Droit du logiciel : 8 juin 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01994

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Droit du logiciel : 8 juin 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01994

N° RG 21/01994 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IYT4

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 08 JUIN 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES D’EVREUX du 27 Avril 2021

APPELANTE :

S.A.S. EUROFOIL FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Marine FREÇON-KAROUT, avocat au barreau de VERSAILLES

INTIME :

Monsieur [G] [B]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Céline VERDIER de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de l’EURE substituée par Me Cassandre BROGNIART, avocat au barreau de l’EURE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 26 Avril 2023 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 26 Avril 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 08 Juin 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 08 Juin 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société Eurofoil (la société ou l’employeur) est spécialisée dans la production et la commercialisation de feuilles d’aluminium et d’emballages.

Elle emploie 188 salariés et applique la convention collective nationale de la métallurgie des ingénieurs et des cadres.

M. [B] (le salarié) a été embauché par la société en qualité de directeur financier adjoint aux termes d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 28 octobre 2014.

Par avenant en date du 1er septembre 2016, il a été promu directeur financier, statut cadre, position II indice 135 de la convention collective.

Il était prévu une rémunération fixe de 85 000 euros annuels ainsi que le versement d’une rémunération variable pouvant aller jusqu’à 14 % de la rémunération brute annuelle en fonction des objectifs.

M. [B] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 17 mars 2020 par lettre du 6 mars précédent, mis à pied à titre conservatoire puis licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 31 mars 2020 motivée comme suit :

‘Nous avons été contraints de vous convoquer le 6 mars 2020 à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à votre licenciement pour faute grave en application des dispositions des articles L 1332-2 et L 1232-2 du code du travail.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous étaient reprochés, nous vous avons notifié une mesure de mise à pied à titre conservatoire dans l’attente de la décision à intervenir.

A votre demande, cet entretien a, dans un premier temps été reprogrammé au 27 mars dernier avec le signataire de la présente à notre siège de [Localité 5]. Toutefois, compte tenu des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de Covid 19 et aux strictes mesures de confinement imposées, nous vous avons proposé le 23 mars de répondre par écrit aux griefs qui vous ont été exposés précisément sous la même forme.

Les éléments que vous avez fait valoir en réponse à nos griefs par courrier du 25 mars 2020 n’ont pas été de nature à modifier l’appréciation que nous avions de la gravité des faits et nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave pour les principaux motifs suivants:

Vous occupez au sein de notre structure depuis le 1er septembre 2016, le poste de directeur financier après avoir occupé entre le 28 octobre 2014 et cette date, le poste de directeur financier adjoint.

En qualité de directeur financier, vous avez notamment la responsabilité du service Finance-Comptabilité-Achats et d’une équipe composée de 5 personnes et vous faites partie du Codir de notre société aux côtés du Président-Directeur général, de la DRH, du directeur qualité et de la directrice Supply Chain.

Sur les relations avec les membres de votre équipe et l’AT de Madame [M]

L’événement du 21/01/20 avec Madame [M], votre collaboratrice directe en tant que comptable principale, nous a conduits à diligenter une enquête en lien avec les membres du CSE et l’inspection du travail compte tenu de l’inquiétude suscitée tant par ses propos que par l’état de choc dans lequel cette collaboratrice se trouvait alors.

Vos propos visant d’une part à minimiser la gravité des faits et d’autre part, à suggérer que nous manipulons les événements graves qui se sont déroulés ce jour-là dans le seul but de vous porter préjudice sont inadmissibles et ce n’est pas la première fois que nous devons rectifier vos propos ambigus.

Ainsi, la détresse et l’état de choc dans lequel nous avons trouvé B.[M] le 21 janvier 2020, après une altercation avec vous, son supérieur hiérarchique, sont constitutifs d’une crise d’angoisse avec toutes les caractéristiques physiques ( palpitations, sueurs, tremblements, douleurs thoraciques, vomissements à plusieurs reprises, etc…) et cet épisode étant intervenu sur son lieu de travail et durant ses horaires de travail, une déclaration d’accident de travail a évidemment été régularisée et ce dans les délais impartis suivant la survenance de cet accident.

Vous qualifiez l’échange que vous avez eu avec elle ce jour-là de ‘motif sans importance’, vous ne semblez pas avoir perçu la moindre dégradation de l’état de santé de Madame [M], vous n’envisagez nullement de remettre en cause vos méthodes de management et vous qualifiez de ‘très bonnes’ les relations professionnelles avec cette salariée en invoquant pour témoins ses entretiens annuels.

Outre le fait que le dernier entretien date de février 2017, puisqu’aucun entretien n’a été réalisé ou tout le moins transmis aux RH en 2018 et 2019, ces éléments attestent du décalage entre votre perception et celle des membres de votre équipe que nous avons interrogé à la suite de cet événement.

Conformément à nos process internes un arbre des causes (ADC) a été réalisé entre les 3 et 7 février et présenté le 14.02.20 aux intéressés. Le 19.02.20, l’inspecteur du travail, en visite sur notre site, a confirmé qu’une enquête direction s’imposait, elle a été réalisée du 21.02.20 au 04.03.20 et sa synthèse a été présentée le 06.03.20 à la direction et vous avez été convoqué le même jour.

Cette enquête, réalisée dans des conditions tout à fait normales, contrairement à ce que vous semblez invoquer, a révélé un nombre important de dysfonctionnements au sein de votre service et des carences managériales préoccupantes.

Sur les dysfonctionnements au sein du service Finance-Compta-Achats, nous ont été remontés:

– une mauvaise gestion de la charge de travail de vos collaborateurs,

– des contradictions dans les demandes adressées à vos collaborateurs qui sont de ce fait déstabilisés,

– des carences dans la transmission d’informations pour la bonne réalisation des tâches,

– et dans certains cas, des délégations de tâches vous incombant en tant que responsable.

Vous êtes considéré en interne comme étant très pessimiste, insuffisamment collaboratif et délégatif et nous déplorons que l’ensemble de ces comportements nuisent aux relations au sein de l’équipe et de manière générale au sein de l’entreprise.

Vos carences managériales sont révélées par les constats suivants:

– absence de délégation qui est ressentie par vos équipes comme un manque de confiance en eux, ce que vous ne déniez d’ailleurs pas,

– des réunions d’équipe trop rares et des objectifs non fixés,

– des instructions incomplètes et parfois contradictoires son également des éléments attestant des carences de communication mais sont même vécues encore plus douloureusement par certains qui ont fait part de paroles non appropriées et blessantes de votre part à leur égard,

– une absence totale de reconnaissance dans le travail réalisé par vos équipes,

– une absence de reconnaissance de vos propres erreurs à l’égard de vos équipes même lorsqu’elles ont été vigoureusement prises à partie pour avoir défendu une position contraire à la vôtre et qui s’est finalement révélée correcte ( ex: échanges sur l’externalisation de la paye ou sur les IJSS)

– des collaborateurs qui se sentent inutiles et rabaissés par vos commentaires sur leur travail,

– un mode de communication trop souvent inutilement agressif et polémique,

– il nous a ainsi été rapporté le malaise causé par le ton de reproche permanent que vous adoptez envers vos équipes mais également envers vos homologues,

– les membres de l’équipe invoquent des événements similaires plus fréquents ces derniers temps très souvent avec [Y] [M] mais également parfois avec d’autres membres de l’équipe,

– manifestement vous ne mesurez pas l’impact de vos propos sur vos collaborateurs ( exemple de propos à [H] [A] ‘si tu n’es pas contente, la porte est ouverte et saches que si tu pars, ce sera un abandon de poste’ propos qui l’ont d’autant plus blessée qu’ils avaient été tenus par vous à l’attention de [Y] [M] à plusieurs reprises, quelques temps avant dans un contexte de dégradation de vos relations professionnelles),

– aucune conscience de vos carences et de votre mode de communication inadapté puisque lorsque vous êtes interrogé sur cet épisode fin décembre 2019 avec [H] [A], comptable-client, vous évoquez un ‘recadrage light’ qui est, selon vous, un ‘épiphénomène’ alors que la salariée concernée était dans un tel état de choc face à la manière dont vous vous étiez adressé à elle qu’elle a alerté nos représentants du personnel et qu’elle a dû se rendre à l’infirmerie pour se protéger et éviter des conséquences plus dramatiques,

– il n’est nullement dans notre intention de sur-dramatiser cet événement mais nous déplorons de constater le décalage entre votre perception des événements et le ressenti de vos équipes.

– plusieurs collaborateurs de votre équipe ont ainsi exprimé le souhaite de quitter l’entreprise en lien avec vos méthodes managériales et vos carences en termes de communication ( manque de soutien, manque de suivi, manque de cohésion, etc…) alors que, lorsque vous êtes interrogé, vous indiquez ‘aucun problème de communication/ aucun problème avec l’équipe’! Une fois encore en réponse à ce grief, vous répondez sur si A. [J] a fait part de son souhait de partir ce n’est certainement pas de votre fait mais à cause d'[V] [W]. La lecture de la lettre de demande de rupture conventionnelle et l’historique de vos relations avec cette salariée démontrent bien évidemment le contraire.

– Est-il utile d’ajouter qu’une de vos anciennes collaboratrices, Madame [E] [S] a saisi le conseil de prud’hommes en demandant la condamnation de la société notamment pour harcèlement moral de la part de son manager, à savoir vous-même’

Nous déplorons les conséquences graves de ces événements sur l’état de santé notamment psychique de B. [M] puisqu’elle est arrêtée depuis 2 mois depuis l’événement du 21 janvier dernier qui a été déclaré et reconnu en tant qu’accident du travail compte tenu des circonstances dans lesquels il est intervenue et de l’arbre des causes réalisé.

L’employeur est débiteur d’une obligation de sécurité de résultat et face à la gravité des faits et des conséquences pour votre collaboratrice directe mais également face à votre absence de remise en cause et de réaction face à ces événements successifs et compte tenu enfin des relations tendues avec le Codir également, une procédure disciplinaire devait être initiée.

Nous devons ajouter que si la DRH a accepté de répondre au questionnaire de l’enquête vous concernant, c’est parce qu’elle a été très directement témoin de l’accident de Madame [M]. Qu’en revanche, elle a refusé de mener cette enquête compte tenu de vos relations très dégradées et puisqu’elle a notamment présenté sa démission concomitamment en l’expliquant principalement par les problèmes relationnels qu’elle avait avec vous et les attaques régulières et la remise en cause quotidienne de son travail et de ses qualités professionnelles qu’elle subissait.

Nous regrettons qu’à plusieurs reprises dans votre dernière lettre vous sembliez ‘ne pas voir le problème’, que vous ne voyiez pas ce à qui nous faisons allusion lorsque nous évoquons des demandes contradictoires de votre part qui ont pour conséquence de déstabiliser les équipes, ou encore vos carences dans la transmission d’informations, vous considérer avoir toujours échangé avec vos collaborateurs ‘ de manière courtoise et respectueuse’ en invoquant que la porte de votre bureau est toujours ouverte, comme s’il s’agissait d’un gage suffisant d’une communication respectueuse et efficace…

C’est dire le décalage entre l’appréciation que vous avez de vos compétences managériales et de vos relations interpersonnelles et celles que nous en avons au regard du ressenti de vos équipes et des conséquences sur les membres de cette équipe.

Afin d’être parfaitement précis sur les événements auxquels nous faisons référence pour ces griefs qui vous ont déjà été explicités lors de l’enquête, nous vous précisons à nouveau:

– que vos demandes contradictoires ont notamment été citées par [Y] [M] comme étant l’élément déclencheur de votre altercation du 21 janvier dernier s’agissant des délais de paiement des fournisseurs d’ébauches chinoises,

– que vos collaborateurs sont effectivement déstabilisés par vos méthodes et ils auraient souhaité plus de ‘redescentes’ d’information régulière à la suite des Codir hebdomadaires, une réunion 1 fois par trimestre étant évidemment insuffisante, qui plus est lorsqu’elle est souvent non tenue. A titre d’exemple, B. [M] a découvert la date du changement de prestataire pour l’externalisation de la paye, lors d’un échange avec la RRH alors qu’elle aurait évidemment dû en être informée par vos soins ;

– que s’agissant de la délégation des tâches vous incombant, il nous a été rapporté que vous sollicitiez souvent d’autres services pour des tâches que devait réaliser votre service. Pour exemple le versement pour la formation professionnelle à faire en septembre 2019: vous vous êtes insurgé de ne pas avoir été mis au courant de changement de calendrier de versement et de ne pas avoir provisionné alors que la loi sur l’Avenir Professionnel datait de septembre 2018. Vous avez de nouveau en février 2020, suite à la transmission de la déclaration faite par le service RH et exigible au 29/02/2020, indiqué qu’il aurait fallu prévenir pour passer les bonnes provisions. Communication qui avait été faite en septembre 2019, renforcé par un mail du 7 février 2020 rappelant les échéances et les montants.

Enfin, nous avons souhaité recueillir vos commentaires sur ce que nous considérons être des tentatives de déstabilisation de la direction de l’entreprise mais là encore vous indiquez ne pas comprendre ce à quoi nous faisons référence.

Nous allons donc vous repréciser que lors des Codir, nous déplorons que vous soyez toujours très pessimiste et alarmiste et que vous preniez souvent à partie les autres membres du Codir et notamment la DRH vis-à-vis de laquelle vous avez eu une attitude non conforme dès le début ( ce qui a manifestement guidé son souhait de quitter l’entreprise si rapidement).

Vous avez ainsi à plusieurs reprises tenté de remettre en cause les compétences techniques des autres membres du Codir ( RH ou président notamment) en remontant des informations à l’organisation qui étaient sciemment erronées ou qui, en tous cas, ne reposaient sur aucun fait matériel tangible dont le constat aurait été partagé mais qui ne sont que le reflet de votre ‘intime conviction’.

Ces tentatives de déstabilisation se sont d’ailleurs poursuivies depuis qu’une procédure disciplinaire est engagée à votre égard. Vos mails déplacés et même inconvenants à notre actionnaire pour ‘dénoncer des pratiques’ et tenter de négocier votre départ en ‘monnayant’ des informations que vous détiendriez, est un exemple de plus de la menace que vous faites peser sur la cohésion et l’efficacité de la direction de l’entreprise.

Vous feignez de ne pas savoir à quoi nous faisons allusion alors que vous persistez dans vos propos par votre lettre du 25 mars dernier. Vous indiquez qu’il vous semblait ‘ être de votre devoir d’informer votre ‘vrai’ hiérarchique’ de votre situation et de raisons de celles-ci et des risques encourus’. En réalité, une telle attitude diffamatoire de la direction de l’entreprise à votre profit est une démonstration de l’état d’esprit qui vous anime.

Cette attitude systématiquement dans l’attaque et dans l’agressivité servirait-elle à dissimuler les limites de votre propre efficacité’ C’est ce qui ressort des constats de votre hiérarchie depuis plusieurs mois et des résultats de l’enquête interne.

Ainsi, au-delà de ces lourdes carences managériales qui exposent la société à plusieurs recherches de responsabilité notamment sur le fondement du harcèlement moral ou de non-respect de l’obligation de sécurité de résultat, vos carences professionnelles sont avérées par plusieurs éléments ce qui nous conduit à contester formellement que vous vous retranchiez derrière la prétendue ‘efficacité de votre service’ pour tenter d’attester de vos qualités managériales.

Nous déplorons malheureusement bien au contraire des carences sur ces deux niveaux ajouté au fait que d’une manière générale, vous refusiez tout travail en commun que ce soit au sein de votre équipe, au sein du Codir ou avec les autres services, notamment avec le service RH sur des sujets transverses, ce qui entrave nos principaux services inutilement à une époque et dans un contexte où nous avons au contraire tous intérêt à agir de manière coordonnée et concertée et qui dans des cas trop fréquents place la société dans une situation de risque caractérisée.

Pour le contexte, nous rappellerons qu’une précédente procédure disciplinaire avait été initiée en juillet 2019 faisant suite à votre comportement inacceptable en réunion de site s’agissant de la validité de l’indicateur que vous suivez, la veille de votre départ en congés d’été, pour lequel vous avez été vu en entretien de recadrage le 29/07/2019. Cette procédure avait finalement été abandonnée dans l’espoir d’un retour à la normale et d’une motivation restaurée et d’un mode de communication plus efficient.

L’ensemble de ces éléments et l’absence de toute prise de conscience et en conséquence, l’absence de toute volonté d’y remédier, nous contraignent aujourd’hui à vous notifier votre licenciement pour faute grave.

Votre comportement fautif rend impossible votre maintien au sein de l’entreprise et nous contraint à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.

Votre licenciement est donc immédiat, sans préavis ni indemnités de rupture. Nous vous rappelons qu’en raison de la gravité des faits qui vous sont reprochés, vous avez fait l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire qui vous a été notifiée dans le cadre de votre convocation à entretien préalable par lettre remise en main propre le 6 mars 2020. Cette période de mise à pied à titre conservatoire ne sera pas rémunérée. (…)’

Invoquant l’existence d’un harcèlement moral, contestant la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail, M. [B] a saisi le conseil de prud’hommes d’Evreux, qui, par jugement du 27 avril 2021, a :

– jugé son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,  

– condamné la société à lui verser les sommes suivantes :

42 691,98 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 4 269,19 euros au titre des congés payés afférents,

42 691,98 euros à titre d’indemnité de licenciement,

80 026,59 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires outre 8 002,65 euros au titre des congés payés afférents,

23 571,18 euros au titre de repos compensateurs,

28 461,32 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

6 313,84 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre 631,38 euros au titre des congés payés afférents,

1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

16 447,33 euros à titre de rappel de salaire pour les années 2018 et 2019 outre 1 644,73 euros au titre des congés payés afférents,

2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté le salarié du surplus de ses demandes,

– débouté la société de ses demandes reconventionnelles,

– ordonné l’exécution provisoire du jugement,

– condamné la société à rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage versées au salarié dans la limite de six mois d’indemnités,

– condamné la société aux entiers dépens.

La société a interjeté appel le 7 mai 2021 à l’encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 30 avril précédent.

M. [B] a constitué avocat par voie électronique le 27 mai 2021.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 26 janvier 2022, l’employeur appelant sollicite l’infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande au titre du harcèlement moral et demande à la cour, à titre principal, de débouter le salarié de l’intégralité de ses demandes, à titre subsidiaire, soulève la prescription de la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires pour la période co rise entre le 1er janvier et le 1er avril 2017, requiert à titre infiniment subsidiaire que le quantum des condamnations de rappels de salaire soit ramené à de plus justes proportions et que le salarié soit condamné à lui rembourser la rémunération perçue au titre des jours de RTT indus à hauteur de 11 324,79 euros, demande que le salarié soit condamné aux entiers dépens et au paiement de la somme de 4 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 9 mars 2023, le salarié intimé, réfutant les moyens et l’argumentation de la partie appelante, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée sauf en ses quantum relatifs à l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité de licenciement, les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les rappels de salaire au titre des heures supplémentaires, les repos compensateurs, les rappels de salaire au titre des années 2018, 2019 et 2020 et en ce qu’elle l’a débouté de sa demande au titre du harcèlement moral.

Il demande à la cour d’infirmer ces dispositions et de condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

62 629 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 6 262,90 euros au titre des congés payés afférents,

62 629 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

62 629 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

94 513,23 euros à titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires,

30 774,62 euros à titre de contreparties obligatoires en repos,

12 528,48 euros au titre des congés payés afférents,

23 027,58 euros brut à titre de rappel de salaire pour les années 2018, 2019 et 2020 outre 2 302,76 euros au titre des congés payés afférents,

45 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Il sollicite en outre la condamnation de l’appelante au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et sa condamnation aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture en date du 6 avril 2023 a renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience du 26 avril 2023.

Il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel aux écritures des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur le forfait en jours, les demandes de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et au titre des repos compensateurs

Sur la convention de forfait en jours

Le salarié soutient que la société n’a pas procédé à un suivi de sa charge d’activité notamment avec la mise en oeuvre d’entretiens réguliers, de sorte que la convention de forfait en jours se trouve privée d’effets.

La société rappelle que la convention collective nationale des cadres de la métallurgie et plus spécifiquement l’accord national du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail dont relève le salarié prévoit la possibilité d’avoir recours au forfait jours, que l’article 6 du contrat de travail du salarié prévoit spécifiquement cette convention de forfait, de sorte que cette dernière répond aux conditions encadrant sa validité. L’employeur considère que le salarié, qui a donné expressément son accord, sans aucune réserve sur ce forfait jour le remet en cause par pure opportunité.

Sur ce ;

En application des articles L 3121-39 et L 3121-40 du code du travail, dans leurs versions applicables à l’espèce, la mise en place d’une convention individuelle de forfait en jours est subordonnée à la conclusion d’une convention ou d’un accord collectif le prévoyant ainsi qu’à la rédaction d’un écrit.

En l’espèce, il n’est pas contesté que le salarié a signé le contrat de travail prévoyant la mise en place d’une convention de forfait jours et que l’accord national du 28 juillet 1998 institue le forfait annuel en jours pour les cadres.

L’article L 3121-46 du code du travail dans sa version applicable à l’espèce, dispose qu’un entretien individuel est organisé par l’employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié. La tenue d’un entretien annuel a pour finalité non seulement d’évaluer quantitativement la charge de travail du salarié mais également ses répercussions sur son équilibre vie professionnelle- vie personnelle, équilibre qui ne peut se mesurer seulement à l’aune de relevés d’horaires.

Le droit à la santé et au repos est un droit à valeur constitutionnelle.

Il résulte des articles 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, L. 3121-45 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, interprété à la lumière de l’article 17, §§ 1 et 4 de la directive 1993/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, des directives de l’Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

En l’espèce, l’employeur n’établit pas que le salarié bénéficiait d’un entretien d’évaluation portant sur sa charge de travail, l’organisation du travail dans l’entreprise et l’articulation entre la vie professionnelle et la vie privée.

Ainsi, il ne ressort pas des éléments du dossier que l’employeur était placé en capacité d’opérer un contrôle effectif du salarié placé sous sa responsabilité, lui permettant de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ou de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps du travail de l’intéressée.

Il s’en déduit que la convention de forfait dénoncée est privée d’effet et que le salarié est fondé à revendiquer le décompte de ses heures de travail dans le cadre des dispositions relatives à la durée légale du travail déterminée par l’article L3121-10 du code du travail, à savoir 35 heures par semaine.

Le jugement entrepris qui a jugé la convention nulle est infirmé de ce chef.

Sur le moyen tiré de la prescription

Le salarié forme une demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires pour la période comprise entre le 6 mars 2017 et le 6 mars 2020.

L’employeur, qui rappelle que le salarié a été licencié le 31 mars 2020, invoque la prescription de la demande pour la période antérieure au 1er avril 2017.

Sur ce ;

L’article L 3245-1 du code du travail dans sa version issue de la loi du 17 juin 2008 dispose que l’action en paiement ou répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

En l’espèce, le contrat de travail du salarié a été rompu le 31 mars 2020 et le salarié a saisi le conseil de prud’hommes le 29 juin 2020.

En conséquence, par application des dispositions sus-visées, la demande de rappel de salaire antérieure au 31 mars 2017 doit être déclarée prescrite.

Sur le rappel de salaire

Aux termes de l’article L 3171-4 du code du travail en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-2 al. 1, de l’article L. 3171-3 et de l’article L. 3171-4 précité, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Au soutien de sa demande, le salarié indique qu’il effectuait de nombreuses heures supplémentaires tant au bureau qu’à son domicile lors de ses congés notamment. Il indique qu’il utilisait le système de pointage mis en place par l’entreprise lors de ses temps de présence sur site.

Il verse aux débats un relevé détaillé des heures supplémentaires effectuées au vu des feuilles de pointage précisant qu’il lui manque 11 semaines de pointage sur la période concernée, que l’employeur dispose de ces éléments.

Il produit également des exemples de mails envoyés pendants ses congés en 2017, 2018 et 2018 précisant qu’il a pris une estimation basse d’une heure et demie par jour pour couvrir les tâches effectuées.

Le salarié présente ainsi des éléments préalables suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre en apportant ses propres éléments.

L’employeur indique que le salarié utilisait la badgeuse du bâtiment administratif, paramétrée uniquement pour les cadres pour s’assurer du respect du repos quotidien et hebdomadaire mais qui n’était pas un outil de contrôle du temps de travail. Il soutient qu’en raison de ses fonctions et de ses responsabilités, le salarié avait accès au logiciel enregistrant les relevés de badgeages et qu’il a ainsi modifié un certain nombre de données. Il verse aux débats des relevés de badgeages desquels il ressort que des informations ont été modifiées manuellement par l’utilisateur.

L’employeur soutient que les pièces produites par le salarié ne permettent pas de détecter la réalisation d’heures supplémentaires. Il observe que certains relevés présentent des incohérences, ne correspondent pas à des relevés de temps de travail effectif en ce que par exemple, ils ne mentionnent pas systématiquement l’heure du repas, de sorte que le salarié comptabilise son temps de déjeuner comme du temps de travail effectif, sans que M. [B] ne justifie, pour chaque jour, la réalité de déjeuners professionnels.

En réponse, la société produit un tableau détaillé réalisé à partir des éléments communiqués par le salarié, duquel il ressort qu’au maximum le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires doit être fixé à la somme de 26 774,84 euros outre les congés payés afférents, ou, au regard des relevés de badgeage produits, à la somme de 32 533 euros outre les congés payés afférents.

La cour constate d’une part que l’employeur ne justifie pas des horaires effectivement réalisés par le salarié et d’autre part que ce dernier, sans explication précise, a majoré sa demande d’heures supplémentaires en ce qu’il a sollicité la somme de 80 026,59 euros devant les premiers juges et requiert à hauteur de cour la somme de 94 513,23 euros.

Ainsi, au vu des éléments produits de part et d’autre, et sans qu’il soit besoin d’une mesure d’instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que M. [B] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées.

Cependant, comme justement relevé par l’employeur, des incohérences existent au sein des relevés de badgeages produits. En outre, les mails produits par le salarié durant ses congés ne permettent pas de caractériser une durée de travail d’une heure trente par jour chaque jour.

Ainsi, la lecture des documents et l’activité de la société établissent que le temps de travail réellement effectué est moindre que celui allégué.

En conséquence, en application de la prescription précédemment retenue, il sera fait droit à la demande formée par M. [B] à hauteur de 40 013,29 euros outre 4 001,32 euros au titre des congés payés afférents pour la période comprise entre le 31 mars 2017 et le 6 mars 2020.

Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

Sur la demande au titre des repos compensateurs

Au regard des heures supplémentaires effectuées et précédemment retenues, des pièces produites, la cour constate que le salarié a dépassé le contingent annuel des heures supplémentaires pour les années 2018 et 2019, qu’il a doit à ce titre à des repos compensateurs à hauteur de 9 862,78 euros outre les congés payés afférents.

Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle au titre des jours RTT

L’employeur rappelle qu’en contrepartie d’un temps de travail calculé en jours, le salarié bénéficiait de jours de réduction du temps de travail. La convention de forfait ayant été privée d’effet, la société demande que le salarié soit condamné au paiement de la somme de 11 349,79 euros au titre des jours de réduction de temps de travail indûment perçus (34,49 jours), cette demande étant formée en tenant compte, pour l’année 2017 des règles de prescription triennale.

Le salarié demande que cette somme soit calculée sur 34,49 jours (pour un montant de 13 112 euros) et non 47,49 jours comme sollicité par la société.

Sur ce ;

En application de l’article 1302-1 du code civil dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu.

Il a été précédemment jugé que la convention de forfait à laquelle était soumis M. [B] a été privée d’effet, de sorte que pour la durée de la période de suspension de la convention individuelle de forfait en jours, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention de forfait est devenu indu.

En conséquence, les parties s’accordant sur le nombre de jours RTT indus (34,49 jours), il y a lieu de condamner M. [B] à verser à la société la somme de 11 349,79 euros au titre des jours de réduction de temps de travail indûment perçus.

2/ Sur la demande de rappel de bonus au titre des années 2018, 2019 et 2020

Le salarié indique avoir bénéficié en application de son contrat de travail d’entretiens annuels au cours desquels il a fait l’objet d’une évaluation et a perçu une prime au cours des années 2015, 2016 et 2017.

Pour les années 2018, 2019 et 2020, il soutient qu’aucun entretien annuel d’évaluation n’a été réalisé et précise qu’il n’a perçu aucune prime.

Il sollicite en conséquence la condamnation de son employeur à lui verser une prime annuelle de 8 373,66 euros brut pour 2018 et pour 2019 et la somme de 6 280,25 euros pour l’année 2020, prime calculée au prorata de son temps de présence ( 9 mois), primes augmentées des congés payés afférents.

L’employeur conclut au débouté des demandes. Il indique que les objectifs pour l’année 2018 ont été fixés au cours de l’entretien annuel du 23 février 2018, qu’ils n’ont pas été remplis, de sorte que le salarié ne peut prétendre au versement de la prime.

Il expose que pour l’année 2019, en raison des difficultés économiques rencontrées par la société, il avait été convenu en Codir que l’ensemble des directeurs renoncerait à la partie variable de leur rémunération, cette décision ayant été reconduite pour les années suivantes.

Sur ce ;

Lorsque la part variable de la rémunération d’un salarié dépend de la réalisation d’objectifs fixés par l’employeur, cette part doit être intégralement versée au salarié si l’employeur n’a pas ni précisé les objectifs à réaliser, ni fixé les conditions de calculs vérifiables de cette rémunération.

Lorsque la détermination de la partie variable du salaire doit résulter d’un accord postérieur à la conclusion du contrat de travail, il incombe au juge, à défaut d’un tel accord, de fixer lui-même cette rémunération en fonctions des critères visés au contrat de travail et des accords conclus les années précédentes.

En outre, lorsqu’une prime d’objectifs constitue la partie variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité, elle s’acquiert au prorata du temps de présence du salarié dans l’entreprise au cours de l’exercice, peu important que les objectifs aient été ou non fixés. Il en va différemment uniquement lorsque le contrat de travail ou une disposition conventionnelle subordonnent expressément le paiement de la rémunération variable à la présence du salarié dans l’entreprise à la date de son versement. Dans cette hypothèse, le versement prorata temporis n’est plus de droit et doit résulter d’un usage ou d’une stipulation contractuelle pour que le salarié puisse y prétendre.

En l’espèce, il ressort du contrat de travail de M. [B] et de l’avenant du 31 août 2016, qu’une part variable de rémunération était prévue, déterminée selon les règles en vigueur dans l’entreprise, dont le calcul se base sur 14 % du salaire annuel brut en fonction de l’atteinte des objectifs.

Il ressort des éléments du dossier qu’au titre de l’année 2015, le salarié a perçu une prime de 7 037 euros, sa performance individuelle étant évaluée à 4,2/5.

En 2016, pour une performance individuelle évaluée à 3,6/5, il a perçu une prime de 6 907 euros et en 2017, pour une performance individuelle de 3,5/5 une prime de 11 177 euros.

L’employeur justifie que des objectifs ont été fixés au salarié pour l’année 2018 au cours de l’entretien du 23 février 2018.

Cependant, la société ne produit pas d’élément relatif à la réalisation ou la non réalisation de ces objectifs, se contentant d’affirmer qu’ils n’ont pas été remplis.

Ainsi, contrairement aux années précédentes, la société ne justifie pas de la note obtenue par le salarié au titre de sa performance individuelle.

Pour les années 2019 et 2020, si l’employeur soutient qu’il avait été convenu en Codir que l’ensemble des directeurs renoncerait à leur prime, il n’en justifie pas.

Ainsi, il ressort de l’échange de mails versés aux débats (pièce 34) que si la gestionnaire RH indique que la société n’a pas versé de bonus aux cadres en 2019, elle confirme que M. [J] a perçu une prime exceptionnelle sans en préciser la nature et l’objectif. Si Mme [X], directrice des ressources humaines, précise que les bonus dépendaient des résultats de l’entreprise, la société ne produit pas d’élément telles qu’une décision du Codir ou une acceptation du salarié tendant à établir que les cadres avaient renoncé à leur part variable pour les années 2019/ 2020.

Au regard de ces éléments, il sera en conséquence fait droit à la demande du salarié, la société étant condamnée au versement de la part variable de la rémunération calculée sur la moyenne des primes versées au titre des trois années précédentes.

Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

3/ Sur le licenciement

Au soutien de la contestation de la légitimité de son licenciement, le salarié invoque en premier lieu avoir fait l’objet d’un licenciement verbal et affirme en second lieu que les griefs invoqués au sein de la lettre de congédiement ne sont pas matériellement établis et ne lui sont pas imputables.

Sur le moyen tiré du licenciement verbal

Le salarié soutient que l’employeur a publié une annonce en vue de recruter son successeur le 24 janvier 2020, soit avant l’enclenchement de la procédure de licenciement, ce qui démontre sa volonté irrévocable de rompre le contrat de travail.

Il réfute l’allégation de l’employeur selon laquelle le conseil de prud’hommes aurait statué ultra petita en retenant ce moyen en ce qu’il affirme que la question de la publication de l’offre d’emploi précédent l’engagement de la procédure de licenciement a été évoquée à l’audience.

L’employeur reproche aux premiers juges d’avoir statué ultra petita précisant que le salarié n’avait pas évoqué en première instance l’existence d’un licenciement verbal.

La société conteste en tout état de cause toute volonté de rompre le contrat de travail du salarié avant l’engagement de la procédure de licenciement. Elle soutient que la publication d’une offre d’emploi, à supposer qu’elle concerne le poste occupé par M. [B], ne saurait constituer une annonce de licenciement ou la volonté de rompre le contrat de travail.

Elle rappelle que le salarié est resté en poste jusqu’à la décision de mise à pied conservatoire, qu’un directeur administratif et financier n’a été recruté qu’à titre provisoire et seulement à compter du 9 mars 2020, soit postérieurement à l’engagement de la procédure.

L’employeur verse aux débats un échange de mails en date du 31mars 2020 entre le directeur et Mme [N], représentante des actionnaires afin d’obtenir l’accord de cette dernière quant à l’éventuel licenciement de M. [B], ce qui démontre qu’aucune décision n’était prise antérieurement.

Sur ce ;

Il résulte de l’article L. 1232-6 du code du travail que lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur. Elle ne peut être expédiée moins de deux jours ouvrables après la date prévue de l’entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué.

Le licenciement prononcé verbalement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et ne peut être régularisé a posteriori par l’envoi d’une lettre de licenciement.

Le licenciement verbal entraîne la rupture du contrat de travail. L’existence d’un licenciement se déduit d’un acte par lequel l’employeur a manifesté sa volonté de mettre fin de façon irrévocable au contrat de travail. Il appartient au salarié de fournir les éléments permettant de caractériser la volonté de l’employeur de rompre le contrat de travail. La preuve du licenciement verbal peut se faire par tout moyen.

A titre liminaire, la cour constate qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que le moyen tiré du licenciement verbal ait été soutenu par le salarié devant les premiers juges, de sorte que ceux-ci, en considérant que le salarié avait été victime d’un licenciement verbal, n’ont pas respecté le contradictoire.

A hauteur de cour, le salarié soutient ce moyen qui doit en conséquence être examiné.

Si le salarié verse aux débats la copie d’une offre d’emploi publiée le 24 janvier 2020 relative à un poste de directeur administratif et financier pour l’agence de [Localité 4], la cour constate qu’il ne résulte pas avec certitude du contenu de l’offre que celle-ci concerne le poste de M. [B] en ce que le nom de la société n’est pas mentionné et que le lieu de travail ([Localité 3]) apparaît différent de celui du siège de la société ([Localité 5]).

En outre, à supposer que cette offre soit relative au poste du salarié, sa publication n’établit pas la volonté de l’employeur de mettre fin de façon irrévocable au contrat de travail de M. [B].

Si Mme [D], contrôleur de gestion, indique avoir eu un contact avec un personnel dirigeant le 9 février lors duquel le remplacement de M. [B] a été mentionné, d’une part elle ne précise pas l’identité de son interlocuteur et, d’autre part, elle n’explicite pas si ce remplacement était envisagé ou acté, de sorte que ce témoignage n’établit pas davantage la volonté de l’employeur de mettre fin de manière irrévocable au contrat de travail du salarié.

Par infirmation du jugement entrepris, il y a lieu de rejeter ce moyen.

Sur la matérialité, l’imputabilité et la gravité des griefs invoqués au soutien du licenciement

Pour satisfaire à l’exigence de motivation posée par l’article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé de faits précis et contrôlables.

La faute grave s’entend d’une faute d’une particulière gravité ayant pour conséquence d’interdire le maintien du salarié dans l’entreprise.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l’employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise.

En l’espèce, il ressort de la lettre de licenciement telle que reproduite ci-dessus que l’employeur reproche au salarié quatre griefs.

Sur le moyen tiré de la prescription

Le salarié soutient qu’à trois reprises au sein de la lettre de licenciement l’employeur évoque des faits prescrits : l’entretien avec Mme [A] en 2019, le départ de Mme [S] en 2017 et l’entretien disciplinaire le concernant en 2019.

Sur ce ;

Aux termes de l’article L.1332-4 du code du travail aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance.

Concernant la précédente procédure disciplinaire diligentée par l’employeur en 2019 à l’encontre du salarié puis abandonnée, la cour constate que l’employeur rappelle uniquement cet événement au sein de la lettre de rupture au titre du contexte et que ce fait n’est pas un grief.

Concernant l’entretien avec Mme [A] en 2019, l’employeur ne justifie pas avoir eu connaissance de cet élément dans un délai inférieur à deux mois avant l’engagement de la procédure, de sorte que ce grief est prescrit.

Les conclusions de Mme [S] relatives à l’instance prud’homale diligentée sont datées du 1er décembre 2017, de sorte que l’employeur en a eu connaissance à cette date. Le grief est jugé prescrit.

Sur le grief relatif aux relations avec les membres de l’équipe et à l’altercation avec Mme [M]

L’employeur établit par la production de l’attestation de Mme [P], directrice des ressources humaines, que le 21 janvier 2020, Mme [M] collaboratrice de M. [B], est arrivée en pleurs, en hurlant dans son bureau, ayant du mal à respirer et prise de vomissements à trois reprises, exprimant sa souffrance et son mal être vis-à-vis des réactions de son manager.

L’employeur établit que Mme [M] a été arrêtée pendant 9 mois suite à cet événement qui a été reconnu comme un accident du travail, qu’elle a ensuite repris son emploi dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique.

La société justifie qu’une enquête a été diligentée suite à cet événement, qu’un ‘arbre des causes’ a été élaboré pour comprendre les origines de l’incident, que le CSE a été informé, que M. [B] a été entendu dans le cadre de cette enquête interne le 3 mars 2020.

Il ressort de l’enquête diligentée, des témoignages de Mme [X], responsable des ressources humaines, de Mme [L], infirmière de l’entreprise, de Mme [I], responsable santé sécurité environnement, que l’état de santé de Mme [M] s’est dégradé depuis 2019 en raison notamment de difficultés relationnelles rencontrées avec M. [B].

Mme [L] infirmière indique que cette dernière a progressivement fait état de signes somatiques tels que des cervicalgies, des problèmes de tension artérielle, des vertiges, de l’hypersensibilité.

Il résulte de l’enquête que l’élément déclencheur de l’accident du travail de Mme [M] était un désaccord entre cette dernière et M. [B], une charge de travail importante, un manque de transmission des informations et des contradictions dans les demandes formées par M. [B].

Mme [L] atteste en outre qu’au cours de l’année 2019 Mme [J] lui a fait part de la dégradation de son état de santé morale et psychique en relation avec les conflits entretenus avec sa hiérarchie, dont M. [B] ; que Mme [S], en 2017, lui avait fait part de l’existence de ce même type de conflits avec M. [B] et qu’enfin Mme [A] [H] lui a exprimé le 23 décembre 2019 sa volonté de quitter l’établissement suite à une altercation avec M. [B], précisant que cette dernière était arrivée en pleurs à l’infirmerie accompagnée par un sauveteur secouriste au travail.

Mme [P] atteste avoir subi du harcèlement moral de la part de M. [B], fait état de critiques incessantes de sa part, de discrédit régulier. Elle indique qu’il a indiqué à M. [W] qu’elle était un mauvais élément, qu’il a écrit à son ‘N+1″ pour la dénigrer.

Mme [X] atteste avoir subi des pressions de sa part, précisant que M. [B] a réussi à la déstabiliser. Elle précise que M. [B] ne travaille pas en équipe, qu’il rabaisse ses collaborateurs et ne se remet pas en question.

M. [B] conteste la matérialité de ces faits. Il soutient avoir entretenu de bonnes relations avec Mme [M] et verse aux débats ses entretiens d’évaluation (2016 à 2018). Il affirme que Mme [M] a précédemment rencontré des difficultés relationnelles avec son ancien directeur financier, ainsi qu’avec un stagiaire et qu’elle a pu avoir une importante altercation avec une collègue en juillet 2019.

Il s’étonne de l’absence de témoignage de Mme [M] versé aux débats par l’employeur et produit la copie d’un échange Linkedin avec cette dernière en date de mai 2022 au sein duquel elle expose avoir toujours refusé d’attester contre lui, ne pas le retenir comme responsable de la situation mais incriminant M. [W] et Mme [X] puisqu’elle écrit ‘je sais qu’ils ont profité de la situation (..) La faute c’est pas nous, mais M. [W]’

Le salarié observe qu’il ressort du rapport d’enquête de la CPAM produit par l’employeur de nombreuses contradictions. Ainsi, l’employeur a affirmé lors de l’enquête qu’une situation d’incompréhension, parfois d’opposition existait entre M. [B] et Mme [M] mais ‘qu’il n’y avait rien d’anormal’.

Cependant, il ressort de la lecture intégrale de cette enquête que l’existence de problèmes relationnels entre Mme [M] et M. [B] a été mise en lumière par les personnes contactées, y compris par Mme [M] elle-même qui a indiqué au sein de son questionnaire que son supérieur hiérarchique avait changé de comportement caractérisé par un manque de confiance de sa part sans raison évoquée et par un manque de communication. Elle a précisé avoir évoqué ces difficultés avec son supérieur hiérarchique qui ne prenait pas conscience du problème.

Le fait qu’elle ait récemment indiqué à M. [B] dans un échange privé qu’elle ne le considérait pas comme seul responsable de la situation ne retire pas aux faits évoqués leur caractère fautif.

L’employeur établit ainsi que le comportement managérial inadapté de M. [B] a eu de graves conséquences pour certains membres de son équipe et, plus spécifiquement pour Mme [M] qui a exprimé une souffrance psychique en lien avec le comportement de son manager, les éléments produits par le salarié ne suffisant pas à contester utilement ceux produits par l’employeur.

Ce grief est établi.

Sur le grief relatif aux carences managériales fautives du salarié

Il ressort de l’enquête diligentée suite à l’accident du travail de Mme [M] qu’un certain nombre de collaborateurs de M. [B] ont été entendus comme les membres du Codir.

Il résulte de ces auditions l’existence de souffrance exprimée par les membres de l’équipe du salarié. Ainsi, sont exprimées une absence de délégation ressentie comme un manque de confiance, une absence d’échanges, des instructions incomplètes voire contradictoires, un constat d’absence de remise en question de la part de M. [B] et une tendance à minimiser les difficultés.

Certains collègues du salarié tels que Mme [P], DRH et M. [C], responsable qualité, évoquent également le management directif de M. [B], ses exigences parfois disproportionnées et ses réactions inadaptées.

Ainsi, Mme [P] évoque avoir été victime de harcèlement moral de la part de M. [B], indiquant que ce dernier ne cessait de la discréditer auprès de son supérieur notamment.

M. [C] relate que M. [B] adoptait une ‘attitude culpabilisante’ à l’égard de ses collègues, qu’il avait tendance à entrer facilement en conflit avec ceux-ci, qu’il avait tendance à se montrer colérique.

M. [B] conteste ces allégations, verse aux débats des comptes- rendus d’entretiens individuels avec certains membres de son équipe aux fins d’établir qu’il entretenait des relations cordiales et adaptées avec ces derniers.

Cependant, il résulte des éléments produits que l’attitude du salarié s’est progressivement modifiée à compter de sa nomination en qualité de directeur financier en 2016, que la quasi totalité des comptes rendus versés aux débats concernent une période antérieure ou concomitante à cette nomination (2015/2016) et que le salarié ne verse pas aux débats les comptes-rendus d’entretiens pour les années postérieures (à l’exception de celui de Mme [A]).

Au regard de ces éléments, l’employeur établit l’existence de carences managériales de la part de M. [B] ayant pour conséquence une souffrance chez ses collaborateurs et certains de ses homologues.

Ce grief est établi.

Sur le grief tiré de dysfonctionnements au sein du service de M. [B]

Il ressort de l’enquête interne versée aux débats que des difficultés liées au manque de transmission des directives, au caractère parfois contradictoire de celles-ci ont été mises en évidence au sein du service de M. [B].

Cependant, si l’employeur soutient que M. [B] ne remplissait pas correctement ses missions, que ses collègues ou le directeur, M. [W], devaient se charger personnellement d’un certain nombre de ses tâches, la cour constate que ce manquement n’est pas établi.

Ainsi, il ne résulte pas de l’attestation de M. [C] ou des échanges de mails du 23 juin 2020 que M. [W] ou d’autres collègues aient eu à suppléer le salarié dans ces tâches, ces pièces mettant seulement en évidence les difficultés de communication rencontrées par M. [B] et plus spécifiquement ses difficultés à travailler sur un projet concernant plusieurs services.

Au regard de ces éléments, la cour constate que ce grief n’est que partiellement établi.

Sur le grief tiré des tentatives de déstabilisation de la direction de l’entreprise

L’employeur reproche au salarié, en sa qualité de membre du Codir, d’avoir régulièrement mis en doute la compétence de chacun des autres directeurs ainsi que celui du président et de l’actionnaire de la société en contestant les décisions prises, en faisant usage de manoeuvre de déstabilisation.

Il ressort des témoignages de Mme [P] et M. [C], membres du Codir, que M. [B] entretenait des relations conflictuelles avec certains membres du Codir, qu’il n’hésitait pas publiquement à contester certaines décisions et prises de positions.

Ainsi, Mme [P] relate que M. [B] a lors d’un Codir traité M. [W] de ‘fou’, qu’il s’est opposé à une de ses demandes. Elle précise qu’il considérait qu’elle soutenait M. [W] et qu’en conséquence sa parole n’avait pas de poids. Elle expose avoir été dénigrée à plusieurs reprises par M. [B] auprès de la direction.

M. [C] atteste avoir assisté début 2020 à une colère de M. [B] lors d’un Codir au cours d’une réunion concernant le suivi budgétaire à l’issue de laquelle ce dernier a quitté la salle de réunion laissant entendre qu’il souhaitait démissionner, M. [W] l’ayant rejoint et calmé.

Il relate avoir été soumis à la pression de M. [B] concernant le dossier du crédit impôt recherche.

L’employeur verse également aux débats l’échange de mails entre M. [B] et Mme [N], responsable des actionnaires en date des 6 et 13 mars 2020 au sein duquel il indique qu’un projet de licenciement le concernant est en cours, qu’il ne l’acceptera pas, que son avocat l’assure que la société sera condamnée pour licenciement abusif à lui verser au minimum 1 million d’euros et qu’il serait préférable pour les deux parties de négocier les conditions de son départ avant qu’il ne présente ses arguments financiers au tribunal.

M. [B] considère avoir rempli son rôle en informant sa hiérarchie des pressions qu’on exerçait sur lui et considère qu’on ne peut lui reprocher d’avoir tenter de trouver une solution amiable.

Il soutient avoir subi une forte pression de la part de M. [W], celui-ci lui faisant supporter la responsabilité du risque du refus de l’actionnaire d’apporter 3M€ au vu des mauvais résultats de l’entreprise et affirme que beaucoup de membres du Codir ont quitter l’entreprise en raison des pressions exercées par ce dernier.

Il ressort cependant des éléments produits que le salarié a adopté une attitude inadaptée lors de certaines réunions du Codir, qu’il a fait preuve de déloyauté en contactant le responsable des actionnaires et en lui affirmant que son licenciement pourrait ‘coûter’ un million d’euros à l’entreprise.

Ce grief est établi.

Au regard de ces éléments, de la position du salarié dans l’entreprise, de ses importantes responsabilités tant à l’égard des membres de son équipe que de ses collègues, la cour constate que les griefs établis et reprochés à M. [B] revêtaient une gravité empêchant la poursuite du contrat de travail.

En conséquence, par infirmation du jugement entrepris, il est désormais jugé que le licenciement du salarié est justifié par une faute grave.

Le salarié doit par conséquent être débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement illégitime ainsi que de ses prétentions relatives aux indemnités de rupture (indemnité compensatrice de préavis et indemnité légale de licenciement) et de sa demande de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire.

4/ Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L’article L 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

La deuxième partie de ce texte présuppose que les éléments de fait présentés par le salarié soient des faits établis puisqu’il n’est pas offert à l’employeur de les contester mais seulement de démontrer qu’ils étaient justifiés.

M. [B] soutient que dans les mois qui ont précédé son licenciement, il a été victime de pressions multiples constitutives d’un harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique M. [W] ayant entraîné une dégradation de ses conditions de travail et porté atteinte à sa santé physique et mentale.

Ainsi, il soutient avoir été victime de remarques agressives et dégradantes, expose que le directeur a tenté de lui imputer des erreurs qui n’étaient pas les siennes et de le discréditer auprès de ses collègues de travail et collaborateurs.

Il soutient ne pas avoir bénéficié de l’aide de M. [W] lors de la gestion d’un conflit avec Mme [P] en novembre 2019, considère que l’employeur a tenté de le déstabiliser en le rendant responsable de l’accident de Mme [M] ainsi que d’une erreur de déclaration et de paiement des Urssaf en 2019.

Il considère que l’employeur a souhaité constituer un dossier de licenciement à son encontre.

Au soutien de ses allégations, il verse aux débats :

– les attestations de M. [R], ingénieur, de Mme [F], technicienne qualité, de M. [K], supply chain manager, de M. [O], ancien directeur de ressources humaines et de Mme [R], ingénieur, faisant état du management autoritaire de M. [W], de remarques agressives, parfois dégradantes, proches du harcèlement moral à l’encontre de collaborateurs dont M. [B],

– l’échange Linkedin avec Mme [M] de mai 2022 au sein duquel elle indique que M. [W] a profité de la situation, que M. [B] subissait aussi une pression,

– le mail de M. [R] de juillet 2019 sur lequel M. [W] a rajouté une mention relative au travail d’équipe,

– l’offre d’emploi de directeur administratif et financier publiée,

– l’enquête sur l’ajustement de l’Urssaf ainsi que les commentaires et mails afférents,

– la réponse de Mme [P] dans le dossier de la taxe handicapés lui faisant observer qu’il n’a pas compris son mode de fonctionnement,

– des éléments relatifs au dossier d’externalisation et de changement du prestataire de paie,

– des éléments relatifs aux achats d’ébauche à Dudelange.

L’employeur conteste la matérialité des faits allégués par le salarié indiquant d’une part que ce dernier ne s’est jamais plaint de tels faits durant la relation contractuelle, y compris dans ses derniers échanges avec Mme [N], que d’autre part M. [W] a été contraint d’intervenir au regard du comportement de M. [B] exerçant pleinement son rôle de direction, qu’enfin il ne ressort pas des exemples pris par le salarié de faits de harcèlement moral mais uniquement l’existence de directives caractérisant le pouvoir de direction.

La cour constate que concernant les dossiers relatifs à l’erreur de déclaration et de paiement des cotisations Urssaf de 2019, le paiement de la taxe handicapés, le suivi du projet d’externalisation de la paie et les achats d’ébauches à Dudelange, il résulte des pièces produites uniquement l’existence de directives données par l’employeur, et plus spécifiquement par M. [W], au salarié, la présence de positions contraires exprimées par les différentes personnes concernées mais non des remarques agressive et dégradantes, un discrédit ou l’imputation erronée de fautes.

Ce fait n’est en conséquence pas matériellement établi.

Si le salarié soutient que l’employeur a exercé des pressions sur son équipe et sur certains membres de la direction pour ‘monter un dossier de licenciement’, il ne l’établit pas, la société rappelant qu’en juillet 2019, M. [B] a été convoqué à un entretien en vue d’une sanction disciplinaire mais que la procédure a été finalement abandonnée. Ce fait n’est en conséquence pas matériellement établi.

Concernant le conflit avec Mme [P] au sujet des chèques vacances et des notes de frais, la société expose que M. [W] a refusé de se positionner en faveur de M. [B] et contre Mme [P] considérant qu’il appartenait à M. [B] en sa qualité de directeur d’interroger la salariée sur les agissements qu’il lui reprochait et refusant d’interférer dans leurs relations de travail, ce qui n’est pas assimilable à une absence d’aide de la part de M. [W].

La cour considère ce fait comme non établi.

Sur la responsabilité du comportement de M. [B] dans l’accident du travail de Mme [M], il a été précédemment jugé que le mode de communication et de travail instauré avait en partie été responsable de la dégradation de l’état de santé de la salariée. Le fait que cette dernière, plus de deux années après les faits, indique à M. [B] qu’il n’était pas, à ses yeux, le seul responsable de la situation, ne limite en rien l’établissement par l’employeur des faits qui lui sont reprochés.

Les propos agressifs et inadaptés de M. [W] lors de réunions du Codir sont matériellement établis.

Cependant, si le comportement de M. [W] à l’encontre de M. [B] a parfois été inadapté et déplacé, notamment dans la teneur des propos, il ressort des éléments du dossier d’une part que le salarié a agi sur le même registre avec le directeur, n’hésitant pas à qualifier ce dernier de ‘fou’, s’adressant à lui sur un ton déplacé, faisant preuve d’insubordination et d’autre part que ce comportement n’était pas adopté seulement à l’encontre de M. [B].

La cour constate en outre que le salarié ne précise pas en quoi ses conditions de travail se sont dégradées dans des conditions susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel, le licenciement prononcé ayant été précédemment jugé légitime.

En conséquence, les éléments qui sont ci-dessus établis, pris et appréciés dans leur ensemble ne laissent pas présumer l’existence d’un harcèlement moral.

5/ Sur la demande de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat

Le salarié soutient qu’en lui délivrant ses documents de fin de contrat plus de 4 semaines après la notification de son licenciement, la société lui a nécessairement causé un préjudice en l’empêchant de régulariser sa situation auprès de Pôle Emploi.

La société, après avoir rappelé que le licenciement a été notifié au salarié lors de la période de confinement et que les documents de fin de contrat ont été mis à sa disposition et transmis 18 jours après la notification du licenciement, constate que le salarié ne justifie ni de la réalité ni de l’étendue de son préjudice.

Sur ce ;

Les documents de fin de contrat de travail remis au salarié et le solde de tout compte prévus aux articles L.1234-19 et L.1234-20 du code du travail sont des documents quérables et non portables.

En l’espèce, le salarié ne justifie pas de l’absence de mise à disposition des documents concomitamment à la notification du licenciement. Il ne produit pas les documents de fin de contrat, de sorte que la cour n’est pas en mesure d’apprécier à quelle date ils ont été établis.

En outre, au regard de la période de crise sanitaire et de confinement à laquelle le pays a dû faire face, il y a lieu de constater que l’employeur a adressé au salarié ses documents de fin de contrat par courrier recommandé le 27 avril 2020 ainsi que par mail du 4 mai 2020.

En tout état de cause, le salarié qui entend obtenir des dommages-intérêts pour délivrance tardive du certificat de travail et du bulletin de paie doit établir la réalité du préjudice que ce retard lui a causé.

En l’espèce, M. [B] n’apporte aucun élément pour justifier de l’existence et de l’ampleur du préjudice allégué.

En conséquence, par infirmation du jugement entrepris, il y a lieu de le débouter de sa demande.

6/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Chacune des parties succombant partiellement dans ses prétentions conservera la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens hauteur de cour, le jugement entrepris étant confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement, en dernier ressort ;

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes d’Evreux du 27 avril 2021 sauf en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande au titre du harcèlement moral, en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Juge la convention de forfait en jours à laquelle était soumis M. [G] [B] privée d’effet ;

Dit que la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires antérieure au 31 mars 2017 est prescrite ;

Condamne la société Eurofoil à verser à M. [G] [B] les sommes suivantes :

40 013,29 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires pour la période comprise entre le 31 mars 2017 et le 6 mars 2020 outre 4 001,32 euros au titre des congés payés afférents ,

9 862,78 euros au titre des repos compensateurs pour les années 2018 et 2019 outre 986,27 euros au titre des congés payés afférents,

23 027,58 euros brut à titre de rappel de salaire au titre de la part variable pour les années 2018, 2019 et 2020 ;

Avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation,

Condamne M. [G] [B] à rembourser à la société Eurofoil la somme de 11 349,79 euros au titre des jours de réduction de temps de travail indûment perçus ;

Dit justifié par une faute grave le licenciement de M. [G] [B] ;

Déboute M. [G] [B] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement illégitime, de ses demandes d’indemnité de licenciement, d’indemnité compensatrice de préavis et de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire ;

Déboute M. [G] [B] de sa demande de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat ;

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour ;

Rejette toute autre demande ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d’appel.

La greffière La présidente

 


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