AFFAIRE PRUD’HOMALE
DOUBLE RAPPORTEUR
N° RG 20/02112 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M5U2
[L]
C/
Société BODYCOTE
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON
du 03 Mars 2020
RG : 19/01131
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRET DU 07 Juin 2023
APPELANT :
[Z] [L]
né le 26 Septembre 1962 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Christian LALLEMENT de la SELARL LALLEMENT & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substitué par Me Olivier BEYER, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société BODYCOTE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Olivier GELLER de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 21 Mars 2023
Présidée par Joëlle DOAT, présidente et Nathalie ROCCI, conseiller, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Morgane GARCES, greffière
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Joëlle DOAT, présidente
– Nathalie ROCCI, conseiller
– Anne BRUNNER, conseiller
ARRET : CONTRADICTOIRE
rendu publiquement le 07 Juin 2023 par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société BODYCOTE développe une activité spécialisée dans le traitement thermique des métaux et applique les dispositions de la convention collective des industries métallurgiques
de la région du Rhône.
M. [L], intérimaire, a été mis à disposition de la société BODYCOTE aux termes d’un contrat de mission, qui s’est déroulé du 31 juillet 2017 au 31 octobre 2017, pour le motif suivant : ‘ Accroissement temporaire d’activité consécutif à la mise en place de l’ERP’.
Il a, par la suite, été engagé par la société BODYCOTE, sous contrat à durée déterminée, du 1er novembre 2017 au 31 janvier 2019, en qualité de comptable, catégorie Employé, coefficient 305, le contrat étant conclu pour une durée de 15 mois en vue de répondre à un accroissement temporaire d’activité lié à la mise place d’un nouvel ERP.
Par un avenant du 1er avril 2018, le motif de recours au contrat de travail à durée déterminée a été libellé comme suit:’en vue de répondre à un accroissement temporaire d’activité lié à la mise en place d’un nouvel ERP et à la nécessaire réorganisation de la comptabilité fournisseurs.’
Aux termes de cet avenant, M. [L] exerçait les fonctions de comptable, catégorie agent de maîtrise, niveau V, échelon 2, coefficient 335.
La relation de travail a pris fin le 31 janvier 2019, au terme contractuel .
Le 13 février 2019, par l’intermédiaire de son conseil, M. [L] a contestés les modalités d’exécution de la relation de travail .
Considérant qu’il avait exercé, tout au long de son intervention au sein de la société BODYCOTE SAS, des fonctions correspondant à un emploi permanent de la société, de sorte que le recours à un contrat de travail à durée déterminée n’était pas justifié, M. [L] a, par acte du 24 avril 2019, saisi le conseil des prud’hommes de Lyon d’une demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée depuis le 1er août 2017 et aux fins de condamnation de la société BODYCOTE à lui payer une indemnité de requalification, des indemnités de rupture ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour exécution déloyale.
Par jugement rendu le 3 mars 2020, le conseil de prud’hommes de Lyon a :
– Dit et jugé que :
‘ le contrat de travail de M. [L] à durée déterminée est justifié,
‘ la rémunération de M. [L] [Z] n’est pas discriminatoire,
‘ le contrat de travail a été exécuté de bonne foi,
– Débouté M. [L] de l’ensemble de ses demandes,
– Condamné M. [L] aux entiers dépens
La cour est saisie de l’appel interjeté le 16 mars 2020 par M. [L].
Par conclusions notifiées le 29 mai 2020, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, M. [L] demande à la cour de :
– Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 mars 2020 par le conseil de prud’hommes de Lyon
En conséquence de quoi
Sur la requalification du contrat de travail
– Requalifier la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée depuis le 1er août 2017
– Condamner la société BODYCOTE à lui payer les sommes suivantes :
* au titre de l’indemnité de requalification : 4 608.93 euros à titre principal, 3 250 euros à titre subsidiaire.
*dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 9 217,86 euros à titre principal, 6 500 euros à titre subsidiaire.
* indemnité compensatrice de préavis :
– à titre principal : 13 826,79 euros, outre 1 382,67 euros de congés payés afférents ;
– à titre subsidiaire : 9 750 euros, outre 975 euros de congés payés afférents.
– indemnité légale de licenciement :
– à titre principal : 2 016,40 euros
– à titre subsidiaire : 1 421,87 euros
Sur le caractère discriminatoire de sa rémunération :
– Juger que la rémunération qui lui a été octroyée est discriminatoire,
– Condamner la société BODYCOTE à lui payer au titre de rappel de salaire en vertu du principe « à travail égal salaire égal » la somme de 22.008,95 euros à titre de rappel de salaire et celle de 2.200,89 euros à titre de congés payés sur rappels de salaire
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail par la société BODYCOTE
– Condamner la société BODYCOTE à lui payer, à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :
-à titre principal : 9 217,86 euros
-à titre subsidiaire : 6 500 euros.
– Condamner la société BODYCOTE à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– Condamner la société BODYCOTE à supporter les entiers dépens de l’instance, en
application de l’article 696 du code de procédure civile
Par conclusions notifiées le 30 juillet 2020, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, la société BODYCOTE demande à la cour de :
– Confirmer le jugement
– Débouter en conséquence M. [L] de l’ensemble de ses demandes ;
Statuant à nouveau,
– Condamner M.[L] à payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner le même aux entiers dépens de l’instance.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 février 2023.
MOTIFS
I- Sur la demande de requalification :
M. [L] expose que sa demande de requalification est fondée sur les dispositions des articles L 1242-1 et suivants du code du travail, dés lors qu’elle concerne le contrat de travail à durée déterminée qui a suivi le contrat de travail temporaire et non sur les dispositions des articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail relatifs au contrat de travail temporaire.
Il soutient que le CDD conclu ne correspond pas aux critères énumérés par l’article L 1242-2 du code du travail en ce que le motif du recours au CDD est fictif.
M. [L] fait valoir que :
– le recours au CDD a été justifié par la mise en place d’un ERP, progiciel installé depuis près de deux années ;
– ce motif ne correspondait pas à la réalité des missions exercées ;
– ses fonctions au sein de la société BODYCOTE étaient bien plus étendues que celles figurant à son contrat de travail et correspondaient à un emploi permanent au sein de la société. Il en veut pour preuve le fait qu’il apparaissait dans l’organigramme de la société comme étant le responsable de plusieurs services (fournisseurs et trésorerie) et qu’il assurait en réalité les fonctions de responsable comptable au sein de différentes entités du groupe BODYCOTE ;
– ses fonctions et son positionnement hiérarchique ont largement évolué au fil des mois de collaboration au sein de la société ;
– les missions qu’il a exercées au sein de la société préexistaient à son embauche et étaient confiées à une autre salariée, [X] [C] ;
– au terme de son CDD de 15 mois au sein de la société BODYCOTE, il a été remplacé dans ses fonctions de responsable du service trésorerie par M. [J] [N] ;
– sa mission était permanente et a été présentée comme telle à ses collaborateurs et interlocuteurs.
M. [L] souligne qu’il a été recruté par la société BODYCOTE avec l’assurance que le poste à pourvoir était en CDI et qu’à l’issue de son contrat de travail à durée déterminée, la société BODYCOTE a effectué un nouveau recrutement en CDD pour pourvoir le même poste.
La société BODYCOTE expose que :
– le contrat de travail à durée déterminée conclu le 1er novembre 2017 fait mention du motif suivant : ‘ Accroissement temporaire d’activité consécutif à la mise en place de l’ERP’ ;
– elle justifie de ce motif de recours depuis le 31 juillet 2017 ;
– le groupe a décidé de mettre en place un nouvel ERP, logiciel de gestion intégrée, en février 2016, initialement dans les trois domaines de la finance, des achats et de la production ;
– cette mise en place n’est finalement intervenue que dans les domaines de la finance et des achats, impactant les équipes Finance et Achats ainsi que les sites de production, les salariés sur sites ayant été formés à ce nouvel outil au cours de l’année 2017,
– au niveau du service comptable, tant l’intégration de ce nouvel outil, que les rapprochements manuels à réaliser, ont généré un surcroît d’activité,
– à compter du 1er avril 2018 :
* le contrat de travail à durée déterminée conclu par M. [L] a été modifié, le motif de recours étant désormais libellé comme suit :
‘Accroissement temporaire d’activité lié à la mise en place d’un nouvel ERP et à la nécessaire réorganisation de la comptabilité fournisseurs.’
* M. [L] a bénéficié d’une réévaluation de son statut ainsi que d’une augmentation de sa rémunération ;
* M. [L] s’est vu confier, en sus, des missions de comptabilité fournisseurs, auparavant supportées par Mme [R], contrôleur de gestion, cette dernière conservant l’analyse et la gestion stratégique.
La société BODYCOTE ajoute que :
– M. [L] n’a pas été remplacé, au terme de son contrat à durée déterminée, le 31 janvier 2019 ;
– le seul recrutement opéré l’a été à un poste de niveau supérieur, soit le poste de
Responsable Comptable occupé par M.[S] [W], remplacé le 17 janvier 2019, par M.[J] [N] ;
– les organigrammes reconstitués de décembre 2018 à juin 2019, révèlent que :
* la gestion des sociétés Nitruvid et des Holding a été répartie entre Mme [V] et M. [D] (CDI) ;
* les tâches de comptabilité fournisseurs ont été réparties entre les trois contrats à durée indéterminée présents (Mmme [U] et M. [P]) ;
* les tâches liées à la Trésorerie ont diminué et ont été reprises uniquement par M. [Y], selon une nouvelle mission d’intérim, remplaçant M. [H].
La société BODYCOTE conclut que M. [L] n’a jamais été engagé en qualité de responsable comptable ; que cette qualification est erronée et ne résulte ni de son organigramme, ni de son emploi au sein de la société; que M. [L] agissait sous l’autorité de M. [W], responsable comptable, puis sous l’autorité de M. [N].
****
Il convient de constater au préalable que M. [L] qui fonde sa demande de requalification sur les articles L 1242-1 et suivants du code du travail, et précise expressément que cette demande ne concerne que le contrat de travail à durée déterminée, ne saurait dans ces conditions, solliciter que la requalification de la relation de travail prenne effet au 1er août 2017, date du début du contrat de mission.
L’article L. 1242-1 du code du travail énonce :
‘ Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.’
L’article L. 1242-2 du code du travail dispose que :
« Sous réserve des dispositions de l’article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants :
1° Remplacement d’un salarié en cas :
a) D’absence ;
b) De passage provisoire à temps partiel, conclu par avenant à son contrat de travail ou par
échange écrit entre ce salarié et son employeur ;
c) De suspension de son contrat de travail ;
d) De départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du
comité social et économique, s’il existe ;
e) D’attente de l’entrée en service effective du salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ;
2° Accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;
3° Emplois à caractère saisonnier, dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs ou emplois pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. Lorsque la durée du contrat de travail est inférieure à un mois, un seul bulletin de paie est émis par l’employeur ;
4° Remplacement d’un chef d’entreprise artisanale, industrielle ou commerciale, d’une personne exerçant une profession libérale, de son conjoint participant effectivement à l’activité de l’entreprise à titre professionnel et habituel ou d’un associé non salarié d’une société civile professionnelle, d’une société civile de moyens d’une société d’exercice libéral ou de toute autre personne morale exerçant une profession libérale ;
5° Remplacement du chef d’une exploitation agricole ou d’une entreprise mentionnée aux 1° à 4° de l’article L. 722-1 du code rural et de la pêche maritime, d’un aide familial, d’un associé d’exploitation, ou de leur conjoint mentionné à l’article L. 722-10 du même code dès lors qu’il participe effectivement à l’activité de l’exploitation agricole ou de l’entreprise ;
6° Recrutement d’ingénieurs et de cadres, au sens des conventions collectives, en vue de la réalisation d’un objet défini lorsqu’un accord de branche étendu ou, à défaut, un accord d’entreprise le prévoit et qu’il définit :
a) Les nécessités économiques auxquelles ces contrats sont susceptibles d’apporter une réponse adaptée ;
b) Les conditions dans lesquelles les salariés sous contrat à durée déterminée à objet défini
bénéficient de garanties relatives à l’aide au reclassement, à la validation des acquis de l’expérience, à la priorité de réembauche et à l’accès à la formation professionnelle continue et peuvent, au cours du délai de prévenance, mobiliser les moyens disponibles pour organiser la suite de leur parcours professionnel ;
c) Les conditions dans lesquelles les salariés sous contrat à durée déterminée à objet défini ont priorité d’accès aux emplois en contrat à durée indéterminée dans l’entreprise. »
Le contrat de travail à durée déterminée doit comporter la définition précise de son motif et le cas légal de recours auquel celui-ci correspond et il appartient à l’employeur de prouver la réalité de ce motif.
Le motif initialement invoqué est celui d’un accroissement temporaire d’activité lié à la mise en place d’un nouvel ERP. Il s’agit du motif visé par la société BODYCOTE depuis le 31 juillet 2017, date du contrat de mise à disposition de M. [L] auprès de la société BODYCOTE, par la société de travail temporaire Expectra.
La cour observe que M. [L] ne conteste pas la licéité du contrat de mission sur le fondement de l’article L. 1251-5 du code du travail, mais le motif du recours au contrat de travail à durée déterminée. Il invoque le caractère fictif de ce motif en faisant valoir que le nouveau progiciel a été mis en place au 1er janvier 2016, avec une reprise des soldes de clôture au 31 décembre 2015.
La société BODYCOTE soutient, sur ce point, qu’il a été décidé par le groupe, de mettre en place un nouvel ERP, logiciel de gestion intégrée, en février 2016, initialement dans les trois domaines de la finance, des achats et de la production et que les salariés sur sites ont été formés à ce nouvel outil au cours de l’année 2017.
M. [O], directeur administratif et financier précise que : ‘(…) L’ERP n’a finalement pas été mis en place pour la gestion de la production, alors que cela avait été prévu à l’origine, ce qui a également entraîné un travail supplémentaire au niveau du service comptable en raison de tous les rapprochements manuels à réaliser.
Enfin, en 2017 et 2018, plusieurs tentatives d’intégration des immobilisations ont eu lieu mais ont échoué, ce qui a nécessité un surcroît de travail de la part des équipes comptables et finance (…)’
Il en résulte que si l’accroissement temporaire d’activité lié à la mise en place de l’ERP n’est pas contesté par M. [L] pour la période du contrat de travail temporaire, le salarié justifie cependant, par la production de différents échanges de courriels, qu’il a été présenté à compter du 2 août 2017, comme le successeur de Mme [X] [C] à la gestion du poste trésorerie.
Ainsi, Mme [F] indiquait le 18 octobre 2017: ‘La refacturation a été remise en compta sur le poste de Trésorerie. [X] ayant quitté la société et [Z] ( [L]) lui ayant succédé, c’est désormais [Z] qui s’en occupe.’
Et la cour observe que les organigrammes produits aux débats par la société BODYCOTE , dans leurs versions en vigueur en décembre 2018 et en juin 2019 mentionnent, pour le poste Trésorerie, exclusivement des salariés intérimaires soit M. [L] et M. [H] en décembre 2018 et M. [Y] en juin 2019, de sorte qu’il apparaît que le poste Trésorerie n’a pas été pourvu par un contrat de travail à durée indéterminée depuis le mois d’août 2017 et que la mission de M. [L] sur ce poste s’est poursuivie dans le cadre du contrat de travail à durée déterminée débuté le 1er novembre 2017 ainsi qu’en attestent les échanges de courriels du mois de janvier 2018 avec Mme [A] [I], responsable juridique et crédit clients de la société BODYCOTE, laquelle indiquait: ‘(…) En ce qui concerne les banques merci de voir avec [S] et [Z] [L] qui a repris la trésorerie depuis plusieurs mois.’
M. [L] soutient par ailleurs qu’il a été nommé responsable du service fournisseurs à partir du 1er avril 2018, en remplacement de Mme [K] [R]. Il s’appuie là encore sur différents échanges de courriels dont il ressort que le service fournisseurs lui a été confié et notamment sur un courriel de Mme [R] du 6 avril 2018 indiquant :
‘ A partir du 1er avril, je ne suis plus responsable du service Fournisseurs. C’est [Z] [L] qui reprend cette fonction ( incluant la partie reporting)
Toutes les questions éventuelles sur les écritures doivent lui être adressées directement.’
Il apparaît que sous couvert d’un accroissement temporaire d’activité lié à la mise en place d’un nouvel ERP, la société BODYCOTE a, par un contrat à durée déterminée, pallié les départs de deux salariés occupant des emplois relevant de l’activité habituelle et permanente de l’entreprise. En effet, la société BODYCOTE ne justifie par aucun élément avoir procédé à la réorganisation du service fournisseurs en raison de la mobilisation persistante des effectifs permanents dans la mise en oeuvre de l’ERP.
La société BODYCOTE ne justifie pas de raisons objectives reposant sur des éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par M. [L].
Il en résulte que la société BODYCOTE ne justifie pas que le contrat à durée déterminée du
1er novembre 2017 au 31 janvier 2019 et son avenant du 1er avril 2018 étaient justifiés par la nécessité de répondre à un accroissement temporaire d’activité lié à la mise en place d’un nouvel ERP et à la nécessaire réorganisation de la comptabilité fournisseurs.
En conséquence le dit contrat à durée déterminée est réputé avoir été conclu pour une durée indéterminée, de sorte que M. [L] est fondé en sa demande de requalification.
Le jugement déféré qui a débouté M. [L] de l’ensemble de ces demandes, sera infirmé.
II. Sur le caractère discriminatoire de la rémunération de M. [L] :
M. [L] soutient qu’exerçant les mêmes fonctions que Mme [R], il aurait dû percevoir un salaire équivalent au sien , soit un salaire mensuel de 4 608,93 euros.
M. [L] indique par ailleurs, s’agissant de la comptabilité générale, que les dossiers étaient répartis de manière équitable entre trois collaborateurs, M. [D], Mme [V] et lui-même ; que pour les mêmes fonctions, Mme [V] se voyait allouer une rémunération annuelle de 44 692 euros et M. [D], une rémunération annuelle de 46 893 euros.
Le salarié conclut au non respect du principe d’égalité des rémunérations entre les collaborateurs et à la discrimination salariale.
M. [L] sollicite un rappel de salaire de 22.008,95 euros, outre 2 200,89 euros de congés payés se décomposant comme suit :
* 1 683,93 euros par mois pour la période du 1er novembre 2017 au 1er avril 2018, soit la somme de 8 419,65 euros
* 1 358,93 euros par mois du 1er avril 2018 au 31 janvier 2019, soit la somme de 13 589,30 euros.
La société BODYCOTE expose que :
– la qualification de discrimination salariale doit nécessairement être écartée en l’absence d’identification d’un motif prohibé ;
– M.[L] ne démontre pas être placé dans une situation identique à celle de Mme [R], laquelle dispose d’une ancienneté de 39 ans au sein du groupe BODYCOTE et occupe depuis le mois d’avril 2017 le poste de contrôleur de gestion au statut de cadre ;
– M. [L] n’a assuré aucune mission d’encadrement et n’a pas repris l’ensemble des tâches effectuées par Mme [R] ;
– M. [L] a bénéficié à compter du 1er avril 2018 d’une revalorisation de son statut et de son salaire ;
– les calculs proposés par M. [L] sont viciés, celui-ci croyant devoir solliciter des rappels de salaire à la date du 1er novembre 2017, tout en admettant avoir repris une partie des fonctions de Mme [R] à la date du 1er avril 2018 ;
– s’agissant de la situation de Mme [V] et M. [D] :
* Mme [V] disposait d’une ancienneté de 22 ans et M. [D] de 17 années ;
* Mme [V] et M. [D] occupent les fonctions de responsable comptable depuis décembre 2018
* M. [L] ne procédait pas à certaines opérations comme la clôture comptable et n’avait aucun lien avec les directeurs de site.
****
M. [L] n’invoque aucun des motifs de discrimination visés par l’article L. 1132-1 du code du travail relatif au principe de non discrimination.
Le principe de l’égalité de traitement également invoqué par M. [L] impose à l’employeur d’assurer une égalité de rémunération entre tous les salariés de l’entreprise à condition que ces salariés soient placés dans une situation identique.
En l’espèce, il apparaît que Mme [R] occupe un poste de contrôleur de gestion statut cadre position II, et son ancienneté au sein de la société BODYCOTE n’est pas contestée par M. [L] qui ne justifie pas, dans ces conditions, avoir été placé dans une situation identique à cette salariée.
En ce qui concerne Mme [V] et M. [D], M. [L] a bénéficié à compter du 1er avril 2018 de la même classification que ces deux comptables, à savoir : agent de maîtrise de niveau V, échelon 2 coefficient 335. Tandis que le salaire de base de M. [L] au 1er avril 2018 était de 3 000 euros, celui de Mme [V] était de 3 131,40 euros et celui de M. [D] de 3 312,39 euros, soit une différence de taux horaire de 0,88 euros entre M. [L] et Mme [V] et une différence de 2,08 euros entre le taux horaire appliqué à M. [L] et celui appliqué à M. [D].
Compte tenu de l’ancienneté de ces deux salariés affectés au service de comptabilité générale, M. [L] qui ne justifie pas d’une expérience équivalente, que ce soit au sein de la société ou dans un autre emploi, ne peut prétendre avoir été placé dans une situation identique.
Il en résulte l’absence d’élément laissant supposer une situation de discrimination et l’absence de violation du principe à travail égal, salaire égal. M. [L] est par conséquent débouté de sa demande de rappel de salaire.
III- Sur les conséquences de la requalification :
La société BODYCOTE soutient que :
– il n’est pas démontré que la rupture des relations contractuelles serait intervenue à son initiative, ni même que le demandeur se serait tenu à la disposition de la société ;
– l’embauche de M. [N] en qualité de responsable comptable est étrangère aux débats dés lors qu’il n’a pas remplacé M. [L] ;
– l’indemnité de requalification doit être calculée par référence au dernier salaire effectivement perçu avant la saisine du conseil, soit en l’espèce la somme de 3 000 euros bruts, et non sur la base d’un salaire de référence ;
– pour le calcul de l’indemnité de licenciement, il convient de retenir le salaire mensuel de
3 250 euros correspondant aux six derniers mois ;
– M. [L] ne prouve ni n’allègue l’existence d’aucun préjudice au titre de la rupture.
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– sur l’indemnité de requalification :
L’article L. 1245-2 alinéa 2 du code du travail énonce: « Lorsque le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Cette disposition s’applique sans préjudice de l’application des dispositions du titre III du présent livre relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée.».
En application de ce texte, le montant minimum de l’ indemnité de requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est calculé selon la moyenne de salaire mensuel dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prud’homale. Cette moyenne de salaire mensuel doit être déterminée au regard de l’ensemble des éléments de salaire, y compris lorsqu’ils ont une périodicité supérieure au mois.
En l’espèce, au dernier état de la relation contractuelle, le salaire moyen est de 3 000 euros auquel il convient d’ajouter la prime liée à l’activité spécialement rattachée au mois de janvier 2019, d’un montant de 250 euros.
La société BODYCOTE est par conséquent condamnée à payer à M. [L] la somme de 3 250 euros à titre d’indemnité de requalification.
La requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée prive l’employeur du droit de se prévaloir du terme du contrat de travail, de sorte que la rupture du contrat de travail s’analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– sur le préavis :
L’article 46 de la convention collective de la métallurgie du Rhône énonce que: ‘En cas de rupture du contrat de travail, la durée du préavis réciproque , sauf en cas de faute grave ou de force majeure, sera égale à trois mois pour les mensuels occupant un emploi classé au niveau V (…)’
La société BODYCOTE est condamnée à payer à M. [L] la somme de 9 750 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 975 euros de congés payés afférents.
– sur l’indemnité de licenciement :
L’article 47 de la convention collective de la métallurgie du Rhône prévoit que: ‘Le salarié licencié alors qu’il compte, à la date d’envoi de la lettre de notification du licenciement, une année d’ancienneté au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement distincte du préavis(…).
Ce texte indique que l’ancienneté du salarié est appréciée à la date de fin du préavis exécuté ou non. (…)
L’article 47 prévoit un taux d’indemnité en fonction de l’ancienneté du salarié. Ainsi, pour une ancienneté comprise entre 1 an et 2 ans, ce qui est le cas de M. [L], le montant de l’indemnité est de 0,4 mois de salaire de référence. M. [L] percevra, en application de ce texte, la somme de 1 300 euros (3 250 x0,4), et sera débouté de sa demande pour le surplus.
– sur les dommages-intérêts au titre de la rupture du contrat de travail :
En application des dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2007-1387 du 22 septembre 2017, M. [L] dont l’ancienneté dans l’entreprise est d’une année complète, peut prétendre à une indemnité comprise entre un et deux mois de salaire brut.
Il y a lieu de condamner la société BODYCOTE à payer au salarié la somme de 3 250 euros brut en réparation de son préjudice causé par la rupture injustifiée du contrat de travail requalifié.
IV- Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :
M. [L] sollicite la condamnation de la société BODYCOTE à lui payer deux mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. Il fait valoir à ce titre son embauche suivant un contrat précaire pour exécuter une mission permanente et durable au sein de l’entreprise, sa rémunération en deçà de celle des autres collaborateurs, ainsi que le non respect de la promesse de son recrutement en contrat à durée indéterminée.
La société BODYCOTE s’oppose à cette demande en soutenant qu’elle n’a jamais formulé une promesse d’embauche, ni évoqué une telle perspective et souligne que M. [L] admet que ladite promesse aurait été formulée par l’agence d’intérim en produisant un courrier électronique contesté de ladite agence de travail temporaire.
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L’existence d’une promesse d’embauche non tenue ne résulte pas des éléments du débat et l’inégalité de traitement n’est pas établie au terme des développements ci-avant.
En ce qui concerne le recours à un contrat précaire pour pourvoir une mission permanente et durable de l’entreprise, le préjudice de M. [L] est indemnisé par l’allocation d’une indemnité de requalification et le salarié ne justifie pas d’un préjudice distinct non intégralement réparé par cette indemnité.
M. [L] est par conséquent débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail.
– Sur les demandes accessoires :
Les dépens de première instance et d’appel, suivant le principal, seront supportés par la société BODYCOTE.
L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et en cause d’appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la demande de rappel de salaire et la demande de dommages et intérêts fondée sur l’exécution déloyale du contrat de travail
INFIRME le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions
STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que le contrat de travail à durée déterminée du 1er novembre 2017 doit être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée
CONDAMNE la société BODYCOTE à payer à M. [L] les sommes suivantes :
* 3 250 euros à titre d’indemnité de requalification
* 9 750 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 975 euros de congés payés afférents
* 1 300 euros à titre d’indemnité de licenciement
* 3 250 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail
CONDAMNE la société BODYCOTE à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel
CONDAMNE la société BODYCOTE aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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