat de deux ordinateurs, dans des conditions qui seront évoquées dans un paragraphe ultérieur, a désorganisé les finances de la société.
13- Il n’est pas établi que M. [O] ait conservé un appareil photographique et des clefs.
14- S’agissant du téléphone et de l’ordinateur portable, l’employeur soutient à juste titre qu’il aurait dû les restituer. Il ne justifie cependant pas que M. [O] les ait utilisés pour désorganiser l’entreprise.
15- Il n’est pas établi d’acte de M. [O], autre que son départ soudain mais justifié, ayant conduit à une désorganisation interne de l’entreprise.
* sur le dénigrement :
16- L’appelante reproche à M. [O] de l’avoir dénigrée dans un article du journal La Charente libre du 19 juin 2018, ce dernier espérant selon elle attirer des clients vers sa société en cours de création.
17- M. [O] soutient qu’il a usé de sa liberté d’expression en indiquant au journaliste que les comptes de la société étaient dans le rouge.
18- La cour relève que les faits allégués, qui ont eu lieu à une seule reprise, s’inscrivent dans le contexte du procès prud’homal opposant les parties. Le journaliste a repris les argumentaire de chacune des parties, le dirigeant de la société Aren.art ayant traité M. [O] de ‘voleur’ et l’accusant de vouloir tuer son entreprise. M. [O] a en outre indiqué au journaliste ‘les comptes étaient dans le rouge, il était impossible de faire le moindre virement’. Cette simple affirmation, alors que M. [O] n’avait pas été payé par son employeur pendant plusieurs mois, ne s’analyse pas en un acte de dénigrement dans le cadre d’une concurrence déloyale.
19- Le dénigrement n’est pas établi.
* sur le risque de confusion :
20- L’appelante soutient que M. [O] a tenté de détourner de la clientèle en entretenant une confusion entre son ancienne société et celle qu’il avait créée; qu’il a tenté de récupérer la marque ‘Summer sound Festival’; qu’il fait usage sur son site d’éléments visuels dont les droits appartiennent incontestablement à la société Aren-Art; qu’il a pu conserver les clients détournés malgré le changement de domiciliation de son siège social.
21- Le procès-verbal produit aux débats qui retrace le contenu du site de la société créée par M. [O] ne démontre nullement une volonté de créer une confusion entre les deux sociétés. L’appelante n’indique d’ailleurs pas quels sont les éléments visuels qui auraient été repris dans le but de tromper la clientèle. Les attestations produites n’établissent pas plus ce risque de confusion. Enfin, et surtout, les juges de première instance, ont pertinemment relevé qu’il n’était pas apporté la preuve du détournement effectif d’un seul client.
22- Le risque de confusion n’est pas établi.
23- La décision de première instance sera confirmée en ce qu’elle a débouté la société Aren-Art de l’ensemble de ses demandes de mise en jeu de la responsabilité délictuelle de M. [O] sur le fondement de la concurrence déloyale, de sa demande d’indemnisation de sa perte de données et de sa demande visant à voir M. [O] condamner sous astreinte à cesser toute action de concurrence déloyale.
Sur la demande de restitution des ordinateurs :
24- L’appelante soutient que M.[O] a détourné deux ordinateurs de la société au profit de son frère [P] [O] et de M.[U] [X]. Il fait valoir que les attestations de ces derniers, complices de ce vol, ne sont pas probantes et que l’intimé ne justifie pas que l’un des ordinateurs a brûlé et a été remboursé par la ville de [Localité 4]. Il demande la restitution des deux ordinateurs
25- M. [O] affirme que l’un des ordinateurs a brûlé dans un local prêté par la ville de [Localité 4] qui a indemnisé par la suite la société Aren-Art. S’agissant du second ordinateur, il affirme que c’est M. [V] qui l’a donné à M. [P] [O] en contrepartie d’une prestation réalisée par celui-ci qu’il ne pouvait lui régler.
26-Il n’est pas contesté qu’aucun des deux ordinateurs n’est en la possession de M. [J] [O] qui ne peut dès lors être condamné à les restituer.
27-De manière surabondante, il sera indiqué qu’il est versé aux débats une délibération de la ville de [Localité 4] qui établit que celle-ci a indemnisé la société Aren-Art pour la perte de matériel suite à un incendie survenu dans ses locaux et que les conditions dans lesquelles M. [P] [O] s’est trouvé en possession d’un ordinateur payé par la société Aren-Art ne sont pas clairement établies.
28- La décision de première instance sera confirmée.
Sur les demandes accessoires :
29- La société Aren-Art qui succombe sera condamnée aux dépens de cette procédure d’appel.
30- Elle sera condamnée à verser la somme de 3000 euros à [J] [O] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,
Déboute la société Aren-Art de sa demande visant à voir prononcer la nullité de la déclaration d’appel,
Confirme la décision rendue le 18 mars 2021 par le tribunal de commerce d’Angoulême,
y ajoutant
Condamne la société Aren-Art aux dépens de cette procédure d’appel.
Condamne la société Aren-Art à verser la somme de 3000 euros à [J] [O] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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