AFFAIRE : N° RG 21/03230
N° Portalis DBVC-V-B7F-G4EF
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de CAEN en date du 23 Novembre 2021 – RG n° 20/00170
COUR D’APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRET DU 08 JUIN 2023
APPELANT :
Monsieur [X] [C]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Valérie PLANCHE, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
S.A.S. KEOLIS [Localité 6] MOBILITES
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me SALMON, avocat au barreau de CAEN
DEBATS : A l’audience publique du 13 mars 2023, tenue par Mme DELAHAYE, Président de Chambre, Magistrat chargé d’instruire l’affaire lequel a, les parties ne s’y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme ALAIN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre, rédacteur
Mme PONCET, Conseiller,
Mme VINOT, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement le 08 juin 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, par prorogation du délibéré initialement fixé au 1er juin 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme GOULARD, greffier
Selon contrat de travail à durée indéterminée à effet au 1er janvier 2018, M. [X] [C] a été engagé par la société Kéolis [Localité 6] en qualité d’agent commercial de conduite (conducteur-receveur), catégorie Agent du service mouvement, avec une reprise d’ancienneté du 26 octobre 1983 au 31 décembre 2017 (expérience chez Lucky Star) ;
Selon avis d’inaptitude du 15 mars 2019, il a été déclaré inapte à son poste ;
Par lettre recommandée du 4 juin 2019, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement ;
Poursuivant le paiement des indemnités spéciales prévues par l’article L1226-14 du code du travail, il a saisi le 5 mai 2020 le conseil de prud’hommes de Caen lequel par jugement de départage rendu le 23 novembre 2021 a débouté M. [C] de l’ensemble de ses demandes, l’a condamné à payer à la société Kéolis [Localité 6] Mobilité une somme de 750 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
Par déclaration au greffe du 1er décembre 2021, M. [C] a formé appel de cette décision qui lui avait été notifié le 25 novembre précédent ;
Par conclusions n°2 remises au greffe le 27 juillet 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel, M. [C] demande à la cour de :
– débouter la la société Kéolis [Localité 6] Mobilité de sa demande visant à constater que la déclaration d’appel ne comprend aucun objet prévu à peine de nullité ni
demande soumise à la cour et qu’en conséquence, la cour d’appel n’est saisie d’aucune demande.
– confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a jugé l’action de M. [C] recevable au visa de l’article L1234-20 du code du travail,
-réformer le jugement pour le surplus, ce faisant :
– condamner la société Kéolis [Localité 6] Mobilité à payer à M. [C] : 36.298,49 € net au titre du solde de l’indemnité spéciale de licenciement, 2.668,69 € brut au titre de l’indemnité compensatrice équivalente à celle de préavis, avec intérêt aux taux légal à compter du 7 février 2020, date du courrier ecommandé de demande de règlement, et celle de 5000 € au titre de son préjudice moral,
– condamner la société Kéolis [Localité 6] Mobilité à payer à M. [C] la somme de 4.000 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile concernant la procédure de première instance et d’appel ;
Par conclusions n°3 remises au greffe le 5 décembre 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel, la société Kéolis [Localité 6] Mobilité demande à la cour de :
– constater que la déclaration d’appel ne comprend aucun objet, ne comprend aucune demande soumise à la cour ;
– dire en conséquence que la cour n’est saisie d’aucune demande ;
– à titre subsidiaire, confirmer le jugement ;
– à titre infiniment subsidiaire, débouter M. [C] de sa demande de dommages et intérêts ;
– à titre extrêmement subsidiaire, réduire dans de plus amples proportions la demande de dommages et intérêts ;
– dire que les éventuels dommages et intérêts sont exprimés en brut ;
– condamner M. [C] à lui payer une somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Les courriers et pièces envoyées le 5 mai 2023 par les parties en cours de délibéré sans autorisation de la cour n’ont pas été examinés ;
MOTIFS
I – Sur la déclaration d’appel
Au visa de l’article 901 du code de procédure civile dans sa version applicable au 1er janvier 2021, l’employeur fait valoir que, au-delà des chefs de jugement critiqués, la déclaration doit mentionner l’objet de l’appel (article 54 2°), ce qui n’est pas le cas puisqu’il n’est pas indiqué si l’appel tend à la réformation, l’infirmation ou l’annulation du jugement et en déduisent l’absence d’effet dévolutif de la déclaration d’appel ;
M. [C] réplique que l’article 901 impose la mention des chefs de jugement critiqué qu’en cas d’appel réformation, ce qu’il a fait, et précise que ses conclusions liste ses demandes de réformation ;
L’article 901 du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n°2020-1452 du 27 novembre 2020, applicable au litige, dispose que : La déclaration d’appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le troisième alinéa de l’article 57 et à peine de nullité :
1° La constitution de l’avocat de l’appelant ;
2° L’indication de la décision attaquée ;
3° L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;
4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible ;
Elle est signée par l’avocat constitué. Elle est accompagnée d’une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d’inscription au rôle. » ;
L’article 54 du code de procédure civile « la demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction. La requête peut être formée conjointement par les parties.
A peine de nullité, la demande initiale mentionne :
(‘)
2° L’objet de la demande ;
3° (‘..) » ;
Ainsi, outre les chefs critiqués du jugement, la déclaration d’appel doit mentionner l’objet de la demande. S’agissant d’une déclaration d’appel, l’objet de l’appel est de demander l’annulation, la réformation ou la nullité du jugement ;
En l’espèce la déclaration d’appel du 1er décembre 2021 est libellée comme suit :
Objet/Portée de l’appel : Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués ci-après à savoir: – le débouté de Monsieur [X] [C] de l’ensemble de ses demandes : 36.298,49 € net au titre du solde de l’indemnité spéciale de licenciement, 2.668,69 € brut au titre de l’indemnité compensatrice équivalente à celle de préavis, ces deux sommes avec intérêts au taux légal à compter du 7 février 2020, date du courrier recommandé de demande de règlement de Monsieur [C], 5.000 € au titre du préjudice moral et 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, – la condamnation de Monsieur [X] [C] à payer à la SASU KEOLIS [Localité 6] MOBILITES la somme de 750 € par application de l’article 700 du code de procédure civile , – la condamnation de Monsieur [X] [C] à supporter les dépens d’instance.
La déclaration ne comporte pas l’objet de l’appel en ce qu’elle n’indique pas que l’appelant demande l’annulation ou la réformation du jugement. Toutefois, si une telle omission affecte la régularité de la déclaration d’appel, elle ne peut conduire à empêcher l’effet dévolutif de l’appel ;
En effet, en application de l’article 562 du code de procédure civile, l’appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent ;
Dès lors, ce texte ne visant pas la mention de l’objet de l’appel, seule l’absence de mention des chefs de jugement critiqués fait obstacle à la dévolution ;
En l’occurrence, la déclaration d’appel liste les chefs de jugement critiqués, étant relevé que le dispositif des conclusions de l’appelante conclut à la réformation du jugement ;
Dès lors, l’employeur sera débouté de sa demande de voir juger que la déclaration d’appel n’a produit aucun effet dévolutif ;
II – Sur la recevabilité des demandes de M. [C]
L’employeur invoque l’effet libératoire du solde de tout compte qui n’a fait l’objet d’aucune dénonciation dans le délai légal, qui contient la mention « bon pour solde de tout compte et qui concerne l’indemnité de licenciement ;
En application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions ;
En l’occurrence, le dispositif des conclusions de l’employeur ne contient aucune prétention tendant à l’irrecevabilité des demandes du salarié fondée sur l’effet libératoire du solde de tout compte. Il mentionne au contraire la confirmation du jugement « en toutes ses dispositions » ce qui inclut nécessairement la disposition du jugement qui l’a justement débouté de cette demande d’irrecevabilité ;
La cour n’a donc pas à statuer sur cette demande ;
III – Sur les indemnités prévues par l’article L1226-14 du code du travail
L’article L1226-14 concerne l’inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle ;
Pour s’opposer au versement de ces indemnités, l’employeur rappelle que l’avis d’inaptitude ne mentionne pas une origine professionnelle, fait valoir qu’à la date du 4 juin 2019, la Caisse n’avait pas statué sur sa demande, que celle-ci a été refusée le 30 septembre suivant puis acceptée le 3 janvier 2020, soit postérieurement au licenciement, il soutient par ailleurs que le refus abusif du salarié des postes de reclassement proposé fait obstacle au paiement des indemnités réclamées ;
Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement ;
En l’espèce, le salarié a formé le 4 avril 2019 auprès de la CPAM du Calvados une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour « capsulite rétractile épaule droite et tendinite », la date de la première consultation étant le 16 novembre 2018. La CPAM a accusé réception de sa déclaration le 10 mai 2019 précisant dans son courrier que « conformément à la réglementation, l’employeur et le médecin du travail ont été informés de votre déclaration de maladie professionnelle. Elle a par ailleurs accepté la prise en charge de cette maladie le 3 janvier 2020 ;
Dès lors, l’employeur était informé préalablement à la mise en ‘uvre de la procédure de licenciement de la demande de déclaration de maladie professionnelle faite par le salarié et avait donc connaissance de l’origine professionnelle de la maladie ;
Par ailleurs, l’employeur ne conteste pas que l’inaptitude du salarié ait pour origine même partielle la maladie professionnelle déclarée, étant relevé que l’inaptitude du salarié a été déclaré suite à un arrêt pour maladie du 16 novembre 2018 motivé par « capsulite rétractile épaule droite et tendinite » ;
Le jugement sera en conséquence réformé en ce qu’il a considéré que le salarié ne pouvait bénéficier des régles applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ;
Est abusif le refus du salarié, sans motif légitime, d’un poste approprié à ses capacités et comparable à l’emploi précédemment occupé et qui n’entraîne pas de modification du contrat ;
L’avis d’inaptitude mentionne au titre des « préconisations médicales dans le cadre d’un reclassement ou d’une formation : pas de conduite » ;
L’employeur a proposé au salarié par courrier du 9 mai 2019 plusieurs postes : deux postes d’agent d’exploitation en CDI à temps partiel à [Localité 12] et à [Localité 7], un poste d’agent de contrôle de stationnement en CDI à [Localité 12] à [Localité 13] et à [Localité 9], un chargé de relations clients à [Localité 10], un poste de chargé des opérations commerciales à [Localité 5] en CDI, un poste d’agent back office en CDD à [Localité 11], un poste de téléconseiller au [Localité 8] en CDD et un poste d’employé administratif pour une mission de 5 mois en interne localisé à [Localité 1] ;
L’employeur indique que ces postes sont conformes aux conclusions du médecin du travail, que le poste localisé à [Localité 1] était parfaitement accessible, le salarié pouvant conduire à titre privé ;
Le salarié fait valoir que son contrat s’exerce uniquement sur les différents sites de Kéolis [Localité 6] donc sans clause de mobilité en dehors des sites caenais de l’entreprise, que concernant le poste basé à [Localité 1], il impliquait des déplacements en transports en commun trop long (ne pouvant conduire de voiture), la maîtrise d’un logiciel non connu et que son médecin traitant a constaté qu’il ne pouvait physiquement et psychologiquement reprendre le travail ;
Au vu de son absence de clause de mobilité, les postes localisés en dehors des sites Kéolis [Localité 6] mobilité impliquaient une modification du contrat (plusieurs étant en outre à temps partiel), et leur refus par le salarié ne peut être considéré comme abusif ;
Concernant le poste localisé à [Localité 1], si le salarié n’établit pas une impossibilité de conduire à titre privé, étant relevé que le temps de déplacement entre son domicile à [Localité 4] et [Localité 1] est de 20 minutes au maximum, force est toutefois de constater que le poste proposé concernait de nouvelles fonctions et une durée limité à 5 mois et donc une modification de son contrat de travail. Dès lors, le refus du salarié ne peut être considéré comme abusif ;
De ce qui vient d’être exposé, le salarié peut prétendre aux indemnités prévues par l’article L1226-14 du code du travail, soit une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis et à une indemnité spéciale de licenciement égale au double de l’indemnité légale sauf disposition conventionnelle plus favorable ;
Il convient de faire droit aux demandes du salarié dont le quantum n’est pas y compris subsidiairement contesté ;
IV- Sur mes autres demandes
Le salarié sollicite des dommages et intérêts en raison des menaces proférées par son employeur et des pressions psychologiques pour qu’il accepte un poste de reclassement, lui indiquant que son permis de conduire lui serait enlevé ;
S’il est produit un certificat médical du Docteur [W] médecin généraliste qui indique que M. [C] est venu consulter pour « des douleurs en rapport avec sa maladie professionnelle entre février et juin 2019 » et que son état de santé à l’époque, physique et psychologique ne lui permettait pas de reprendre le travail même en poste adapté, le salarié ne produit toutefois aucun élément établissant les menaces ou pressions de son employeur autre que son propre courrier envoyé à son employeur, et que l’attestation de son épouse qui indique l’avoir récupéré après son entretien dans un état pitoyable, insuffisant probants ;
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté sa demande ;
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront infirmées ;
En cause d’appel, la société Kéolis [Localité 6] Mobilités qui perd le procès sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile. En équité, elle réglera, sur ce même fondement, une somme de 2500 € à M. [C] ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Déboute la société Kéolis [Localité 6] Mobilités de sa demande de voir juger que la déclaration d’appel n’a produit aucun effet dévolutif ;
Dit la cour non saisie d’une prétention tendant à voir dire les demandes de M. [C] irrecevables ;
Infirme le jugement rendu le 23 novembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Caen en ce qu’il a débouté M. [C] de ses demandes d’indemnités fondées sur l’article L1226-14 du code du travail et en ses dispositions relatives aux dépens et aux indemnités de procédure ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant
Condamne la société Kéolis [Localité 6] Mobilités à payer à M. [C] les sommes suivantes :
– 36.298,49 € net au titre du solde de l’indemnité spéciale de licenciement,
– 2.668,69 € brut au titre de l’indemnité compensatrice équivalente à celle de préavis,
avec intérêt aux taux légal à compter du 7 février 2020,
– 2500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
Déboute la société Kéolis [Localité 6] Mobilités de sa demande d’indemnité de procédure ;
Confirme le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêt ;
Condamne la société Kéolis [Localité 6] Mobilités aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD L. DELAHAYE
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