ARRET
N° 600
CPAM DE LA COTE D’OPALE
C/
Société [5]
COUR D’APPEL D’AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 15 JUIN 2023
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N° RG 22/00521 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IK2A – N° registre 1ère instance : 20/00439
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOULOGNE SUR MER (Pôle Social) EN DATE DU 21 janvier 2022
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
La CPAM DE LA COTE D’OPALE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Mme [R] [Y] dûment mandatée
ET :
INTIMEE
La Société [5], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
MP : Monsieur [O] [P]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et plaidant par Me HUERTAS, avocat au barreau de LILLE substituant Me Christine CARON-DEBAILLEUL de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, avocat au barreau de LILLE
DEBATS :
A l’audience publique du 23 Mars 2023 devant Mme Véronique CORNILLE, Conseiller, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 15 Juin 2023.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Marie-Estelle CHAPON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Véronique CORNILLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,
Mme Chantal MANTION, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 15 Juin 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
Le 21 novembre 2019, M. [P] [O], salarié de la société [5] depuis 1978, a adressé à la caisse primaire d’assurance maladie de la Côte d’Opale (ci-après la CPAM), une déclaration de maladie professionnelle au titre d’un carcinome bronchique sur la base d’un certificat médical du 19 août 2019 mentionnant « présente des signes cliniques et radiologiques de MP 30 bis (carcinome bronchique) ».
Le 30 juin 2020, après avis favorable du CRRMP de la région de Tourcoing Hauts-de-France, la CPAM a pris en charge la maladie au titre du tableau 30 bis des maladies professionnelles.
La société [5] a saisi la commission de recours amiable de la CPAM d’un recours contre la décision de prise en charge puis le tribunal d’un recours contre la décision de rejet de sa contestation par la commission en date du 29 octobre 2020.
Par jugement du 21 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Boulogne-Sur-Mer, pôle social, a :
– déclaré recevable le recours de la société [5],
– rejeté la demande d’annulation de la décision de la commission de recours amiable du 29 octobre 2020,
– déclaré la décision de la CPAM de la Côte d’opale du 28 juillet 2020 de prise en charge de la maladie de M. [P] [O] du 13 juin 2019 au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles inopposable à la société [5],
– partagé les dépens par moitié.
Par courrier recommandé expédié le 9 février 2022, la CPAM a interjeté appel du jugement.
Les parties ont été convoquées à l’audience du 23 mars 2023.
Par conclusions n°2 visées par le greffe le 23 mars 2023 et soutenues oralement à l’audience, la CPAM de la Côte d’Opale demande à la cour de :
A titre principal,
– dire qu’elle a respecté le principe du contradictoire lors de l’instruction de la pathologie de M. [O],
– entériner l’avis rendu par le CRRMP de la région [Localité 6] Hauts-de-France le 24 juin 2020,
– juger la décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de la maladie « cancer broncho-pulmonaire primitif » de M. [O] opposable à la société [5] en toutes ses conséquences financières,
A titre subsidiaire,
– ordonner la saisine d’un second CRRMP aux fins de recueillir son avis sur le lien entre la pathologie de M. [O] et son travail,
– surseoir à statuer dans l’attente de l’avis de ce comité,
En conséquence,
– débouter la société [5] de l’ensemble de ses prétentions.
Elle fait valoir que l’avis du CRRMP est parfaitement motivé quant à l’exposition au risque de M. [O] alors qu’il travaillait dans l’ancienne usine de la société [5] qui contenait de l’amiante et que pourtant, le tribunal, sans saisine préalable d’un second CRRMP, a considéré qu’aucun élément autre que la déclaration de l’assuré ne permettait de confirmer l’exposition aux particules d’amiante.
Elle oppose s’agissant du principe du contradictoire dont la violation est alléguée, que l’article R. 641-10 du code de la sécurité sociale n’impose pas d’obligation d’informer l’employeur de la possibilité de solliciter la communication de l’avis motivé du médecin du travail et du rapport des services du contrôle médical. Elle rappelle que ces éléments sont communicables à l’employeur par l’intermédiaire d’un praticien désigné à cet effet par la victime et précise qu’elle a bien sollicité auprès de l’assuré l’autorisation de transmission de ces pièces à son employeur par le biais d’un coupon qu’il ne lui a pas retourné.
Elle indique que l’avis du CRRMP est régulier ; qu’elle a réclamé l’avis du médecin du travail le 4 février 2020 mais ne l’a pas reçu, observant que l’absence de preuve de sollicitation de l’avis du médecin du travail ne constitue pas un motif d’inopposabilité depuis le 1er décembre 2019.
Elle soutient enfin qu’aucune inopposabilité ne peut être encourue au motif que la phase de complétude du dossier n’a pas duré 30 jours francs à compter de la réception du courrier informant l’employeur de la saisine du CRRMP, dès lors qu’il a été mis en mesure de prendre connaissance de l’ensemble des éléments susceptibles de lui faire grief et de formuler des observations en temps utiles.
Elle ajoute que seul le non-respect du délai de consultation de 10 jours francs laissé à l’employeur pour présenter des observations peut être sanctionné par l’inopposabilité.
Elle observe que l’employeur qui a consulté le dossier le 15 juin 2020 soit au-delà du délai de 40 jours prévu par l’article R. 461-10 du code de la sécurité sociale, est mal fondé à arguer d’une quelconque violation du contradictoire.
Enfin, elle soutient que la période d’enrichissement du dossier débute à compter de la saisine du CRRMP, dès lors qu’elle ne peut tenir compte de la date de réception du courrier d’information par chacune des parties pour afficher les dates d’échéances.
Par conclusions récapitulatives visées le 23 mars 2023 par le greffe, soutenues oralement à l’audience, la société [5] demande à la cour de :
– confirmer le jugement,
– laisser à chacune des parties la charge de ses dépens.
Elle invoque l’absence d’exposition à l’amiante de M. [O] qui affirme lui-même avoir été agent de conditionnement puis préparateur écran entre 1978 et 1989 et n’avoir jamais manipulé d’amiante. Elle soutient qu’il n’a jamais exercé en production, soit en secteur chaud et que le fait que l’entreprise contienne de l’amiante est insuffisant pour démontrer une exposition à cette substance.
Elle relève que le courrier d’information de la CPAM ne mentionne pas la possibilité de solliciter la communication des éléments médicaux ; que la production d’un coupon de transmission ne démontre pas que la CPAM a bien sollicité l’autorisation de l’assuré pour communiquer les pièces médicales ; que le courrier du 24 mars 2020 ne cite pas en pièce jointe ledit coupon ; qu’elle a demandé communication des pièces médicales le 15 juin 2020 et la CPAM n’a pas sollicité l’assuré pour ce faire.
Elle soutient que la CPAM ne démontre pas avoir été dans l’impossibilité d’obtenir l’avis du médecin du travail.
Elle soulève avoir accusé réception du courrier de la CPAM l’informant de la saisine du CRRMP le 3 avril 2020 et n’avoir pu bénéficier du délai de 30 jours calendaires prévu par les textes peu important le fait qu’elle ait consulté le dossier le 15 juin 2020, soit au-delà du délai de 40 jours prévu légalement.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé des moyens.
MOTIFS
Les premiers juges ont fait droit à la demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie à l’égard de l’employeur en statuant sur le moyen de fond tenant à l’exposition au risque à savoir l’amiante, et l’ayant accueilli, ont dit qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les motifs surabondants tenant au respect du principe du contradictoire.
Toutefois, des moyens de forme étant également invoqués au soutien de la demande d’inopposabilité, il convient de vérifier s’ils sont fondés préalablement à l’examen du moyen de fond et de la question de la désignation d’un second CRRMP sur la liste des travaux en application de l’article R. 142-17-2 qui est obligatoire avant de se prononcer sur le caractère professionnel de la maladie, désignation qui deviendrait sans objet s’il était fait droit à la demande d’inopposabilité pour des raisons de forme.
Sur l’avis du médecin du travail
Aux termes de l’article D. 461-29 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue du décret n°2019-356 du 23 avril 2019 (applicable aux accidents du travail et aux maladies professionnelles déclarés à compter du 1er décembre 2019) : « Le dossier examiné par le comité régional comprend les éléments mentionnés à l’article R.441-14 auxquels s’ajoutent :
1° Les éléments d’investigation éventuellement recueillis par la caisse après la saisine du comité en application de l’article R. 461-10 ;
2° Les observations et éléments éventuellement produits par la victime ou ses représentants et l’employeur en application de l’article R. 461-10 ;
3° Un avis motivé du médecin du travail de la ou des entreprises où la victime a été employée portant notamment sur la maladie et la réalité de l’exposition de celle-ci à un risque professionnel présent dans cette ou ces entreprises éventuellement demandé par la caisse en application du II de l’article R. 461-9 et qui lui est alors fourni dans un délai d’un mois ;
4° Un rapport circonstancié du ou des employeurs de la victime décrivant notamment chaque poste de travail détenu par celle-ci depuis son entrée dans l’entreprise et permettant d’apprécier les conditions d’exposition de la victime à un risque professionnel éventuellement demandé par la caisse en application du II de l’article R. 461-9 et qui lui est alors fourni dans un délai d’un mois ;
5° Le rapport établi par les services du contrôle médical de la caisse primaire d’assurance maladie indiquant, le cas échéant, le taux d’incapacité permanente de la victime.
La communication du dossier s’effectue dans les conditions définies à l’article R. 441-14 en ce qui concerne les pièces mentionnées aux 1°, 2° et 4° du présent article.
L’avis motivé du médecin du travail et le rapport établi par les services du contrôle médical mentionnés aux 3° et 5° du présent article sont communicables de plein droit à la victime et ses ayants droit. Ils ne sont communicables à l’employeur que par l’intermédiaire d’un praticien désigné à cet effet par la victime ou à défaut par ses ayants droit. Ce praticien prend connaissance du contenu de ces documents et ne peut en faire état, avec l’accord de la victime ou à défaut, de ses ayants droit, que dans le respect des règles de déontologie ».
Il résulte de la rédaction issue du décret du 23 avril 2019 que la CPAM a la possibilité et non l’obligation de solliciter l’avis du médecin du travail. Aucune inopposabilité n’est donc encourue en l’absence d’avis du médecin du travail.
En l’espèce, la CPAM verse au dossier une capture d’écran d’un logiciel interne indiquant « 04/06/2020 demander avis M.P. Médecin du travail » et le CRRMP note dans son avis du 24 juin 2020 que l’avis du médecin du travail a été demandé le 4 juin 2020.
Au regard des nouvelles dispositions applicables, il ne peut être reproché à l’organisme de ne pas justifier de la réception de la demande par le médecin du travail, ni de l’impossibilité d’obtenir cet avis.
En conséquence, la demande d’inopposabilité de ce chef est rejetée.
Sur le respect du principe du contradictoire et les obligations de la CPAM
La société [5] fait valoir qu’en application de l’article D. 461-29 précité, la CPAM a l’obligation d’informer l’employeur de la possibilité de solliciter la communication des éléments médicaux (rapport du médecin conseil et rapport du médecin du travail) avant la communication du dossier au CRRMP et qu’elle n’a pas accompli les démarches qui lui incombent pour répondre à sa demande de communication de ces éléments médicaux.
Il résulte de l’article D. 461-29 du code de la sécurité sociale que le rapport établi par le service du contrôle médical de la CPAM et l’avis motivé du médecin du travail ne sont communicables à l’employeur que par l’intermédiaire d’un praticien désigné à cet effet par la victime ou à défaut par ses ayants droit. Il appartient à la CPAM d’effectuer les démarches nécessaires en vue de la désignation d’un praticien par la victime ou ses ayants droit. Cette démarche que la caisse peut mettre en ‘uvre par anticipation avant même que l’employeur ne présente sa demande de communication de pièces peut être accomplie par l’envoi à l’assuré par la caisse d’un courrier
En l’espèce, par courrier du 24 mars 2020 reçu le 2 avril 2020, la CPAM a informé l’employeur de la saisine du CRRMP, de la possibilité de communiquer des pièces pour compléter le dossier jusqu’au 24 avril 2020 et de formuler des observations jusqu’au 5 mai 2020, indiquant qu’elle rendrait sa décision au plus tard le 23 juillet 2020.
Par courrier du 15 juin 2020, la société [5] a sollicité l’accès au rapport établi par le service du contrôle médical de la CPAM ainsi que l’avis motivé du médecin du travail.
La CPAM, qui soutient que l’assuré n’a pas répondu à la demande de désignation d’un praticien et qu’elle n’a donc pas pu communiquer les éléments réclamés par l’employeur, verse au dossier un coupon vierge intitulé « demande de reconnaissance au titre des maladies professionnelles et autorisation de transmission des pièces médicales » dont elle affirme qu’il était joint au courrier du 24 mars 2020 réceptionné le 2 avril 2020 informant l’assuré de la saisine du CRRMP.
Toutefois, ce courrier ne porte pas mention du coupon en pièce jointe et ne comporte aucune allusion au coupon, ni à la nécessité pour l’assuré victime de désigner un médecin lorsque l’employeur sollicite l’accès aux pièces médicales. Il ne saurait donc suffire pour justifier que la CPAM a accompli les démarches exigées par l’article D. 461-29 du code de la sécurité sociale.
Il appartenait à la CPAM de se rapprocher de l’assuré à la suite de la demande de communication des pièces médicales formée par l’employeur par courrier afin d’obtenir les coordonnées du médecin désigné par l’assuré ou de s’assurer de son refus. La CPAM ne saurait valablement se dispenser de cette démarche en produisant un mail du 20 octobre 2020 émanant du service risques professionnels de la CPAM (en réponse au service contentieux) affirmant que le coupon avait été envoyé avec le courrier et que l’assuré ne l’avait pas retourné.
La CPAM a donc manqué aux obligations lui incombant de sorte que la décision de prise en charge de la maladie professionnelle doit être déclarée inopposable à l’employeur.
Les autres moyens étant surabondants, il n’y a pas lieu de les examiner.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a déclaré la décision de prise en charge de la maladie inopposable à l’employeur.
Sur les dépens
Partie succombante, la CPAM sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer en date du 21 janvier 2022,
Y ajoutant,
Dit que la décision de prise en charge du 30 juin 2020 de la maladie professionnelle déclarée par M. [P] [O] est inopposable à la société [5] pour non-respect du principe du contradictoire par la CPAM,
Condamne la CPAM de la Côte d’Opale aux dépens de la présente instance.
Le Greffier, Le Président,
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